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PARTIE 1 : CADRE THEORIQUE

4. CHAPITRE 4 : LES RELATIONS FRANCO-ALLEMANDES

Ce chapitre est consacré à l’étude du contexte, terme extrêmement commode et polysémique, mais qui

nous permettra d’étudier les relations franco-allemandes, en particulier les relations culturelles. Traverso

(2001) se réfère au terme de « cadre externe » quand, dans une étude interculturelle de type contrastive,

elle cherche à savoir si les situations observées et comparées sont réellement comparables, c’est-à-dire si,

premièrement, on peut les « définir de manière similaire » et, deuxièmement, le faire en se référant à un

« modèle dominant ». Nous nous appuyons sur la distinction opérée par Kerbrat-Orecchioni (1986) entre

analyse interne* et analyse externe* de la conversation. Elle-même reprend, dans sa perspective

interactionniste, respectivement, « les preuves de l'existence d'une autonomie relative entre les deux plans

du ‘contenu’ et de la ‘relation’ » (20), étudiée par la nouvelle communication, en particulier l’Ecole de Palo

Alto (Vion, 1992 : 95). Nous avons jusqu’ici développé l’analyse interne, celle qui, selon Kerbrat-Orecchioni

(ibid.), « a pour tâche de décrire les relations existant entre les unités constitutives du texte échangé, et de

voir comment est assurée la cohérence sémantico-pragmatique » (ibid.). De son côté, l’analyse

externe s’intéresse «aux relations s’établissant entre les interactants par le biais de l’échange verbal (et

paraverbal) » (ibid., 21).

Pour Vion (ibid.), l’analyse de la cohérence aussi bien sémantique que pragmatique des interactions verbales

demande également de prendre en compte ce qui contribue à ce que nous avons appelé le « plus de

société » (Cf. supra, chap. 2) et qui concerne l’aspect relationnel : « la relation, que d’autres appellent

situation, est donc un élément déterminant de la construction du sens : il convient de donner sens à la

‘rencontre’ et la nature des rapports établis sert de ’contexte’ structurant aux messages produits ».

L’analyse externe conduit d’abord à une compréhension « des enjeux du dialogue » (Kerbrat-Orecchioni,

ibid.) qui ne sont pas forcément et uniquement ceux définis par la finalité de l’interaction ou les statuts des

participants, mais se situent à un niveau psychosociologique. Ce sont par exemple des relations de

« séduction, complicité, quête d’un consensus, demande de reconnaissance, désir d’avoir raison de l’autre, de

lui faire perdre la face, etc. ». Le second aspect de l’analyse externe consiste à s’intéresser aux «rapports de

place qui structurent l’espace interlocutif » (ibid.) en examinant, d’une part, le rapport de familiarité ou

d’étrangeté et, d’autre part, la relation de domination entre les interactants. Là encore, nous admettrons,

avec Kerbrat-Orecchioni, que les rapports de places dépendent de deux facteurs : des statuts et rôles des

interlocuteurs, c’est-à-dire du « contexte socio-institutionnel » ; du « déroulement de l’échange lui-même, et

plus spécifiquement des taxèmes ». Avec ce néologisme, qu’elle complètera plus tard par celui de

relationème, l’auteure indique que, outre les enjeux et relations psychosociologiques, et au-delà du contexte

socio-institutionnel, les personnes ne se limitent pas à reproduire des rôles et à agir selon des scripts, des

pratiques sociales et schémas culturels bien appris mais savent, même dans des situations très ritualisées,

faire preuve de créativité pour mobiliser les ressources interactionnelles et « remodeler le contexte, et à la

limite inverser le rapport de places existant » (Kerbrat-Orecchioni, 2008 : 71). Le terme de taxème désigne,

selon Kerbrat-Orecchioni (1986 : 21) « l’ensemble des faits verbaux ou paraverbaux qui peuvent être

considérés comme des donneurs et comme des indicateurs de place ». Nous reviendrons sur l’étude des

taxèmes et des relations dans le chapitre suivant consacré aux conversations familières.

