PARTIE 1 : CADRE THEORIQUE
6. CHAPITRE 6 : LA CONVERSATION ET LA CLASSE DE LANGUE
Nous avons présenté le concept de conversation familière qui, selon nous, permet de comprendre l’activité
qui se produit dans une rencontre interculturelle franco-allemande dans le cadre d’un programme
d’échange éducatif. Nouscherchons à savoir si les situations d’apprentissage d’une langue étrangère
permettent de mettre en place ce type de conversation, suscitant à des rencontres interculturelles. En
particulier, il est important que les apprenants puissent exprimer leur identité culturelle au travers
l’échange. Nous allons donc d’abord examiner ce que l’on appelle une conversation dans une institution
éducative afin de constater quelles formes elles prennent et quelles sont les limites que le contexte leur
impose. Nous considérerons ensuite les possibilités qu’offrent les technologies de l’information et de la
communication pour dépasser ces limites.
6.2. La classe de langue
Pour Coste (2002), que ce soit du point de vue linguistique ou didactique, la classe de langue est considérée
comme un « lieu potentiel d’acquisition » spécifique, recouvrant plusieurs « réalités », auxquelles
correspondent une « pluralité des acquisitions ». Nous nous intéressons au discours didactique d’un point de
vue interactionnel, c’est-à-dire au fonctionnement de la coconstruction de l’interaction, de la réciprocité, de
la coordination de l’activité et de l’attention mutuelles dans la situation de coprésence particulière que
constitue une classe de langue. En outre, nous portons particulièrement notre attention sur la conversation
comme activité d’apprentissage. Son caractère à la fois verbal et « soliloquante » auto-orienté en fait une
activité appropriée pour l’apprentissage des langues. Elle conjugue en effet l’aspect d’une tâche
d’apprentissage coopérative et celui d’un dialogue didactique orientée vers des échanges visant à construire
ou faire évoluer des connaissances. En ce sens, notre étude de la conversation s’apparente à celles qui
s’intéressent à «l’oral pour apprendre » (Canelas-Trevisi et al., 2001) et à l’émergence de la cognition dans la
dynamique interactive. Elle prend donc pour objet les interactions orales comme « des moments
d’apprentissage où les oppositions entre personnes sont régulées par un objet de savoir » (Weisser, 2003 :
18). Se situant dans une visée plus argumentative que la nôtre, cet auteur considère néanmoins le
participatif et le rapport de place comme des données essentielles pour l’analyse du dialogue pédagogique,
qui s’apparente, selon lui, à une discussion à finalité externe particulière : « l’ensemble de l’interaction
verbale orale polygérée qui s’établit à propos d’un thème général qui fait problème ».
Cette perspective est également partagée, en didactique des langues, par Bouchard (2005a) qui considère le
caractère polylogal comme fondamental dans son travail visant à faire ressortir les « normes
6.2.1. Polylogue pédagogique
Premièrement, contrairement au monologue des discours magistraux universitaires, la classes est d’abord
un « cours dialogué » (Bouchard, 2005a : §9) qui, de plus, se déroule dans un cadre de participation où
« tous les élèves sont a priori des participants ratifiés» (§6). Autrement dit, il s’agit d’un cadre participatif
fermé, sans participant qui ne soit pas supposé en « état de parole » et qui puisse rester en dehors de
l’interaction. En outre, la nature polylogale se caractérise par son instabilité de construction puisque, à
l’inverse du cas des interactions duelles, avec une distribution stables des tours de parole, dans l’interaction
pédagogique, « la règle de l’alternance des tours de parole entre deux tours ne peut plus fonctionner » (§5).
Cette donnée quantitative rend le dialogue pédagogique plus complexe sur le plan des fonctions illocutoires
que l’enseignant doit attribuer à ses tours de parole. Selon Bouchard, en effet, l’enseignant doit coordonner
la « polyfonctionnalité » de ses énoncés : les « trois grandes fonctions des tours de paroles, information,
évaluation, organisation». Or, l’organisation est la fonction « qui varie en importance en fonction de
l’importance numérique des participants et donc des incidents de participation qu’ils peuvent occasionner »
(ibid., §48).
Cette coordination face à une donnée quantitative se retrouve au niveau local sous la forme canonique de
l’échange ternaire.
6.2.2. Traitement didactique
6.2.2.1. Echange ternaire
L’échange ternaire constitue, selon Bouchard, la «caractéristique du traitement didactique d’une interaction
polylogale » (ibid., §13). Il permet l’articulation entre le « polylogue cadre » (ibid.) et le « dilogue ostensif »
(ibid.) entre l’enseignant et l’un des participants apprenants.
