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Choix d’une posture paradigmatique interprétativiste

Perceptions des dirigeants de la PME de la RSE et pratiques des Ressources

Section 1. Chemin heuristique et méthodologie de recherche

1.1 Notre positionnement épistémologique

1.1.1 Choix d’une posture paradigmatique interprétativiste

Girod Séville et Perret (1999) identifient trois paradigmes épistémologiques types en gestion : le positivisme, l‟interprétativisme61 et le constructivisme.

Le paradigme positiviste postule l‟existence d‟une réalité extérieure au chercheur (hypothèse ontologique). L‟enjeu pour celui-ci est d‟en découvrir les modes de fonctionnement universels (Girod-Séville, Perret, 1999, Wacheux, 1996, Giordano, 2003). Chercheur et objet de recherche (réalité) constituent donc dans cette approche deux univers indépendants. La méthodologie doit être un moyen pour le chercheur d‟accéder de manière objective à cette réalité. « La connaissance produite par les positivistes est objective et a contextuelle, dans la mesure où elle correspond à la mise à jour de lois, d‟une réalité immuable, extérieure à l‟individu, et indépendante du contexte d‟interactions des acteurs ». (Girod-Séville, Perret, 1999). La validité de la connaissance produite s‟examine dans cette approche au regard de trois critères : la vérifiabilité, la confirmabilité et la réfutabilité.

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La question de l‟existence d‟une réalité en soi n‟est pas au centre des approches interprétativistes et constructivistes62. Qu‟elle existe ou non, il n‟est pas possible au chercheur d‟y accéder. Chercheur et objet de recherche ne sont donc pas indépendants comme dans le paradigme positiviste. Dit de manière triviale, le chercheur en gestion travaille sur un objet agit par des individus pensants, capables de réflexivité, et évoluant dans un contexte donné (hypothèse phénoménologique). Ces acteurs organisationnels génèrent des représentations sur leur environnement et leurs actes. Ces représentations sont des ensembles organisés d‟informations, vraies ou fausses, susceptibles d‟apporter des explications et un sens, a priori et a postériori, à leurs actions. Elles constituent des données empiriques de travail du chercheur.

Le chercheur se base dès lors sur « les connaissances ordinaires » des acteurs, les considérant par la même comme des « savants ordinaires ». Ces deux approches soulignent en outre la subjectivité du chercheur dans ce travail de recueil et d‟interprétation des représentations des acteurs. Il est lui-même un individu animé par une « histoire, il parle au nom d‟une communauté, du point de vue d‟une culture spécifique (le marketing, la GRH, …) » (Giordano, 2003).

Il développe lui-même une représentation de son travail et de son objet de recherche contextuel à une communauté et des enjeux sociétaux d‟une époque. Les connaissances produites sont dès lors subjectives et contextuelles. Les connaissances générées par le chercheur constituent des interprétations (Girod-séville, Perret, 1999, Wacheux 1996), des explications possibles sur les différents aspects de l‟objet de recherche étudié. Ce travail repose sur la mise en relation des données recueillies par le chercheur avec des corpus théoriques susceptibles d‟expliquer les phénomènes dont ces données sont porteuses 63(David, 2006). La

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Certains constructivistes « radicaux » postulent même la non existence d‟une réalité. 63

David (2006, p.87) explique qu‟ « interpréter, c‟est mettre en relation le texte avec « une portion d‟encyclopédie » adéquate ». « Le texte » est représenté par le corpus de données recueillies par le chercheur et la « portion d‟encyclopédie » est un ensemble de connaissances théoriques antérieures (« On peut de même considérer les résultats scientifiques comme formant une encyclopédie » (Ibid, p. 88)).

méthodologie 64 représente dès lors un « artefact socialement construit » (Giordano, 2003) employé par le chercheur pour recueillir et analyser des représentations en vue de construire des interprétations.

A ce stade, nous pouvons dire que ces deux approches présentent plusieurs points communs quant à la nature de la réalité étudiée et la nature des protagonistes de la recherche (acteurs organisationnels- dirigeants de PME dans notre cas- et chercheurs). Elles abandonnent tout d‟abord l‟idée d‟un accès possible au réel65. Le chercheur se base sur les représentations des acteurs organisationnels pour générer des interprétations sur son objet.

Les acteurs organisationnels sont donc considérés comme des individus capables de générer des connaissances ordinaires, autrement dit des systèmes explicatifs plus ou moins complets sur leur environnement et leurs actions. En outre, le chercheur n‟est ni neutre ni objectif dans le processus de recherche et la production des connaissances.

