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5. Présentation des résultats

5.1 Contextes d’adoption des lois spéciales

5.1.2 Cas 2 STTP

Le 4 octobre 2010, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) envoie à Postes Canada un avis de négociation en vue de débuter les pourparlers concernant le renouvellement de la convention collective qui viendrait à échéance le 31 janvier 2011 (Steinhoff et Bickerton, 2012). Considérant la lenteur des négociations et l’absence de résultats significatifs, le syndicat tient, en avril 2011, des assemblées générales afin d’obtenir un mandat de grève qu’il pourrait utiliser au moment jugé opportun. Le STTP l’obtient par une vaste majorité de 94,5% (Steinhoff et Bickerton, 2012).

Peu de temps suivant le vote de grève, une élection fédérale a lieu et un gouvernement conservateur majoritaire est élu le 2 mai 2011. Selon les témoignages du syndicat, l’attitude patronale à la table de négociation a complètement changé dès le lendemain :

«C'est que le 3 mai 2011, ce qu'on a reçu comme nouvelle de notre national c'est que tout ce qui avait été négocié avant, c'est fini, on déchire ça et on repart à neuf. On s'en venait bien quand même, on négociait et on s'en venait proche d'une entente, selon ce qu'on entendait dire, [...] c'est comme si tout ce qu'on avait travaillé depuis un an, un an et demi, c'était fini.»

(Intervenant 6)

Le 30 mai 2011, huit mois après avoir envoyé l’avis de négociation, le syndicat dépose un préavis de 72 heures annonçant à l’employeur qu’il recourra à la grève à partir du 2 juin 2011 (Steinhoff et Bickerton, 2012). Une grève rotative débute, Winnipeg étant la première ville

affectée (Steinhoff et Bickerton, 2012). Le 8 juin 2011, Postes Canada annonce que la livraison de courrier en milieu urbain est réduite à trois jours par semaine (Postes Canada, 2011). Selon les représentants syndicaux, la ministre du Travail, Lisa Raitt, a demandé le 10 juin 2011 à Postes Canada de rétablir la livraison du courrier à cinq jours et au syndicat de suspendre la grève, ce que Postes Canada a refusé (Steinhoff et Bickerton, 2012). Quatre jours plus tard, le 14 juin 2011, Postes Canada annonce mettre en lock-out l’ensemble des employés du STTP (Steinhoff et Bickerton, 2012). Le lendemain, la ministre informe les deux parties qu’elle fera adopter une loi spéciale si l’arrêt de travail perdure (Steinhoff et Bickerton, 2012). Un projet est effectivement déposé à la Chambre des communes le 20 juin. Six jours plus tard, la Loi sur le rétablissement de la livraison du courrier aux Canadiens (L.C. 2011, c 17) obtient la sanction royale, la rendant effective le 27 juin 2011 et force le retour au travail. La loi spéciale impose le retour au travail des employés du STTP en plus de prévoir un arbitrage des offres finales de la convention collective (L.C., 2011, c 17, art. 3a), 3b) et 8). Afin d’orienter sa décision, l’arbitre doit baser sa décision sur des critères d’augmentation de productivité sans augmenter les coûts et considérer la solvabilité du régime de pension :

Pour choisir l’offre finale, l’arbitre se fonde sur la nécessité de conditions de travail qui sont compatibles avec celles de secteurs postaux comparables et qui fourniront à la Société canadienne des postes la souplesse nécessaire à sa viabilité économique et sa compétitivité à court et à long terme, au maintien de la santé et de la sécurité de ses travailleurs et à la viabilité de son régime de pension, compte tenu des éléments suivants :

a)la nouvelle convention collective ne doit pas directement entraîner la diminution du ratio de solvabilité du régime de pension;

b)la Société canadienne des postes se doit, sans recours à des hausses indues de tarifs postaux, d’être efficace, d’accroître sa productivité et de respecter des normes de service acceptables.

(L.C. 2011, c 17, art. 11 (2))

Une des grandes sources de frustration découlant de cette loi spéciale est en lien avec les augmentations salariales prévues à la loi. En effet, la dernière offre patronale comprenait des augmentations de 1,9% les trois premières années et de 2% la dernière année, alors que le projet de loi C-10 ne prévoit qu’une augmentation de 1,75% la première année, suivie

Par ailleurs, le STTP s’objecte à la nomination de l’arbitre pour deux raisons : le syndicat affirme que l’arbitre Osborn n’a pas de connaissance en droit du travail et le syndicat lui reproche d’être unilingue anglophone (Entretien 4). Considérant qu’il s’agissait d’un arbitrage des offres finales, le syndicat réclamait que l’arbitre ait des connaissances et de l’expérience en droit du travail. De plus, les deux négociateurs principaux du syndicat étant Québécois, le STTP s’attendait donc à ce que l’arbitre puisse communiquer en français. Pour ces raisons, la Cour fédérale suspend temporairement le processus d’arbitrage afin de statuer sur la nomination de l’arbitre (Radio-Canada et al., 2011). Avant même que les audiences ne débutent, M. Osborn renonce, le 3 novembre 2011, à procéder à l’arbitrage des offres finales (Radio-Canada et al., 2011).

Suite au départ du premier arbitre, le syndicat et Postes Canada soumettent une liste de noms d’arbitres à la ministre (Entretien 5). En s’inspirant de cette liste, cette dernière nomme un deuxième arbitre le 14 mars, soit l’ancien juge Dufort (Gouvernement du Canada, 2012). Le syndicat conteste toutefois de nouveau la nomination de cet arbitre affirmant que M. Dufort a trop de lien avec le parti Conservateur, ce qui remettrait en question son impartialité (Presse Canadienne, 2012c). Le syndicat demande à ce qu’il se récuse puisqu’il s’était déjà présenté aux élections pour le parti Conservateur et qu’il était en relation sur le média social Facebook avec la ministre du Travail et le ministre des Transports Steven Fletcher (Entretien 4). Pour ces raisons, le syndicat conteste sa nomination. Le 8 août 2012, la Cour fédérale rend sa décision et oblige l’arbitre Dufort à se récuser (Agence QMI, 2012)3. Tout au long de ces procédures, les deux parties poursuivent les négociations et réussissent à obtenir une entente de principes le 6 octobre 2012, soit 16 mois après l’adoption de la loi spéciale (Presse Canadienne, 2012b).