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A –La création de la Bibliothèque de Philosophie Scientifique

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Au tournant du siècle, la Librairie Flammarion s’intégrait parfaitement au paysage éditorial parisien et français. Fruit de l’association, le 24 juin 1875, d’Ernest Flammarion et du libraire parisien Charles Marpon, elle possédait à cette époque un catalogue d’ouvrages important et varié, qui couvrait aussi bien le domaine romanesque que celui de la vulgarisation scientifi- que. Ce dernier secteur était d’ailleurs florissant puisque, depuis déjà deux décennies, Camille Flammarion, astronome autodidacte et vulgarisateur prolifique, réservait l’exclusivité de ses ouvrages à son frère Ernest. La maison y gagnait : de 1880 à 1914, la Librairie ne publia pas moins de 31 ouvrages de Camille Flammarion, soit un total de plus de 700000 volumes.107

Fort du succès de son Astronomie populaire (1879), Camille dirigea une collection de vulgarisa- tion scientifique, la Bibliothèque Scientifique Populaire (qui changea rapidement de nom pour devenir la Bibliothèque Camille Flammarion) ; son objectif était « d’exposer sous une forme accessible à tous l’ensemble des connaissances humaines ». Rédigés dans un style démodé par des auteurs étrangers au monde universitaire, les livres de cette collection ne se vendirent pas mieux que ceux des collections de vulgarisation concurrentes et ne rencontrèrent pas le succès escompté.

Vers 1900, confronté à l’essoufflement de la Bibliothèque Camille Flammarion, Ernest Flam- marion envisage de donner une nouvelle impulsion à l’édition d’ouvrages scientifiques. Ce secteur éditorial se trouvait alors partagé entre l’édition savante et l’édition de vulgarisation scientifique. La première était entre les mains de maisons très spécialisées, qui trouvaient leur clientèle au sein de la communauté universitaire en pleine expansion (par exemple Firmin- Didot, J. G. Baillière, Gauthier-Villars, Carré & Naud etc…).108 La seconde était entre les mains

des grands éditeurs (Hachette, Larousse, Flammarion ou Delagrave). La concurrence était donc rude et Flammarion avait d’autant plus de mal à se positionner qu’il ne couvrait pas le secteur très rentable du livre scolaire (surtout depuis les réformes de Jules Ferry).

Cependant, les universités scientifiques prenaient leur essor. Les réformes de 1893 et 1896 favorisant le développement des institutions de recherche universitaire, une nouvelle catégo-

106 Cette partie met amplement à profit les informations contenues dans la thèse d’Élisabeth Parinet, La Librairie Flammarion

1875 – 1914 [Parinet 1989].

107 Voir [Parinet 1989], page 170. Parinet remarque d’ailleurs à propos de la collaboration des deux frères, page 171 : « Ernest

Flammarion a donc largement ouvert sa maison à son frère et il en est récompensé car l’astronome est un auteur rentable. Ce succès autorise Ernest à rémunérer son frère de façon généreuse : 80 centimes par exemplaire vendu 3 F 50. Ces conditions sont assez exceptionnelles et généralement consenties pour les réimpressions au-dessus de 50000 exemplaires ». Pour plus d’informations sur la personnalité de Camille Flammarion, on se reportera au livre de Ph. De la Cotardière et P. Fuentes, Camille Flammarion [De la Cotardière / Fuentes 1994].

108 Seules deux maisons d’édition échappent à cette spécialisation : la Librairie Masson a un catalogue qui va de la philosophie

aux sciences économiques ; la Librairie Alcan, quant à elle, dispose d’un catalogue étendu couvrant l’histoire, la philosophie, la médecine et même le secteur scolaire.

rie de lecteurs était en train de naître. Cette évolution devait avoir plusieurs conséquences pour le monde de l’édition : d’une part le développement du marché des publications scienti- fiques (qui profite directement aux éditeurs spécialisés) ; d’autre part, l’élargissement d’un public cultivé, « désireux d’étendre à d’autres domaines que celui de sa spécialité, sa réflexion scientifique ».109 Le succès de L’avenir de la science de Renan à la fin du siècle prouve d’ailleurs,

s’il en est besoin, que les livres mêlant philosophie et science suscitaient un intérêt certain.110