Ces deux approches se différencient, à notre avis, sur l‟attitude adoptée par le chercheur avec les acteurs organisationnels, à savoir les types d‟interactions qu‟il met en place avec ces derniers et la finalité de la connaissance qu‟il produit. Pour le courant interprétativiste, s‟intéresser à la réalité, nécessite de la comprendre et de l‟analyser telle qu‟elle peut être perçue et vécue par les acteurs. Ce travail « passe notamment par la compréhension des intentions et des motivations des individus participant à la création de leur réalité » (Allard-Poesi, Maréchal, 1999). Il implique de prendre en compte le contexte des acteurs organisationnels, comme l‟indiquent Girod-Séville et Perret, (1999) : « donner des interprétations aux comportements, implique nécessairement de retrouver les significations locales que les acteurs en donnent, c'est-à-dire des significations situées (dans l‟espace) et datées (dans le temps) ». Le chercheur, dans son travail quotidien, se positionne plus dans une posture d‟observateur. Cette observation est

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Ensemble des méthodes d‟interactions utilisées par le chercheur. 65

Lorsque certaines positions au sein du paradigme constructiviste ne nient pas l‟existence pure et simple d‟une réalité

guidée par des objectifs et un questionnement susceptibles d‟évoluer au cours de la recherche en fonction de la compréhension que le chercheur développe de son objet : « C‟est d‟abord un phénomène qui intéresse le chercheur et qu‟il souhaite comprendre de l‟intérieur. Et l‟objet précis de la recherche s‟élabore ensuite, au fur et à mesure que cette compréhension se développe. » (Allard-Poesi, Maréchal, 1999).

Le chercheur recourt à l‟empathie, à savoir la capacité à se mettre à la place de l‟autre, tout au long de son travail de recherche (Girod-Séville, 1999). La manière dont il utilise les méthodes de recueil et d‟analyse de données doit lui permettre de comprendre l‟autre, ses intentions, sa manière de se représenter l‟environnement dans lequel il évolue. L‟objectif final enfin du projet de connaissance du chercheur est de « donner à voir ».

Girod-séville et Perret (1999) précisent ce point, en indiquant que « la démarche de compréhension consiste avant tout à « donner à voir » la réalité des acteurs étudiés. » Il n‟y a pas de visée transformative de la connaissance et des pratiques des acteurs. La validité de la connaissance générée dans cette approche s‟apprécie au regard des dimensions idiographiques et empathiques de la recherche (Girod-Séville, Perret, 1999). Les questions à se poser pour évaluer un travail de recherche sont alors :

Les interprétations développées par le chercheur sur son objet de recherche prennent-elles en compte les spécificités de son terrain d‟étude ? Girod-Séville et Perret, (1999) le formulent de la manière suivante : « La connaissance produite doit intégrer une description détaillée du phénomène étudié, incluant ses aspects historiques et contextuels » (dimension idiographique).

Ces mêmes interprétations prennent-elles en compte les intentions des acteurs et la manière dont ils se représentent leur univers pour expliquer leurs actions ? « La valeur d‟une recherche sera mesurée au regard de sa dimension empathique, c'est-à-dire de sa capacité à mettre à jour et à travailler non plus uniquement sur les faits mais sur la façon dont ceux-ci sont interprétés par les acteurs » (dimension empathique) (Girod-Séville et Perret, 1999,)

« Les constructivistes partagent cette approche de la recherche en terme de compréhension » (Girod-Séville, Perret). Ils se démarquent, à notre sens, de l‟approche interprétative par une intégration plus importante des acteurs organisationnels dans leur projet de recherche. Les interprétations formulées par le chercheur résultent en effet d‟un travail de co-construction avec les acteurs organisationnels (Wacheux, 1996, Giordano, 2003, Girod-séville, 1999). Les interactions entre le chercheur et les acteurs organisationnels ont, selon Giordano, une visée « mutuellement transformative » (Giordano, 2003).

Cette position se traduit, selon nous, par une prise en compte forte et régulière des acteurs organisationnels tout au long du travail de recherche. Ils doivent être inclus dans la construction par le chercheur de sa problématique, des modes de recueil et d‟analyse des données. La mise en place de multiples boucles de rétroactions entre le chercheur et les acteurs organisationnels sont à notre avis nécessaires pour aboutir à un véritable travail de co-construction.

La présence des acteurs organisationnels est donc forte dans toutes les étapes du processus de recherche. Celle du chercheur l‟est également par rapport aux pratiques des acteurs. La connaissance produite par le chercheur tout au long de son processus a en effet une visée transformative des représentations et des pratiques des acteurs. Wacheux (1996) le formule en ces termes : « les conclusions ultimes (de la recherche) sont alors des propositions raisonnées, une « actualisation des possibles » à transmettre aux acteurs » (Wacheux, 1996). Pour Girod-séville et Perret (1999) « la démarche de compréhension (dans une position constructiviste) participe à la construction de la réalité des acteurs étudiés. » Les critères de validité d‟une recherche constructiviste renvoient fortement à cette idée de dépendance, co-construction et imbrication du chercheur et des acteurs organisationnels.

