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PARTIE 1 : CADRE THEORIQUE

2. CHAPITRE 2 : RENCONTRE, INTERACTION, CONVERSATION

Nous commencerons par resserrer notre approche autour de concepts précis et ainsi définir notre cadre

théorique. En effet, nous voulons situer dans le champ de l’analyse conversationnelle certains termes issus

du langage commun comme rencontre, échange ou interaction. Nous nous positionner ainsi en tant

qu’auteur et responsable de ce travail de recherche dans une approche interactionniste au sens donné par

Quéré (1989 : 49) :

On appelle interactionniste une approche qui ne prend pas l’action individuelle comme unité de base de

l’analyse sociale. Par action individuelle, j’entends l’action en tant qu’une des unités qui peuvent être

attribuées comme prédicats à un individu-sujet considéré comme instance non totalement déterminée de

détermination. Une approche interactionniste raisonne au contraire en termes d’actions réciproques, c’est

-à-dire d’actions qui se déterminent les unes les autres dans la séquence de leur occurrence située, et en termes

d’individus qui ne sont sujets que pour autant que leur identité subjective émerge de leurs interactions avec

d’autres individus et avec leur environnement physique et social.

2.2. La rencontre

2.2.1. Erving Goffman et la perspective « goffmanienne »

2.2.1.1. La théorie de Goffman

Tous les contextes, les moments ainsi que les éléments constituant un cadre et une expérience datée et

située forment des circonstances dans lesquelles des individus sont mutuellement à portée de perception. La

microsociologie « entend faire la sociologie de ces circonstances et analyser l’organisation de ces

rencontres comme un ordre de phénomènes sociaux qui ont leur histoire spécifique » (Joseph, 2009 : 6). La

rencontre fait partie de ces phénomènes sociaux qui demandent une micro-analyse et une perspective

goffmanienne. Vion (2001) regroupe la « théorie goffmanienne » avec les « Ecoles de Palo Alto, [et]

l'ethnographie de la communication», c’est-à-dire ce que l’on nomme, depuis Winkin (1981), le « collège

invisible », pour désigner un réseau de chercheurs américains qui ont en commun de partager la même

conception de la communication en remettant en question le « modèle télégraphique » dans lequel un

message codé et envoyé par un émetteur est reçu et décodé par un récepteur qui, à son tour, envoie un

autre message. Dans ce qu’il a appelé «la nouvelle communication », Winkin (ibid.) explique que l’hypothèse

de base des chercheurs du collège est qu’il existe des «corps de règles », ou encore des codes de

comportement qui « sélectionneraient et organiseraient le comportement personnel et interpersonnel,

régleraient son appropriation au contexte et donc sa signification » (23). En ce sens, le comportement des

sujets est observé et analysé afin de déterminer ce qui donne du sens à des comportements sociaux. Winkin

fait remarquer que le travail ressemble à celui des linguistes qui, face à une masse de sons produits par un

appareil phonatoire, s’ingénient à «repérer les quelques dizaines de sons utilisés par une culture pour

constituer une certaine langue » (23).

2.2.1.2. L’analyse de conversation

La genèse de l’analyse de conversation a été écrite par De Fornel et J. Léon (2000) et on y trouve

approximativement tous les champs disciplinaires auquel nous nous référerons. L’étendue du champ est

contenue dans le sous-titre : « De l’ethnométhodologie à la linguistique interactionnel « (sic). Goffman y

figure à part entière, classé en tant qu’« arrière-plan et filiation », au même titre que des courants comme

l’ethnométhodologie, la dialectologie américaine ou l’anthropologie linguistique. Le «fondateur de l’analyse

de l’analyse de conversation » est clairement identifié en la personne de H. Sacks, mais on apprend aussi que

celui-ci « a été l’élève de Goffman ». Comme lui, Sacks et les conversationnalistes s’attachent à décrire la

façon dont les individus utilisent la parole orale « en travaillant sur des formes situées dans leur contexte ».

La méthodologie employée est fondamentale. Sacks travaille à partir d’enregistrements de conversations

naturelles authentiques afin de capter et de pouvoir analyser les détails de la situation qui permettent aux

interlocuteurs d’accomplir une activité :

L’objet de l’analyse de conversation est le discours dans l’interaction, le discours en tant qu’il a été produit

conjointement par deux ou plusieurs participants. L’analyse de conversation part du fait que l’interaction

verbale procède de façon ordonnée et qu’elle possède, à ce titre, une structure complexe organisée

séquentiellement au moyen du système des tours de parole (Fornel & Léon, 2000).