L’échange ternaire, intervention/réaction/évaluation, consiste en un échange d’interventions dont Bouchard
(2005b : 67) précise les actes de parole :
1. « Fausse question pédagogique » : ouverture d’un thème et mobilisation de l’attention des élèves sur
ce thème.
2. « Réponse d’un élève sélectionné à cet effet ».
3. « Evaluation» et fermeture de l’échange
Le traitement didactique constitue un format d’échange où l’enseignant doit mettre en alerte son groupe
d’interlocuteur, puisen attendre une réaction qu’il évalue en la comparant avec la réponse juste qu’il attend
à la fausse question. En réalité, l’apport d’information se situe donc dans le troisième tour de parole. D’où la
3. Apport de l’information officielle.
En ce sens, l’échange ternaire constitue «un moyen de différer l’apport d’information » (ibid., §21).
6.2.2.2. Organisation locale de l’échange
Le polylogue ne se réduit cependant pas à une succession d’échanges ternaires. Au plan de l’organisation
locale, nous devons rajouter deux éléments : l’amplification trilogale* et la sélection du locuteur prochain.
a) Amplification trilogale
Il s’agit d’une réaction d’un autre participant ou de tout le groupe. Elle se situe soit après le deuxième tour,
en complétant la réponse, soit après le tour final. Venant après la réponse, l’amplification peut être verbale
(pour exprimer par exemple un désaccord, apporter une autre réponse ou simplement évaluer) ou non
verbale, par exemple, par une exclamation (rires du groupe) ou par des signes d’approbation ou de
réfutation de la tête. Après le troisième tour d’apport d’information, c’est une réaction à la parole de
l’enseignant. Dans un rapport de place vertical, certaines amplifications trilogales peuvent constituer une
menace pour la face de l’enseignant et poser des questions relationnelles.
b) Sélection du locuteur prochain
En même temps qu’il ouvre l’échange par l’alerte thématique, par une «question à la cantonade » (ibid.,
§23), la même intervention doit contenir un second acte consistant à sélectionner le prochain locuteur qui
ne peut être qu’individuel. L’organisation locale du polylogue se retrouve donc dans un «échange enchâssé
d’attribution de la parole » (ibid.) entre l’alerte et la réponse.
Après la sélection de l’interlocuteur (souvent également gestuelle), le dilogue ostensif conduisant à l’apport
d’information prend place. En cela, même dans son cadre participatif fermé, l’échange ternaire prend son
caractère de prise de parole publique. La sélection constitue, selon Bouchard (ibid., §33), une « intimation
individuelle publique», c’est-à-dire un acte à valeur taxémique, où le locuteur sélectionné doit, d’une part,
accepter le rapport de place inégalitaire entre lui et le prescripteur de l’intimation, et, d’autre part s’exposer
en public.
Notons que le rapport social peut devenir encore plus intensif, dans le cas où l’intimation enchâssée
intervient en amont de l’échange ternaire, lorsqu’il est demandé à un apprenant de s’exposer devant le
public, par exemple en « allant au tableau », outil pédagogique commun.
c) Apport de l’information officielle
Au troisième tour d’évaluation, le positionnement énonciatif de l’enseignant est différent selon le type de
- La répétition peut-être une « simple prise en compte » (ibid., §63), une sorte d’« accusé de réception »
de la réponse entendue, fonctionnant comme le oui de « régulation » (Kerbrat-Orecchioni, 2001).
- Avec la reformulation, l’enseignant «intervient au nom de l’institution scientifique dont il est le
représentant». En différant l’apport d’information, l’enseignant peut également réaliser un changement
de position énonciative qui confère au traitement didactique un caractère discursif hétérogène.
- La co-locution représente un autre cas d’apport d’information sous deux variantes: l’enseignant
demande à l’apprenant de «terminer son énoncé » (Bouchard, ibid., §64) dont la complétion sera
ensuite évaluée ; inversement, il est fréquent, notamment en classe de langue, que, par glissement
énonciatif, « l’enseignant aide un élève à terminer sa réponse » (ibid.). Dans ce dernier cas, le locuteur ne
prend en charge son énonciation qu’en tant qu’apprenant « sans investissement énonciatif véritable »
(ibid.).