Nous avons redéfini, dans notre chapitre introductif, pour notre problématique particulière, les notions

d’étranger et derelations catégorielles qui nous ont permis d’approcher les relations franco-allemandes à

partir de la figure prototypique du voisin. Nous nous en tiendrons donc à la configuration relationnelle du

« voisinage entre étrangers ». Il nous reste à savoir ce qu’est un étranger pour chacun des participants à une

rencontre interculturelle et à quelle catégorie d’étrangers appartient l’interlocuteur dans une rencontre

franco-allemande. Nous n’envisagerons donc pas, dans ce travail, l’analyse des enjeux psychosociologiques

plus profondément que nous avons pu le faire avec la théorie des faces de Goffman. C’est uniquement le

second élément de l’analyse externe, le rapport de place du cadre communicatif, qui retiendra notre

attention. Nous commencerons par nous intéresser au contexte socio-institutionnel des relations

franco-allemandes, niveau que l’on pourrait qualifier de macro, celui des relations internationales qui concerne des

espaces, des territoires et des peuples, mais aussi des histoires partagées et vécues par des individus qui les

transmettent, ou encore écrites par des historiens pour être enseignées et répétées. Nous étudierons ainsi

ce que recouvre, dans ce contexte, le concept de culture. L’objectif est de sortir des approches culturelles ou

interculturelles générales et applicables à toute situation de rencontre, quels qu’en soient les participants.

Nous tenterons ainsi de cerner des éléments du contexte qui font partie de l’histoire conversationnelle

franco-allemande. Puis, nous quitterons progressivement l’analyse macro pour revenir au niveau micro de la

conversation avec l’étude de la relation interpersonnelle dans les rencontres franco-allemandes, en nous

fondant non pas comme dans l’approche de type contrastive, sur une « comparaison des fonctionnements

communicatifs dans une même situation dans des cultures différentes » (Traverso, 2001 : 9), mais sur

l’interaction de ces fonctionnements.

4.2. Le contexte socio-institutionnel : des espaces culturels

Avec la construction de l’Union Européenne politique et l’adoption d’une monnaie commune ainsi que de

dispositifs juridiques comme le traité bilatéral, dit « de l’Elysée », signé en 1963 à Paris, ou de coopération

dans divers domaines – Jeunesse et Sport (OFAJ), industriels (EADS), militaire (Eurocorps), scientifiques

(Université Franco-Allemande), artistiques ou médiatiques (Arte) – , les frontières politique et monétaire

culturelle, dessinant deux sous-espaces dont on peut analyser les relations en termes de médiation. En effet,

les nombreux dispositifs franco-allemands, dont nous venons de mentionner quelques-uns, forment ce que

Caune (1999 : 177) appelle des « champs de pratique ». Selon Caune, la médiation est une notion qui

« devrait favoriser l’analyse du rapport interpersonnel dans un champ de pratiques » (ibid.). L’analyse porte

sur les deux caractéristiques de la médiation :

- Il s’agit, tout d’abord, d’un « processus de relation, processus évolutif qui met en œuvre l’action du sujet

dans un cadre de contraintes et de références » (ibid.). Nous avons examiné ce trait de la médiation dans

le cadre de la théorie de Goffman et de l’analyse des conversations. Selon le type de rencontre et

d’interaction, l’activité conjointe et structurée de construction de la réalité répond à des rituels, des

attentes et des obligations réciproques vis-à-vis d’autrui en même temps qu’elle inscrit le sujet dans sa

relation avec l’univers de références.

- Ensuite, « le processus de relation est médiatisée par des symboles, et il suppose l’expression du sujet »

(ibid.). On peut parler ici de médiation culturelle, si l’on considère la culture comme ce qui relève de la

production de symboles dans les échanges.

Il n’est pas dans notre objet de réaliser une analyse théorique des relations internationales entre

l’Allemagne et la France. Aussi, optons-nous pour une utilisation des concepts du champ de la médiation

pour décrire les relations franco-allemandes dans leur propre espace culturel au sens le plus large possible,

incluant des personnes, des narrations, des mythes, des croyances et des activités fondées sur des

interprétations de ces croyances, espace dans lequel « la part de liberté et d’improvisation individuelle est

ainsi infiniment réduite » (Vinsonneau, 2005 : 37), mais aussi un espace culturel dans une conception

dynamique de la culture, c’est-à-dire qui à la fois perdure et se transforme, car « sans cesse reprise et

entretenue par l’activité signifiante de sujets en interactions, dans un même réseau collectif vivant. Il s’agit

d’une activité intersubjective, reformulant incessamment les déterminations ‘naturelles’ en un ordre

symbolique partagé ; mais s’il s’agit bien d’un partage, il n’est plus guère question d’en circonscrire les

opérations en des espaces physiques identifiables » (ibid.).

