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2.2 Sur les nouvelles formes d’emplois

2.2.2 Sur les chaires de professeur junior

Une procédure dérogatoire de titularisation dans les corps de directeurs de recherche et de professeurs des universités est créée à l’article 4 de la loi, qui se traduit par la reconnaissance d’un privilège d’accès à ces corps au bénéfice d’individus ayant d’abord été recrutés par voie contractuelle par un établissement, ce que l’étude d’impact nomme des « recrutements conditionnels dans un cadre contractuel » ou « pré-titularisations ». Le schéma, plus précisément, est le suivant : un établissement (une université, par exemple) recrute par contrat un individu pour une période de trois à six ans, puis se voit reconnaître le droit de procéder à sa titularisation dans le corps des directeurs de recherche ou des professeurs des universités, l’individu signant alors « un engagement à servir » dont la durée n’est pas précisée.

57 Voir le commentaire de la décision précitée du 16 juillet 2009, Loi portant réforme de l’hôpital.

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Une première question se pose : celle de savoir si les bénéficiaires des chaires de professeur junior et les directeurs de recherches ainsi que toute autre mission contractuelle d’enseignement et de recherche entrent dans le champ de la garantie constitutionnelle de l’indépendance et de la libre expression. La loi de programmation de la recherche est ambiguë sur ce point. D’une part, il est prévu que le contrat de recrutement du bénéficiaire de chaire stipule les engagements des parties concernant les objectifs à atteindre « dans le respect de l’article L. 952-3 du code de l’éducation », qui est l’article concernant, précisément, l’indépendance et la libre expression des enseignants-chercheurs. Mais, d’autre part, l’étude d’impact prévoit que « tout professeur recruté dans le cadre d’un pré-recrutement conditionnel bénéficiera dès sa titularisation dans son corps d’accueil des garanties d’indépendance des enseignants-chercheurs […] » (p. 39).

Il est possible que le Conseil constitutionnel décide d’étendre formellement la garantie constitutionnelle aux bénéficiaires de ces dispositifs contractuels. Toutefois, une telle démarche ne saurait en aucun suffire à pallier les conditions structurelles de vulnérabilité dans lesquelles ces bénéficiaires se trouvent, sur différents plans : vulnérabilité du fait de l’incertitude quant au renouvellement du contrat, puis quant à leur titularisation ; vulnérabilité du fait de l’imposition d’ « objectifs à atteindre » auxquels le recrutement, puis le renouvellement des contrats, puis la titularisation sont subordonnés ; ou encore vulnérabilité du fait de l’absence d’encadrement sérieux des contenus des contrats de chaire, aussi bien en termes de rémunération ou d’obligations d’enseignement que de responsabilités administratives.

Deux points semblent tout particulièrement témoigner d’une atteinte disproportionnée à la garantie d’indépendance, si celle-ci est effectivement étendue aux bénéficiaires de ces dispositifs contractuels.

Le premier a trait à la très grande souplesse qui caractérise le contenu des engagements pris par le bénéficiaire au moment de son recrutement. Ce contrat, précise l’article 4, détermine « les objectifs à atteindre par l’intéressé et les moyens qui lui sont apportés par son employeur pour l’exercice de ses fonctions », tout en précisant que ces « engagements incluent les obligations de l’intéressé en matière d’enseignement et de recherche ». L’absence de garantie légale est manifeste : la possibilité de fixer des objectifs de recherche est une atteinte directe à la liberté de l’enseignant-chercheur pour le choix de ses sujets de recherche, qui représente pourtant la première des libertés académiques. En outre, l’absence complète de détermination légale de la répartition des obligations en matière d’enseignement, de recherche et de tâches administratives représente potentiellement aussi une atteinte à l’indépendance.

