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Si le principe d’« appropriation » se trouve au cœur du discours actuel sur l’efficacité de l’aide et de la coopération au développement, l’idée d’« appropriation » n’est pas totalement nouvelle, du moins, dans le discours des Institutions de Bretton Woods. Déjà durant la décennie 80, les pays en développement (PED) qui suivent un programme d’ajustement structurel (PAS) prescrit par ces institutions doivent soumettre une lettre d’intentions au Conseil d’administration du Fonds monétaire international (FMI) faisant état de la décision et de l’engagement de leur gouvernement à adopter ces politiques de redressement de leurs économies nationales (Meier et Raffinot, 2005). Toutefois, la centralité de l’« appropriation » dans l’agenda de développement des participants multilatéraux et bilatéraux remonte à la fin

des années 90. En 1996, le Comité d’aide au développement (CAD) de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) produit son rapport sur le rôle de la coopération au 21ème siècle (Comité d’aide au développement [CAD], 1996). Ce rapport cherche à tirer les leçons des cinq dernières décennies de coopération pour le développement et à élaborer des stratégies pour le 21ème siècle. Prenant à témoin l’histoire avec l’instauration du Plan Marshall, le CAD rappelle que la réussite des pays, en termes de développement, est à la mesure des efforts déployés par leurs propres sociétés. Le même rapport note qu’au titre de la coopération pour le développement, les cinquante dernières années ont démontré le manque d’enracinement d’initiatives exogènes, soulignant, dès lors, l’importance que les PED soient au centre de tout système d’aide au développement (OCDE, 1996 : 15). Ainsi, l’« appropriation » par ces pays et leurs populations de leurs objectifs et stratégies de développement y est énoncée comme principe fondamental de cette vision du développement pour le nouveau siècle. (OCDE, 1996 : 14).

Trois ans plus tard, en 1999, la Banque mondiale propose le Cadre de développement intégré (CDI) présenté comme une nouvelle approche se démarquant significativement de la façon de penser le développement des années 90. Le CDI résulterait d’une prise de conscience, au sein de la Banque mais aussi de la communauté du développement en général, du fait que les considérations macroéconomiques et économiques ont toujours eu préséance sur les dimensions structurelles, sociales et humaines du développement. Il vise donc une intégration de ces différentes composantes du développement au sein d’ « un cadre intégré – une approche convenue avec le gouvernement concerné - qui permette à tous d’œuvrer de concert pour atteindre nos objectifs, c’est-à-dire faire reculer la pauvreté et protéger l’environnement. » (Banque mondiale, 1999 : 3) Le CDI repose sur 4 piliers :

1. approche globale

2. appropriation du développement par les pays

3. partenariat accru (entre gouvernement, société civile, secteur privé, ONG, bailleurs de fonds, autres partenaires du développement)

4. développement axé sur la transparence, la responsabilité et les résultats. (Banque mondiale, 1999 : 15)

Outre cette visée holistique, le Cadre veut donc aussi marquer une rupture avec l’approche top-down qui a caractérisé les initiatives précédentes et qui expliquerait, selon les IFI, leur échec, les gouvernements des PED ne les ayant pas faits leurs. Ainsi, l’expérience des années 80 et 90 aurait démontré que le développement ne pouvait advenir qu’en étant l’œuvre des pays concernés et non des agences d’aide au développement. La Banque prend également acte de l’échec de la politique de conditionnalités attachée à l’aide financière extérieure, qui n’a pas permis d’induire les réformes politiques et institutionnelles exigées. Ces réformes ne seraient finalement réalisables que si elles sont bien comprises et remportent une adhésion significative au sein des PED. L’« appropriation » par ceux-ci de leur processus de développement est vue comme étant nécessaire à l’atteinte des objectifs visés par ces réformes. Avec le CDI, la Banque veut installer les gouvernements « dans le siège du conducteur » (Banque mondiale, 1999). L’« appropriation » devient ainsi un des quatre piliers centraux de ce cadre. Elle y est entendue comme

Country ownership means that there is sufficient political support within a country to implement its developmental strategy, including the projects, programs, and policies for which external partners provide assistance. Country ownership requires that the government has achieved sufficient support for the strategy among stakeholders within and outside of the government. […] Ownership requires that a country has sufficient institutional capacity for defining and implementing a national development strategy. 9

