CHAPITRE 1 : INTRODUCTION
4. Cellules de rein d’opossum : modèle d’étude du tubule proximal
4.1. Caractérisation de la lignée de cellules OK (opossum kidney)
La lignée de cellules OK a été établie au départ de tissu rénal d’un opossum
adulte d’Amérique (Didelphys virginiana). Cette lignée prolifère rapidement et est
stable du point de vue morphologique et de son caryotype [Koyama H. et al., 1978]. Les cellules OK s’organisent en monocouches de cellules épithéliales polarisées et partagent de nombreuses propriétés morphologiques et fonctionnelles avec les cellules tubulaires proximales [Malstrom K. et al., 1987].
Propriétés de transport
La membrane apicale des cellules OK comporte les systèmes de transport
couplés au Na+ pour les acides aminés, le glucose, les protons et le phosphate
inorganique ainsi qu’une sensibilité hormonale à la PTH et à la calcitonine [Malmstrom K. et al., 1986; Malstrom K. et al., 1987] (Tableau 6). La lignée rénale de cellules OK est la seule lignée cellulaire établie avec des caractéristiques proximales
ayant la capacité de réguler le co-transport Na+dépendant/phosphate en réponse,
soit à un agent rapide comme la PTH [Hruska K.A. et al., 1987; Teitelbaum A.P. et al., 1984; Teitelbaum A.P. et al., 1986], soit un stimulus prolongé comme une déprivation chronique en phosphate organique ou l’exposition à de l’hormone thyroïdienne [Quamme G. et al., 1989; Yonemura K. et al., 1990]. En effet, les récepteurs de haute affinité pour la PTH, présents dans les cellules OK, sont couplés
à l’activation de l’adénylate cyclase et l’inhibition du co-transport Na+/phosphate
[Caverzasio J. et al., 1986; Cole J.A. et al., 1987; Malmstrom K. et al., 1986; Teitelbaum A.P. et al., 1986].
Tableau 6 : Caractéristiques des transports tubulaires au niveau de l’épithélium proximal des cellules OK
Transporteur Sodium Localisation Substrat Activateur Inhibiteur Régulateur Références
dépendant apicale
Acides aminés acides : L-glutamate
Acides aminés neutres : proline, alanine, L-phénylalanine
Na+/acides aminés
indépendant basolatérale
Acides aminés neutres : L-alanine Acides aminés dibasiques : L-arginine [Malstrom K. et al., 1987; Schwegler J.S. et al., 1989b]
dépendant apicale α-méthyl-D-glucoside
D-glucose Phlorizine
Na+/hexoses Na+/glucose
indépendant basolatérale D-glucose Cytochalasine B
[Malstrom K. et al., 1987; Van den B.L. et al., 1989] Na+/phosphate dépendant PTH PTH [Caverzasio J. et al., 1986; Malmstrom K. et al., 1986; Teitelbaum A.P. et al., 1984] Na+/phosphate inorganique NaPi type IIa
dépendant apicale Hormonale,
PTH
[Cole J.A. et al., 1987; Malstrom K. et al., 1987]
Na+/sulfate
inorganique indépendant
[Malstrom K. et al., 1987]
Échangeur Na+/H+
NHE3 apicale Insuline PTH amiloride
[Gekle M. et al., 1999; Helmle-Kolb C. et al., 1990; Klisic J. et al., 2002; Malstrom K. et al., 1987; Pollock A.S. et al., 1986] Echangeur H+/cations organiques Echangeur cations organiques/cations organiques apicale Tetraéthylammonium Cations organiques (1mM): N1 -méthylnicotine amide, amiloride, cimetidine, verapamil, procainamide, quinidine [McKinney T.D. et al., 1990; Yuan G. et al., 1991] Echangeur PAH/anions organiques Echangeur PAH (anions organiques)/dicarb oxylates apicale Para-aminohippurate (PAH) Probénécide, furosémide, diéthyl pyrocarbonate (inhibiteur du transport d’anions organiques sensibles au potentiel), dicarboxylates PTH (par la voie de la protéine kinase C) [Habu Y. et al., 2002; Nagai J. et al., 1997; Takano M. et al., 1994] Echangeur PAH (anions organiques)/dicarb oxylates
dépendant basolatérale PAH
Dicarboxylates (α -kétoglutarate), probénécide, furosémide, antibitiques β-lactames (benzylpénicilline, cefazoline) EGF [Hori R. et al., 1993; Nagai J. et al., 1995; Sauvant C. et al., 2001; Takano M. et al., 1994]
Les cellules OK contiennent également des transports spécifiques des anions et des cations organiques [Hori R. et al., 1993; Yuan G. et al., 1991].