Le second point a trait aux deux dispositifs portant processus de titularisation. Ce processus fait l’objet d’un encadrement insuffisant. On note en particulier que la commission de titularisation est « constituée de personnes de rang égal à celui de l’emploi à pourvoir », et « pour moitié au moins, d’enseignants-chercheurs et de personnels assimilés ou de chercheurs extérieurs à l’établissement », alors que jusqu’ici, les textes, et en particulier l’article L 952-6-1 du code de l’éducation, exigeaient qu’un comité de sélection soit « composé d'enseignants-chercheurs et de personnels assimilés, pour moitié au moins extérieurs à l'établissement, d'un rang au moins égal à celui postulé par l'intéressé ». La différence est importante, car dans le premier cas, le nombre « d’enseignants-chercheurs et de personnels assimilés » peut potentiellement être réduit à 50 % du comité, alors qu’il représente, dans le second cas, l’intégralité des comités de sélection. Certes, le Conseil constitutionnel estime, depuis 2010, que le principe d’indépendance des enseignants-chercheurs, qui implique que les professeurs des universités soient associés au choix de leurs pairs, « n’impose pas que toutes les personnes intervenant dans la procédure de sélection soient elles-mêmes des enseignants-chercheurs d’un grade au moins égal à celui de l’emploi à pourvoir » (n° 2010-20/21 QPC du 6 août 2010

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2010 et celle prévue par la loi de programmation de la recherche : dans le premier cas, l’affaire portait sur la composition d’un conseil d’administration chargé de désigner les membres des comités de sélection appelés à porter une appréciation sur les candidats à un emploi de professeur ; dans le second cas, c’est le monopole des pairs dans la composition des comités de sélection eux-mêmes, et donc le monopole dans l’appréciation des mérites scientifiques, qui est remis en cause. En tout état de cause, une réduction potentielle à 50 % du nombre d’enseignants-chercheurs et de personnels assimilés siégeant dans les commissions chargées de se prononcer sur les chaires de professeur junior est manifestement disproportionnée, et en cela, viole le principe constitutionnel d’indépendance.

B) MÉCONNAISSANCE DU PRINCIPE DE L’ÉGAL ACCÈS AUX EMPLOIS PUBLICS (ARTICLE 6 DE LA DÉCLARATION DES DROITS DE L’HOMME ET DU CITOYEN DE 1789)

Le principe d’égal accès aux emplois publics, découlant de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, s’applique aux recrutements à des emplois publics, et impose « qu’il ne soit tenu compte que de la capacité, des vertus et des talents ». Ce principe a pour objectif de garantir un recrutement au mérite, condition de la qualité, de l’indépendance et du rayonnement des missions de service public administratif. Si le principe d’égal accès aux emplois publics n’interdit pas en lui-même une différenciation des modes de recrutement, qu’il s’agisse de concours différenciés ou de recrutement à des emplois publics sans concours, le Conseil constitutionnel en a déduit un cadre particulièrement exigeant.

Autrement dit, des contractuels peuvent bien être recrutés à des emplois publics, sous réserve d’une limite de seuil que le Conseil devra déterminer (cf. infra). Mais cette entorse au principe du recrutement de fonctionnaires justifie l’application stricte de l’article 6 de la DDHC de 1789. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur cet article a eu tendance à se renforcer au fur et à mesure que se développait la contractualisation au sein des services publics administratifs. Le Conseil a récemment renforcé ses exigences : dès lors qu’est admise la possibilité de recrutement de contractuels, l’application du principe d’égal accès aux emplois publics constitue le dernier rempart constitutionnel pour protéger la qualité et le rayonnement des missions d’enseignement et de recherches au sein des établissements d’enseignement supérieurs publics. Le Conseil constitutionnel a donc développé des verrous constitutionnels contraignants que la loi de programmation ignore explicitement.

Quels sont ces verrous ?

Le premier concerne la raison même d’une différenciation des recrutements au sein des emplois publics permanents. Le Conseil constitutionnel rappelle que cette différenciation doit tenir compte d’une « diversité des mérites » et répondre « aux besoins du service ». Le législateur a ainsi pu diversifier le mode de recrutement de la haute fonction diplomatique en prévoyant les nominations discrétionnaires du gouvernement ou prévoir une troisième voie à l’ENA. Mais la loi de programmation de la recherche ne précise pas en quoi les dispositifs contractuels prévus à l’article 4, s’agissant des directeurs de recherche et des chaires juniors, permettraient l’examen de « mérites » qui seraient distincts de ceux pris en compte dans le cadre des processus normaux de recrutement national des maîtres de conférences et des professeurs des universités.

