• Aucun résultat trouvé

A.2.2 Changements de conformation

Chapitre V ETUDES DES SOLUTIONS DILUEES

V. A.2.2 Changements de conformation

a ) Deux conformations possibles

Le facteur de forme des NCP145 a été déterminé en s'assurant de l'absence totale d'interactions entre particules, nous permettant ainsi d'étudier précisément les changements de conformation des particules cœurs de nucléosomes avec la concentration saline. Pour les valeurs de q supérieures à 0,08 Å-1, le facteur de forme ne dépend pas de la concentration saline de la solution, ce qui n’est pas le cas pour les valeurs de q les plus faibles. On note en particulier une faible augmentation du rayon de giration qui se traduit par une augmentation de l’extension maximale des particules de 137 à 165 ± 5 Å lorsque la concentration saline de la solution augmentede 10 à 50 mM. L'allure de la fonction P(r), observée pour les distances supérieures à 130 Å (Figure V-3), nous laisse supposer que le nombre de grandes distances à l'intérieur de la particule est petit. La variation du rayon de giration étant faible, nous supposons que l'augmentation significative du Dmax est due à une extension des queues protéiques, sans changement de forme notable du reste de la particule.

Afin de tester notre hypothèse, nous avons construit une particule cœur de nucléosome avec les queues protéiques étendues ou condensées (Figure V-9 a,b) à partir des coordonnées cristallographiques récemment publiées par Harp et al (2000) (fichier PDB 1eqz). Les particules cœurs de nucléosomes utilisées dans le travail de Harp et al. sont préparées à partir d'histones de poulet, et d'ADN palindromique. Les queues N terminales de toutes les histones, ainsi que la queue C terminale de l'histone H2A n'ont pas pu être localisées dans leur cristal (voir Tableau II-3). Nous avons donc décidé de rajouter les 102 résidus manquants des queues protéiques en utilisant l'outil de modélisation du programme Turbo-FRODO (Roussel et Cambillau, 1989). Deux particules ont été construites : la première correspondant à la conformation étendue, dans laquelle les queues sont libres de s'étendre hors de la particule, la seconde correspond à la conformation compacte, dans laquelle les queues sont localisées près de la surface de l'ADN. Seules les positions des acides aminés localisés dans les queues des histones ont été modifiées. Ces deux particules ont été construites pour rendre compte des dimensions de la particule, mais sans avoir la prétention de décrire précisément la conformation des queues, ni leur localisation précise. En d'autres termes, les deux conformations présentées sur la Figure V-9 a,b doivent être considérées comme deux conformations possibles parmi d'autres. Les chaînes polypeptidiques correspondant aux queues étant mobiles, elles sont libres d'explorer un large volume autour des particules. C'est pourquoi nous les avons placées dans des positions quelconques, bien exposées au solvant,

sans orientation ou position privilégiée. Leur contribution à l'intensité diffusée peut être considérée comme provenant d'une conformation moyenne. Il faut noter finalement que nous n'avons pas cherché à introduire dans les queues les portions structurées en hélice a, détectées par certains auteurs (Banéres et al., 1997) lorsque les queues sont condensées sur l'ADN. En effet, la diffusion aux petits angles étant une technique à basse résolution, il est très peu probable que de tels éléments de structure résiduelle aient une influence sur les spectres.

La courbe expérimentale I(q) obtenue à Cs = 10 mM pour les NCP145 a été simulée par une solution idéale de NCP dans la conformation compacte construite comme indiqué ci-dessus, en utilisant le programme CRYSOL (Svergun et al, 1995). Ce programme utilise uniquement deux paramètres: le volume moyen de solvant déplacé par atome, et le contraste de la couche d'hydratation. Les résultats obtenus pour une densité de la couche d'hydratation de 1,15 ± 0,03 sont présentés sur la Figure V-10a. L'accord entre les courbes expérimentale et théorique est très bon. La forte valeur obtenue pour la densité de la couche d'hydratation nous indique que l'eau est fortement structurée dans la première couche d'hydratation. Ce résultat est tout à fait cohérent avec des molécules d'eau bien ordonnées autour de la molécule d'ADN. A partir de la courbe théorique, nous pouvons calculer une valeur de rayon de giration de 43Å, en accord avec la valeur obtenue à partir de la courbe expérimentale. La Figure V-10c présente la fonction P(r) obtenue à partir de la courbe théorique. La valeur de Dmax obtenue est de 131Å.