Dans les cellules OK, la distribution des transporteurs d’hexoses dépendant et indépendant du sodium ainsi que l’existence à la membrane apicale de systèmes de
transport couplé au sodium pour le glutamate (dépendant du K+ interne), la L-proline
et la L-alanine, le phosphate inorganique et l’échangeur Na+/H+ sont en accord avec
les données caractérisant le transport tubulaire proximal [Malstrom K. et al., 1987].
Réponse hormonale
La PTH inhibe l’activité du co-transporteur Na/Pi de type IIa (NaPi-4), exprimé
à la surface apicale des cellules OK [Sorribas V. et al., 1994]; la diminution associée
à l’expression de la protéine du co-transporteur Na/Pi de type IIa à la membrane
apicale entraîne une accumulation subapicale transitoire du transporteur et sa dégradation lysosomale [Keusch I. et al., 1998; Malmstrom K. et al., 1987; Pfister M.F. et al., 1997; Pfister M.F. et al., 1998]. La première étape de la régulation par la
PTH est l’internalisation de la protéine du co-transporteur Na/Pi de type IIa au départ
de la membrane apicale conduisant à sa dégradation lysosomale [Jankowski M. et al., 1999].
L’insuline stimule l’activité de l’échangeur Na+/H+ NHE3. Dans les cellules OK,
l’insuline augmente l’activité de l’échange Na+/H+ de manière dépendante du temps
et de la concentration ; cet effet est dû à l’activation de NHE3. L’insuline semble stimuler l’activité de NHE3 tubulaire rénal par un mécanisme biphasique impliquant des facteurs post-transcriptionnels et une augmentation de l’expression du gène de NHE3 ; ces effets sont amplifiés sous l’action de l’hydrocortisone [Klisic J. et al., 2002].
Les cellules OK sont également sensibles à d’autres hormones : le facteur atrial natriurétique [Nakai M. et al., 1988], la calcitonine [Malmstrom K. et al., 1986], la dexaméthasone [Rizzoli R. et al., 1987], la dopamine [Cheng L. et al., 1990], l’épinéphrine [Murphy T.J. et al., 1988], le facteur de croissance 1 analogue à l’insuline (IGF1) [Caverzasio J. et al., 1989], la prostaglandine E2 [Malmstrom K. et
al., 1986], la sérotonine [Murphy T.J. et al., 1989], l’hormone thyroïdienne [Yonemura K. et al., 1990] et la vitamine D [Binswanger U. et al., 1993; Wald H. et al., 1998].
Propriétés électriques
Le potentiel de membrane des cellules OK est principalement (70%)
déterminé par la conductance des ions K+ qui est bloquée par le baryum. La
dépolarisation des cellules OK est rapide en réponse à l’acidité intracellulaire,
complètement réversible et peut être protégée par l’amiloride. La perméabilité au K+
est donc régulée par le pH intracellulaire. La présence de l’échangeur Na+/H+ permet
de compenser la charge acide intracellulaire induisant une repolarisation de la
membrane cellulaire par modification de la conductance K+. La pompe
électrogénique Na+/K+-ATPase contribue également à la conductance totale de la
membrane cellulaire (mais à 30%) [Schwegler J.S. et al., 1989a].
La résistance transépithéliale est extrêmement faible dans les monocouches de cellules OK. Les cellules OK forment un grand nombre de dômes reflétant un transport de soluté du côté apical vers le côté basolatéral. La réponse très rapide aux
changements de concentration ionique suggère que la conductance K+ est localisée
à la membrane apicale des cellules. Les monocouches de cellules OK sont électriquement faibles [Schwegler J.S. et al., 1989a].
Propriétés biochimiques
La croissance des cellules OK n’étant que légèrement diminuée dans un milieu défini sans sérum par rapport à un milieu contenant du sérum, les observations suivantes ont été réalisées pour des cellules OK en milieu sans sérum. L’activité de la glutathion-S-transférase, un marqueur enzymatique spécifique du cytosol des tubules proximaux est faible et le contenu total en glutathion diminue au cours du temps. L’activité spécifique des enzymes marqueurs de la bordure en brosse comme l’alanine aminopeptidase et la phosphatase alcaline est très faible ;
l’activité de la γ-glutamyl transpeptidase est absente. En effet, les cellules OK
présentent une très faible quantité de microvillosités. L’activité de l’enzyme lysosomale NAG est bien présente dans les cellules OK. L’activité de la succinate déshydrogénase, une enzyme associée aux mitochondries, est constante. L’activité
l’hexokinase, enzyme de la glycolyse, restent stables. Les cellules OK expriment une très faible activité phosphoénolpyruvate carboxykinase [Courjault F. et al., 1991].
