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Le veston et le pantalon

Tu avoues toi-même C. Q. F. D., en [prononçant ou énonçant ?] une seule phrase où l’influence du veston et celle du pantalon se font sentir à la fois ; on jugerait aussi faux en jugeant le tout (l’Univers) par la partie qu’en s’en faisant une idée tout à fait abstraite. Au commencement le veston ouvre les yeux sur les inconvénients d’une induction trop hâtive ; mais à la fin l’influence du pan- talon reprend le dessus.

Lettre de Poincaré à sa sœur Aline, 1876.

Dans un article de 1879 intitulé « The Boutroux Circle and Poincaré’s Conventionalism », Ma- ry Jo Nye tentait de rattacher l’émergence du conventionnalisme de Poincaré à l’influence exercée par un petit groupe d’intellectuels, dont la figure de proue était le philosophe Émile Boutroux. Elle y montrait que la philosophie poincaréienne trouve sa source, non seulement dans une tradition de travaux mathématiques, mais également dans certaines conceptions philosophiques qui circulaient dans l’entourage direct du beau-frère de Poincaré dans les années 1870-1880. Nye affirmait ainsi dans cet article :

Yet, one may ask, how did this conventionalist philosophy of science arise from those mid- nineteenth-century years of little distinction in French philosophy and science ?

In exploring Poincaré’s intellectual growth and maturation, one discovers his position in a group of scientific and educational leaders linked not only by filiation of ideas, but also by ties of family and friendship. At the center of this group was Émile Boutroux (1845-1921), the Sorbonne philosopher who married Poincaré’s bright and capable younger sister Aline.1

Selon Mary Jo Nye, le ‘Cercle de Boutroux’ comprenait principalement le mathématicien Jules Tannery (1848-1910), son frère Paul Tannery (1843-1904), administrateur des manufactures de tabac et historien des sciences, ainsi que l’astronome et futur directeur de l’Observatoire de Paris, Benjamin Baillaud (1848-1934). Ces personnages, qui avaient tous à peu près le même âge, s’étaient rencontrés lors de leurs études à l’École Normale Supérieure (sauf pour Paul Tannery qui, comme Poincaré, était polytechnicien) ; ils avaient ainsi tissé de profonds liens d’amitié, une amitié qui s’appuyait en partie sur des affinités intellectuelles et philosophiques puisqu’ils avaient tous suivi les cours de philosophie et de psychologie de Jules Lachelier, représentant de l’école spiritualiste. En épousant la sœur de Poincaré, Boutroux devait faire

1 [Nye 1979], pages 107-108. Cette parenté familiale et intellectuelle entre l’un des mathématiciens les plus réputés de la troi-

sième République et le philosophe français le plus en vue de la fin du XIXème siècle avait déjà été signalée à plusieurs reprises

mais sans jamais faire l’objet d’une étude approfondie. Le plus souvent les commentateurs de Poincaré abordèrent la question des relations Poincaré-Boutroux en un paragraphe. Voici ce qu’écrivait par exemple Benrubi en 1933 dans son ouvrage Les sources et les courants de la philosophie contemporaine en France : « L’historien ne saurait négliger par exemple les relations personnelles et intimes de M. Émile Boutroux et d’Henri Poincaré, d’abord collègues à l’Université de Nancy [sic ! Benrubi confond ici Poincaré avec son père, professeur à la Faculté de Médecine de Nancy], puis unis par des liens étroits de parenté, et il y pressent un échange d’influences, une longue et continuelle action et réaction réciproque ; de même l’influence du mathématicien Jules Tannery ne fut pas négligeable à cet égard. Par-là s’explique que les problèmes posés par la critique philosophique correspondent à une crise intérieure de la science même, et le reflètent en somme assez exactement ». [Benrubi 1933], page 202. Dans un autre style, en 1911, C. Coignet considérait cette parenté comme le signe évident d’une réconciliation de la religion et de la science. Voir à ce sujet son livre De Kant à Bergson : réconciliation de la religion et de la science dans un spiritualisme nouveau. [Coignet 1911], chapitre II.

