• Aucun résultat trouvé

PARTIE 1 : CADRE THEORIQUE

3. CHAPITRE 3 : COMPOSANTES INCONTOURNABLES

Ce chapitre est consacré à l’analyse des conversations, comprise dans une approche linguistique. Nous

cherchons ainsi à ouvrir le champ d’étude de cet objet que nous avons abordé à partir des concepts de

Goffman. Nous présentons à cet effet les composantes fondamentales de l’analyse des conversations.

3.2. Le Talk-in-interaction

De façon synthétique, Vincent (2001 : 178) annonce qu’on peut parler de conversation «dès lors que deux

individus sont en présence et qu’ils entrent dans une dynamique interactive telle qu’ils produisent en

alternance des tours de parole». L’auteure met donc au même niveau la « séance de commérage » (ibid.) et

la consultation médicale, car il existe des règles communes, acquises et connues, qui se retrouvent dans

toute situation. L’activité conversationnelle est «fondatrice des relations sociales que les individus auront à

établir tout au long de leur vie » (ibid., 177) par le biais du langage puisque, selon Vincent, elle « fait

intervenir toutes les composantes de la langue » (ibid.). C’est donc une instance d’apprentissage (on y

« apprend à parler », à transmettre et acquérir « des connaissances ») mais aussi de socialisation (« on

harmonise ses rapports avec autrui » et « on se définit socialement » (ibid.).

D’un point de vue disciplinaire, Vincent parle du Talk-in-Interaction, expression qu’elle attribue à Schegloff,

comme d’un «immense terrain laissé vacant par la linguistique » (ibid., 178) à d’autres disciplines qui ont

par conséquent progressivement dessiné un objet : « les activités sociales sous-jacentes à l’usage du

langage, suscitant par ricochet un intérêt scientifique pour les activités quotidiennes, dont fait partie la

conversation » (ibid.). Il s’agit de la sociologie interactionnelle et variationnelle, de l’ethnographie de la

communication ou de l’ethnométhodologie.

L’intérêt se porte sur l’analyse des conversations en tant qu’elle permet de rendre compte des relations

sociales et, pour Vincent, dans le cadre de ses recherches en sociopragmatique des interactions et des

conversations, dans le fait qu’il s’agit d’une «activité sociale dont le déroulement – toujours en direct –

comporte des risques et des enjeux que l’analyse conversationnelle peut décoder » (ibid., 179). Il ressort que

la conversation est une activité certes quotidienne et banale, mais extrêmement complexe incluant « tous

les niveaux constitutifs de la langue » où les « dimensions propositionnelle, émotionnelle et interactionnelle

se côtoient » et, enfin, où se « chevauchent l’argumentatif, le narratif et le descriptif » (ibid., 180). De façon

plus générale, comme d’autres écrivent que «toute argumentation est aussi une façon de s’approprier la

réalité » (Eggs, 1994 : 11), le courant du talk-in-interaction vise également à « comprendre comment chaque

individu se redéfinit comme un sujet du monde et s’adapte aux autres sujets chaque fois que la réalité

quotidienne le requiert, dans le but de construire de façon organisée cette réalité » (Vincent, ibid., 181).

Pour décrire la complexité de cette activité, l’analyse de la conversation s’appuie sur cinq piliers, que Vincent

qualifie d’ « incontournables », quels que soit les angles théoriques et méthodologiques des recherches

menées et, ceci, sur de n’importe quel type de conversation. Il s’agit de :

1. La coconstruction de l’activité ;

2. L’enchaînement des tours de paroles;

3. La protection des faces ;

4. L’emploi de marques préliminaires : préalables, précautions et anticipations ;

5. La construction argumentative de la réalité.

Nous allons maintenant présenter ces éléments.

3.2.1. La coconstruction de l’activité

On entend par le terme de coconstruction qu’il s’agit d’une «activité conjointe » (Vincent, ibid., 181), ce qui,

en rapport avec la définition de l’interaction, signifie que l’on ne considère pas qu’un individu agit pendant

que les autres acteurs attendent passivement leur tour, mais que tous les acteurs en présence participent

activement à la construction de l’interaction. L’activité conjointe s’observe à trois niveaux :

3.2.1.1. L’activité de l’auditeur

Pendant qu’un locuteur prend son tour de parole, l’auditeur «adapte constamment son comportement en

fonction du message qu’il reçoit » (ibid., 180). On observe des back-chanel signals, appelés « signaux

rétroactifs ou régulateurs du receveur » par Cosnier (1996), qui mentionne des signes corporels (mouvement

de têtes ou des épaules, par exemple) ou mimiques (froncement des sourcils, sourire,…), des signes vocaux

(Hum-hum, rires,…) ou verbaux (« ok », « oui », « non ») mais aussi des « complétudes propositionnelles »

ou des « demandes de clarification ».