4.2. Endocytose médiée par récepteur
Les cellules OK ont la capacité de réabsorber les protéines par un mécanisme d’endocytose bien distinct de l’endocytose en phase fluide [Schwegler J.S. et al., 1991]. En effet, les monocouches de cellules OK réabsorbent l’albumine marquée à la fluorescéine isothiocyanate (FITC) selon une cinétique de saturation dépendante du temps et de la concentration, contrairement à l’inuline-FITC qui entre dans les cellules par un processus non-saturable (Fig. 18). Le système de transport de l’albumine dans les cellules OK possède une affinité apparente de 24 mg/l (20-30 mg/l), laquelle correspond à la concentration physiologique estimée dans la lumière tubulaire (30mg/l [Eisenbach G.M. et al., 1975]). L’endocytose d’albumine-FITC atteint son maximum à un pH extracellulaire de 7,4 mais est réduite en milieu acide ou alcalin. Par contre, la concentration extracellulaire de sodium, de chlore ou de calcium n’influence pas l’absorption d’albumine-FITC. Les cellules OK représentent un modèle bien adapté pour étudier la réabsorption tubulaire proximale des protéines.
L’albumine-FITC est un marqueur fiable pour suivre l’endocytose médiée par récepteur : seulement environ 2 % de son endocytose est attribuée à l’endocytose en phase fluide. L’albumine capturée par les cellules OK est dégradée en fonction du pH vésiculaire. L’acidification des endosomes est particulièrement importante dans l’endocytose médiée par récepteur de l’albumine. Par contre, la formation de vésicules d’endocytose en phase fluide n’est pas influencée par l’alcalinisation des endosomes ni par l’acidification du cytoplasme. Les cellules OK constituent également un bon modèle pour étudier le pH endosomal [Gekle M. et al., 1995a]
La cinétique de l’endocytose d’albumine-FITC par les cellules OK est
influencée par le Ca2+ et l’AMP cyclique mais pas au niveau de la formation des
FITC-dextran qui n’est pas modifiée. Le Ca2+ est nécessaire à l’endocytose médiée par récepteur mais n’intervient probablement pas dans sa régulation. Par contre, l’AMP cyclique peut influencer l’endocytose médiée par récepteur dans des conditions physiologiques [Gekle M. et al., 1995b].
Figure 18. Cinétiques de l’absorption d’albumine-FITC et d’inuline-FITC. A. Evolution au
cours du temps de la fluorescence intracellulaire après incubation avec 0,5 g/l d’albumine à 37°C en milieu bicarbonate (cercle) et sur glace en solution Ringer (triangle). FITC-inuline : 0,5g/l, 37°C en milieu bicarbonate (cercle noir). B. Taux d’absorption initial (15 min) d’albumine-FITC (cercle) et d’inuline-FITC (cercle noir) à différentes concentrations du substrat (37°C, milieu bicarbonate). n = 4-6. [Schwegler J.S. et al., 1991].
Les cellules OK expriment un site de liaison de haute affinité pour l’albumine à la membrane apicale ; ce site de liaison est sensible au pH et lie l’albumine en quantité physiologique [Gekle M. et al., 1996].
L’endocytose d’albumine par les cellules OK se déroule par la voie dépendante de la clathrine et dépend essentiellement de l’intégrité du cytosquelette d’actine. Les microtubules facilitent l’absorption par endocytose. La voie d’endocytose médiée par les cavéoles, vésicules recouvertes d’un manteau de cavéoline, n’est pas impliquée dans l’endocytose de l’albumine dans les cellules OK [Gekle M. et al., 1997].
A
Enfin, l’endocytose d’albumine par les cellules OK implique les deux récepteurs mégaline et cubiline intervenant dans l’endocytose médiée par récepteur. Ces deux glycoprotéines sont co-exprimées et principalement co-localisées à la surface des cellules (Fig. 19A). Des observations en microscopie électronique montrent que la mégaline et la cubiline sont co-localisées à la surface des microvillosités, dans les puits recouverts d’un manteau de clathrine et dans les compartiments endocytaires (Fig. 19B). Seules les cellules exprimant la mégaline et la cubiline sont capables d’absorber l’albumine, indiquant une association entre ces deux récepteurs et l’endocytose d’albumine [Zhai X.Y. et al., 2000].
Figure 19. A. & B: Colocalisation (en jaune) par immunofluorescence de la mégaline (FITC,
en vert) et de la cubiline (TRIC, en rouge) dans les cellules OK (A ×1100, B ×1800).
C & D: Colocalisation (en jaune) par immunofluorescence d’albumine-FITC (en vert) et de la cubiline (C) ou la mégaline (D) marquée au TRIC (en rouge). Grossissement ×1400.
E. Double marquage immunocytochimique pour la mégaline et la cubiline observé en microscopie électronique. La mégaline (particules d’or 5 nm) et la cubiline (particules d’or 10 nm) sont distribuées ensemble à la membrane apicale (flèche) et dans les vacuoles d’endocytoses (tête de flèche) dans les cellules OK. MV: microvillosités. Grossissement
×86000. [Zhai X.Y. et al., 2000].