Nous commencerons par une présentation des deux sous-espaces, telles qu’ils se définissent l’un par rapport

à l’autre, pour lesquelles le champ de pratiques* permettant une médiation s’organise autour de la question

d’une différenciation et de l’établissement de frontières. La relation d’opposition se manifeste notamment

par des symboles religieux et linguistiques, entraînant la partition d’espaces sociaux et politiques. Nous

envisagerons ensuite les champs de pratique des institutions civiles, c’est-à-dire non encadrées

politiquement qui, au contraire des premières, se basent sur une autre définition de la culture. Puis, nous

verrons alors que ces deux conceptions ont servi de base pour l’émergence d’un mythe fondateur

franco-allemand, celui de « la rivalité héréditaire » qui se transforme en « amitié franco-allemande ». Enfin, nous

devrons évoquer les « champs de non-pratique » c’est-à-dire ceux pour lesquelles les relations

4.2.1. Les sociétés allemande et française

4.2.1.1. Espaces de croyance

Nous commencerons par l’univers des croyances en décrivant, avec Dumont (1991), la relation entre

l’Allemagne et la France du point de vue de l’idéologie. Selon l’anthropologue, les deux pays forment un

espace composé de deux « sous-cultures nationales ou de ‘variantes nationales’ de l’idéologie moderne »

(33). Dumont donne au mot culture son « sens anthropologique habituel», c’est-à-dire ce qui donne sens

aux rapports sociaux, dans un rapport d’opposition à la nature : « tout ce qui est pourvu de signification (…)

[et] pose la question de l’universel dans la nature humaine » (Caune, 1999 : 119). L’espace de l’idéologie

moderne correspond, toujours selon Dumont, à une « configuration individualiste» qu’il fait correspondre

historiquement à « l’époque des Lumières ». Or, à cette époque, « les Lumières allemandes se distinguent de

leur homologues occidentales en ce qu’elles étaient religieuses. Les lumières occidentales prirent une voix

[sic] aboutissant à la Révolution française, dont l’Allemagne s’écarta peu à peu » (Dumont, ibid., 34).

Avant de poursuivre cette section, nous aimerions faire remarquer au lecteur que la question de l’idéologie

allemande est complexe et que la métaphore du chemin épineux paraît bénigne pour la décrire, alors qu’en

fait, il conviendrait plutôt d’évoquer des chausse-trappes ou même Charybde et Scylla. Pourtant, nous nous

y engageons en précisant que Dumont procède à un travail sur « l’extraordinaire épanouissement de la

pensée allemande» qui s’achève par «la chute dans le nazisme». Or, ceci n’est pas sans poser le problème

du regard historique sur des éléments qu’il met en relation pour expliquer des événements, pouvant donner

l’impression d’une espèce de fatalisme, discutable, dans l’aboutissement de ce qu’il nomme une « chute ».

Nous préférons débuter par cette remarque pour deux raisons liées à la question allemande sur l’idéologie.

D’une part, nous sommes conscients de notre choix et, qu’en la matière, la neutralité scientifique paraît

difficile. De ce point de vue, autant choisir un auteur, par ailleurs rigoureux, qui annonce où il veut en venir

et comment il nous y mène. D’autre part, la violence de ce que Dumont nomme une chute ne saurait pour

autant demeurer un sujet tabou. Nous nous risquons donc à parler d’idéologie allemande, en restant dans le

registre des croyances, puisque, pour l’instant, nous ne disposons pas d’une vérité écrite par des juges, des

historiens, ou la loi, sur l’histoire du passage de « l’épanouissement à la chute ». La démonstration de

Dumont contient une valeur heuristique que nous se saurions ignorer, même si nous savons par ailleurs que

la reconstruction identitaire de l’Allemagne contemporaine, en l’absence de « politique de vérité », s’est

réalisée sur ce que Wieviorcka (2005 : 130) appelle la « politique de reconnaissance » ou « politique de

pardon », et inviterait à s’écarter de l’hypothèse d’une idéologie allemande et à parler de rupture après la

chute. Cependant, il nous semble vain d’en rester à cette position. En effet, comme le fait justement

remarquer Wievorcka : « comment faire si ceux qui peuvent demander pardon ne sont pas les coupables,

si ceux qui pourraient accepter le pardon ne sont que les descendants plus ou moins lointains des victimes ? »