entrer le jeune mathématicien (de neuf ans son cadet) au sein de son cercle amical et exercer ainsi une influence déterminante sur le développement de sa pensée philosophique :

In the tradition of Jules Tannery, Poincaré criticised classical mechanical treatises for their failure to distinguish clearly between what is experiment, what is mathematical reasoning, what is convention and what is hypothesis. Like Paul Tannery he marked “… the ephem- eral nature of scientific theories … abandoned one after others … ruins piled upon ruins…”, but recognised a rational enchaînement in their history. Like Boutroux, Poincaré argued that experimental laws are only approximate, and if some appear exact to us, it is because we have transformed them artificially into principles.2

Le terme de cercle contenu dans le titre de l’article de Nye pourrait prêter à confusion. S’il y eut effectivement un cercle autour du personnage de Boutroux, ce ne fut certainement pas au sens institutionnel du terme : il ne s’agissait pas d’un club d’intellectuels fondé d’une manière officielle et publiant régulièrement manifestes et comptes-rendus ; il ne s’agissait pas non plus d’une école de pensée visant à former des disciples. Le terme de ‘cercle’ renvoit plutôt ici à un groupe informel d’intellectuels réunis pour des motifs à la fois scientifiques (travaux mathéma- tiques portant sur un même sujet commun, responsabilités scientifiques et académiques com- mune, pour Poincaré et Jules Tannery), philosophiques (conceptions similaires concernant l’étendue et la valeur de la connaissance scientifique), amicaux (l’amitié des trois normaliens, Boutroux, Tannery et Baillaud) ou familiaux (la parenté Boutroux-Poincaré ou la parenté de Jules Tannery avec Baillaud).3

L’article de Nye ne visait manifestement pas d’autre objectif que celui d’ouvrir quelques pistes de recherche inédites sur les origines du conventionnalisme de Poincaré. En évoquant de ma- nière très rapide des rapprochements et des parallélismes frappants entre les conceptions des membres du cercle et celles de Poincaré, Nye n’aspirait probablement qu’à signaler un aspect peu connu et généralement négligé de la philosophie poincaréienne. Le présent chapitre se propose d’approfondir cette recherche et d’étendre certaines de ses conclusions. Notre but sera de rétablir un certain équilibre entre les sources mathématiques ou scientifiques de la pensée poincaréienne et ses sources philosophiques. En opérant ce retour aux origines, nous tenterons d’expliquer la présence diffuse en son sein d’éléments idéalistes et spiritualistes et nous dres- serons le portrait d’un mathématicien beaucoup plus intéressé qu’il n’y paraît par les débats philosophiques traditionnels.

Bien que l’article de Nye inspire largement nos recherches, nous lui adresserons trois critiques mineures. D’une part, il n’expose pas suffisamment, à notre sens, les conceptions philosophi- ques des différents membres du cercle de Boutroux, ce qui rend parfois difficile la compréhen- sion de certains parallèles avec les idées poincaréiennes. Par ailleurs, il demeure beaucoup trop centré sur les personnages de Boutroux, de Jules Tannery et de son frère Paul et ne dé- voile pas grand chose des relations de ceux-ci avec Poincaré (circonstances de leurs rencontres, nature de leurs rapports, etc…), probablement faute de documents, comme nous allons le voir. Enfin, certains des rapprochements qu’il établit ne présentent pas toujours des garanties d’absolue certitude : il en est ainsi des relations de Poincaré avec Baillaud qui, dans l’état de nos recherches, semblent avoir été relativement minces.4

Ces trois critiques nous serviront de guide et détermineront l’orientation générale de ce chapi- tre. Cependant, avant d’entrer dans le vif du sujet il peut s’avérer utile de faire un commen- taire sur l’état de la correspondance du mathématicien nancéien conservée aux Archives Poin- caré. Si on trouve effectivement mention de Boutroux ou de Jules Tannery dans certaines let- tres des années 1876-1878, il n’existe pas, en revanche, la moindre trace d’une correspondance régulière et suivie entre les trois personnages. La correspondance de Poincaré ne contient pas de lettres de Jules et de Paul Tannery ; elle ne contient que deux lettres (très formelles et pu-

2 [Nye 1979], pages 118-119.

