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II. Eléments de physique des fluides

II.3 Traction/Compression et masse volumique

II.3.1 Cavitation

II.3.1.1 Cas général

On s'intéresse dans un premier temps au cas général où la pression dans un liquide pur chute jusqu'à sa pression de vapeur saturante. D'après la théorie cinétique élaborée par VAN DER WAALS [VdW79], et rappelée précédemment pour le cas de deux phases distinctes, les deux états liquide et gazeux peuvent être considérés comme se confondant sans discontinuité en un seul état, l'état fluide, dont les propriétés découlent d'une équation caractéristique unique :

( )

+ 2 − =

(p a )V b RT

V (2.11)

avec a la pression de cohésion et b le covolume (obtenus expérimentalement), R la constante des gaz parfaits, V le volume et p la pression.

Cette équation ne représente bien sûr qu'une première approximation puisque les liquides étudiés par la suite ne s'apparenteront pas vraiment à des liquides de VAN DER WAALS

(liquides suivant précisément l’équation (2.11)). Cependant, elle permet une meilleure compréhension des principaux phénomènes physiques rencontrés. Une série d'isothermes typiques est alors tracée (à gauche, Figure II-5) dans un diagramme ( , )p V :

Figure II-5 - Diagramme de phase ( , )p V théorique à gauche et expérimental à droite

On note pour des valeurs de température inférieures à la température critique TC (voir Figure II-5), la présence pour l'isotherme T1, d'un minimum local A1 et d'un maximum local

1

B . La portion A B1 1 représente une zone où le volume augmente avec la pression > dp 0

dV .

Cette zone n’a que peu de sens physiquement et nécessite une comparaison avec l'expérience.

V=b

T1 T2 TC T’ A1 B1 T1 T2 TC T’ D1 E1 F1 G1

p

V V

p

En s'inspirant du travail effectué par TEMPERLEY dans [Tem78], on s'intéresse à l'allure des isothermes (à droite Figure II-5) obtenues expérimentalement avec de l'eau dans une enceinte fermée dont le volume varie. On se place sur l'isotherme T1 et à l'état initial, au point D1, cas où le volume est maximal et le fluide à l'état de vapeur. En diminuant le volume, une zone d'équilibre liquide-vapeur E F1 1 est notée, puis une zone liquide FG1 1 où il faut alors une très grande variation de pression pour produire une petite variation de volume. TEMPERLEY a alors concilié les deux approches pour tracer un diagramme ( , )p V plus complet (Figure II-6).

Figure II-6 - Diagramme de phase ( , )p V illustrant la théorie de TEMPERLEY

[Tem78]

En partant de l'isotherme de VAN DER WAALS T1, il trace alors la droite horizontale F E1 1 de façon à ce que les deux surfaces formées (au-dessus et en dessous de la droite F E1 1) soient égales (ceci étant issu de résultats d'équilibres thermodynamiques détaillés dans [Tem78]). Les portions F A1 1 et E B1 1 sont des régions réalisables en pratique dans certaines conditions et sont définies comme étant métastables. En effet, si par exemple un liquide pur à l'état G1 est soumis à une forte dépression à température constante, il peut se produire plusieurs phénomènes si la pression descend en dessous de sa pression de vapeur saturante en F1. Si suffisamment de sites de nucléation sont présents (voir II.3.1.3), le liquide se transforme en vapeur, puis suit l'horizontale F E1 1 et revient à l'équilibre à l'état gazeux au point E1. En revanche, s'il n'y a pas de sites de nucléation, le liquide conserve son état en suivant l'isotherme théorique et se trouve dans un état métastable où une quelconque instabilité (impureté, choc, vibration etc.) suffira alors à le faire changer d'état. L'expérience du tube de BERTHELOT [Ber50] montre bien l'existence de la région F A1 1, et la capacité d'un liquide à résister à des pressions absolues négatives dans des conditions particulières. TEMPERLEY avance même que le point A1 (Figure II-6) qui représente la limite de la région métastable à cette température, doit aussi représenter la valeur limite de la tension que peut supporter le liquide. Cette ordonnée

1

A

p représente donc selon lui la « résistance à la traction » du liquide.

T

1

G

1

F

1

E

1

A

1

B

1

Liquide surchauffé

Vapeur sursaturée

trac

ti

on

com

pr

ession

p

A1

p

V

II.3.1.2 Résistance d'un liquide à la traction

Comme décrit précédemment, l'état liquide est souvent plus proche de l'état gazeux que de l'état solide. Néanmoins, sous fortes contraintes ou à températures élevées, le comportement des solides se rapproche de celui des liquides, phénomène connu sous le nom de fluage. Dans certaines conditions, cette fluidité est même très similaire à celle des liquides et peut être caractérisée par une viscosité newtonienne définie par la suite. Si les solides possèdent une certaine « fluidité » dans des conditions précises, on est alors en mesure de se demander si les liquides ne possèdent pas une certaine « élasticité » dans d'autres conditions4. Comme détaillé dans [Bre95], il existe un certain temps caractéristique tm nécessaire à une molécule pour migrer vers une position voisine dans la structure du matériau considéré. Ce temps est en fait supérieur de plusieurs ordres de grandeur pour les solides, expliquant ces comportements si différents sous conditions standard. Il sera intéressant de comparer ces temps par la suite aux temps caractéristiques du problème traité (voir chapitre V). En effet, si un liquide est soumis à une tension sur une période de temps importante, il y aura une probabilité plus importante que coalescent de petites bulles, menant au processus de cavitation. A contrario, un liquide pourra également résister à des contraintes de traction pendant une période donnée sans que le processus de changement de phase n'ait le temps d'avoir lieu [Bre95].