Le polylogue se caractérise donc par son « hétérogénéité énonciative » non seulement du fait du nombre de
participants mais également par une « variation du format interlocutoire » (ibid.). Ce dernier point a
particulièrement été montré par les travaux de Cicurel sur le dialogue pédagogique pour l’apprentissage des
langues en groupe, dont nous allons maintenant présenter certains concepts.
6.2.3. Le dialogue didactique en classe de langue
L’approche interactionnelle de Cicurel (1994) permet de spécifier le polylogue pédagogique. La classe de
langue, sous l’angle de la construction du discours, constitue un type d’interaction particulière : « un
dialogue oral dans le but d’apprendre ou d’enseigner la langue cible » (§1). Dans cette situation, Cicurel
s’intéresse ensuite à l’énonciation, aux acteurs en présence ou dans les discours ainsi qu’à leur relation. Ses
observations montrent qu’il s’agit d’une confrontation : « les interactants en présence n’ont pas le même
statut et sont confrontés à l’autre ou aux autres ». Son analyse pragmatique des interactions
(essentiellement verbales) permettre de décrire le positionnement des participants et de montrer comment
ils co-construisent une altérité dans le dialogue didactique : « les marques linguistiques et les indices
pragmatiques qui permettent de dire que X est un autre pour Y ». En effet, à la différence de Bouchard
(2005a), elle ne s’arrête pas au cadre participatif présent dans la disposition spatiale, mais considère ce
cadre dans le dispositif interactionnel, qui inclut un locuteur imaginaire :
La position d’altérité ne s’établit pas seulement selon la fonction professeur ou apprenant, il y a aussi un autre
imaginaire, constitué par le locuteur natif potentiel dont on veut s’approprier le parler, qui « intervient » dans
les discours de la classe sous la forme d’énoncés entendus, répétés, commentés, simulés, s’insérant dans les
discours des interactants et leur donnant une dimension polyphonique (§3).
C’est un locuteur dont les énoncés sont pris en charge par les interlocuteurs du polylogue, mais aussi dont
on parle à la troisième personne du singulier dans des dialogues fictionnels ou médiatiques, ou du pluriel,
dans des apports culturels, constituant un « eux ». Précisons que l’approche de Cicurel ne se confond pas
avec une approche cognitiviste dans laquelle les apprenants ont à se référer à des sujets construits et à
imaginaires, dans une opposition natif/non natif (Kramsch & Whiteside, 2007). Il s’agit bien d’une recherche
qui s’intéresse à des situations « incarnées ». En effet, dans le dialogue didactique, chacun est d’abord autre
pour le reste de la classe.
6.2.3.1. Les caractéristiques du dialogue didactique d’apprentissage des langues
Cicurel (1994) considère d’abord, comme Bouchard (2005a) avec l’intimation, l’existence de taxèmes
spécifiques à l’interaction didactique, parmi lesquelles des «injonctifs », qui confirment et instaurent un
rapport de place inégalitaire. Les taxèmes vont notamment avoir des effets sur :
- Le registre de langue
- L’allocation des tours
- L’initiative des thèmes
Dans ce rapport, l’enseignant peut donc «donner un ordre, interdire ou conseiller » (§5). En outre, la
répartition des rôles se fait en fonction d’un savoir sur la langue. Cela produit un dialogue particulier avec la
langue-cible à la fois thème et mediumdans laquelle se déroule l’essentiel de l’interaction. Il en découle un
dialogue instable qui « oscille entre une interaction rigide, où les positions et les discours sont pré-formatés et
une interaction plus proche de la conversation ordinaire dans laquelle il y a une plus grande liberté de prise
de parole » (§6).
Par ailleurs, parlant d’une position d’expert, l’enseignant doit mettre en place des activités compréhensibles
pour les apprenants, malgré une relation asymétrique sur le plan de la connaissance du code linguistique.
C’est donc un dialogue «dans lequel il y a un déphasage codique » (§7) que les participants s’efforcent de
combler en ayant par exemple recours à des routines conversationnelles reconnaissables.
Enfin, Cicurel observe un « phénomène de collaboration énonciative entre les participants » (ibid. §1.4). La
parole répétée ou reformulée par l’enseignant est donc une parole collective issue d’une coconstruction :
« Chacun est soi mais chacun est aussi co-responsable ou co-producteur du discours collectif » (§8).
6.2.3.2. Les relations d’altérité du point de vue des apprenants
Ayant vu précédemment les relations entre l’enseignant et le groupe d’apprenants, nous pouvons rendre
compte avec Cicurel (ibid.) de l’activité du point de vue des personnes occupant la position basse. D’abord
dans le groupe puis face à l’enseignant.