3 Jules Tannery devait en effet épouser la sœur de Baillaud, Esther.

4 Nye a parfaitement conscience de ce problème pour Baillaud puisqu’elle avoue dans son article que ses thèses à ce sujet ne

sont pas très assurées (voir [Nye 1979], page 108). Sur Baillaud on pourra consulter l’ouvrage collectif [Borel / Deltheil / Eslan- gon 1937]. Nous verrons par ailleurs que ce problème peut également se poser pour les relations entre Poincaré et Paul Tannery.

rement administratives) de Benjamin Baillaud et une seule lettre de Boutroux concernant la candidature du mathématicien à l’Académie Française (tous deux étaient candidats cette an- née-là, mais seul Poincaré devait finalement être élu). Cette absence de documents directs attestant l’existence de relations entre ces différents personnages se trouve d’ailleurs confir- mée par les recherches que nous avons pu mener dans divers fonds d’archives (Archives Na- tionales et Bibliothèque Nationale, en particulier). Face à une telle situation, on pourrait être tenté de douter de la réalité même de leurs relations, et cela d’autant plus que Poincaré n’avoua jamais aucune dette intellectuelle ou philosophique envers Boutroux, et ne fit jamais explicitement référence à ses travaux (son nom n’apparaîtra par exemple que très rarement sous la plume de Poincaré). Fort heureusement, les preuves indirectes de ces relations ne manquent pas : outre la mise en circulation d’idées philosophiques communes (scepticisme quant à la valeur de la science, accent mis sur la notion d’intuition, etc.), outre la mise en place d’un jeu complexe de références bibliographiques (un rapport de Poincaré sur Jules Tannery, un article de Jules Tannery sur Poincaré, deux articles de Boutroux sur Poincaré et Jules Tan- nery), divers comptes-rendus d’événements philosophiques ou scientifiques permettent de prouver l’existence de contacts réguliers entre ces personnages : la création du Répertoire Bibliographique des Sciences Mathématiques, la célébration du tricentenaire de la naissance de Descartes en 1896, le Congrès International de Philosophie de 1900, etc., constituent des moments importants où ils se trouvèrent réunis.

De plus, l’absence de correspondance directe est largement compensée par les récits que fait Poincaré de ses rencontres avec Boutroux et Jules Tannery dans la correspondance qu’il envoie à sa mère et à sa sœur dans les années 1876-1878. Ce vaste ensemble de lettres (des centaines pour une période allant de 1873 à 1879) constitue une source documentaire essentielle. En raison de son aspect fragmentaire elle n’a cependant jamais fait l’objet d’études détaillées. Elle mérite pourtant qu’on s’y arrête car, pour peu que l’on sache déchiffrer certains passages co- dés, il est possible d’y découvrir de précieuses informations sur le développement de la pen- sée philosophique de Poincaré. Et ces informations confirment largement les thèses de Mary Jo Nye. À travers certains passages de ces lettres, il est en effet possible de déceler les traces évi- dentes d’une influence de plus en plus grande de Boutroux et de son entourage sur Poincaré : outre la rencontre de deux hommes vers 1876, il est possible d’assister à certaines de leurs pérégrinations dans la société parisienne, de déterminer approximativement la date de la rencontre entre Poincaré et Jules Tannery, et même de voir Poincaré s’inspirer de certaines idées philosophiques de son futur beau-frère.

Plusieurs problèmes se posent face à cette correspondance : d’une part, l’absence de dates confère une dimension hautement conditionnelle à toute tentative de classement chronologi- que des documents ; il est par ailleurs souvent difficile de s’orienter face à une cohorte de personnages peu connus et d’événements familiaux ayant définitivement sombré dans l’oubli ; enfin, il s’avère parfois très difficile de découvrir la clé de certains passages codés (plaisanteries, références à des épisodes familiaux ou mondains, etc.). Pour toutes ces raisons, il ne peut être question, face à ces lettres, que de reconstitutions partielles et d’extrapolations incomplètes. Cependant, pour peu que l’on aime les jeux de mots ou les bouts rimés et que l’on connaisse certains noms de code, l’histoire des relations entre Poincaré et Boutroux peut trouver un éclairage particulier. Et, aussi étrange que cela puisse paraître, ces noms de code sont… Veston et Pantalon.