Les chercheurs s’intéressent à la façon dont les sujets ont à résoudre les problèmes liés à la structuration de

leur interlocution au niveau local, c’est-à-dire in situ. Il s’agit, pour Mondada (2008) d’une démarche emic :

« les détails de l’action sont ainsi traités de manière endogène (ou emic) dans la perspective des participants

– et non de manière exogène (ou etic) dans la perspective de l’analyste ».

L’analyse de conversation est une approche instrumentée : « l’intérêt pour les données enregistrées connaît

un essor sans précédent avec l’invention des magnétophones portables dans les années 60 » (Fornel & Léon,

ibid.) ; cette influence du support pour la collecte et l’analyse des données inaugure les discussions plus

actuelles sur l’usage des technologies numériques dans le travail scientifique, que ce soit au plan de la

mémorisation, de la digitalisation des données et de métadonnées, des communautés, de la publication ou

des logiciels d’analyse. Le « collège invisible » serait, aujourd’hui, sans doute appelé « communauté

scientifique ». Fornel & Léon indique que « cette importance accordée au matériel enregistré amène

d’ailleurs Sacks à enregistrer ses propres cours (de 1965 à 1972) qu’il distribue et qu’il envoie régulièrement à

Schegloff, alors enseignant dans le Middle-West. »

2.2.1.3. Linguistique interactionnelle

En aval des travaux de Goffman, la prise en compte de la dimension dialogale a intéressé la linguistique pour

devenir la linguistique interactionnelle. Mondada (2001) considère que « cette approche s'ancre dans le

contexte d'une mutation de la discipline apparue dès les années '80, marquée par une attention renouvelée

pour les discours oraux attestés et enregistrés dans diverses situations sociales. » Dans sa contribution à la

linguistique interactionnelle, Mondada (2008) souligne que « Goffman y intervient comme un point de

référence central » et indique que l’attention est portée sur la relation entre langue et pratique sociale

située dans une interaction localement organisée. La linguiste définit alors la langue :

La langue, aux antipodes d’un système abstrait, y est conçue comme un ensemble de ressources

indexicalement liées aux conditions de leur usage, prenant sens dans l’action, et donc fortement liée à sa

temporalité émergente (884)

Comme pour l’analyse de conversation, l’étude de la langue ainsi définie passe par l’établissement de corpus

constitués à partir de données orales, authentiques, quotidiennes, c’est-à-dire les « activités des participants

dans les événements de la vie ordinaire (…) même en l’absence du chercheur et qui n’ont pas été élicitées ou

orchestrée par lui en vue de leur enregistrement. » (Mondada, 2008).

En France, C. Kerbrat-Orecchioni représente ce courant qu’elle a permis de diffuser grâce à ses analyses des

Interactions verbales (1990-1994) en trois volumes, publiés au début des années ‘90. De Goffman, elle

retient, entre autre, sa prise en compte de l’interaction dans ses dimensions non exclusivement verbales et

l’accent mis sur le face-à-face, soit « l’action mutuellequ’exercent, au moyen de la double production d’un

message sémiotique quelconque, les partenaires de l’échange » (Kerbrat-Orecchioni, 1986). Elle considère

cette approche comme « mieux adaptée aux propriétés constitutives de l’objet à décrire » (ibid.) que ce

qu’elle désigne comme «traditionnelle » une linguistique qui étudie les énoncés « produits par un locuteur

unique » (ibid.). Elle adopte une approche communicative et interactionnelle et, selon Vion (1992 : 181-2),

« parle tour à tour de pragmatique des interactions conversationnelles (1986), de linguistique des

interactions (1987), d’approche interactionnelle en linguistique (1989), de linguistique interactive (1989) ou

interactionniste (1990) ». Dans son ouvrage consacré à l’étude des actes de langage dans le discours, paru en

2001 et réédité en 2008, il est toujours question de linguistique interactionniste et de « pragmatique du

troisième type» dans l’introduction.

