• Aucun résultat trouvé

Evolution de la production médiatique

5.3.2. Par catégorie lexicale

Afin d’analyser l’évolution du cadrage, nous examinons ensuite l’évolution dans le temps de chaque catégorie lexicale82. Nous avons ainsi relevé quelles catégories lexicales ont été mentionnées à quelles dates. Afin de rendre la compréhension des graphiques ci-dessous plus simple, nous avons attribué un nombre à chaque date (J1, J2, J3, etc.) où du contenu au sujet des événements de décembre 2015 a été publié.

Le graphique ci-dessous propose une synthèse de l’évolution des catégories lexicales dans le temps. L’axe vertical indique le nombre de contenus et l’axe horizontal les dates. Chaque champ lexical est représenté par une couleur (voir légende du graphique). Les traits verticaux gris indiquent quant à eux les jours de publication des communiqués de presse du DSE.

Graphique 16

La chute de l’enquête

Le premier point qui frappe au regard de ce graphique est la chute de la catégorie

« enquête ». Alors qu’à J1 elle comptait 10 occurrences, à J3 elle retombe déjà à zéro.

Les sujets « sécurité » et « menace », également très hauts les premiers jours, connaissaient une baisse nettement moins nette. La « menace » témoigne même d’un regain à J4 où elle est à nouveau mentionnée trois fois. La baisse de « l’enquête », est possiblement liée au manque de nouvelles informations concernant les

82Un tableau d’analyse détaillé se trouve en annexe, « Tableau d’analyse 7 », p.13.

investigations. Le premier jour (J0), les spéculations vont bon train, à l’image de ces propos publiés sur l’application RTSinfo le 10.12.15 :

« Selon un agent de sécurité des Nations unies, cité par Reuters, "quatre hommes"

seraient recherchés, mais le DSE ne confirme pas ce nombre.

De source policière française, on précise qu'il n'y a pas de lien direct avec les attentats du 13 novembre qui ont fait 130 morts à Paris et à Saint-Denis »83

A J1, une information à propos d’une camionnette aux plaques belges affole la presse, comme dans cet extrait publié sur l’application RTSinfo :

« Une camionnette immatriculée en Belgique, avec deux hommes à bord, dont l'un pourrait être une connaissance de Salah Abdeslam, est entrée en Suisse mardi par la douane de La Cure (VD), a appris la RTS.

Le véhicule, qui se présente au poste-frontière de La Cure, dans le Jura vaudois, en milieu d'après-midi le 8 décembre est contrôlé par les douaniers français. L'un des occupants pourrait être un proche de Salah Abdeslam, le terroriste le plus recherché d'Europe, accusé d'avoir participé aux attentats de Paris avant de prendre la fuite.

Mais la brigade française - déclarant ne rien avoir eu à leur reprocher - laisse entrer les deux hommes vers la Suisse. Les agents transmettent toutefois leur signalement aux autorités policières helvétiques. »84

Cette nouvelle information, quelque peu alarmante, booste les contenus médiatiques au sujet de l’enquête et provoquent un record de publications sur ce thème (10). Mais dès le lendemain, la thématique commence déjà à décliner. L’absence de « hard news » depuis la veille est d’ailleurs constatée par les journalistes sur RTSinfo :

« Aucune nouvelle information n'a en revanche été donnée sur les quatre individus qui sont recherchés depuis mercredi. Les deux Syriens arrêtés n'ont pas de lien avec ces quatre hommes, a indiqué Olivier Jornot.

Une camionnette immatriculée en Belgique est entrée en Suisse mardi avec deux hommes à bord via la douane de la Cure (VD) et elle est restée durant trois heures sur le territoire helvétique. »85

A J3, le sujet de l’enquête a même complétement disparu des productions de la RTS.

Il fait une très brève réapparition à J4 dans un article « web only » publié sur RTSinfo et le site internet, mais simplement pour faire un rappel des faits et signifier que rien n’a avancé :

« Rien de neuf sur l'enquête

Un véhicule immatriculé en Belgique avait par ailleurs passé trois heures sur le territoire suisse mardi 8 décembre. Un de ses deux occupants, dont l'identité a été contrôlée par les douaniers français, pourrait être une connaissance du terroriste en fuite depuis les attentats de Paris le 13 novembre, Salah Abdeslam.