Les mêmes simulations ont été effectuées sur les courbes expérimentales obtenues à 50 et 200 mM ont utilisant le modèle dans la forme étendue. Comme précédemment, l'accord entre les courbes expérimentales et théoriques est excellent (Figure V-10b,d) en utilisant une valeur de densité de la couche d'hydratation de 1,16 ± 0,04. Les valeurs de Rg et de Dmax obtenues à partir de la courbe calculée sont respectivement de 45 et 160Å.

A cette étape, il est important de remarquer que la valeur du Dmax obtenue dans la forme compacte des NCP correspond au diamètre maximal de la particule, comme nous pouvons le mesurer en vue stéréo. Cependant, pour les particules dans la forme étendue, la valeur de Dmax obtenue est significativement plus petite que la valeur réelle du diamètre de la particule. Cette différence est due au fait que la fraction de masse des queues est beaucoup plus petite que celle du cœur. Lorsqu'elles sont étendues, les queues contribuent donc de façon marginale à l'intensité diffusée. Les plus grandes distances à l'intérieur de la particule (séparant les extrémités des queues étendues) contribuent donc à trop peu de vecteurs pour être détectées

dans le calcul de l'intensité diffusée. Cependant, le résultat important est que les valeurs expérimentales et théoriques obtenues sont identiques.

Figure V-9 : Modèle de NCP dans sa forme compacte et dans sa forme étendue construit, à partir des données cristallographiques de Harp et al, 2001.

10 100 1000 104 0 0.05 0.1 0.15 0.2 I( q ) (a.u .) q(Å-1) C s=10 mM 10 100 1000 104 0 0.05 0.1 0.15 0.2 I(q) ( a .u .) q(Å-1) C s=200 mM 0 0.0002 0.0004 0.0006 0.0008 0.001 0.0012 0.0014 0 50 100 150 200 P (r )/I(0) r(Å) C s=10 mM 0 0.0002 0.0004 0.0006 0.0008 0.001 0.0012 0.0014 0 50 100 150 200 P (r)/I(0) r(Å) C s=200 mM (a) (b) (c) (d)

Figure V-10: Comparaison de l'intensité diffusée obtenue expérimentalement et calculée théoriquement à partir des particules reconstruites présentées sur la Figure V-9 pour une concentration saline de (a) 10 mM et (b) 200 mM. La même comparaison est effectuée pour la fonction de distribution des distances P(r) pour une concentration saline de (c) 10 mM et (d) 200 mM.

b ) Origine de l'extension

On peut alors se demander ce qui provoque l'extension des queues des histones. Les extrémités N et C terminales de la particule cœur de nucléosome sont constituées de nombreux acides aminés lysine et arginine. Ces acides aminés chargés positivement interagissent avec les groupements phosphates de l'ADN, chargés négativement, lorsque les interactions électrostatiques ne sont pas écrantées. Lorsque l'on augmente la concentration saline de la solution, les interactions électrostatiques sont écrantées, et les queues protéiques sont alors libres de s'étendre hors du cœur d'histones.

auteurs prévoient en effet que toutes (ou presque toutes), les queues doivent être liées à l'ADN pour les faibles concentrations salines. D'autre part, les interactions entre des fragments d'ADN de 30pb, et la queue polypeptidique de H4 (1-23), ont été étudiées en fonction de la concentration saline de la solution (Huong et al 1993). Les peptides stabilisent la double hélice d'ADN à faible force ionique, mais la fixation ne se fait plus pour les concentrations salines supérieures à 125-150 mM. Nous sommes tout à fait conscients que les interactions entre l'ADN et les queues protéiques à l'intérieur d'un NCP ne sont pas parfaitement représentées par le modèle expérimental de Huong. Cependant, il est intéressant de noter que l'écrantage des interactions dans ce cas à lieu dans la même gamme de concentration saline que lors de nos expériences.