Kerbrat-Orecchioni insiste surtout sur la prise en compte des actes rituels et des relations dans la

conversation, que Goffman ne veut détacher des unités formelles sur lesquels les analystes de conversation

veulent concentrer leur attention. Kerbrat-Orecchioni consacre le tome II de ses Interactions verbales (1992)

aux modes d’instauration des relations interpersonnelles, verticales et horizontales, entre les interlocuteurs

à travers certains actes de paroles comme les formes de l’adresse, les rituels de salutations ou la politesse et

routines conversationnelles*, se retrouvera dans la thèse de V. Traverso, dirigée par Kerbrat-Orecchioni,

portant sur la conversation familière, publié en 1996. En plus des précisions d’ordre méthodologique, que

l’on retrouve dans son précis d’analyse des conversations (1999a), Traverso y développe un schéma de

« construction conversationnelle » (Traverso, 1996 : 222) particulièrement intéressant pour le type de

rencontre que nous voulons allons analyser.

Si l’on s’intéresse maintenant à l’influence de l’analyse d’inspiration goffmanienne et conversationnelle en

Allemagne, on constate qu’à la même époque qu’en France, dans les années ’80, des linguistiques vont

également adopter cette perspective pour l’étude de l’acquisition des langues étrangères en milieu naturel.

Ils constituent des corpus à partir d’interactions verbales exolingues, entre adultes immigrés et population

autochtone. Certains d’entre eux s’intéressent à des activités discursives particulières notamment aux

« échanges réparateurs » (excuses, reformulations,…), mis en évidence par Goffman, qui revêtent des

formes particulières lorsque l’un des locuteurs ne maîtrise pas le code linguistique de l’autre. Dausend

schön-Gay (1988) et Schmale (1988) parlent plutôt de « situations de contact » et construisent leur corpus à partir

de séjours linguistiques effectués en France par des apprenants lycéens allemands. Ces recherches donnent

lieu à une coopération entre l’Office Franco-allemand pour la Jeunesse (OFAJ) et l’Université de Bielefled

pour devenir « le projet Bielefeld ». Celui-ci avait pour but « d'observer la communication naturelle entre les

jeunes dans le contexte des rencontres binationales et de mettre en place une étude permettant : de réunir

des informations sur le déroulement de la communication naturelle entre les participants; de répertorier les

stratégies de communication effectivement utilisées par les jeunes en situation de rencontre

franco-allemande » (Bailly et al., 2000). Ce travail diffère quelque peu de l’analyse conversationnelle dans sa

méthodologie puisqu’il s’agit d’une observation participante alors que les conversationnalistes procèdent à

partir d’enregistrements audio ou vidéo transcrits. Cependant, ces recherches ont produit une littérature

importante concernant « la pédagogie des rencontres interculturelles », co-financées par l’OFAJ, notamment

en sciences de l’éducation.

2.2.2. La rencontre sociale

2.2.2.1. La communication : coprésence et coordination

Le célèbre aphorisme de Watzlawick, Beavin et Jackson, « on ne peut pas ne pas communiquer », Goffman

l’exprime également dans un texte publié en 1963, publié par Winkin (1981), dans lequel il développe

certains éléments significatifs du « corps de règles » qui font que les sujets, de façon consciente ou

inconsciente, s’engagent «dans une certaine forme de communication » (Goffman, in Winkin, ibid., 267). Le

texte de Goffman nous intéresse car il soulève immédiatement deux points importants pour la définition de

la rencontre : premièrement, Goffman analyse des situations dans lesquels des sujets se retrouvent

« circonstances qui n’exigent pas que des paroles soient engagées ». Ainsi, la réunion ou le rassemblement

(ou regroupement : gathering selon Goffman) sont une condition à toute rencontre. Nous parlerons plus

généralement de coprésence, réservant le terme réunion à un type particulier d’interaction dans un cadre

professionnel. Le second point signifie que la communication n’utilise pas uniquement des codes verbaux.