(ibid.). L’impossibilité du dialogue risque, au contraire, de produire un « anti-mouvement», c’est-à-dire un

renversement du rapport de places et de conduire à une nouvelle prise de conscience collective fondée sur

une injustice et une demande de reconnaissance en adoptant une « identité victimaire, qui interdit

finalement, si elle est seule en cause, de construire de nouveaux enjeux, de se projeter vers le futur, de

proposer des politiques pour l’avenir » (ibid., 131). En conclusion, sans pleinement adhérer à une perspective

empruntée au déterminisme de Dumont, nous conservons l’hypothèse d’une croyance, en termes

d’idéologie allemande, pour permettre la comparaison des cadres externes.

Nous le ferons prudemment, en nous référant à Troeltsch, sociologue allemand (1865-1923), cité par

Dumont, lequel s’intéresse d’ailleurs moins à l’Allemagne qu’à bâtir une théorie de l’individualisme, dont le

protestantisme semble être un modèle explicatif. Il était par ailleurs collègue et ami de Weber, autre

théoricien de l’essor du capitalisme expliqué par la religion protestante. Nous sommes donc loin de discours

eux-mêmes idéologiques et polémiques.

Selon Dumont, la société allemande se caractérise par des contrastes entre « individualisme et

régimentation » (ibid., 35). Il s’appuie alors sur l’explication d’un sociologue allemand (Troeltsch) pour en

proposer une description :

L’Allemand vit dans une communauté (Gemeinschaft) à laquelle il s’identifie. Cette communauté est

essentiellement culturelle : il est homme en tant qu’il est d’abord allemand. Mais, si l’intellectuel allemand se

détourne de la société (Gesellschaft) au sens étroit du mot –la société civile, faite d’individus –, en même

temps, dans sa vie intérieure, il se pense comme un individu et consacre tous ses soins au développement de

sa personnalité. C’est le célèbre idéal de la Bildung ou éducation de soi-même. (…) On voit une survivance

tranquille (…) d’une orientation holiste, qui se traduit dans la vie de tous les jours par le penchant quasi

proverbial à obéir, la soumission spontanée aux autorités politiques et sociales. (…) D’un autre côté, il y a un

développement intérieur fort prononcé de l’individualité, une intériorité jalousement cultivée (ibid.).

La combinaison de ces deux éléments opposés, l’appartenanceà une communauté et l’individualisme,

produit, selon Dumont une « formule idiosyncratique de l’idéologie allemande (holisme de la communauté +

individualisme du développement de soi) » (ibid., 36). Le protestantisme luthérien basé sur l’individualisme

dans l’Eglise, et non dans le monde, explique ce contraste et détermine pourquoi l’Allemagne n’a pas eu

besoin d’une Révolution à l’époque des Lumières : « une première vague d’individualisme – purement

religieuse au départ et toujours limitée à l’homme intérieur – a permis aux Allemands de résister à la seconde

vague de l’individualisme, socio-politique cette fois » (ibid.). Non pas que la Révolution n’ait pas été acceptée

en esprit, mais elle n’a pas eu besoin pour se produire d’un changement radical de système politique

puisque les Allemands avaient « le sentiment d’avoir égalé et surpassé au plan de l’esprit ce que d’autres

avaient accompli sur le théâtre de l’histoire ». Ainsi, parallèlement aux « Lumières laïques de l’Ouest, au

cosmopolitisme de la culture dominante française (…), ils avaient affirmé, comme jamais auparavant, leur

identité culturelle d’Allemands » (ibid.).

Nous venons de voir que les deux espaces, constitués sur le plan des croyances, s’opposaient dans leur

forme d’« acculturation globale à la modernité » (ibid.). Chacun développait ainsi son propre sociocentrisme

que Dumont considère comme universel et donc inévitable : « Toutes les sociétés se prennent pour le

nombril du monde, et cette croyance holiste survit ailleurs aussi bien, mais sous d’autres formes. Ainsi les

Français sont enclins à penser qu’ils sont les instituteurs du genre humain. (…) Les Allemands ayant une

forme particulière de souveraineté universelle, à savoir l’Empire romain germanique, il est tout à fait naturel

qu’ils expriment leur sociocentrisme sous cette forme » (ibid., 39, n. 11). Néanmoins, il n’en existait pas moins

une relation à partir de cette époque, que nous voulons maintenant examiner.