83Annexe « RTS : sujets web only », W1, page 67

84Annexe « RTS : sujets web only », W4, page 71

85Annexe « RTS : sujets web only », W7, page 74

Aucune nouvelle information n'a été communiquée sur ce véhicule suspect ni sur l'enquête liée à l'interpellation de deux Syriens route de Thonon vendredi. Des traces d'explosifs avaient été retrouvées dans leur véhicule. »86

Le sujet disparaît ensuite complétement des productions de la RTS. A J18, alors que le quatrième communiqué du DSE est publié, les journalistes se concentrent sur l’évolution de la nature de la menace et n’évoquent pas l’enquête, puisqu’aucune nouvelle information n’est communiquée. Globalement, cette thématique de l’enquête est donc extrêmement dépendante de l’actualité. Ce n’est pas un sujet « long train » qui est analysé par les journalistes a posteriori. Le fait d’être aussi ancré dans l’actualité lui confère une durée de vie plus courte, au contraire par exemple de la catégorie « déclarations des exécutifs cantonaux et fédéraux » qui est encore commentée et analysée par les médias jusqu’à J54.

Faire le point sur la menace, une valeur sûre

La catégorie « menace » est en revanche plus constante. Elle démarre avec un très haut score les premiers jours (10 mentions à J0 et 9 mentions à J1). Comme la plupart des thématiques, elle faiblit ensuite à J2 et J3 mais connait un nouveau pic de publications à J4, sans doute suite à la publication du nouveau communiqué.

Contrairement à l’enquête qui connait un véritable emballement, puis des commentaires indiquant qu’il n’y a rien à signaler, la « menace » est dotée d’une certaine constance dans les propos. A J0, la priorité est d’évaluer la nature de la menace dont on parle, comme dans cet extrait diffusé dans le 19 :30 sur RTS Un :

« La police genevoise est en état d’alerte. Elle a été informée d’une menace précise, et a relevé le niveau de vigilance terroriste sur le territoire genevois. »87

Et d’identifier les cibles potentielles, comme dans cet extrait diffusé pendant l’émission Forum :

« En effet d’après plusieurs proches du dossier, la vraie cible serait plutôt une manifestation de masse. La fameuse fête de l’Escalade, qui doit se tenir dimanche n’a, à l’heure qu’il est, pas été annulée, mais l’État prévoit de renforcer sa sécurité. »88

Pendant plusieurs jours, comme le constatent d’ailleurs les médias, le niveau de menace ne change pas, à l’image de cet extrait diffusé dans Le Journal du Matin sur La Première :

« Le niveau de menace n’a pas changé depuis hier, il reste de trois sur cinq, la situation n’est donc pas la même qu’à Bruxelles il y a trois semaines. »89

Nous aurions donc pu estimer que, comme pour l’enquête, le manque de nouvelles informations provoque la disparition des mentions au sujet de la « menace ». Mais puisque justement, de nouvelles informations commencent à se faire désirer, la question de la crédibilité de cette menace émerge petit à petit. Des experts continuent

86Annexe « RTS : sujets web only », W9, page 76

87Annexe « RTS : sujets télévisés », TV2, page 20

88Annexe « RTS : sujets radiophoniques », R2, page 42

89Annexe « RTS : sujets radiophoniques », R5, page 47

d’être invités à donner leur opinion sur la situation, comme dans cet extrait d’interview à J5, diffusé dans le Journal du Matin sur La Première :

« Un dernier rajout peut-être, Hasni Abidi, sur la menace terroriste à Genève. Vous y êtes, vous connaissez bien la ville, vous la sentez cette menace terroriste ? Hasni Abidi : Franchement je la sens pas mais je dirais que c’était un très bon exercice. Je ne parlerai pas des couacs et de maladresse et cet emballement qui est à mon avis non-justifié. »90

Ce sont donc des propos plus analytiques et des remises en question (notamment au sujet de la gestion de cette menace par les politiques) qui continuent de porter la thématique dans les médias. Puis finalement à J18, environ trois semaines après l’annonce initiale de la menace, la thématique revient sur le devant de la scène pendant quelques jours. Un phénomène provoqué par la publication du 4e communiqué du DSE qui annonce la baisse du niveau de vigilance :

« Genève abaisse son niveau d’alerte terroriste. Depuis le 10 décembre, des menaces précises avaient été décelées, relevant le niveau de sécurité. Des agents ont été mobilisés 24h sur 24. Après consultation des instances fédérales, le canton a décidé de réduire son niveau de vigilance. »91

En résumé, la thématique de la menace est sensible aux « hard news » transmises via les communiqués numéro un et quatre, mais perdure au cœur des médias sur la durée grâce à son aspect polémique.

Crise autour de la communication

La polémique est également essentielle pour expliquer la trajectoire de la catégorie « Déclarations des exécutifs cantonaux et fédéraux ». Dès la première mention du sujet, des doutes quant à la manière de communiquer des politiques sont mis en avant, à l’image de cet extrait d’interview de Pierre Maudet dans Forum sur La Première à J0 :

« Journaliste : Vous craignez pas quand-même, en communiquant, de créer un état de psychose ? Comment faire pour gérer ce genre de situation ?

