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Cette revue des divers aspects fonctionnels et structurels des protéines membranaires nous amène à une question fondamentale : existe-t-il une différence entre un canal et un

transporteur ou une pompe? Est-ce que leurs différences foncionnelles nécessitent une différence dans les caractéristiques structurelles?

Les transporteurs, les pompes et canaux possèdent tous des sites sélectifs pour des espèces ioniques. Ces sites, tel que nous l’avons vu plus haut à la section 1.1.3, sont formés d’atomes de même nature et se ressemblent énormément, qu’ils fassent partie d’un canal, d’un transporteur ou d’une pompe. Une seule différence d’un point de vue structurel est notable : leur position par rapport au milieu aqueux (Gouaux et Mackinnon, 2005). En effet, dans le canal KcsA, le filtre de sélectivité est très rapproché du milieu aqueux de part et d’autre de la membrane lorsque le canal est ouvert tandis que chez les transporteurs ou les pompes (transporteur de leucine et SERCA), ils sont enfouis dans la membrane, quelques fois sans accès détectable à l’eau d’un côté ou de l’autre de la membrane plasmique. Ils sont par ailleurs partiellement enfouis dans le cas de l’échangeur H+/Cl- (EcClC). Cet accès limité des sites de liaison des ions au milieu aqueux est probablement déterminant quant à l’amplitude du flux d’ions qui a lieu dans ces protéines (Miller, 2006). De plus, la nature et le nombre des sites de liaison aux ions et aux substrats dans les transporteurs et les pompes déterminent la stoichiométrie de transport et l’affinité des ions/substrats pour leur site. Par exemple, il n’est pas surprenant que l’affinité apparente du transporteur de leucine pour son substrat dépende de celle du Na+ puisque le Na+ fait partie du site de liaison pour la leucine.

Par ailleurs, la structure d’EcClC avait d’abord été publiée en tant que canal Cl-. Pourquoi n’a-t-on pas vu en cette structure celle d’un transporteur plutôt que celle d’un canal? Après la publication de la structure du canal Cl- (EcClC) en 2002 (Dutzler et al., 2002), le canal ClC-ec1 a été purifié et des mesures d’électrophysiologie ont été faites en bicouche lipidique (Accardi et Miller, 2004). Ce canal transportait bel et bien des ions Cl- mais le potentiel d’inversion mesuré suggérait que ClC-ec1 transporte un contre-ion qui s’est révélé être un H+. Une étude de mutagenèse sur cet échangeur a démontré l’importance toute particulière des acides aminés E148 et E203 (Accardi et Miller, 2004). En effet, la mutation E148A transforme l’échangeur Cl-/H+ en vrai canal Cl-. De plus, le mutant E203Q semble n’avoir perdu que partiellement sa dépendance en pH (Accardi et al., 2005) tandis que le mutant E148A/E203Q la perd complètement. Ces mesures expérimentales ont permis de suggérer que le chemin de perméation soit différent pour les

ions Cl- et les H+ dans l’échangeur (Accardi et al., 2005) et révélé la différence structurelle entre les canaux Cl- et les échangeurs H+/Cl-. La famille des ClC contient de vrais canaux Cl- (ClC-0, ClC-1, ClC-2), qui possèdent tous une valine en position 203. En position 203, un résidu glutamate est retrouvé dans tous les autres membres de la famille, qui seraient donc plutôt des échangeurs Cl-/H+ (ClC-ec1) avec une stœchiométrie de 2 Cl- : 1 H+. Il a été proposé que le glutamate en position 148 soit responsable du «gating» des canaux Cl- (Miller, 2006).