Différentes expériences ont mis en évidence cette capacité d'un liquide à résister à la traction. Des valeurs très différentes pour la résistance à la traction des liquides ont été trouvées suivant le type d'expériences réalisées (REYNOLDS [Rey82] ou BERTHELOT [Ber50]). Des expériences plus récentes ont montré que l'eau peut par exemple supporter des valeurs de pression fortement négatives : BRIGGS [Bri50] a obtenu des pressions de −280 bars en utilisant un capillaire tournant. Une tension « record » de −1400 bars a été mesurée dans l'eau piégée dans des inclusions cristallines [Zhe91].

Afin de comparer ces valeurs aux modèles analytiques, l'analogie effectuée avec les solides par BRENNEN [Bre95] est reprise pour déterminer la contrainte de rupture d'un liquide. En effet, les liquides et les solides possèdent un module de compressibilité β (définissant la variation de volume sous l’effet dune pression appliquée) d'un ordre de grandeur similaire et proche de

10

10 Pa . La pression peut alors se définir comme = − β

0

V p

V . Après différentes hypothèses BRENNEN obtient qu'une expansion

0

1 3 V

V est nécessaire pour obtenir la rupture. Ainsi, selon cette première approche, un liquide ou un solide pourrait résister à des contraintes de l’ordre de plusieurs GPa. Or, expérimentalement la limite à la rupture des solides est au moins dix fois moins importante. En effet, le milieu n'étant pas parfait, des zones de concentrations de contraintes se créent et la rupture des solides débute sous des contraintes bien inférieures. Une analogie élégante a été effectuée par HENDRICKS et al. [Hen83], présentant le phénomène de cavitation rencontré en mécanique des fluides comme similaire au phénomène de rupture rencontré en mécanique des solides. Ils comparent les défauts jouant un rôle dans la formation et la propagation de fissure dans les solides, au rôle joué par les premières bulles (noyaux de

4 On retrouvera ce comportement mixte liquide/solide dans la section suivante traitant de la rhéologie des liquides.

nucléation) dans la formation de la zone de cavitation dans un liquide. Ils développent alors un modèle de propagation de fissure adapté aux fluides. JOSEPH [Jos98] proposa un critère plus général basé sur le fait qu'un liquide se rompt si la tension dans une direction excède un seuil, indépendamment de la valeur des autres contraintes principales. Le phénomène de cavitation par cisaillement a par exemple été étudié par KOTTKE [Kot04], allant même jusqu'à mesurer la viscosité des liquides sous tension.

L'apparition du phénomène de cavitation et son évolution dans le temps et l'espace sont donc étroitement liées au phénomène de nucléation qu'il convient de décrire plus précisément.

II.3.1.3 Nucléation

On ne prétend pas fournir ici une description complète de ce phénomène car celui-ci fait encore l'objet de nombreuses recherches et discussions. Le lecteur pourra se référer à de nombreux ouvrages le traitant plus en détails [Fre55] [Bre95].

La nucléation apparaît généralement sous deux formes différentes [Jon99]. La première forme est dite homogène et est issue de la génération de micro-bulles libres se déplaçant avec l'écoulement. Elle est fréquemment le résultat d'un piégeage d'air à travers la surface libre du liquide. La seconde forme est dite nucléation de surface et est liée aux imperfections des surfaces solides en contact avec le liquide et donc directement aux phénomènes capillaires.

L'analyse du comportement de la nucléation dans les liquides s'appuie sur la théorie de la dynamique d'une bulle sphérique isolée, soumise à un champ de pression variable [Ple77]. L'équation de RAYLEIGH-PLESSET (2.12) caractérisant l'évolution d'une bulle de rayon R dans un milieu liquide infini, est la base de nombreux modèles de cavitation vaporeuse [Sin02]5 :

η σ κ ρ + + = − − +   2   2 3 4 ( ) 2 4 2 B RR R R p p R R R R (2.12)

avec ρ la masse volumique du liquide, η la viscosité du liquide,

σ

la tension de

surface,

κ

un coefficient d'amortissement de dilatation, pB la pression dans la bulle et

p la pression extérieure.