L'extension des queues que nous observons est aussi en accord avec des expériences de RMN réalisées sur des chaînes d'oligonucléosomes (Cary et al 1978, Hilliard et al 1986, Smith et Rill 1989) ou des fragments de chromatine (Walker 1984). Toutes ces expériences ont montré que les queues des histones sont liées à l'ADN à faible concentration saline, alors qu'elles sont libres de s'en écarter pour les concentrations salines supérieures à 0,2-0,4 M. Cependant, aux concentrations salines supérieures à 0,2M, le phénomène d'extension des queues n'est pas vraiment découplé des autres changements conformationnels induits par variation de la force ionique, que les queues soient présentes ou non (quand elles ont été clivées par digestion enzymatique par exemple) (Ausio et al, 1989).

Nos résultats expérimentaux montrent que l'extension des queues se produit à des concentrations bien inférieures à 0,2M NaCl, sur une faible gamme de variation de la concentration saline, bien avant tout autre changement conformationnel, qu'il s'agisse (i) des changements réversibles observés dans la gamme 0,2-0,8 M NaCl ou (ii) de la dissociation de l'ADN et des histones du cœur au-delà de 0,8M NaCl.

(i) Les changements de conformation réversibles détectés par dichroïsme circulaire et mesure du coefficient de sédimentation (Ausio et Van Holde 1986) correspondent à une structure secondaire relaxée, avec un début d'ouverture du cœur (Dong et al 1990). De tels changements se traduiraient par une augmentation significative du rayon de giration et un changement du facteur de forme. C'est ce que nous avons observé lors de la première série de mesures, pour les concentrations salines supérieures à 0,45M, bien au-delà de la concentration en sel requise pour l'extension des queues.

(ii) Dans nos expériences (<0,2M NaCl), la fraction de nucléosomes dissociée est négligeable car non détectable, alors que la diffusion des rayons X est une méthode très

sensible à de tels changements conformationnels. Ces résultats sont en accord avec les observations d'Ausio et al (Ausio et al 1984) et le diagramme expérimental de stabilité des NCP (Yagger et al., 1989).

Nous pouvons donc affirmer que l'extension des queues est décorrélée de tout autre changement de conformation des NCP.

c ) Extension des queues progressive ou par palier?

Des mesures d'accessibilité des résidus glutamine, réalisées par Ballestar et Franco (1997), présentent des changements de conformation des queues protéiques, pour des concentrations salines inférieures à 50 mM. De plus, les auteurs interprètent leurs résultats comme un phénomène se produisant en deux étapes. A partir de nos résultats, nous ne sommes pas en mesure d'affirmer qu'il y a des stades intermédiaires lors de l'extension des queues. Nous ne pouvons pas non plus prédire l'ordre dans lequel les queues vont s'étendre. Pour répondre à ces questions, il faudrait réaliser un grand nombre d'expériences, dans la gamme des concentrations salines correspondant au dépliement des queues. Les données collectées devraient alors être traitées de façon adéquate, en utilisant par exemple un programme de "Singular Value Decomposition" (Fetler et al., 1995).

d ) Effet de l'acétylation

Il est intéressant de noter que l'addition de sel à des concentrations supérieures à 50 mM, en induisant l'extension des queues, sans changement de conformation de la particule, mime les effets produits par l'acétylation des acides aminés lysine portés par les queues des histones. La structure des NCP reste inchangée (Ausio et Van Holde 1986, Imaï et al 1986, Libertini et al 1988) alors que les interactions entre l'ADN et les queues protéiques deviennent de plus en plus faibles à cause de la diminution du nombre de charges positives dans les extrémités N terminales (Ausio et al 1989, Oliva et al 1990). Les cœurs hyperacétylés présentent un coefficient de sédimentation plus faible que les particules intactes. Un très faible degré d'acétylation est nécessaire pour produire un tel effet (Ausio et Van Holde 1986). Cependant, seules les queues H3 et H4, qui présentent un degré d'acétylation supérieur aux queues H2A et H2B, sont censées s'étendre alors que l'extension induite par les sels et un phénomène non spécifique.