Agissant ainsi, l’auditeurmontre non seulement qu’il est en état de parole, mais aussi qu’il construit le

discours avec le locuteur à chaque tour de parole. Faisant cela, il s’efforce d’indiquer qu’il est en « accord

conversationnel avec les attentes du locuteur » (Vincent, ibid., 182). Vincent parle donc de « solidarité » pour

exprimer que la conversation a besoin de la participation et la coopération de tous les participants dans

l’élaboration du discours, qu’il soit euphorique ou conflictuel. Cela implique donc de la part de l’auditeur

qu’il soit capable d’« identifi[er] rapidement le type auquel appartiennent » (Laforest, 1996, citée par

Vincent, ibid.) les interventions entendues. Il manifeste ainsi son amusement, étonnement, son indignation

ou sa colère, tout en anticipant une éventuelle prise de parole, et en la préparant.

L’activité de l’auditeur est de première importance comme fondement de l’analyse des conversations ainsi

que dans l’approche interactionniste de la linguistique et de l’acquisition des langues étrangères. Kerbrat

-Orecchioni (1986) souligne cette différence essentielle entre une analyse conversationnelle et une

« interactive » de la communication, bâtie sur des « mécanismes d’anticipation et de rétroaction » (ibid., 13).

Cette perspective redonne une légitimité à certains éléments du contexte :

L'expression d'« écoute productive », loin de n'être qu'une jolie métaphore vague, peut recevoir un sens plein

et précis ; et que la plupart des faits que l'on a coutume de considérer dans le discours oral, se référant à la

norme du discours écrit, comme des « ratés », des « scories » ou des « bruits », apparaissent au contraire, dès

lors que l’on se situe dans une perspective interactive, comme dotés d'une certaine valeur fonctionnelle (13).

Précisément, cette valeur sera intégrée dans les études menées sur l’acquisition des langues étrangères. Les

chercheurs se sont ainsi intéressés aux signaux régulateurs, montrant que l’apprentissage est une activité

conjointe et reconnaissant à l’apprenantune place d’acteur et non seulement de réceptacle passif. A partir

de la notion d’écoute productive et focalisée sur tous les signaux régulateurs au sens large, comprenant les

actes de complétude et de clarification, ont été construites les hypothèses sur les activités réflexives de

l’apprenant, «auditeur qui n’est jamais pur récepteur » (Arditty, 2004). Il en est de même, quand il prend la

parole, l’énoncé ne se déroule pas aisément mais par des «hésitations, pauses, reprises… qui manifestent à

la fois ce qui fait la continuité du fil du discours et ce que M.-T. Vasseur et moi-même (1996) avons nommé

‘activités réflexives’ » (ibid.).

D’où l’intérêt maintenant de comprendre l’autre pôle de l’activité conjointe, le locuteur.

3.2.1.2. L’activité du locuteur

L’activité conjointe signifie que le locuteur n’est pas quelqu’un qui planifie un message puis l’émet en le

déroulant impassiblement. Celui qui parle agit également par anticipation et rétroaction en « prenant en

compte les réactions de son interlocuteur » (Vincent, ibid., 182). Cela lui permet par exemple d’atténuer ses

propos ou d’étayer son récit ou son argumentation. Barthes (cité par Kerbrat-Orecchioni, 1986 : 10) résume

simplement ceci par la formule « l'homme parlant (...) parle l'écoute qu’il imagine à sa propre parole ».

Autrement dit, l’interprétation de ce qu’il voit ainsi que l’anticipation de l’activité du récepteur se retrouvent

par conséquent dans le discours du locuteur.

3.2.1.3. L’engagement

Les interlocuteurs s’engagent conjointement dans la conversation en respectant les obligations et attentes

réciproques. Selon Vincent (ibid.), cet engagement se manifeste notamment par l’emploi de «règles dites de

politesse» ou de termes d’adresse, dans tous les cas le but est «que l’autre se reconnaisse dans l’image de

lui qui lui est montrée» (182). La transgression de l’engagement mutuel de reconnaissance entraîne un

déséquilibre dans la coconstruction et l’apparition des actes d’excuses ou, de façon générale, de réparation.