La justification par référence à un « besoin spécifique lié à sa stratégie scientifique ou à son attractivité internationale, dans des domaines de recherche pour lesquels il justifie de cette nécessité », trop générale, laisse ouverte la possibilité d’utiliser cette voie pour le recrutement d’agents dont les mérites recherchés sont les mêmes que ceux recherchés par les procédures nationales de qualification des maîtres de conférences – la valeur scientifique et l’attractivité internationale des profils sont évidemment les mérites

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ouverte la possibilité d’une substitution de la voie contractuelle, exceptionnelle, à la voie nationale, de principe. Le Conseil constitutionnel ne pourra pas accepter la justification de ces recrutements par référence aux seuls « besoins du service », à moins de tomber dans une tautologie grossière : les besoins du service justifient de tels recrutements contractuels parce que la possibilité de recrutements contractuels répond aux besoins du service. Il ne pourra pas non plus affirmer la différence de situation en partant de la différence des statuts (fonctionnaire ou contractuel) puisque c’est précisément cette différence de statut qui doit être justifiée par une distinction des missions ou de finalités particulières. Pour qu’une telle voie soit valable, le législateur aurait dû définir la spécificité des missions concernées par ces recrutements contractuels, ou bien prévoir, si l’enjeu est l’internationalisation des profils, des conditions particulières tenant à la qualité de chercheurs étrangers ou à la valorisation d’une expérience professionnelle particulière qui se distinguerait du parcours national. Faut-il douter de ce que ces dispositifs ont vocation à se substituer aux voies nationales de recrutement dans la fonction publique ? La méconnaissance du principe d’égal accès aux emplois publics tient ici à la coexistence de deux voies générales de recrutement qui ne sont aucunement différenciées ni par les missions de service public ni par les mérites.

Le deuxième verrou constitutionnel impose que les motifs d’appréciation des recrutements soient fondés sur le mérite. Il est donc interdit de prendre en compte tout critère autre que celui des vertus et des talents (par exemple les opinions politiques, ou le lieu de résidence). Le Conseil insiste lourdement sur cette condition, même lorsque sont concernés des emplois publics à la discrétion du gouvernement. Il l’assortit en outre d’une exigence de précision, rappelée à plusieurs reprises, au fondement de diverses réserves d’interprétation. Or la loi de programmation de la recherche, que ce soit pour le recrutement de directeurs de recherche ou pour celui des futurs professeurs, ne prévoit cette exigence qu’à l’étape de la commission de titularisation et non pas à celle du recrutement contractuel. Cette variation des énoncés laisse entendre que l’appréciation de la valeur scientifique et de l’aptitude ne serait pas requise au stade du recrutement contractuel alors même qu’il s’agit d’emplois publics. A moins d’en déduire, peut-être, que se cache ici la raison de la spécificité de ces recrutements contractuels : des recrutements locaux ne tenant pas compte des vertus et des talents, pour les distinguer des recrutements nationaux de maîtres de conférences et de professeurs des universités… Le Conseil constitutionnel devra au moins par une réserve d’interprétation rappeler cette nécessité de prendre en compte, la valeur scientifique du candidat, au stade du recrutement contractuel. Mais une telle réserve ne résoudra pas le problème précédent.

Le dernier verrou posé par le Conseil constitutionnel tient à la procédure de recrutement. Le recrutement doit non seulement assurer la publicité de la vacance de ces emplois et de leur création, mais aussi garantir une composition satisfaisante des commissions chargées du recrutement. Or si l’article 4 de la loi prévoit un « appel public à candidatures », pour le recrutement des directeurs de recherche et des chaires junior, la composition de la commission de recrutement tout comme celle la commission de titularisation est «constituée de personnes de rang égal à celui de l’emploi à pourvoir et composée, pour moitié au moins, d’enseignants-chercheurs et de personnels assimilés ou de chercheurs extérieurs à l’établissement dans lequel le recrutement est ouvert, dont au moins une personne de nationalité étrangère exerçant ses activités professionnelles à l’étranger ». L’imprécision de la référence au « rang égal » tout comme l’exigence rabaissée quant à la composition de la commission (dont seule la moitié des membres doivent être des enseignants-chercheurs ou des personnels assimilés), ne garantissent aucunement un recrutement au mérite, lequel suppose une appréciation par les pairs. De manière encore plus préoccupante, s’agissant des missions de recherche, la loi se contente d’affirmer que « le contrat est conclu pour une durée indéterminée après un appel public à candidatures et selon une procédure de recrutement

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les conditions de ce recrutement, ni la composition d’une éventuelle commission, ni les garanties de procédure en matière d’accès aux emplois publics.

Au surplus, l’ensemble des dispositions est entaché d’incompétence négative en renvoyant à un décret en Conseil d’État, des éléments déterminant des procédures de recrutements relevant du domaine de la loi.