4.2.1.2. Espaces linguistiques

L’espace franco-allemand est traversé par une frontière linguistique où, dans chaque sous-espace, la langue

de l’autre est enseignée comme « étrangère ». Mais au-delà de la langue, ce sont les conceptions même de

la culture qui paraissent s’opposer. En Allemagne, le mot Kultur, si transparent, s’est développé à partir du

terme latin duquel il s’est progressivement détaché, au moment des Lumières, pour donner deux approches

du termes : l’une d’inspiration anthropologique et historique, descriptive et non normative qui correspond

au sens originaire du mot latin comme amélioration économique, politique, institutionnelle ou religieuse des

conditions sociales et qui trouve son extension aussi bien dans l’amélioration de la nature (l’agriculture) que

dans le soin religieux apporté au supranaturel ; l’autre approche, au contraire conçoit la culture dans son

sens plus restreint, normatif et distingué, qui se confond avec le terme de « civilisation ». On voit donc une

différence conceptuelle en Allemagne entre ce qui d’un côté part de la nature pour l’améliorer, l’adapter et

produire des relations sociales et, de l’autre, sert à distinguer l’homme d’un état de nature et «relève du

comportement » (Caune, 1999 : 72). La différence se précise avec Kant qui introduit une restriction en

recourant à une moralisation du terme en lui adjoignant la notion de Bildung. En faisant cela, les deux

termes associés « prenaient, de plus en plus, dans l’idéal allemand, une connotation d’opposition

antiaristocratique et anti-française

8

» (Ort, 2003 : 21). Zivilisation relève alors, en allemand, d’une

« dévalorisation vers un raffinement superficiel et artificiel

9

», quand Kultur « reste associé à la Bildung

intérieure, organique et à l’idée de moralité

10

» (ibid.). Il apparaît donc que deux cultures s’observent, dans

une relation où chacune se définit par rapport à l’autre. Ceci se poursuivra jusqu’au 20

ème

siècle avec

l’ouvrage de Norbert Elias qui oppose les deux notions. La notion française relève de ce qui participe à la

culture de l’individu comme «l’éducation à la sensibilité, la courtoisie, l’art de la conversation » (Caune,

ibid.). C’est une conception de la culture en tant que :

8

Manière apprise et consciente de se représenter le monde extérieur. Elle implique une maîtrise de soi, fondée

sur cette représentation, suppose une distinction entre les différentes données brutes de la personnalité. (…)

La culture est une mode de comportement et de sensibilité largement dépendant d’un travail sur soi, d’un

contrôle, d’une projection et de l’introjection d’un modèle (Elias, 1973, cité par Caune, ibid.).

La notion allemande s’oppose à cette conception :

Elle concerne essentiellement des données intellectuelles, artistiques et religieuses, elle établit une ligne de

partage entre celles-ci et les faits sociaux et techniques. L’acception allemande met l’accent sur la définition

d’uneidentité qui privilégie la différence, elle fait de la culture le vecteur spirituel d’une résistance à la

banalisation de la modernité (ibid.).

L’écrivaine de langue française qui connaît également l’allemand, Mme de Stael, dans son ouvrage De

l’Allemagne, publié en 1814, alors que l’Allemagne vient de retrouver une unité politique, note ces

différences culturelles qu’elle observe dans les conversations de salon. Dans une analyse de l’œuvre, Kilani

-Schoch (2007) en tire la notion de « style conversationnel » avec laquelle elle désigne « l’ensemble de

préférences collectives sur les manières de communiquer ». Les descriptions de Mme de Stael indiquent des

styles conversationnels différents qui semblent refléter les divergences en matière de culture :

Les noms et adjectifs les plus fréquents dans les textes de Madame de Staël pour qualifier la conversation sont

légèreté, transparence, grâce, rapidité ou vivacité, piquant, plaisir, naturel, ainsi que clarté et netteté. Leur

domaine de référence alterne indistinctement entre conversation, langue comme système, et peuple comme

entité nationale (« les Allemands »). Pour l’essentiel, ce lexique se retrouve dans les traités de politesse ou