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Le CECRL et l’approche actionnelle : une dimension constructiviste ? une dimension constructiviste ?

3. Des contenus culturels et des compétences de communication compétences de communication

3.1 Le CECRL et l’approche actionnelle : une dimension constructiviste ? une dimension constructiviste ?

Dans un article consacré à l’analyse de la théorisation de la perspective actionnelle dans l’enseignement des langues, Margaret Bento aboutit à la conclusion que si le CECRL « ne revendique aucune théorie sous-jacente au niveau méthodologique », il existe « une opération d’étayage scientifique réalisée a posteriori par les didacticiens » (Bento, 2013 : 87). Notre analyse des manuels confirme nettement cette affirmation. Nous avons vu en effet comment les différentes tendances observables dans l’articulation des compétences étaient le fruit d’une sélection d’éléments du CECRL, chaque tendance privilégiant certains aspects du Cadre plutôt que d’autres. Nous avons également pu constater que certains éléments étaient l’objet d’une interprétation et que cette interprétation n’était pas présentée comme telle, mais mise effectivement en œuvre dans les écrits des didacticiens43. Outre cette théorisation a posteriori, nous avons pu également observer que le CECRL ne s’abstrait pas de tout positionnement idéologique. Présupposer qu’un apprenant d’une langue étrangère est avant tout un acteur social ayant à accomplir des tâches, c’est se positionner dans une perspective que l’on pourrait qualifier de constructiviste, dans le sens où le savoir se construirait en interaction avec le milieu dans lequel l’apprenant évolue et les individus qu’il fréquente.

Selon le tableau récapitulatif de Bento (2013 : 97), le CECRL préconise l’exécution de tâches qui privilégient l’interaction « parce que cela permet d’utiliser des ressources langagières à différents niveaux », et incite à la « métacognition ». Cela témoigne de choix qui situent le CECRL dans un champ constructiviste, largement déployé par « l’étayage scientifique » des didacticiens. Nous avons cité les définitions de Christian Puren (première partie : 1.1.) relatives à un apprentissage actionnel où l’apprenant, dans une interaction collaborative co-construit la réalisation de la tâche, et co-définit les normes de l’échange et de l’action.

L’analyse de Bento confirme l’approche constructiviste inhérente à la perspective actionnelle.

En effet, elle effectue une métasynthèse à partir d’un corpus de textes qui se référent à l’approche actionnelle (2013 : 88). Ce faisant, elle identifie trois grands champs théoriques :

« les théories de l’apprentissage », « les sciences du langage » et « la sociologie » (2013 : 89).

Le premier champ théorique, « les théories de l’apprentissage », est, en effet, nettement

43 Citons pour exemple la notion de séparation des compétences chez J.C. Beacco et la définition de la tâche chez Puren, qui privilégie, en didactique, le contexte scolaire ou institutionnel. Bento qualifie la définition que donne Puren de la tâche de « volontairement abstraite » (Bento, 2013 : 89).

investi par les perspectives constructivistes : celles de Piaget, Vygotsky, Bruner, Perret-Clermont, Doise et Mugny (2013 : 95). Cette perspective constructiviste appelée des vœux des concepteurs du CECRL44 comme des didacticiens de la perspective actionnelle est-elle pourtant compatible avec la production de manuels « tout public » ? Cela n’a-t-il pas une influence sur les contenus culturels véhiculés et sur les objectifs de communication visés ? Dans l’hypothèse d’une restriction des contenus et objectifs, peut-on encore qualifier cette approche de constructiviste ? Nous avons déjà vu que la métacognition, l’un des éléments de l’approche constructiviste, est certes abordée de multiples fois dans le CECRL. Ainsi, Bento relève également la mention de cette notion chez plusieurs didacticiens : Narcy-Combe, Walski (2004), Catroux (2006), Griggs (2009), Chini (2008) (2013 : 91-92). Définie comme inhérente à la réalisation de la tâche, la métacognition serait pour Narcy-Combe, Walski et Catroux un apprentissage « naturel », le questionnement sur le fonctionnement par l’apprenant sur ses propres processus intervenant « naturellement » « à partir des exemples repérés » (Narcy-Combe et Walski, 2004 : 35, cité par Bento). Nous considérons au contraire que cette faculté à s’abstraire de la situation que nous vivons pour en faire l’analyse est un processus qui n’est ni spontané ni naturel. Bien au contraire, ce processus de métacognition nous semble relever d’une volonté explicite qui vise un tout autre but que la tâche en cours de réalisation.