Rédigées le plus souvent à la hâte, sans fioritures (aucune date ni signature) et d’une écriture malhabile, ces lettres permettent de voir apparaître quelques-uns des personnages de ce cercle et de découvrir les multiples facettes d’une personnalité beaucoup moins sérieuse qu’il n’y paraît.

Parmi ces facettes on trouve, entre autres, les figures suivantes : l’étudiant brillant et ambitieux, major de promotion à Polytechnique, qui tente de défendre son rang contre son concurrent (Bonnefoy, un personnage récurrent dans la correspondance de Poincaré) et qui se lamente

lorsqu’il n’obtient qu’un 18/20 en colle ; le potache, qui raconte les coups d’éclats et les frondes de ses camarades de promotion ; le jeune homme du monde qui entre peu à peu dans les cercles de sociabilité parisiens, qui apprécie le whist à quatre5 et le cotillon, qui s’intéresse au théâtre,

à la musique ainsi qu’aux questions de politique intérieure ; l’observateur critique de ce même monde parisien, qui n’hésite pas à se moquer de la bêtise de certains membres de son entou- rage6 et qui donne des notes (très sévères) aux acteurs des spectacles auxquels il assiste ; enfin,

l’humoriste, amateur de charades et de rébus, qui rédige ses lettres en anglais en allemand ou en alexandrins, qui raconte sa vie sous forme de petites pièces de théâtre et qui agrémente le tout de réflexions (parfois très misogynes) sur la psychologie féminine ou sur la graphologie. Loin des clichés hagiographiques, qui font souvent de Poincaré une sorte de machine intellec- tuelle, cette correspondance privée dévoile un personnage très humain, doté d’un sens de l’humour raffiné, attentif à son entourage, pouvant à la fois faire preuve du plus grand sérieux et d’un sens communicatif du délire et de l’absurde (comme dans cette gazette, le Bergener Dagbladet, dans laquelle il racontera à sa famille ses tribulations en Suède et en Norvège).7

Le 20 août 1876, Boutroux est nommé professeur de philosophie à la Faculté des lettres de Nancy. Cette ville constitue la dernière étape d’un parcours obligé en province pour ce jeune philosophe prometteur que Paris appelle de ses vœux (sa thèse de doctorat sur la contingence des lois naturelles avait fait grande impression sur la communauté philosophique parisienne et faisait de lui une étoile montante dans sa discipline). C’est durant cette année 1876-1877 que Boutroux se lie d’amitié avec la famille Poincaré (le père de Henri est professeur à la Faculté de médecine) et qu’il rencontre Aline, sa future épouse. Au même moment, Henri poursuit de brillantes études à l’École des Mines de Paris et, bien qu’il soit en correspondance régulière avec sa famille, il ne connaît pas encore son futur beau-frère. Il apprendra pourtant assez vite son existence puisque, au détour d’une lettre adressée à sa sœur, il posera cette question di- recte : « What is M. Bontron ? ». Voyons ce qu’écrit Bellivier, dans sa biographie de Poincaré, à propos de cet épisode :

Elle [Aline] continuait à écrire à son frère qui venait les voir souvent : elle lui cachait son trouble et son cœur. […] Pour la première fois dans la correspondance, on lit : ‘What is M. Bontron ?’ Henri ne met pas l’x, ignorant l’exacte orthographe du nom. Mais il écrit volon- tairement deux fois n pour u : il veut se moquer de sa sœur qui écrit ses lettres de la même manière.8

Cet épisode eut probablement lieu vers la fin de l’année 1876 ; il est cependant très difficile d’inscrire un vaste ensemble de fragments épars dans une chronologie précise. Toujours est-il, en revanche, qu’après cette première interrogation, le nom de Boutroux apparaîtra de façon répétée sous la plume de Poincaré.

