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CHAPITRE 2 : LE RWANDA : UNE MISE EN CONTEXTE

II. En quoi consiste le problème racial indigène?

3.4. La phase de développement (2000 à ce jour)

3.4.3. Évolution politique interne et relations avec les bailleurs

Avec cette centralité de la réduction de la pauvreté dans l’agenda international, le DSRP va former la base du partenariat avec les bailleurs, ces derniers alignant leur appui aux priorités nationales identifiées dans le DSRP. La préparation du DSRP du Rwanda, sa mise en œuvre, le suivi et l’évaluation des progrès seront au cœur des réunions de coordination entre le gouvernement et les bailleurs qui dès 2000 se tiendront annuellement à Kigali. Si ces réunions portent principalement sur ces différentes dimensions du DSRP, les discussions entre le gouvernement et les bailleurs portent également, durant cette période, sur l’évolution politique à l’intérieur du Rwanda et dans la sous-région : entre autres enjeux abordés : la nouvelle constitution de 2003 et les élections législatives et présidentielles de 2003, le climat politique interne ainsi que la présence de troupes rwandaises en RDC.

74 Les différents chapitres du Guide sont disponibles :

<http://web.worldbank.org/WBSITE/EXTERNAL/TOPICS/EXTPOVERTY/EXTPRS/0,,contentMDK:22404 376~pagePK:210058~piPK:210062~theSitePK:384201,00.html> (Accès 17 juillet 2014)

L’une des réformes politiques majeures de cette période est la préparation de la nouvelle constitution. Son adoption suivie d’élections législatives et présidentielles doit, effectivement, marquer la fin de la période de transition. Une Commission constitutionnelle a donc été mise en place en décembre 1999 avec pour mandat notamment de préparer une ébauche de la constitution, de mener, à cet, effet, une consultation populaire et de sensibiliser la population quant au processus d’élaboration de la constitution.75 L’ébauche de la Constitution a été soumise à référendum populaire et approuvée en mai 2003. Les principales critiques de cet exercice sont venues des observateurs des droits de la personne remettant en question une participation populaire encadrée et des limites strictes posées à certaines activités politiques par la Constitution, limites représentant une porte ouverte à une dérive autoritaire. (ICG, 2002 : 8) Le rapport dénonce également de façon générale une monopolisation du pouvoir par le FPR et la restriction à tout débat national critique (ICG, 2002). Parmi les principes fondamentaux de la Constitution qui sont remis en question figure le choix d’un modèle consensuel de gouvernance, le débat étant organisé au sein du Forum National de Concertation des Formations Politiques institué par la Constitution et auquel participent tous les partis autorisés, « en vue de promouvoir un dialogue politique national dans la recherche d’un consensus et la cohésion nationale » (Art. 56). International Crisis Group recommande notamment à la communauté internationale « de refuser de financer les élections de 2003 et la mise en place des institutions post-transition tant que celles-ci n’ont pas été précédées d'une libéralisation des activités politiques et d'une amélioration significative du respect des libertés d'association et d'expression. » (ICG, 2002 : iii) Human Rights Watch va également publier un rapport qui recommande à la communauté internationale de ne pas financer les élections alors qu’une commission parlementaire est mise en place pour faire enquête sur la poursuite et la diffusion d’une politique de division ethnique présumée au sein du MDR et par ses membres. Le rapport de la Commission confirmera ces allégations proposant la dissolution du MDR sur cette base et indiquant qu’un certain nombre de politiciens faisant parti du gouvernement conservent cette idéologie. (Kimonyo, Kayumba et Twagiramungu, 2004 : 18)

75 Loi n°23/99 du 24 décembre 1999 Portant Création de la Commission Chargée de l'Élaboration de la

In the end, international aid was indeed withheld during the referendum. Initially the Government of Rwanda was to have provided the funds for 20 % of the referendum and the presidential and legislative elections that followed; the donor community was supposed to have funded the rest. As things turned out, the government was obliged to cover 88 % of the referendum costs […]. Donor contributions covered only 8 % (through a ‘‘basket fund managed’’ by the UNDP […] and the rest of the bill was footed by the Rwandan private sector. The organization of the election was carried out largely on a voluntary basis by electoral commission agents. The referendum took place, therefore, in an atmosphere of deep antagonism between the Rwandan government and the international community. (Kimonyo, Kayumba et Twagiramungu, 2004 : 19)