Cela nous amène à la seconde différence notable qui distingue les structures des canaux et les transporteurs : la présence de portes qui empêchent le passage des ions. De façon simplifiée, nous pourrions dire que les canaux pourraient ne posséder qu’une porte et les transporteurs ou les pompes doivent en posséder au moins deux, une du côté intracellulaire et l’autre du côté extracellulaire (Gadsby, 2004). Parler de la présence de deux portes distinctes est une autre façon de parler du modèle alternatif où les sites sont accessibles du côté intracelluaire ou extracellulaire mais pas des deux côtés à la fois. Cela nécessite donc une suite de changements de conformation à chaque cycle de transport. La nécessité d’un modèle alternatif chez les transporteurs provient de l’observation classique des effets des substrats trans. Si un site était simultanément accessible des deux côté de la membrane, la présence d’un substrat trans ne pourrait que générer un effet compétitif sur le flux de substrat marqué provenant du côté cis. Or, il est bien connu que les substrats trans peuvent en fait stimuler le transport des substrats cis (voir Semenza et al., 1984). De plus, la présence de deux portes chez les pompes et les transporteurs est primordiale pour que le transport contre un gradient électrochimique puisse se produire de façon efficace. En effet, si un site de liaison était accessible des deux côtés de la membrane à la fois, le flux de cet ion ou substrat s’effectuerait dans le sens de son gradient de potentiel électrochimique. Chez les canaux ioniques, ce n’est pas si simple puisque quoi qu’il soit admis que l’hélice S6 agisse en quelque sorte comme une porte empêchant ou permettant le passage des ions (Doyle et al., 1998; Jiang et al., 2002a; Jiang et al., 2003a), le filtre de sélectivité peut lui- même agir comme une sorte de porte (Blunck et al., 2006; Cordero-Morales et al., 2006a; Cordero-Morales et al., 2006b). Cet aspect du «gating» des canaux ioniques fait encore objet de débats. L’écartement de l’hélice S6 vers l’extérieur du canal ouvre un chemin de perméation et donc, le passage des ions. Dans un canal, lorsque la porte est ouverte, les ions

peuvent passer sans que tout autre changement de conformation ne se soit nécessaire comme c’est le cas chez les transporteurs, dans lesquels les portes doivent s’ouvrir et se fermer à chaque cycle de transport (à chaque «turnover»). Cela se traduit par une plus grande énergie d’activation chez ceux-ci que chez les canaux (Ea ~25 kCal/mol pour SGLT1 (Hazama et al., 1997) vs. ~2-7 kCal/mol pour les canaux (Tseeb et al., 1991; Berneche et Roux, 2001; Hille, 2001)). Cette caractéristique structurelle aura elle aussi certainement un effet sur une caractéristique fonctionnelle, la rapidité du flux ionique. Il est à noter que le flux a longtemps été considéré comme une caractéristique spécifique permettant de distinguer les canaux des transporteurs, les canaux laissent passer des millions d’ions par seconde tandis que les transporteurs ont des flux beaucoup moins importants (100 à 10000 molécules par seconde). Ce seul critère pose vraisemblablement un problème pour différencier les structures d’un canal dont le flux d’ions est faible, comme le mutant E166A de ClC-0 (10 000 000 ions/sec) (Dutzler et al., 2003), d’un transporteur ayant un flux d’ions élevé, mutant E148A de ClC-ec1 (100 000 ions/sec) (Accardi et al., 2004; Accardi et Miller, 2004).

Il est maintenant clair que la différence entre un canal et un transporteur est plus subtile qu’il n’y paraissait il y a 10 ou 20 ans. Leurs sites de liaison aux ions ont des caractéristiques communes mais leur accessibilité au solvant diffère. Les canaux peuvent ne posséder qu’une porte pour contrôler le flux ionique tandis que les transporteurs doivent en posséder deux, pour gérer l’accès aux sites de liaison des ions/substrats. Nous constaterons probablement qu’il existe un quasi-continuum entre ces deux catégories de protéines membranaires. La famille des ClC, canaux C- et échangeurs H+/Cl-, est un bel exemple de ce continuum puisque la mutation d’un seul acide aminé suffit à transformer un échangeur en canal ionique.

Cette brève revue des données structurales publiées depuis 1998 sur les différents types de protéines membranaires permet de cerner l’influence des connaissances aquises sur d’autres protéines membranaires sur les travaux entrepris dans le cadre de cette thèse de doctorat et de les aborder dans un contexte plus large qui est la compréhension des mécanismes de fonctionnement des protéines membranaires. Avant de présenter nos travaux, nous allons nous inspirer des concepts qui y ont été traités afin de nous créer une

image moléculaire de la structure de SGLT1. Mais d’abord, entrons dans le vif de notre sujet, le cotransporteur Na+/glucose SGLT1.

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