Goffman :

Il faut entendre par là, l’apparence physique et des actes personnels tels que l’habillement, le maintien, les

mouvements et les attitudes, l’intensité de la voix, les gestes comme le salut ou les signes de la main,

l’ornementation du visage et l’expression émotionnelle en général. Dans chaque société, ces possibilités de

communication sont codifiées. Si bon nombre des éléments utilisables peuvent demeurer négligés, il en est

toujours au moins quelques-uns qui sont susceptibles d’être pris en charge par des règles et de se voir

accorder une signification commune (ibid. 267)

Nous partirons de là pour définir la rencontre : il s’agit d’un phénomène social caractérisé par une

coprésence et l’attention mutuelle des sujets sur certains éléments signifiants ou, dans la terminologie de

Goffman, « des signes expressifs corporels ». Pour Goffman, « l’attention mutuelle est une des conditions de

la rencontre sociale et est déjà une forme de l’engagement conjoint – qui précède (et peut se passer de)

l’acceptation verbalisée d’une action commune. » (Mondada, 2006).

La rencontre n’est pas la seule coprésence, une simple juxtaposition, sans coordination, dans un espace aux

limites non définies. Le périmètre de ce dernier est davantage défini en fonction de la perception mutuelle

des sujets. On peut concevoir la forme minimale de la rencontre avec ce que Goffman appelle l’inattention

civile qui décrit une conduite de communication sans échange verbal, utilisant gestes, regards et

mouvements, mais aussi prise en compte des objets formant un environnement, pour finalement exprimer

la prise en compte d’une coprésence :

Elle consiste à montrer à autrui qu'on l'a bien vu et que l'on est attentif à sa présence (lui-même devant en

faire autant) et, un instant plus tard, détourner l'attention pour lui faire comprendre qu'il n'est pas l'objet

d'une curiosité ou d'une intention particulière. En faisant ce geste de courtoisie visuelle, le regard du premier

peut croiser celui de l'autre, sans pour autant s'autoriser une "reconnaissance". Lorsque l'échange se déroule

dans la rue, entre deux passants, l'inattention civile prend parfois la forme suivante : on jette un œil sur autrui

à environ deux mètres de lui ; pendant ce temps on se répartit par gestes les deux côtés de la rue, puis on

baisse les yeux à son passage, comme pour une extinction des feux. C'est là peut-être le plus mineur des rituels

interpersonnels, mais celui qui règle constamment nos échanges en société (Goffman, cité par Joseph, 1997 :

137).

Pour Joseph (ibid.), il s’agit de la «première étape de la rencontre » (138) non pas en tant que salutation

suivie d’un échange de paroles, mais parce que cette inattention signifie la perception d’une humanité et

d’une civilité : « nous n'avons aucune raison de soupçonner les intentions d'autrui, de le craindre ou de lui

être hostile, de l'éviter, d'avoir peur d'être vu ou de regarder, ou d'avoir honte d'être là où on est » (ibid.). A

ce niveau, la perception mutuelle et la disponibilité forment un espace contenant des prises pour une

activité tout en gardant la possibilité d’aller et venir des deux côtés de « la frontière de la vie publique et de

la vie privée » (ibid.).

2.2.2.2. Les bornes de la rencontre

Dans Façon de parler (1987), Goffman définit, dans le chapitre Position, la rencontre sociale ainsi :

L’ouverture a pour marque typique que les participants se détournent de leur diverses orientations

antérieures, se rassemblent et s’adressent matériellement l’un à l’autre (ou les uns aux autres) ; la clôture, les

voit s’éloigner réellement, d’une façon ou d’une autre de la coprésence immédiate qui les réunissait.

Egalement typiques sont les parenthèses rituelles, telles que salutations et adieux, qui établissent et terminent

l’implication conjointe, ouverte et officielle, autrement dit la participation ratifiée. Bref, on a une rencontre

sociale (140).

La rencontre sociale y est donc surtout décrite par ses caractéristiques :

1. elle est bornée par des expressions corporelles : l’une d’orientation mutuelle des corps et des regards,

l’autre par l’éloignement ;

2. elle contient un certain nombre de rituels ;

3. elle contient des marques de ratification.

En outre, la définition indique que la rencontre sociale est une unité que l’on ne saurait diviser, fragmenter

ou réduire à des prises de paroles successives. Une partie ou un aspect de celle-ci n’est pas la rencontre

sociale. Goffman continue ainsi :

Dès qu’on suppose l’existence de traits propres à une rencontre – ne serait-ce qu’une ouverture, une clôture

et une période qui n’est ni l’une ni l’autre –, toute vision transversale, toute coupe instantanée centrée sur la

parole et non sur l’échange, ne peut évidemment que manquer des caractéristiques importantes (ibid.).