Les bailleurs de fonds réagiront de façon différente pour les élections présidentielles et législatives d’août et septembre 2003 respectivement. L’union européenne retardera sa contribution aux élections mais finira par décaisser les fonds en décembre 2003 alors que les Pays-Bas se dissocient du processus électoral retenant la dernière tranche des fonds promis. Les contributions de l’Allemagne ne seront pas affectées par la controverse en cours. (Kimonyo, Kayumba et Twagiramungu, 2004 : 20, 21) Les critiques portent encore une fois sur un processus électoral cosmétique, une restriction des activités des partis politiques. (ICG, 2002; Reyntjens, 2004). Les bailleurs et les organismes des droits de la personne sont également préoccupés par le climat politique qui précède les élections, avec la démission en janvier 2000 du président de l’Assemblée nationale qui s’exile ensuite. Le président Pasteur Bizimungu démissionne en février 2000 et sera remplacé par Paul Kagame, alors vice- président, à la suite d’un vote de l’Assemblée nationale en avril 2000. Bizimungu sera ensuite arrêtée en 2001 et le Parti pour la démocratie et le Renouveau (PDR) qu’il a fondé, interdit. Le principal parti d’opposition, le MDR sera également interdit à la suite du rapport de la commission parlementaire spéciale susmentionnée. La promulgation d’une loi76 sur la discrimination et le sectarisme inquiète aussi, les organismes des droits de la personne dénonçant une définition vague du divisionnisme qui ouvre la porte à des abus et est destinée à faire taire toute dissension. (ICG, 2002; Amnesty International, 2004)

76 Loi nº 47/2001 du 18 décembre 2001 portant répression des crimes de discrimination et pratique du

Sur le plan sous-régional, la présence des troupes rwandaises au Congo continue à être un objet de discorde avec les bailleurs de fonds, ceux-ci exhortant le gouvernement a retiré ses troupes. Le retrait des troupes rwandaises du Congo à la fin 2002, à la suite d’un accord avec la RDC (Accord de Pretoria), sera salué par les bailleurs. Toutefois, en dépit de ce retrait, un rapport de HRW en 2004 souligne une présence de ces troupes, une exploitation illégale des ressources du Congo et des violations des droits de la personne.77 Hayman note l’impact du conflit congolais sur la relation avec les bailleurs :

Relations between the two countries deteriorated over the course of 2004, after attacks in April and November, and the contentious issue of whether or not Rwandan troops had once again entered the DRC was a source of tension between the GoR and donors throughout much of 2004. […] the situation in the DRC impacted upon disbursements of budget support from both the UK and Sweden in 2004-05. (Hayman, 2006 : 117)

En juin 2012, à la suite des fuites d’allégations par un rapport des Nations-Unies accusant le Rwanda d’appui à la rébellion armée M23 de la RDC, accusations niées par le gouvernement, de nombreux bailleurs du Rwanda ont gelé leur aide incluant ceux qui d’habitude sont des alliés du gouvernement rwandais tels les États-Unis et le Royaume-Uni. Les Pays-Bas, l’Allemagne, la Suède, la Banque mondiale et la Banque africaine de développement suspendent leur aide également. Le rapport sera publié en novembre 2012. Une des réponses du gouvernement rwandais face à cette suspension de l’aide internationale est de lancer un fonds de développement qui est dénommé Agaciro (dignité en kinyarwanda) auquel les Rwandais et les amis du Rwanda sont invités à contribuer afin, notamment, de compenser le déficit budgétaire anticipé. Le président soulignera notamment que « Le Rwanda a le plein droit de dessiner son destin indépendamment des aides étrangères ». Cette aide sera réinstituée par la plupart de ces bailleurs dès février 2013 bien que ceux d’entre eux qui offraient un appui budgétaire direct le transforme en appui sectoriel.

Si l’engagement et le sérieux du gouvernement en matière de développement via la conduite de réformes socio-économiques est reconnu par la communauté des bailleurs, la vie politique

interne du pays notamment en ce qui a trait à l’unité et à la réconciliation nationale, à la libéralisation politique et à son implication dans la sous-région, restent des lignes de tension continuelles entre le gouvernement et ses bailleurs de fonds. S’il y a donc une vision partagée par le gouvernement et les bailleurs quant au développement socio-économique du pays suivant le modèle réduction de la pauvreté-croissance économique-bonne gouvernance, les divergences émanent surtout quant aux choix du gouvernement au nom de sa stabilité politique (arrangements politiques, approche de réconciliation) et de sa sécurité, des enjeux qui sont au cœur des priorités du régime et constituent une constante dans ses politiques depuis sa prise du pouvoir en 1994.

Tableau 5: Priorités des principales politiques (2000-2013)

Vision 2020 DSRP 2002-2005 EDPRS I 2008-2013 EDPRS II 2013-2018 TRANSFORMER LE RWANDA EN

PAYS À REVENUS MOYENS VIA TRANSFORMATION DE L’ÉCONOMIE BASÉE SUR AGRICULTURE DE SUBSISTANCE EN UNE ÉCONOMIE DE SAVOIR AVEC NIVEAUX ÉLEVÉS D’ÉPARGNE ET

D’INVESTISSEMENT PRIVÉ RÉDUISANT FORTE DÉPENDANCE À L’AIDE EXTÉRIEURE.