Le CDI vient systématiser la proposition déjà faite par le CAD et mettre l’appropriation au goût du jour. L’introduction en 1996 de l’Initiative d’allègement de la dette des pays pauvres très endettés (PPTE) permet de traduire en pratique cette idée d’« appropriation ». Au départ les PPTE qui désirent bénéficier d’un allègement de leur dette dans le cadre de l’Initiative doivent s’engager à poursuivre des réformes et des politiques économiques telles qu’avisées par les programmes d’assistance du FMI et de la Banque mondiale. Avec l’instauration en 1999 de l’Initiative PPTE renforcée, ces pays sont, dorénavant, également obligés pour bénéficier d’un allègement de la dette, de rédiger et de soumettre pour approbation un Document de stratégie pour la réduction de la pauvreté (DSRP), élaboré de façon

9http://web.worldbank.org/WBSITE/EXTERNAL/EXTABOUTUS/EXTWEBARCHIVES/0,,MDK:22201409~

participative via une vaste consultation nationale. Le DSRP vise à transformer les principes du CDI en plan d’action pratique pour les pays pauvres (Banque mondiale, 2000 : 3). Comme l’indique la Banque et le Fonds, le DSRP, tout comme le CDI, a pour objet :

[…] de renforcer l’appropriation des stratégies de réduction de la pauvreté par les pays, élargir la représentation de la société civile – en incluant en particulier les pauvres eux-mêmes – dans l’élaboration de ces stratégies, améliorer la coordination entre partenaires du développement et concentrer les ressources de la communauté internationale […] sur l’obtention de résultats dans la réduction de la pauvreté. (Banque mondiale, 2000 : 3)

Si l’élaboration de DSRP est au départ une exigence propre à la Banque et au FMI, ce document va rapidement devenir le cadre définissant l’action du gouvernement et le cadre de partenariat obligé avec les bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux. (Meier et Raffinot, 2005).10

La Déclaration de Paris, signée par bon nombre de pays développés et en développement vient généraliser cette nouvelle approche en plaçant l’« appropriation » par les PED de leur processus de développement au centre du programme international de réformes destiné à renforcer l’efficacité de l’aide. Le développement économique et social de ces pays n’est possible que si les États occupent un rôle central et passe donc par un renforcement de l’appropriation de leurs politiques et stratégies de développement. Cette nouvelle approche consignée dans la Déclaration de Paris vise donc à « […] nouer un véritable partenariat consistant à confier clairement aux pays en développement la responsabilité de leurs propres processus de développement » et met de l’avant une série de principes destinés à « changer la façon dont les pays en développement et les donneurs travaillent ensemble sur le terrain ». (Organisation de coopération et de développement économique [OCDE], 2008 : 1) Ce partenariat s’inscrit « […] autour d’un objectif commun, à savoir: exploiter pleinement le potentiel que recèle l’aide au service de l’obtention de résultats durables sur le front du développement ». (OCDE, 2008) Plus précisément, l’objectif poursuivi est d’augmenter les

10 Par exemple, l’Union européenne a recentré sa politique de développement sur la réduction de la pauvreté

répartissant ses ressources d’aide au développement compte tenu de leur impact sur la pauvreté. (Union européenne, 2001).

effets « […] de l’aide sur la réduction de la pauvreté et des inégalités, la consolidation de la croissance, le renforcement des capacités et l’accélération des avancées vers les OMD. » (OCDE, 2005a : 1) L’« appropriation » constitue la pierre angulaire de cette nouvelle architecture de la coopération et de l’aide au développement. Elle est, ainsi, définie : « Les pays partenaires exercent une réelle maîtrise sur leurs politiques et stratégies de développement et assurent la coordination de l’action à l’appui du développement. » La déclaration précise que par stratégies nationales de développement, il est entendu « les stratégies de lutte contre la pauvreté et autres stratégies globales au même titre que les stratégies sectorielles ou thématiques » et que l’élaboration de ces stratégies doit être le fruit d’un processus consultatif. Si l’« appropriation » représente la priorité de cet agenda de renforcement de l’efficacité de l’aide, celui-ci repose sur quatre autres piliers :

1. alignement du soutien des donneurs sur les priorités des pays tel que déterminées dans