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2. E TAT DES CONNAISSANCES SUR LE FORÇAGE VOCAL

2.3. Un forçage défini par ses conséquences, mais observé à plusieurs niveaux de temporalité et de causalité

2.3.4. Caractérisation du fonctionnement du système en situation d’effort

D’autres études se sont enfin intéressées à caractériser le fonctionnement du système pendant différentes tâches d’effort, en particulier pendant une utilisation de la voix à forte intensité, ou à une hauteur plus aiguë ou plus grave que la parole « confortable » habituelle du locuteur.

On peut cependant distinguer deux objectifs différents recherchés au travers de cette caractérisation. Certaines études ont plutôt cherché à caractériser le fonctionnement aérodynamique et vibratoire du larynx en situation d’effort, dans le but de comprendre en quoi ce fonctionnement peut générer des symptômes. D’autres études se sont plutôt penchées sur les caractéristiques gestuelles, posturales ou acoustiques du comportement d’effort, de façon à

2. ETAT DES CONNAISSANCES SUR LE FORÇAGE VOCAL

déterminer des indicateurs objectifs de reconnaissance d’un comportement de forçage pouvant être utilisés par des phoniatres et des orthophonistes lors de leurs consultations.

2.3.4.1. En quoi ce fonctionnement peut-il provoquer des symptômes ?

Sonninen et al. 1998 [325] ont ainsi pu montrer que l’évolution de la tension des cordes vocales n’était pas linéaire en fonction de la hauteur de la voix mais suivant la courbe de tension des tissus organiques. Sonninen et al. 1998 [325] n’évoquent pas la notion de mécanisme laryngé mais on sait maintenant que la tension des cordes vocales augmente avec la hauteur de la voix en mécanisme 1 jusqu’au passage en mécanisme 2 où la fréquence fondamentale continue de croître du fait d’ajustements différents, davantage liés à l’étirement des cordes vocales (Henrich 2001 [139] ; Roubeau et al. 1993 [293]). La fréquence fondamentale de la voix est également liée au nombre de collisions des cordes vocales par unité de temps. Par conséquent, une fréquence fondamentale plus élevée fait subir aux cordes vocales davantage de microtraumatismes.

L’augmentation de l’intensité vocale est principalement la résultante de l’augmentation de la pression sous-glottique (Gauffin et al. 1989 [109]) et/ou de l’augmentation de l’accolement des cordes vocales (Isshiki 1964 [163]). Une forte pression des aryténoïdes caractérise une phonation pressée, entraînant une constriction de la glotte et la diminution du débit glottique. Le quotient d’amplitude est typiquement faible pour ce type de phonation (Alku et al. 1996 [5]). Au contraire, les cordes vocales s’accolent alors plus longuement et avec plus de force, ce qui se traduit par la diminution du quotient ouvert (Hanson 1997 [135], Henrich 2001 [139] l’augmentation de la vitesse d’accolement (Gauffin et Sundberg 89 ; Vintturi 2001 [368]) et du quotient de vitesse (Sundberg et al. 1993 [338]).

Plusieurs hypothèses physiologiques ont été recensées pour tenter d’expliquer comment ces modes de phonation pourraient entraîner une fatigue vocale et des lésions anatomiques (d’après Titze 1984 [350]):

- la contraction importante des muscles laryngés pourrait induire une fatigue neuromusculaire et une réduction de leur capacité à résister à une stimulation répétée. Cette hypothèse est controversée. En effet, les muscles laryngés ont une structure spécifique différente des autres muscles, adaptée à un usage continu (Titze 1984 [350]) et des recherches sur des larynx excisés ont ainsi montré que les muscles laryngés étaient résistants à la fatigue (Cooper et al.

1990 [58]). Il serait donc discutable de penser que la fatigue vocale puisse être musculaire, de même que l’échauffement vocal puisse être bénéfique à un niveau strictement neuromusculaire. Cependant, d’autres études au contraire ont observé des cordes vocales arquées après un effort très violent (Lira 1971 dans Vilkman 2004 [365]), ce qui pourrait expliquer une moins bonne adduction des cordes vocales et l’apparition de fuites d’air glottiques avec la fatigue vocale.

- le maintien d’une pression sous-glottique importante pourrait finir par épuiser les muscles respiratoires, entraînant une moins bonne gestion du souffle et contraignant le larynx à jouer à la fois le rôle de vibrateur et de régulateur du débit d’air.