Exposant la difficulté du linguiste de devoir rendre compte de ses observations, le moyen – la langue – et l’objet des recherches – la langue aussi – étant un même élément, Antoine Culioli aborde ainsi la nécessité de construire un système d’activité métalangagier ; Ce système permet de prendre de la distance par rapport à l’objet d’étude, de fonder un vecteur commun, ensemble d’éléments permettant de réduire les subjectivités inhérentes à une analyse où objet et moyen se confondent (Culioli, 2009 (2002) : 107-111). De fait, l’activité métalinguistique est considérée comme une activité très contrainte et complexe :

Le linguiste, lui doit construire une métalangue qui va pouvoir précisément capter ces propriétés. Une métalangue qui, elle, doit être objective, parce que si elle conserve les propriétés de l’objet qu’elle décrit, elle va être frappée des mêmes ambiguïtés, de la même illusion de transparence.

Cette activité s’oppose à celle de la glose (Culioli : 2009 (2002) : 107), qui utilise la

« métalangue naturelle » pour formuler différemment l’énoncé, que ce soit dans le contexte d’une analyse de l’énoncé – cette activité représentant alors une première étape avant la construction d’un système métalinguistique – ou d’un échange. On comprend que pour Culioli

44 Bien que le CECRL ne comporte aucune référence explicite au constructivisme, on trouve de nombreuses occurrences du terme de « construction » – 46 si l’on prend en compte les occurrences de « construct* ». Celles qui sont relatives à la co-construction dans l’interaction notamment relèvent d’un processus constructiviste : construction collective du sens par la mise en place d’un contexte mental commun (2001 : 69).

l’activité métalinguistique n’a rien de naturel. Nous postulons qu’il en va de même pour l’activité métacognitive, considérant qu’il n’est pas plus naturel de s’abstraire d’un processus langagier pour analyser la langue, que de s’abstraire d’un processus de cognition pour analyser la cognition. Il nous semble que ce processus métacognitif doit être l’objet d’un apprentissage explicite avant d’être effectivement pratiqué par un apprenant en situation de production discursive en langue étrangère.

Cela nous conduit à considérer la position de Peter Griggs (2009 : 84, cité par Bento, 2013 : 92). Il préconise justement de faire de la métacognition un objectif d’apprentissage : « il faudrait non seulement considérer la communication comme la finalité de l’apprentissage en tant qu’instrument de l’action humaine, mais la traiter aussi comme une action en elle-même en prenant en compte sa dimension cognitive ». Cela induit que l’auteur ne considère pas que cette activité de métacognition soit naturellement à l’œuvre lors de la communication. Il émet le souhait de voir la perspective actionnelle se doter d’une théorie cognitive « permettant de cerner les mécanismes psycholinguistiques de la compréhension, de la production et de l’apprentissage de ces processus » (2009 : 84, cité par Bento, 2013 : 92). Danièle Chini développe ce point en décrivant le processus métacognitif comme celui qui ferait passer l’apprenant du statut d’analyseur à celui d’évaluateur du fonctionnement, puis de sa propre pratique de sa langue/culture. Loin de « chosifier » la langue, cette démarche « lui donne toute sa valeur ». (Chini, 2008 : 14-15 cité par Bento, 2013 : 93). Nous nous accordons avec ces auteurs sur l’importance de cette donnée métacognitive. Nous soulignons l’apport de la perspective actionnelle à cet égard, dans le sens où elle situe les enjeux de l’apprentissage de la langue étrangère dans une perspective collaborative, constructiviste et constructive.

L’apprenant y est considéré comme un individu dont l’exercice de l’esprit critique est sollicité . Ainsi, le traitement de l’information témoigne de ce changement de perspective : il ne s’agit plus seulement d’intégrer des informations sur la langue-culture cible, mais de déployer un processus dynamique à construire, co-construire, à partir d’informations.

Cependant, si cette dimension métacognitive est effectivement présente dans les 23 manuels de l’approche actionnelle, nous avons pu constater que les dispositifs mis en œuvre étaient souvent superficiels. Ils consistent, en effet, parfois en des questionnements ponctuels sur les stratégies que l’apprenant met en œuvre. Il s’agira par exemple de QCM qui ne permettent guère à l’apprenant d’analyser les enjeux d’un tel comportement dans l’apprentissage.

L’approche constructiviste du CECRL et des manuels de FLE qui s’en réclament vise davantage est davantage appelée des vœux des théoriciens que véritablement mise en œuvre.

Elle est toutefois contredite par une posture qui vise le « tout public » et qui cantonne par

conséquent l’actionnel dans le cadre standardisé d’un M. Tout le Monde, correspondant plus à un acteur social virtuel qu’à un large spectre d’acteurs sociaux réels. Ce double objectif contradictoire a des implications sur la sélection des objectifs culturels et des objectifs de communication.

3.2 La compétence culturelle : une notion