Afin de toucher ce public en pleine expansion, Ernest Flammarion fonda en 1902 la Bibliothè- que de Philosophie Scientifique et la plaça sous la direction de Gustave Le Bon un auteur qu’il connaissait de longue date et qui entretenait des relations importantes avec la communauté universitaire parisienne, deux atouts essentiels.111

B –

Gustave Le Bon et la Bibliothèque de Philosophie Scientifique

Les informations sur les circonstances exactes de la fondation de la Bibliothèque manquent. Gustave Le Bon avait publié plusieurs de ses ouvrages chez Alcan, au sein de la Bibliothèque de Philosophie Contemporaine, collection prestigieuse qui avait grandement contribué à mo- deler le paysage de l’édition philosophique française au tournant du siècle. Le Bon en était cependant arrivé à penser qu’une telle collection avait des limites trop étroites et s’adressait uniquement à un public disposant d’une solide culture philosophique ; d’où l’idée de fonder une nouvelle collection orientée vers un public plus large, idée qu’il proposa d’abord à la maison Alcan.112 La Librairie Alcan refusa cette proposition – qui était manifestement en

contradiction avec sa politique éditoriale (orientée comme on l’a vu vers la production haut de gamme) – et Le Bon s’adressa finalement à Ernest Flammarion.

L’objectif affiché n’était pas de fonder une collection de vulgarisation scientifique comparable à la Bibliothèque Scientifique Internationale de la Librairie Alcan (qui existait depuis 1879), mais de proposer à la population cultivée, aux « gens du monde », un point de vue général sur les sciences qui ne serve pas seulement à accumuler des connaissances précises sur un do- maine spécialisé, mais qui leur permette également de construire leur propre philosophie du monde. Cette volonté était clairement mise en exergue dans la publicité destinée à promouvoir la collection :

Les faits scientifiques se multiplient tellement qu’il devient impossible d’en connaître l’ensemble. Les savants sont confinés dans des spécialités très circonscrites […]. Pour se te- nir au courant des connaissances scientifiques, philosophiques et sociales actuelles, il faut s’attacher surtout à connaître les principes qui sont l’âme de ces connaissances et consti- tuent en même temps leur meilleur résumé. C’est dans le but de présenter clairement la synthèse philosophique des diverses sciences, l’évolution des principes qui la dirigent, les problèmes généraux qu’elle soulève, que la Bibliothèque de Philosophie Scientifique a été fondée. S’adressant à tous les hommes instruits, elle est destinée à prendre place dans tou- tes les bibliothèques.113

Dans cette publicité, le terme de vulgarisation n’apparaît à aucun moment ; il est cependant présent en filigrane dans tout l’argumentaire. Il s’agit en effet de résumer les principes de base des différents domaines de connaissance (donc d’énoncer des faits, d’exposer le contenu des

109 [Parinet 1989], page 180.

110 Sur l’histoire de l’édition scientifique en France on pourra consulter l’article de B. Lecoq, « L’édition et la science », in Lecoq,

B. (Dir.), Histoire de l’édition française, volume 3 [Lecoq 1985]. On se référera également à [Tesnières 1985] publié dans le même livre, ainsi qu’à [Tesnières 1996].

111 Gustave Le Bon entretenait des relations avec la Librairie Flammarion depuis 1887, Camille Flammarion lui ayant commandé

un volume pour sa Bibliothèque Scientifique Populaire, Les premières civilisations. Camille Flammarion et Le Bon partageaient par ailleurs le même intérêt pour le spiritisme.

112 « Le Bon, à la différence des universitaires, vivait de sa plume et souhaitait ne pas se limiter aux profits symboliques offerts

par la collection alcanienne ; il souhaitait donc prendre la direction d’une collection destinée au grand public. Le fait que celle-ci fût publiée chez Alcan lui aurait permis de combiner le haut rendement symbolique attaché à ce nom avec l’assurance d’un marché relativement vaste ». [Fabiani 1988], pages 109-110.

disciplines abordées), de manière à construire une synthèse philosophique accessible à tous les hommes instruits et susceptible de trouver sa place dans toutes les bibliothèques.114