Dans une approche linguistique plus générale des interactions, les notions d’activité conjointe et celles qui

lui sont connexes s’inscrivent dans une linguistique de l’activité discursive qui vise à développer une théorie

ne cherchant pas seulement à expliquer ou simuler la seule production discursive : « afin de ne plus

concevoir l’énonciateur comme étant la seule source de ses énonciations » (Vion, 1992 : 195).

3.2.2. L’enchaînement des tours de paroles

3.2.2.1. Turn-system

Chaque fois qu’un locuteur prend la parole, il prend son tour de parole qui désigne « la contribution verbale

d’un locuteur déterminé à un moment déterminé du déroulement de l’interaction » (Kerbrat-Orecchioni,

1990 : 159). Lui et les autres membres du cadre participatif construisent ensemble une conversation en

alternant les tours de paroles selon un système appelé le turn-system, dont l’organisation suit «un certain

nombre de règles implicites » (Vincent, ibid., 183). L’une des règles de base, après l’attention mutuelle, est

l’évitement des chevauchements et des silences. Le premier principe conduit à un système ou, comme dans

un jeu de carte, c’est « chacun son tour » et non pas des prises de paroles simultanées générant des

cacophonies. Le second principe implique qu’il y ait toujours quelqu’un qui parle. Le système des ratifications

permet à un locuteur de désigner, par exemple par un regard long, qu’il a achevé sont énonciation et que le

destinataire doit maintenant prendre son tour.

De ces simples règles « dont la maîtrise précède de loin, chez l’enfant, celle des règles proprement

linguistiques » (Kerbrat-Orecchioni, ibid.) naissent néanmoins des contraintes interpersonnelles et des

obligations sociales :

Aussi généraux soient-ils, ces principes créent certaines attentes chez les partenaires en présence, et en cas de

non-respect par l’un d’entre eux, certaines frustrations chez l’autre, qui peut tenter un rappel à l’ordre.

(Kerbrat-Orecchioni, ibid., 160)

Ainsi, les chevauchements et les silences sont certes autorisés et apparaissent, mais ils doivent être très

courts, sachant néanmoins que l’on observe des variations en fonction des situations et des cultures. Une

dernière règle sociale, complétant les deux règles précédentes du turn-system, concerne l’équilibrage de «la

fonction locutrice » (ibid.) à deux niveaux : équilibrage dans la durée du temps de parole ainsi que dans la

« focalisation du discours » (ibid., 161) qui demande d’alterner les subjectivités entre les participants.

3.2.2.2. Conditional relevance

Une contrainte s’exerce sur l’enchaînement des tours de paroles. En effet, le destinataire qui vient d’être

ratifié ne doit pas seulement changer de statut et devenir locuteur, il doit en outre coopérer à la production

d’un discours cohérent. C’est ce qu’il fait généralement car il connaît la règle de la dépendance séquentielle,

que Schegloff (1972) a parfaitement et simplement formulée par l’aphorisme : « given the first, the second is

expectable » (cité par Vincent, ibid., 183). Ce principe a reçu plusieurs traductions : Vincent (ibid.) le nomme

« dépendance séquentielle » ; nous nous référerons aussi au « principe de pertinence conditionnelle » de

Traverso (1996 : 31).

Ainsi, après le tour initiateur, le second tour doit s’enchaîner de façon cohérente :

Tout comme dans un jeu, chaque coup ouvre un paradigme limité de continuations possibles, dans une

conversation ou tout autre type d’échange communicatif, tout acte de langage effectué ouvre un paradigme

d’enchaînement possibles, paradigme plus ou moins large ou restreint selon les cas, et dont les constituants

n’ont ni le même degré de probabilité et d’acceptabilité, ni les mêmes conséquences pour le déroulement de

l’interaction (Kerbrat-Orecchioni, 2008 : 59)

L’acte de langage*

4

est défini selon Kerbrat-Orecchioni, comme une intervention (ou un énoncé) produite

« pour agir sur autrui, mais aussi amener à réagir » (ibid., 58). Autrement dit, le choix du tour réactif produit

par le destinataire est un choix contraint par le tour initiateur, lui-même énoncé par un locuteur qui s’attend

à une certaine réaction. A une requête, on s’attend à une information ; à une offre : une acceptation ou un

refus ; à un compliment : une réaction de modestie ; à une question : une réponse ; etc. Suivant ce principe

de pertinence conditionnelle, « les participants construisent au fur et à mesure et à tour de rôle des

interventions qui respectent cette attente de solidarité, sur les plans sémantique, pragmatique, émotionnel,

interactionnel et social » (Vincent, ibid., 183).