A l’intérieur du collectif, les apprenants sont des personnes individuelles qui se trouvent dans un rapport de
place symétrique. Dans le groupe, l’altérité se manifeste par le «comportement langagier des apprenants les
uns par rapport aux autres » dont Cicurel expose trois modes :
a) La coopération
Il s’agit d’une dialogue polyphonique par tâtonnement dans lequel «les apprenants cherchent ensemble à
trouver une solution » (ibid., §31).
b) Co-locution par glissement énonciatif*
L’un des apprenants donne une bonne réponse qu’il croit juste, non pas à l’enseignant, mais à un apprenant
sélectionné comme locuteur prochain. Il commet donc une intrusion dans le dilogue ostensif par laquelle il
se met en position haute. Faisant cela, il réalise un acte menaçant pour l’enseignant. Cicurel observe des
comportements adoucisseurs comme le changement paraverbal (un ton bas) « destiné à compenser le
caractère didactique et donc autoritaire de son intervention » (ibid., §34).
c) Rupture de la finalité de l’interaction
Les apprenants ne se situent plus par rapport au savoir et ne produisent plus d’énoncés en réaction à des
injonctions de l’enseignant ou de l’institution «qui demande que les énoncés produits soient destinés à
améliorer la compétence de celui qui apprend » (ibid., §37). Dans ce cas, les apprenants réalisent un
« glissement vers une conversation naturelle » (ibid.). L’enseignant accepte d’adopter une position plus basse
et accepte l’initiative du thème accomplie par un apprenant. Par la suite, «le professeur intervient peu dans
la discussion des étudiants et lorsqu’il le fait, c’est pour s’informer ou s’étonner » (ibid., §39).
d) Face à l’enseignant
Cicurel ne présente pas la façon dont se positionne l’apprenant à chaque manifestation de la position haute
de l’enseignant. De façon générale, la « confrontation » (ibid., §40) se manifeste de deux façons
contradictoires : soit une « coopération » (ibid.), soit, au contraire, une « résistance » (ibid.). Celle-ci peut
prendre la forme de simples « hésitations » (ibid.) au moment de la prise de parole ; elle peut également
devenir une « contestation » (ibid.).
Quand le désaccord porte sur le contenu métalinguistique, cela remet alors directement en cause la
compétence de l’enseignant. Par exemple, l’apprenant démontre qu’une information donnée sur la langue
n’est pas exacte. Une autre forme de contestation consiste pour l’apprenant à vouloir «sortir du carcan
interactionnel à visée didactique » (ibid., §44), lorsqu’il donne son avis personnel sur le contenu ou la
situation ou encore lorsqu’il répond par une plaisanterie. On peut alors parler, avec Cicurel, de
« personnalisation de l’échange »* (ibid.).
Le tableau suivant résume les modes de confrontation entre l’enseignantet l’apprenant, du point de vue de
Confrontation
Coopération Résistance
Hésitation Contestation
Sur le
contenu
Sur le savoir
de
l’enseignant
Sur la position
énonciative :
Personnalisation
de l’échange
Tableau 4 : modes de confrontation entre l’enseignant et l’apprenant, du point de vue de
l’apprenant
A l’issue de cette présentation, il ressort que l’interaction didactique permet une rencontre avec l’altérité
mais que cette rencontre est limitée par « l’espace de l’échange » (Cicurel, 1994 : §43). Chaque tour de
parole est bien contrôlé pour être ensuite retravaillé, adapté, corrigé, interprété, contextualisé ou
décontextualisé, répété, etc. En outre, le tableau montre que la relation personnelle avec l’altérité peut
apparaître également en classe de langue mais qu’il s’agit d’un acte de contestation, qui oblige par
conséquent l’apprenant à prendre un risque, lequel, selon l’institution, peut être sanctionné.
6.2.3.3. Un échange actif
La notion de « glissement conversationnel» laisse à penser qu’il s’agit au mieux d’une activité non prévue,
limitée dans le temps et donc de laquelle il va falloir se sortir ; et au pire d’une transgression de l’ordre social
et des rituels de la classe de langue, sur lequel veille l’enseignant, et, avec lui, son institution et sa
communauté disciplinaire de référence. L’important serait donc de bien savoir glisser et de quel côté !
Comme nous l’avons dit (Cf, supra), dans l’interaction didactique, chacun à son projet et ses attentes.