Réduction de la pauvreté et croissance économique

RECONSTRUCTION DE LA NATION ET DE SON CAPITAL SOCIAL SOUTENUE PAR UN ÉTAT

CAPABLE (I) ET ANCRÉE DANS LA BONNE GOUVERNANCE (II)

Développement rural et transformation de l’agriculture Croissance par les emplois et l’exportation Transformation économique DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES ET ÉCONOMIE BASÉE SUR LE SAVOIR

Développement humain Réduction de la pauvreté

extrême

Développement rural

DÉVELOPPEMENT TIRÉ PAR LE

SECTEUR PRIVÉ Infrastructure économique Gouvernance Productivité et emploi pour les jeunes

DÉVELOPPEMENT DES

INFRASTRUCTURES Gouvernance Gouvernance responsable

Transformation AGRICULTURE EN SECTEUR PRODUCTIF À HAUTE VALEUR AJOUTÉ ET ORIENTÉE VERS LE MARCHÉ

Développement du secteur privé INTÉGRATION RÉGIONALE ET INTERNATIONALE renforcement des capacités insitutionnelles

3.5. Synthèse

La phase de planification des politiques de développement à moyen et long termes du régime post-génocide prend son envol à partir des années 2000. Entre 1994 et 2000, les efforts du gouvernement sont principalement centrés sur une réhabilitation des services et des infrastructures de base. On note que le début de la phase de planification du gouvernement coïncide avec le recentrage du discours international du développement sur les stratégies de réduction de la pauvreté et une préoccupation pour l’efficacité de l’aide au développement. Le croisement de ces divers agendas est à garder en mémoire puisqu’il revient dans le récit des acteurs quant à cette période de planification et joue un rôle déterminant dans leur appréhension de cette « appropriation ». Nous y reviendrons dans le chapitre 4 qui présente ce récit que dans notre chapitre de discussion.

La relation gouvernement-bailleurs de cette période post-génocide est marquée par des tensions d’ordre politique, et ce, dès la période d’urgence et par un retrait-réengagement des bailleurs. Ces tensions traversent les trois périodes et persistent jusqu’à ce jour. Elles sont emblématiques en ce qu’elles sortent cette relation de la vision strictement technocratique et techniciste affiché par l’agenda, réduction de la pauvreté, croissance économique et efficacité de l’aide, la situant sur un terrain politique dans un contexte national bien précis. En ce sens, elle donne un éclairage particulier à la saisie de l’ « appropriation » puisque posant ce principe clairement dans sa dimension conflictuelle.

Cette mise en contexte autant des périodes pré-génocide et post-génocide et les éléments contextuels particuliers mis en évidence offrent une toile de fond qui illumine les éléments substantiels à partir desquels il s’agit de saisir le récit des acteurs sociaux nationaux au Rwanda qui fait l’objet du chapitre suivant.

CHAPITRE 4 : DE L’« APPROPRIATION » : TRAME

NARRATIVE DES ACTEURS SOCIAUX AU RWANDA

4.1. Introduction

Ce chapitre consiste en une mise à plat de nos données de terrain à partir des entretiens menés avec les acteurs sociaux nationaux au Rwanda entre mai et septembre 2013. Il reconstitue la trame narrative du récit des acteurs sociaux au Rwanda quant à la façon dont ils considèrent s’être appropriés leur processus de développement. La saisie de ce récit est essentielle dans la mesure où celui-ci constitue le véhicule à travers lequel les acteurs expriment leur réalité, leur expérience. La reconstitution de la trame narrative de ce récit, sa séquentialité, ses points d’ancrage et d’articulation ainsi que ses liens logiques, permettent de saisir le discours des acteurs dont l’analyse fera l’objet du chapitre suivant. En effet, puisque que ce discours, le sens donc qu’il donne à cette « appropriation », n’est pas un donné, ces structures étant incorporées dans ce récit, la mise à plat de celui-ci nous permet d’y accéder (Hajer, 2006 : 69).

Ce qui ressort des différents entretiens qualitatifs menés auprès d'une quarantaine d'acteurs sociaux au Rwanda est une histoire de l’« appropriation » du Rwanda post-génocide (1994- 2013) qui, en un sens, met en lumière le déploiement d’un projet national du régime mené par le FPR. Ici, il est essentiel de souligner d’emblée qu’un des premiers constats réalisés lors de notre terrain a été non pas des récits mais plutôt un récit unique de l’« appropriation » suivant une même trame narrative. La seule nuance apportée à ce récit par quelques acteurs porte sur un même point, celui de cette « appropriation » également présentée comme tenant de la participation de la population. Ce constat d’un récit largement homogène doit être lu comme une donnée de recherche et nous y reviendrons dans notre chapitre analytique. De même, au fur et à mesure du déploiement de cette trame émerge de façon marquée ce qui se trouve occulté dans la conception consensuelle de l’ « appropriation » proposée par la Déclaration de Paris et l’effacement du politique qui la caractérise.