En parallèle de la théorie de nucléation développée par FRENKEL [Fre55], FISHER

[Fis48] développe un modèle pour estimer le taux de formation de bulles dans un écoulement cavitant. Il affirme qu'un liquide sous pression négative est dans un état métastable où des bulles de vapeur apparaissent spontanément et continuent de grandir jusqu'à ce que la pression du système atteigne la pression d'équilibre de vapeur saturante. Il définit une pression à laquelle le fluide se « fracture » et où apparaît la première bulle :

5 Ce modèle est la base de la plupart des modèles de cavitation utilisés en mécanique des fluides. A partir de cette équation et de différentes analyses d'ordres de grandeur, SINGHAL et al. [Sin02] développent par exemple un modèle implémentant des termes sources à l'équation de transport de phase, qui pourront être incorporés par la suite dans l'approche utilisée.

πσ       = −         1 2 3 16 3 ln f p NkTt kT h (2.13) avec kB la constante de BOLTZMAN, N le nombre de molécules, t le temps d'apparition de la première bulle, h l'énergie de la perturbation, T la température. Pour l'eau par exemple, il obtient une valeur de « pression de fracture » de pf = −132 MPa, du même ordre de grandeur que les valeurs obtenues expérimentalement [Bri50].

De manière théorique et aussi dans des conditions expérimentales très particulières, un liquide peut donc résister à des contraintes de traction (pressions négatives). La valeur de la « contrainte limite d'élasticité » du liquide, dépend du taux de sites de nucléation (dans le liquide lui-même ou à l'interface avec les solides). Afin de décrire par la suite le comportement d'un fluide dans un environnement plus hostile (lubrifiant dans un contact), il convient de s'intéresser plus précisément à la présence de gaz dans un liquide.

II.3.1.4 L'effet des gaz contaminants

De manière générale, il est très difficile d'éliminer totalement un gaz de n'importe quelle substance liquide [Bre95]. Or, on s'intéressera par la suite à des fluides non plus composés d'une seule espèce mais de plusieurs. Par exemple, les huiles minérales contiennent de faibles proportions de gaz non condensés qui possèdent une pression de vapeur saturante proche de la pression atmosphérique. Ainsi le taux de nucléation dont dépend la « pression de fracture » p , f sera modifié par ces gaz non dissous. Un tout autre phénomène peut alors apparaître lorsque le fluide est soumis à une dépression. Au fur et à mesure que la pression chute (jusqu'à atteindre la pression de vapeur saturante du gaz contenu dans l'espèce étudiée), la taille de la bulle de gaz va alors augmenter. Un processus durant lequel les gaz non condensables vont diffuser de la phase liquide vers les noyaux de bulles de gaz existant, est alors activé. La « rupture » du fluide est alors générée et alimentée par ce processus (non plus par un changement d'état comme pour le cas de la cavitation vaporeuse). Ce processus sera nommé par la suite : « cavitation gazeuse ».

Dans l'état de l'art très complet effectué par BRAUN [Bra10] sur la formation et le développement de la cavitation dans les paliers, un exemple d'hydrocarbures contenant différentes proportions d’Azote et soumis à diverses pressions, est décrit. L'apparition rapide de ce type de cavitation est montrée à travers le développement de méthodes prédictives d'adsorption et de désorption du gaz. BRAUN distingue également un autre type de cavitation nommée « pseudo-cavitation » comme étant une forme de cavitation gazeuse au cours de laquelle la bulle de gaz se dilate en raison de la chute de pression subie, sans diffusion dans le liquide. Enfin, SUN et al. [Sun92] proposent deux équations pour prédire les temps caractéristiques de remplissage d'un volume donné par la vapeur du liquide étudié ou par les gaz dissous dans le liquide. Ils obtiennent des temps caractéristiques très différents. Pour le

premier cas (cavitation vaporeuse), le temps caractéristique obtenu est d'environ

=0.167 10 s3

evap

t , à comparer à celui du second cas (cavitation gazeuse) tdiff =0.324 106 s. Ils concluent que pour leur cas d'étude (cavitation sous chargement dynamique) la bulle de cavitation est remplie de vapeur du liquide.

Le problème complexe de la cavitation d'un liquide pur a donc été abordé dans divers domaines de la mécanique des fluides mais n'est pas totalement résolu. Celui d'un fluide usuel (lubrifiant) soumis à des sollicitations réelles de pression/cisaillement, semble donc très difficile à appréhender précisément. Cependant, diverses méthodes permettent d'apporter des éléments de compréhension sur le comportement des lubrifiants sous de telles sollicitations. Deux approches basées sur différentes hypothèses seront utilisées dans ce travail pour ajouter des éléments physiques de modélisation dans les modèles actuels de lubrification, et mettre en évidence les phénomènes caractéristiques des fluides diphasiques voire triphasiques rencontrés. Une méthode globale pour modéliser la cavitation consisterait à considérer un fluide constitué de deux phases : le liquide et sa vapeur. Différents travaux, principalement portés sur l'étude des écoulements cavitants sur des profils d'ailes, ont permis l'implémentation de lois d'état dites « barotropes », décrivant l'évolution de la masse volumique en fonction de la pression dans la zone de mélange liquide/vapeur. On va donc s'intéresser dans ce qui suit aux différents modèles proposés dans la littérature pour décrire l'évolution de la masse volumique, dans la phase liquide dans un premier temps, puis lors d'un changement de phase.