D’où, découlant de cette règle d’enchaînement, le «principe d’interprétation» pour l’analyse des

conversations, qui veut que ce soit « la teneur sémantique et pragmatique du deuxième tour qui permet

d’interpréter le sens et la valeur que le locuteur du tour 2 a accordé – et avec quelle pertinence – au tour 1 »

(Vincent, ibid.). Devant des échanges composés d’interventions non cohérentes, ou non-solidaires, selon la

terminologie de Vincent, l’interprétation doit donc chercher à savoir comment les interlocuteurs ont fait en

sorte de coordonner leur activité telle que given the first, the second is expectable. On peut ainsi mettre en

évidence, devant une vraisemblable transgression du principe, l’emploi d’une « stratégie rhétorique » par le

locuteur. Par exemple, une question venant en réaction à une question montre que « l’intervention respecte

la règle conversationnelle sans cependant satisfaire l’acte énoncé » (Vincent, ibid., 185).

L’enchaînement des tours n’obéit pas à une loi mécanique et l’échange peut par conséquent prendre un tour

inattendu devant la pluralité de réactions possibles. Car, en fait, pour respecter la cohérence de la

conversation et la règle de la pertinence conditionnelle, l’interlocuteur n’enchaîne pas sur l’interprétation la

plus vraie, mais sur celle la plus plausible, c’est-à-dire conforme à l’interprétation qu’il a des attentes du

locuteur précédent. Pour cette raison, nous devons tempérer le principe d’interprétation, en disant, avec

Kerbrat-Orecchioni (2005 : §1.6.1) que « en réalité, ce que montre l’enchaînement, c’est l’interprétation que

le second locuteur prétend avoir effectuée du tour précédent ». Kerbrat-Orecchioni (2008) y voit d’ailleurs

une chance « providentielle » (65), soulignant ainsi la place laissée à la spontanéité, et qui s’opère sur

l’existence d’une superposition de valeurs de pertinence possibles pour un même énoncé. La valeur

« littérale » et la pluralité de valeurs « dérivées» dépendent de la forme de l’énoncé mais aussi du contexte.

Ainsi, une question peut prendre une multitude de valeurs selon qu’il s’agit d’une vraie demande

d’information, que l’initiateur du tour cherche à obtenir, qu’il s’agit d’une question d’évaluation (en classe)

ou de contrôle (pendant un examen) visant en fait à savoir si le destinataire possède l’information, ou

encore d’une requête formulée de façon indirecte et polie, tout au moins dans un contexte français, où «il

semble bien [que] toute requête conserve quelque chose de son caractère ‘impositif’ et ne puisse donc être

considérée comme polie qu’à condition d’être adoucie » (Kerbrat-Orecchioni, 2005 : §4.1.3.2). Mais, ce que la

superposition des valeurs littérales et dérivées signifie, par rapport à une distinction entre sens propre et

sens figuré, c’est que la sélection et l’enchaînement sur une des valeurs dérivées du tour initiateur n’ôte rien

à une autre valeur dérivée ou littérale. Ainsi, la réponse à la requête lors d’un examen prend en compte la

valeur de requête mais également celle de l’énoncé, selon qu’il s’agit d’une question ou d’une sommation.

Dans le dernier cas, le candidat peut rejeter de se soumettre à un ordre. La superposition, même si elle n’est

pas traitée en surface, demande à être prise en compte dans l’analyse.

Ce que l’on gagne en parole spontanée, on risque de le perdre en clarté. On peut alors aboutir à des

malentendus, que Kerbrat-Orecchioni (2005) désigne comme les possibles « décalages qui peuvent exister

entre les interprétations respectives des responsables de T1 [tour de parole 1] et T2, et qui ne sont pas

toujours ‘traités’ dans l’interaction par un troisième tour à valeur de réparation » (§1.6.1). De cette

contradiction entre une réaction attendue et la réaction exprimée, basée sur la valeur dérivée du tour

précédent, on déduit que tous les énoncés ne sont pas dotés d’une même «valeur conversationnelle »*

(Kerbrat-Orecchioni, ibid.., §1.4.2.3), c’est-à-dire une valeur« liée à l’enchaînement séquentiel » (ibid.), plus

ou moins contraignante, sur laquelle porte l’interprétation. Au sein d’un échange, un énoncé peut prendre

une valeur conversationnelle d’initiateur, de réactif ou d’évaluatif. De plus, au niveau de la conversation, la

valeur d’un énoncé ou d’un échange varie selon qu’il s’agit d’un tour, ou d’un échange, qui ouvre une

conversation, comme par exemple une salutation (bonjour!/bonjour) ou une demande de santé (comment

ça va ?/bien et toi ?/…) ou, au contraire qui lui donne fin, comme les projets (à bientôt/oui), les vœux (bon

week-end/merci) ou les salutations de clôture (au revoir Madame !/au revoir, Monsieur).