Le cadre et l’expérience qui s’y joue, les règles que l’on observe, les silences et les «anges qui passent »

(ibid.) font partie de la rencontre. Incluant les rituels de salutation et marques de ratification, « la rencontre

sociale » s’enrichit par rapport à notre première définition qui s’appuyait uniquement sur la coprésence et

l’attention mutuelle.

2.2.2.3. La réciprocité

La rencontre n’est pas un contrat. Il ne s’agit pas d’un concept sociologique permettant de s’interroger sur

« l’origine ou le fondement de la société » (Joseph, 2009 : 18). Goffman n’analyse pas les institutions, les

structures ni même les évolutions. Dans la rencontre sociale, il est question de « savoir si nous pouvons

parler de la vie sociale en termes de plus et de moins, si nous pouvons lui attribuer plus ou moins d’intensité

ou de densité relationnelle » (ibid.: 19), c’est-à-dire « l’engagement des protagonistes dans l’organisation de

la rencontre » (ibid.) qui doit se faire dans les deux sens. C’est un engagement en termes «d’attention

intellectuelle et affective » (Nizet & Rigaux, 2005 : 39) portée à la situation mais aussi « un soutien à

l’engagement des autres » (ibid.). Nous trouvons là un principe de réciprocité qui ne signifie pas une

symétrie des relations mais une « présomption d’égalité » (Joseph, 2009 : 21) de l’attention qui se traduit,

avant toute prise de parole, notamment par l’échange de regards :

Réciprocité ne voulant pas dire qu’il s’agit d’atteindre par empathie une vérité des intentions de l’autre, mais

simplement une capacité à évaluer de manière plausible les raisons de ses comportements afin de pouvoir

s’ajuster à lui (Le Breton, 2008 : 52).

Dans cette réciprocité se produit la rencontre qui n’est pas seulement un moment mais une «conjonction

d’émergence localisée et de pertinence limitée » (Joseph, ibid., 22). Faisant référence à la réciprocité de

l’action de Simmel, nous concevons la rencontre avec Joseph comme une « expérience de plus de

société » (ibid., 22) :

Chaque fois que des parties se rassemblent, que des gens se rejoignent pour la réalisation d’une tâche

commune, qu’ils partagent un même sentiment ou une même manière de penser, chaque fois que la

distribution des positions de domination ou de subordination s’exprime clairement, chaque fois que nous

prenons un repas ensemble ou que nous nous apprêtons pour d’autres – à chacune de ces poussées des

phénomènes de synthèse, le même groupe fait l’expérience de « plus de société » qu’auparavant. Il n’existe

pas de société « en tant que telle », c’est-à-dire de société qui serait la condition d’émergence de ces

phénomènes particuliers.

La réciprocité nous permet d’envisager le niveau de la relation interpersonnelle dans la rencontre.

2.2.2.4. L’embarras de la situation

Afin de différencier rencontre et regroupement, nous allons revenir sur la relation interpersonnelle et,

toujours avec Goffman, ajouter un état émotionnel à la rencontre : l’embarras. Dans ses Rites d’interaction

(1974), Goffman définissait déjà, avant la publication des Façons de parler, une rencontre comme « une

période d’interaction face-à-face [qui] commence lorsque des individus reconnaissent leur présence mutuelle

et directe, et se termine lorsqu’ils s’accordent pour se retirer» (88). Il n’est donc pas question d’échange

verbal, la reconnaissance pouvant se faire par un échange de regards, ce que l’auteur indiquait déjà en

disant qu’il existe différents type de rencontres et «qu’il est clair qu’il en est aussi de muettes ». En

revanche, il complète l’analyse en précisant « qu’il n’en existe, semble-t-il, aucune qui ne puisse devenir

embarrassante pour l’un ou plusieurs de ses membres, et ne puisse donner naissance à ce que l’on nomme

parfois un incident ou une fausse note. » (89)

Pour Nizet & Rigaux (ibid.), dans la théorie de Goffman, l’embarras de l’individu est un «signe de son

attachement à sa face et au respect des règles de l’interaction » (37). Le sociologue écrit en effet, au début

des Rites d’interactions que :

L’individu a généralement une réponse émotionnelle immédiate à la face que lui fait porter un contact avec les

autres : il la soigne ; il s’y « attache » (…) En général, l’attachement à une certaine face, ainsi que le risque de