Wacheux (1996) définit en effet deux critères de validité de la connaissance produite dans cette approche : la représentativité et la pertinence. Selon le premier critère, les acteurs organisationnels « doivent se reconnaître » (Wacheux, 1996) dans le système explicatif développé par le chercheur. Selon le deuxième

critère, « la cohérence logique » (Ibid.) de ce même système doit être évaluée par des « instances extérieures » (Ibid.).

Au final, la différence centrale entre les deux paradigmes nous semble ainsi se situer dans les modalités d‟interaction mises en place, et parfois émergentes, pour le chercheur avec les acteurs organisationnels tout au long du processus de recherche. Elle se caractérise par une visée mutuellement transformative dans une approche. L‟enjeu pour le chercheur est d‟une part de générer des connaissances pour transformer les pratiques et représentations des acteurs, et d‟autre part de se nourrir des interactions avec ces acteurs, pour construire son processus de recherche et ses interprétations.

Les acteurs ont un rôle de validation des différentes dimensions qui permettent d‟articuler une recherche. Cette interpénétration entre les enjeux du chercheur et ceux des acteurs organisationnels nous semble moins forte dans un projet inteprétativiste. Le chercheur se base bien sur des interactions avec les acteurs organisationnels pour générer des interprétations, mais n‟a pas de visée transformative des pratiques de ces derniers.

Le tableau ci-après présente une synthèse des trois positionnements définis par Girod-Séville et Perret (1999) suivant les croyances liées à la nature de la connaissance, au mode de la relation entre le chercheur et les acteurs au cours du processus de production de la connaissance et des critères de validité de la connaissance produite.

Tableau 20 : synthèse des trois principales postures épistémologiques

Source : adapté d‟après Girod-Séville et Perret (1999) et M‟Bengué et al., (2005)

Nous situons ce travail dans une approche interprétativiste telle que définie précédemment. Ce positionnement résulte de la prise en compte de deux éléments : nos croyances quant à ce qu‟est la recherche dans notre domaine et les

Positivisme Interprétativisme Constructivisme

Nature la réalité (Ontologie).

La réalité est une donnée objective indépendante des sujets qui observent.

La réalité est perçue : interprétée par des sujets connaissants. La réalité est : -Construction de sujets connaissants qui expérimentent le monde ; - Co-construction de sujets en interaction. Relation chercheur objet de la recherche (épistémologie). Indépendance : le chercheur n‟agit pas sur la réalité observée.

Empathie : Le chercheur interprète ce que les acteurs disent ou font et qui, eux-mêmes, interprètent l’objet de la recherche. Interaction : Le chercheur co- construit des interprétations et ou des projets avec les acteurs.

Projet de connaissance Processus de construction des connaissances. Décrire, expliquer, confirmer: Fondé sur la découverte de régularités et causalités. Comprendre : Fondé sur la compréhension empathique des représentations d’acteurs. Construire :

Fondé sur la conception d‟un phénomène /projet.

Critères de validité. Vérifiabilité, Confirmabilité, Réfutabilité. Caractère idiographique ; Caractère empathique. Représentativité Pertinence.

limites des recherches actuelles conduites en gestion sur le champ de la RSE dans les PME.

La revue de littérature réalisée dans la première partie de ce document nous a permis d‟identifier trois moyens de poursuivre et d‟améliorer la production de connaissance sur ces thèmes :

- L‟articulation des recherches avec un système théorique plus conséquent lors de la mise en place du cadre conceptuel,

- La prise en compte du point de vue des dirigeants,

- Et la prise en compte des spécificités des contextes dans lesquels le dirigeant opère en intégrant l‟ensemble des déterminants et des variables internes et externes « facteurs de contingences ».

Nous avons tenté de répondre au premier enjeu dans la première partie de ce travail par l‟identification des principaux travaux antérieurs concernant notre sujet de recherche. La réalité n‟est pas extérieure aux individus. Elle existe de par leurs représentations. Cela implique d‟un point de vue méthodologique de prendre en compte le point de vue des acteurs et la spécificité des contextes dans lesquels ils évoluent.

L‟approche interprétativiste met en effet en avant deux éléments centraux dans le processus de production de connaissance, comme nous l‟avons évoqué précédemment : la prise en compte du point de vue des acteurs par la compréhension de leurs intentions, et leurs motivations (caractère empathique) et celle des spécificités et de la singularité du contexte (caractère idiographique). La concordance entre les implications de notre positionnement épistémologique et celles de notre grille de lecture théorique nous semble pouvoir dès lors être posée. Il nous reste à expliciter la déclinaison de ces implications par rapport à notre démarche de recherche et notre méthodologie dans les paragraphes suivants.