- la collision importante et répétée des cordes vocales pourrait induire un stress des tissus ligamentaires et des cartilages du larynx, et ainsi provoquer une inflammation des tissus, voire des lésions telles que des nodules ou des polypes. Elle pourrait également induire une augmentation de la viscosité et de la raideur des cordes vocales, entraînant des forces de friction accrues et une irritation des tissus. Cela pourrait expliquer que l’hydratation régulière lors d’un effort vocal prolongé ait un effet bénéfique, puisqu’elle joue un rôle important de régulation de la viscosité des cordes vocales.

- enfin, une crispation laryngée ou une trop grande tension pourrait réduire la circulation sanguine dans les muscles laryngés. Cela gênerait à la fois l’évacuation de l’acide lactique et l’approvisionnement des muscles en oxygène et en glucose, mais aussi la dissipation de la chaleur hors des cordes vocales. Par conséquent, cela pourrait expliquer les oedèmes formés après des efforts vocaux importants, ainsi que des lésions des tissus induits par une augmentation de la température.

2.3.4.2. Quels sont les manifestations observables concomitantes du forçage vocal ?

Au niveau postural, les personnes qui forcent sur leur voix montrent des crispations importantes au niveau des muscles sterno-cléido-mastoïdiens, voire de l’ensemble du corps (Papon 2006

[265]). Morrison 1997 [246] dans son listage des « Muscle Misuse Voice disorders (MMVD)»

rapporte également des tensions et une restriction de la liberté de mouvement au niveau de la mâchoire, avec une éventuelle pression de la langue contre les dents. Cette crispation générale peut alors s’accompagner d’une turgescence des veines jugulaires externes et d’une augmentation de l’écart type de la vitesse des mouvements du centre de gravité du corps, due à son raidissement (La Machhia 2005 [189]). Grini et al. 1998 [124], Morrison 1997 [246] et Papon 2006 [265] ont également montré que le forçage vocal s’accompagnait d’un déplacement global du centre de gravité du corps vers l’avant, ainsi que d’une avancée locale du buste et du menton. Cette perte de verticalité et d’alignement postural, avec flexion du rachis cervico-thoracique, arrondissement du dos et déplacement du menton vers l’avant pour maintenir un contact visuel avec l’interlocuteur a déjà été décrit par Le Huche 1984 [202] comme caractéristique de la voix de détresse ou d’insistance.

Hoit 1995 [151] a souligné l’influence de la posture du locuteur sur sa phonation, en particulier au niveau de la gestion respiratoire. Le Huche 1984 [202] et Faure 1988 [90] ont également observé que les sujets forçant sur leur voix n’augmentent pas leur intensité vocale par la mise en place d’une respiration abdominale, mais par une respiration thoracique supérieure (élévation des épaules et du thorax) ou une respiration que Le Huche 1984 [202] qualifie de « vertébrale », s’accompagnant d’une flexion vertébrale et d’un affaissement du thorax. Le passage à ce mode respiratoire se manifeste chez le locuteur par des respirations rapides et buccales, et un temps de phonation réduit pour chaque inspiration, contraignant le locuteur à accroître la tension laryngée pour prolonger la vibration des cordes vocales. Par ailleurs, ce mode respiratoire sans soutien abdominal et diaphragmatique fait alors jouer au larynx le double rôle de vibrateur et de régulateur du débit d’air expiré.

Les attaques du son se font alors en « coup de glotte », avec une très forte augmentation de la pression sous-glottique en début de phonation (Papon 2006 [265]). Auditivement, la voix des

« forceurs » donne l’impression de manque d’efficacité, plus soufflée, rauque ou criarde que la voix de personnes « saines » (Revis 2004 [283]). Les patients témoignent d’ailleurs souvent d’une sensation de serrage laryngé ou d’oppression respiratoire lors de la phonation. Ce serrage s’accompagne d’une atténuation de l’énergie du fondamental par rapport aux harmoniques aiguës correspondant à un changement de pente spectrale (Klatt et al. 1990 [183] ; Holmberg et al. 1995 [154] ; Gauffin et al. 1989 [109] ; Childers et al. 1991 [50] ; Sluijter 1996 [319]).

Lienard et al. 1999 [215] et Rostolland 1982 [289] ont de la même manière montré une forte corrélation entre l’augmentation de l’effort vocal et l’augmentation de F0 et F1, tandis que F2 et F3 n’évoluent pas significativement. Ces résultats formantiques concordent avec l’augmentation de l’ouverture de la bouche observée en situation d’effort vocal par Schulman 1989 [304]. Traunmüller 1981 [355] a confirmé que cette augmentation de F0 et F1 était suffisante d’un point de vue perceptif pour percevoir l’effort dans une voix.

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