L’ambiguïté de cette formulation était certainement voulue par Le Bon ; elle permettait d’abord de donner une allure respectable à son projet en le plaçant sous la tutelle de la philo- sophie, une discipline honorable vieille de plusieurs siècles ; elle présentait également l’avantage de pouvoir rencontrer un écho favorable auprès d’un public très large : le public philosophique, d’une part (celui de la Bibliothèque de Philosophie Contemporaine par exem- ple) ; le public scientifique, d’autre part, désireux de sortir de sa spécialité et de s’ouvrir à d’autres domaines de connaissance ; le public habituellement demandeur d’ouvrages de vul- garisation scientifique, enfin, qui pouvait espérer satisfaire en toute bonne conscience sa légi- time curiosité scientifique (sans transiger avec ses prétentions à l’élévation spirituelle et philo- sophique). Présentée de cette manière, la nouvelle collection était susceptible de trouver un écho favorable auprès d’un maximum de personnes ; et ce fut effectivement le cas puisque la Bibliothèque de Philosophie Scientifique remporta un succès sans précédent. Selon Parinet, l’essentiel du catalogue de la collection (environ 250 titres) était constitué d’ouvrages de com- mande dans lesquels les auteurs reprenaient sous une forme différente le contenu d’ouvrages antérieurs dans une logique de vulgarisation.115

L’embauche de Le Bon au titre de directeur de la Bibliothèque de Philosophie Scientifique ne fit l’objet d’aucun contrat. Un paragraphe fut simplement ajouté au contrat signé pour la pu- blication de son ouvrage Psychologie de l’éducation, un paragraphe stipulant que ce volume était appelé à devenir le premier d’une collection qui paraîtrait sous le titre de Bibliothèque de Philosophie Scientifique.

Dans une lettre envoyée à Ernest Flammarion vers avril 1902, Le Bon définit les objectifs de la collection d’une manière très précise. La collection devait être à la portée de tous, elle devait être constituée d’ouvrages de consommation courante : le prix fixé était par conséquent relati- vement abordable (3,50 Francs) pour un volume in-18° de 300 pages maximum. Afin d’assurer une unité à la collection et lui donner sa ‘marque de fabrique’, on adopta le principe d’une couverture brochée rouge brique. Le Bon prévoyait de publier quatre volumes par an, pendant trois ans, chacun d’entre eux étant tiré initialement à 1500 exemplaires, un tirage tout juste équivalent à ceux pratiqués dans l’édition spécialisée.116 La prudence semblait de mise au

début.117 Le Bon proposait une rémunération de 500 Francs pour l’auteur, de 250 Francs pour

le directeur de collection et de 150 Francs pour le secrétaire de publication. Ses prétentions étaient élevées, et il en était parfaitement conscient ; il écrivait ainsi à Flammarion :

Si vous désirez répartir autrement ces chiffres, je m’en rapporte absolument à vous. Le seul point sur lequel je serai rigide, c’est qu’aucun volume ne puisse être publié dans cette col- lection sans mon assentiment. C’est d’ailleurs dans votre intérêt car vous êtes si aimable que par bonté, vous accepteriez des choses de qualité secondaire.118

114 En 1908, Le Bon devait d’ailleurs préciser quel était l’objet de la Bibliothèque de Philosophie Scientifique au moment de sa

création. Dans un article sur Poincaré, publié au moment de son élection à l’Académie Française, Le Bon écrivait ainsi que son projet avait été de se démarquer de la vulgarisation élémentaire pour construire une vulgarisation de haut niveau qui ‘flirte’ à la fois avec le discours philosophique et le discours scientifique : « Un tel succès, sans précédent pour des ouvrages d’une aussi grande porté a des causes évidemment diverses. L’intérêt croissant du public pour les questions scientifiques élevées ne suffit pas à l’expliquer entièrement. On peut le considérer cependant comme l’indice d’une transformation profonde dans les exigences actuelles des lecteurs. Les anciens ouvrages de vulgarisation élémentaire ne se vendent plus. Les synthèses scientifiques supérieu- res ne peuvent être écrites que par des savants ayant longuement étudié les faits d’où dérivent ces synthèses. Les généralisations n’ayant pas des documents précis pour bases sont justement considérées comme étant sans valeur. Ainsi que le disait Fustel de Coulanges, il faut donner dix ans à l’analyse avant de consacrer une heure à la synthèse ». [Le Bon 1908e], page 13.

115 Ce n’est pourtant pas le cas de tous les ouvrages. Bien qu’ils contiennent parfois tous les traits distinctifs d’un discours de

vulgarisation scientifique, les ouvrages de Poincaré publiés dans cette collection présupposent des connaissances très techniques et la clarté du style y est souvent très trompeuse. Pour une analyse de ce problème, cf. [Rollet 1996]. Nous reviendrons sur cet important problème, qui pose la question de la distinction entre vulgarisation scientifique et philosophie des sciences, dans le chapitre suivant.