Examinons celles qui concernent l’interaction en classe de langue.
L’imprévisible est inévitable en classe de langue : « L’imprévisible survient par le fait même que l’objet à
apprendre est une langue et que les propositions des apprenants, leurs difficultés ou leurs idées se
construisent et se développent au fil de l’interaction » (Cicurel, 1996a : 72). C’est d’ailleurs précisément
l’aléatoire qu’il faudrait observer, selon Cicurel, qui l’amène à poser cette l’hypothèse selon laquelle :
« l’apprentissage dans le cadre-classe est possible car la production discursive se fait dans une instance
interactionnelle qui n’est pas strictement verrouillée à l’avance » (ibid.).
Il convient d’abord de revenir sur le terme de confrontation dans l’interaction didactique et de le
comprendre comme « un échange actif »* (Cicurel, 2002), qui renvoie à l’activité conjointe et dynamique de
construction du discours dans un lieu socialisé : « En effet, ‘ce n’est pas parce qu’on est en classe qu’il n’y a
plus de rôles sociaux, plus de travail de figuration au sens de Goffman, plus d’établissement de liens
interpersonnels’ » (Cicurel & Véronique, 2002, cités par Blin, 2009).
Le cadre interactionnel, dans lequel l’apprentissage se déroule, ne peut donc que rendre complexe le
dialogue où « constamment, l’action planifiée du professeur rencontre des épisodes pouvant survenir dans le
déroulement de l’interaction et la modifier » (Cicurel, 2002). Les analyses du « répertoire didactique » (ibid.)
de l’enseignant montre que celui-ci possède certes « des intentions planificatrices » mais aussi que, dans son
activité, c’est une personne ayant «aussi recours à la ruse, à la nécessité d’inventer sur le champ, de faire
avec, d’imaginer des solutions dans l’immédiateté de l’échange » (ibid.). De leur côté, les
participants-apprenants, même dans leur position basse, sont actifs : « eux, peuvent être considérés comme des savants
non conscients de l’être – ou des informateurs – car ils contribuent à la connaissance des modes
d’appropriation qui sont les leurs » (ibid.). Ainsi, la complexité de l’interaction didactique provient du fait
qu’elle ne saurait exister sans la planification et que, dans le même temps, celle-ci « ne se fait pas sans
rencontrer des obstacles, des résistances ou, de toute manière, la parole d’un autre, qui comporte toujours le
risque de provoquer une déplanification » (Cicurel, 2011 : 124). La planification est inscrite dans le discours
de l’enseignant et reconnaissable par les apprenants, mais ne serait produire son effet sans un échange actif
avec ces derniers : « A l’enseignant de reconnaître ces tentatives. Mais à lui de savoir ‘saisir les occasions’
(Allwright, 1988) que lui donne le groupe et d’en faire un objet de médiation du savoir à transmettre » (ibid.).
Ensuite, la négociation active de l’interaction planifiée se situe non seulement autour de l’objet à apprendre
mais aussi autour de l’activité didactique ou de la façon dont on doit l’apprendre, pouvant reposer sur des
représentations des apprenants. Cette négociation permanente n’est pas sans effet sur l’apprentissage car
cela signifie « qu’une tâche n’est pas déterminée par un curriculum ou un programme, ni par l’ingéniosité
pédagogique du seul responsable de la classe mais qu’elle est accomplie de façon située et distribuée par
tous les participants concernés » (Mondada et Pekarek, 2001, citées par Bigot, 2005).
Enfin, la classe est le lieu d’une parole spontanée. Pour rendre plus clair notre propos, nous opposerons,
avec Pothier (2001 : 32), cette situation négociée et co-construite à certains dispositifs entièrement conçus
autour d’un support informatique sans tuteur ni formateur. La confrontation provient, dans le premier cas
de « la relation directe enseignant/apprenant qui permet l’improvisation et la souplesse » alors que, dans le
second cas, « l’informatique exige un rapport médiatisé dans lequel tout doit être pensé à l’avance et pose le
problème de la modélisation de l’apprenant». La situation directe n’exclut sans doute pas une certaine
modélisation de l’apprenant par l’enseignant au moment de la planification, mais qui demande une
négociation dans un échange actif.
Quelquefois, les apprenants expriment leur désaccord et prennent l’initiative d’une négociation
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La rencontre interculturelle par vidéoconférence de groupe : approche conversationnelle de la relation franco-allemande
(Page 148-188)