La valeur conversationnelle des énoncés et des échanges pose la question fondamentale de la frontière des

échanges. Autrement dit, comment reconnaître qu’un échange est clos et qu’un nouvel échange

commence ? En effet, la longueur des échanges est variable allant de la simple paire échange

initiateur/échange réactif à une longueur de tours indéfinie, dépendant de la recherche, plus ou moins

coopérative, de l’équilibre rituel, stimulant l’élocution. Sur ce point, la réponse n’est pas univoque, s’agissant

3.2.2.3. Les bornes de l’échange

L’échange est l’unité de dialogue minimale. Elle se compose d’au moins deux interventions. Deux raisons

peuvent expliquer l’allongement de l’échange binaire :

- C’est le cas des échanges à trois tours, comportant une intervention initiative, suivi d’une évaluation

réactive, enchaînant sur une intervention évaluative (comme le remerciement).

- Par glissements thématiques ou par stratégies rhétoriques, on peut passer d’un échange à un autre sans

s’en apercevoir.

Cela veut dire que si l’on peut théoriquement concevoir qu’un échange s’ouvre par un tour de parole à

valeur d’initiateur

5

, sur lequel s’enchaîne un ou plusieurs tours réactifs, il n’est pas facile de savoir combien

de tours de paroles suivent l’énoncé à valeur d’ouvreur de l’échange. En outre, il existe des échanges

« tronqués », c’est-à-dire des tours initiateurs ouverts, sans réaction (Vion, ibid., 167). A la limite, on peut

même se demander s’il est possible d’identifier un acte qui mette fin à l’échange. Pourtant, le concept

d’échange conserve un intérêt pour l’analyse pragmatique des conversations car il rend compte de l’activité

dialogale minimale qui se doit donc de comporter au moins deux tours de parole dont l’un initie et l’autre

réagit de façon cohérente. A ces questions sur les concepts, nous répondons en rapportant deux principes

exposés par Kerbrat-Orecchioni (2008) :

1. Premier principe

D’une manière générale, on considère que l’on a affaire à un seul et même échange plus ou moins étendu dès

lors que les interventions qui le composent apparaissent comme étant sous la dépendance d’un même acte

incitatif (63).

Dans la mesure où une conversation se présente sous la forme d’une fluidité de propos, un acte réactif, qui

enchaîne sur un acte initiateur, provoque un nouvel acte qui dépend du précédent. Chaque échange s’inscrit

ainsi dans une continuité thématique et/ou pragmatique.

2. D’où le second principe de « degré de dépendance » proposé par Kerbrat-Orecchioni (ibid.) :

On dira que i1 [intervention 1] ouvre un nouvel échange si son caractère initiatif l’emporte nettement

6

sur son

caractère réactif, c’est-à-dire s’il détermine plus ce qui suit qu’il n’est déterminé par ce qui précède. (64)

Cette solution théorique prend en compte la contingence des faits conversationnels et laisse place à la

liberté de l’interprétation de l’analyste. Cela signifie donc que la valeur conversationnelle des énoncés est

variable et peut « jouer différents rôles dans l’organisation des conversations » (ibid.). Il n’empêche que la

variabilité est limitée. En ce qui concerne les valeurs au sein de l’échange, Kerbrat-Orecchioni (2008 : 64-65)

distingue :

5

Certains auteurs, comme Kerbrat-Orecchioni, conservent une harmonie de la dérivation adjectivale et forment la paire initiatif/réactif. Nous avons choisi, comme Conein (1986) de garder l’adjectif commun en –teur ( et –trice) pour le tour initiant. 6

- Les énoncés ayant « plutôt vocation à constituer des interventions initiatives ». Ce sont par exemple les

questions, les requêtes, les sommations.

- Les énoncés ayant « plutôt vocation à jouer un rôle réactif ». Nous trouverons ici les réponses, les

marques d’accord ou les réfutations, les refus.

- Les énoncés « bivalents» qui sont plus ouverts, catégorie sur laquelle l’interlocuteur peut