Les deux hommes se lient rapidement d’amitié et ils ont l’occasion de se côtoyer régulièrement à Paris à partir de septembre 1877, car à cette date Boutroux revient à Paris pour occuper une

5 Il y joue le mercredi. Voir [Document ACERHP microfilm 3], un poème intitulé « Le whist à quatre » datant probablement de

1877 :

« Autour du tapis vert on voyait mercredi Quatre joueurs de whist ; on s’était réuni Chez Madame Olléris, ainsi qu’à l’ordinaire

L’un d’eux, vous savez qui, véritable cratère Passe en quelques instants de la joie au chagrin

Du carreau, quel malheur ; perdu, j’en suis certain […] ».

6 Voir, par exemple, cette lettre, datant probablement de 1877 [Document ACERHP microfilm 3] : « Le soir nous avons été chez

Me Guichard où nous avons vu une dame dont les connaissances littéraires sont très profondes (gr dédain pour tout ce qui n’est

pas classiq) et les connaissances scientif. nulles. À propos du téléph. elle a dit : on dit qu’il y a le même nombre de vibrations aux deux extrémités de la ligne ; mais il y a pourtant des mots qui ont le même nombre de syllabes et qui sont tout à fait différents ».

7 Il est intéressant de noter que cette correspondance familiale de Poincaré ne présente pas une uniformité de ton : les lettres

envoyées durant la période de scolarité à l’École Polytechnique ne présentent guère de développements fantaisistes : Poincaré les adresse principalement à sa mère, elles sont la plupart du temps purement informatives et elles ne dévoilent guère que la figure d’un étudiant brillant. En revanche, après 1875, il adoptera une plus grande liberté de ton, comme s’il se sentait libéré d’un carcan, et c’est surtout à partir de cette période que l’on peut découvrir d’autres facettes de sa personnalité.

maîtrise de conférences à l’École Normale Supérieure (en remplacement de Fouillée).9 Les

deux personnages s’apprécient mutuellement et, pour sa mère et sa sœur, Poincaré aime à faire le récit de leurs rencontres régulières. Ainsi mentionne-t-il, au détour d’une lettre, une visite chez Boutroux qui se termine par une entrevue avec Ravaisson, le chef de l’école spiri- tualiste française (qui avait dirigé la thèse de Boutroux) :

Hier j’ai été chez M Boutroux je l’ai trouvé en Cie d’un M. qui v passer sa thèse en philoso-

phie et q j. très bien du piano. Ensuite n av. été ens. chez M. Ravaisson où nous sommes res- tés plus d’une heure.10

Dans une autre lettre, écrite vers la même époque (fin 1877-début 1878), Poincaré mentionne une visite chez Boutroux en compagnie de son cousin Raymond.11 Enfin, une troisième lettre

fait état d’une visite de Poincaré au sein de la famille Boutroux ; ce récit se poursuit d’ailleurs par une anecdote amusante concernant une rencontre ratée entre Poincaré et Louis Pasteur :

Mardi soir j’ai été chez M. Boutroux qui va un peu mieux puisqu’il a fait son cours mardi. J’ai vu lui, son frère et sa mère. Il paraît que Pasteur quand je suis sorti du labo, a demandé qui j’étais et quand il l’a su il a dit vous auriez du me le dire je lui aurais fait une mercul [mercuriale] pour être entré à l’x.12

Certaines lettres de cette époque traitent de graphologie. Boutroux, Poincaré et sa sœur for- ment désormais un trio d’amis et il semble qu’un de leurs jeux favoris consiste à pratiquer des analyses graphologiques sur des échantillons d’écriture anonyme pour en deviner les auteurs. À ce jeu Boutroux semble exceller puisqu’il parvient le plus souvent à identifier les scripteurs de différents billets qu’on lui soumet, au grand étonnement de Poincaré qui ne croit à cette discipline que « jusqu’à une certaine limite ». Ce scepticisme ne l’empêche pas, cependant, de pratiquer lui-même quelques analyses sur l’écriture de sa sœur, analyses peu sérieuses qui le conduisent à déceler l’existence d’une influence occulte sur elle :

Si au contraire la plume s’est bientôt lassée des entraves qu’on lui imposait et imitant la mienne s’est livrée à des ascensions et à des descentes par trop libres, ce sera bientôt plutôt