Pierre Maudet : Écoutez, l’élévation du niveau de sécurité que j’ai décidée hier soir a pour conséquence la prise d’un certain nombre de mesures, et ces mesures elles sont visibles pour le public. Je pense notamment au nombre de policiers, je le disais toute à l’heure à leur équipement, par les temps qui courent la population elle est sensible à ces questions-là. Et je me suis engagé il y a une semaine lorsqu’on a présenté le dispositif genevois à me montrer le plus transparent possible, donc je pense que c’est de la responsabilité des autorités de dire dans une certaine mesure ce qui est en train de se produire et de responsabiliser, d’associer la population. »92 Dès le lendemain (J1), la polémique qui semblait enfler atteint un pic avec 6 mentions.

C’est la catégorie thématique la plus fréquente après « Enquête, Menace et Sécurité ».

Mais cette fois, la critique est franche et les propos nettement plus appuyés. Cette intervention d’un journaliste de la RTS dans l’émission Forum sur La Première en est un bon exemple :

90Annexe « RTS : sujets radiophoniques », R17, page 63

91Annexe : « RTS : sujets télévisés », TV19, page 39

92Annexe : « RTS : sujets radiophoniques », R3, page 43

« Les autorités genevoises ont fauté dans leur manière de communiquer à propos d’une potentielle menace terroriste. La critique commence à se faire jour au lendemain de l’annonce de l’élévation du niveau de vigilance à Genève. Des critiques voilées, ou ouvertes, qui viennent notamment de la Berne fédérale. »93 Par la suite, la thématique commence à s’essouffler, au même rythme que les autres sujets. Mais au contraire de certaines qui disparaissent complément, elle reste latente avec quelques mentions de temps à autre.

La critique en arrière-plan

Nous avons identifié auparavant quatre catégories plus susceptibles d’avoir un caractère critique et analytique : « collaboration entre les services cantonaux et fédéraux, conflit syrien, déclarations des exécutifs cantonaux et fédéraux, et rôle des médias ».

Hormis la catégorie « Déclarations des exécutifs cantonaux et fédéraux » qui, comme nous venons de le souligner, a connu un pic à J2, les autres thématiques restent au second plan, avec environ une à trois mentions par jour. Nous remarquons cependant que contrairement à ce que l’on pouvait penser, certaines émergent dès le premier jour. A J0, sur le plateau du 19 :30, le journaliste de la RTS Xavier Colin évoque d’emblée le conflit syrien :

« Rappelons quand même que tous ceux qui actuellement, des pays qui frappent en Syrie, sont frappés par l’État Islamique, mais ça n’est pas la seule cible, il peut y avoir d’autres cibles. On sait très bien que l’État islamique veut cibler très large. »94 A J5, alors que toutes les thématiques sont en train de s’essouffler, celle du « Rôle des médias » est tout de même évoquée à deux reprises. Ceci est dû à une intervention d’Hasni Abidi, un politologue spécialiste du monde arabe, qui critique frontalement le rôle qu’ont joué les médias sur l’anxiété de la population dans le Journal du Matin :

« Hasni Abidi : J’aurais bien aimé aussi que les médias baissent un petit peu le ton, et casser plutôt une marmite comme ils font les Belges avec un chat (sic), que bien sûr tous les jours nous diffuser des images et parfois des commentaires qui ne collent absolument pas à cette réalité. »95

Une petite controverse qui suscite encore des mentions à J9, lorsque Pierre Ruetschi, rédacteur en chef de la Tribune de Genève, répond à ces accusations dans l’émission Six heures - neuf heures, le samedi sur La Première :

« Journaliste : Pierre Ruetschi bonjour, vous vous sentez visé par cette remarque d’Hasni Abidi ?

Pierre Ruetschi : Écoutez, pas vraiment. Bien sûr qu’il y a eu quelques dérapages de la part de certains médias. D’abord je crois que dire les médias dans son ensemble, je pense que c’est une erreur, parce que chacun a eu sa forme de couverture. Chaque média n’a pas le même type de vocation, le même type de

93Annexe : « RTS : sujets radiophoniques », R9, page 51

94Annexe : « RTS : sujets télévisés », TV5, page 25

95Annexe : « RTS : sujets radiophoniques », R17, page 61

ligne, donc il y a évidemment des différences (…). Donc dire simplement que cette menace a été sur-jouée en quelque sorte, je trouve que c’est une information typiquement qu’on répand comme une rumeur et qui est non vérifiée. »96

Il est également intéressant de noter qu’entre J5 et J18, ce sont ces sujets analytiques qui sont le plus souvent cités. Les grands thèmes « enquête, sécurité et menace » faiblissent voire disparaissent, au profit des questions plus analytiques. Pas au point cependant de créer des pics notables, à raison d’une ou deux mentions par jour.