116 Poincaré publie par exemple, en 1891, chez Gauthier-Villars, le premier tome des Méthodes nouvelles de la Mécanique céleste

avec un tirage de 1800 exemplaires.

117 Voir [Parinet 1989], page 185.

Effectivement, Ernest Flammarion obligea Le Bon à réviser à la baisse ses prétentions.119 Ce-

pendant, sur le fond, ce dernier obtint finalement ce qu’il souhaitait : une liberté totale pour le recrutement des auteurs de la collection. Sur ce point, il savait que Flammarion, étranger à la communauté académique et universitaire parisienne, ne pouvait faire autrement.

En 1902, Le Bon avait déjà plus de soixante ans et sa réputation n’était plus à faire. Ce médecin de formation, né en 1841 à Nogent-le-Rotrou, qui avait dirigé en 1871 une des divisions des ambulances militaires volantes de Paris, était l’auteur d’un certain nombre de traités médi- caux : Physiologie de la génération de l’homme et des principaux êtres vivants (1868), Traité pratique des maladies des organes génito-urinaires (1869), Traité de physiologie humaine (1873), etc. Grand voyageur, il avait conduit en 1884 une mission d’exploration archéologique en Inde et au Né- pal, mission qui lui avait fourni la matière de plusieurs ouvrages à succès, Les civilisations de l’Inde (1887), Les premières civilisations (1889) ou Les monuments de l’Inde (1893). Auteur, en 1895 chez Alcan, du célèbre ouvrage La psychologie des foules (un grand succès éditorial), il avait été l’un des premiers collaborateurs de la Revue philosophique de Théodule Ribot.120

Preuve de la diversité de ces centres d’intérêt, Le Bon mena un certain nombre de recherches scientifiques dans son laboratoire privé à partir de 1896. Dans les années 1897-1898, il s’intéresse aux infrarouges : il communique ainsi les résultats de ses expériences à Poincaré, qui semble leur prêter un certain intérêt (deux lettres de Gustave Le Bon à Poincaré, ainsi qu’une réponse du mathématicien, sont présentes aux Archives Henri Poincaré à Nancy). D’une manière générale, cependant, il semble que ses recherches furent mal accueillies par la communauté scientifique de l’époque. Le fonds des manuscrits de la Bibliothèque Nationale conserve une correspondance entre Gustave Le Bon et Einstein échangée durant les mois de juin et juillet 1922 (Don 87-18). Cette correspondance – une lettre Le Bon à Einstein et quatre lettres de Einstein à Le Bon – concerne la priorité de la découverte de l’équivalence entre la masse et l’énergie (le fameux m = E / c2), Le Bon ayant revendiqué, en 1905 dans son livre

L’évolution de la matière, la formulation de ce résultat (tout en avouant d’ailleurs ne pas l’avoir démontré).

Il était l’un des rares intellectuels français à vivre exclusivement de sa plume, ce qui le margi- nalisait quelque peu vis-à-vis de la communauté académique et universitaire.121 Cependant,

son réseau de connaissances était des plus fournis et il se faisait un devoir de l’entretenir cons- tamment, notamment en organisant repas et banquets. Ainsi tenait-il, tous les derniers ven- dredi du mois, son célèbre « dîner des XX », où l’on rencontrait régulièrement des membres du gouvernement, le prince Roland Bonaparte, le prince d’Orléans, Raymond ou Henri Poinca- ré.122 Dans le même esprit, il réunissait également chaque semaine une quinzaine d’invités

autour d’un déjeuner : Aristide Briand, le Général Mangin, le compositeur Camille Saint- Saëns, la princesse Marie Bonaparte ou Gabriel Hanotaux faisaient partie des habitués.123 Ces

119 Le 5 avril 1902, Flammarion proposera à Le Bon un tout autre arrangement : les droits d’auteur ne seront pas diminués, mais

les droits du directeur de collection et du secrétaire de publication seront réduits tous deux à 125 Francs. Le Bon donnera son accord tout en tentant de faire en sorte que le rythme de publication passe à six volumes par an. Finalement, il ne sortira pas perdant de cet arrangement : en effet, en 1903, suite à la démission du secrétaire de publication, Le Bon se verra contraint d’occuper cette nouvelle fonction en plus de l’ancienne… et de toucher les honoraires correspondants à la charge : sa rémunéra- tion passera ainsi à 250 Francs.

120 Le nombre de livres publiés par Gustave Le Bon (et la diversité de leurs thèmes) est plus qu’impressionnant. Nous nous

contenterons dans ce travail de donner une bibliographie sommaire à partir du catalogue de la Bibliothèque Nationale de France (bibliographie qui ne prétend aucunement à l’exhaustivité puisqu’elle ne tient pas compte des articles publiés dans divers pério- diques). Pour plus de détails sur la personnalité particulière de Le Bon et sur son œuvre, on consultera l’excellent livre de Robert A. Nye, The Origins of Crowd Psychology, Gustave Le Bon and the Crisis of Mass Democracy in the Third Republic [Nye R. 1975].

121 Christophe Prochasson remarque ainsi dans son livre Les années électriques : « Le Bon […] ne put néanmoins accéder à la

reconnaissance académique. Les portes de l’Université et de l’Académie restèrent closes à ce polygraphe dont les recherches le conduisaient de la physique à l’anthropologie et de la biologie à la psychologie. Esprit original, Le Bon élaborait des synthèses percutantes, en phase avec son temps, mais en marge des systèmes intellectuels admis ». [Prochasson 1991], page 67.

122 Le Bon fonde le dîner des XX en 1892, conjointement avec son ami Théodule Ribot. Robert Nye écrit : « He [Le Bon] had

formed a monthly banquet association with Théodule Ribot in 1892 which attracted some eminent figures, including Raymond and Henri Poincaré, Gabriel Hanotaux and Roland Bonaparte ». Cf. [Nye R. 1975], page 84.

123 « Il attirait les esprits curieux. Nombreux furent les hommes d’État, les écrivains ou les scientifiques à venir rendre visite à cet

repas n’étaient pas organisés sans arrière-pensées : il s’agissait de rencontrer des gens impor- tants, de se faire connaître d’eux et de tirer avantage des relations ainsi établies.124

En tant que directeur de collection, Le Bon disposait – nous l’avons vu – d’une liberté d’action importante : la responsabilité du recrutement des auteurs lui incombait à lui seul (son contrat de 1907 stipulait ainsi qu’« aucune œuvre ne peut paraître [dans la collection] sans son assen- timent ») ; par ailleurs, c’est lui qui se chargeait du suivi de la rédaction des ouvrages et des détails de leur publication125 ; enfin, il mettait à profit son réseau de relations pour assurer la

promotion de la collection, si besoin est auprès des plus hautes instances de l’État. Ainsi, dans une lettre inédite à Ernest Flammarion il écrivait par exemple : « Je déjeune demain avec le Président à l’Élysée. Envoyez-moi dès aujourd’hui, s.v.p., notre première série complète pour que je la lui remette ».126

Le Bon se fit donc fort de ne recruter que des auteurs de tout premier plan, au moins au début, afin d’assurer crédibilité et respectabilité à la collection ; il décrivit même ses intentions à Er- nest Flammarion en des termes empreints d’un certain cynisme : « Plus tard je baisserai la qualité mais pour les premiers volumes, je ne peux prendre que des ouvrages de toute pre- mière marque ce qui est, je pense, aussi votre avis ».127 De fait, il s’assura la collaboration d’un

grand nombre de scientifiques reconnus, mettant ainsi à contribution la Sorbonne, l’Institut et le Collège de France. En 1914, sur les 85 auteurs présents dans le catalogue de la Bibliothèque de Philosophie Scientifique, 15 seulement ne possédaient aucun titre académique ou universi- taire.128

Le Bon avait d’autant plus intérêt à assurer le succès de la collection que sa rémunération en dépendait fortement : Flammarion acceptait en effet de verser 50 centimes par volume. Ces 50 centimes se répartissaient de la manière suivante : 33 centimes par volume pour l’auteur et 17 centimes pour le directeur de collection (soit 4,8 % du prix de vente). Au-delà de 5000 exem- plaires, la rémunération de l’auteur passait à 35 centimes ; au-delà de 1500 exemplaires, la rémunération du directeur passait, quant à elle, à 22 centimes. Les conditions consenties par Flammarion correspondaient à celles pratiquées dans la profession à cette époque. Cependant, en renégociant son contrat en 1907, Le Bon obtint des conditions nettement plus avantageuses