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3.4 Modélisation thermodynamique de la morphologie des sites créés par laser

3.4.1 Calcul de la profondeur

Sur la base des travaux de Robin et al. [114], nous avons exploité nos résultats des modélisations thermiques pour évaluer la quantité de matière évaporée. Ce modèle est basé sur la thermodynamique et la théorie cinétique des gaz.

Ce type d’étude a déja été effectué par Robin et al. [114] qui ont appliqué ce modèle pour calculer la profondeur d’un cratère, formé suite à l’irradiation par un laser CO2. Comme pour des précédentes études [116], ce modèle considère uniquement l’éjection de matière. Dans le cas de la silice, plusieurs réactions chimiques sont impliquées dans l’éjection de matière [117]. Les mesures de vapeur de pression saturante les plus récentes de la silice [118] dans la gamme de température allant de 1700 K à 2000 K suivent la relation :

avec Psat la pression de vapeur saturante, ∆Hv et ∆Sv respectivement l’enthalpie et l’entropie d’éjection à la pression atmosphérique P0 = 1 bar et R la constante des gaz parfaits. Si l’on pose U = ∆Hv, l’équation 3.9 devient :

Tb = ∆H∆Svv est la température d’évaporation Tb à la pression P0.

De plus, on considère que le flux de masse évaporée m (par unité de temps et de surface) vaut [119] :

dm dtdS = 1

4ρsatc (3.11)

avec ρsat = M PRTsat la densité de vapeur saturante, M étant la masse volumique. On a égalementc=q8RTπM.

Or, la masse évaporée vaut dm = dzdSρliquide avec dz l’épaisseur évaporée et ρliq la densité de la phase liquide.

Ainsi, la profondeur du cratère formé, c’est-à-dire l’épaisseur de matière éjectée, en un point de coordonnées (x0, y0) de la surface du matériau, à partir de la température de

Les valeurs utilisées apparaissent dans le tableau3.2.

Table 3.2 – Propriétés de la silice utilisées dans l’équation 3.12 [117, 120, 121]

Symbole Paramètre Valeur Unité

P0 Pression 105 Pa

ρliq Densité de la phase

liquide 2201 kg/m3

M Masse molaire 40(10−3) kg/mol

R Constante des gaz

Cette approche a été comparée à des résultats expérimentaux, mettant en jeu une large gamme de puissances laser. Le protocole expérimental utilisé est quasiment le même que celui décrit précédemment dans la partie 3.3.1 (taille du faisceau de 700 µm ± 10%

à 1/e2 et durée d’irradiation de 1 s). Pour cette expérience, nous avons utilisé le laser CO2 délivrant une puissance maximale de 120 W. Dans un premier temps, nous utilisons des puissances laser allant de 3,05 W à 7,3 W. Ces conditions d’irradiation permettent d’obtenir des cratères de morphologies différentes (figure 3.10).

P = 3,3W P = 3,55W P = 4,3W

Figure 3.10 – Observations au microscope des cratères formés dans la silice. Les tracés (a), (b) et (c) sont les profils des cratères obtenus pour les puissances 3,3 W (rouge), 4,3 W (bleu) et 5,3 W (noir). Les échelles verticales utilisées ne sont pas les mêmes.

Les observations au microscope et les mesures en profilométrie optique permettent de distinguer trois comportements :

— Pour P = 3,3 W (figure 3.10, cadre et tracé rouges), les modifications de surface s’expliquent par des mécanismes de tension de surface, d’écoulement visqueux et de densification [122] sans observer d’éjection de matière.

— Pour P = 4,3 W (figure 3.10, cadre et tracé bleus), la morphologie du cratère indique qu’un processus d’éjection de matière est également présent.

— Cette éjection est clairement mise en évidence à partir de P = 5,3 W (figure 3.10, cadre et tracé noirs)

La profondeur des cratères expérimentaux a été comparée avec les résultats obtenus par le calcul thermodynamique (figure3.11) en appliquant l’équation3.12. Un bon accord a été trouvé pour des puissances laser donnant des profondeurs de cratère variant entre 0,1 et 10 µm. En dessous du seuil d’éjection de la matière (P = 3,5 W), l’écart entre la simulation et l’expérience s’explique par le fait que le modèle ne prend pas en compte les effets décrits précédemment (densification, tension de surface, écoulement visqueux).

Pour des puissances supérieures (P > 4,3 W), des différences sont également observées.

En effet, quand la valeur de la température maximale atteinte sur le matériau dépasse le point de ramollissement (≈ 1850 K), de fortes éjections de la silice ont lieu. L’émission de vapeurs de silice modifie le chauffage par laser et l’émission thermique infrarouge (cet effet a également été observé lors des mesures de température au centre de l’échantillon sur la figure3.4). Ainsi, d’autres mécanismes devraient être incorporés dans notre calcul,

tels que cette émission de gaz, la modification de surface lors de la formation du cratère et les effets d’écrantage, d’interaction laser/plume d’évaporation et l’effet de la pression de vapeur.

Figure 3.11 – Profondeur des cratères en fonction de la puissance du laser. Les points rouges sont les mesures expérimentales et le tracé en pointillé noir correspond aux simu-lations dans le cas où l’on utilise l’équation3.12

La limitation de ce modèle thermodynamique est qu’il prend en compte uniquement l’historique de température à la surface de l’échantillon. Pour le faire évoluer, une hy-pothèse simple est de considérer que si la profondeur obtenue par le calcul de 3.12 à la surface de la silice est supérieure à la taille de la maille (où le calcul est effectué), cette dernière est éjectée. On effectue alors le calcul à partir de la maille située dessous. Par cette approximation, il est possible d’évaluer l’évaporation de matière en utilisant l’his-torique de la température calculée le matériau. Ainsi, pour chaque pas de temps t, la profondeur du cratère à un point de la surface, de coordonnées (x0, y0), prend en compte l’historique de température et est calculée par :

z(x0, y0, t) =Z t

Figure 3.12 – Description des indices utilisés dans le calcul.

La comparaison de cette méthode améliorée avec l’expérience est présentée sur la figure3.13(trait en pointillé rouge) : nous observons que pour des profondeurs de cratère inférieures à environ 10 µm, les résultats sont identiques. Cependant, une amélioration notable est ensuite obtenue par rapport à la précédente approche (trait en pointillé noir).

Cette figure présente également les résultats obtenus pour des paramètres d’irradiation différents afin d’observer la robustesse du modèle. Nous avons diminué la durée d’irra-diation du laser (250, 100 et 50 ms pour 3.13) et augmenté la puissance afin d’obtenir des cratères dont la profondeur reste du même ordre de grandeur. Les résultats obtenus numériquement sont cohérents avec l’expérience et ont le même comportement que ceux obtenus pour une durée de tir de 1 s. Cependant, pour des puissances faibles, la densifi-cation du matériau n’étant pas prise en compte, les résultats divergent. Si l’on augmente la puissance, les résultats des simulations sont en bon accord avec les valeurs mesurées.

4 6 8 10 12 14 16 18 20

0.01 0.1 1 10 100

Expériences 1 s Simulations Eq. (3.11) Simulations Eq. (3.12) Expériences 250 ms Simulations Expériences 100 ms Simulations Expériences 50 ms Simulations

Profondeur m)

Puissance (W)

Figure 3.13 – Profondeur des cratères en fonction de la puissance du laser pour diffé-rentes durées d’irradiation : 1 s, 250 ms, 100 ms et 50 ms. Chaque tracé en pointillé noir correspond aux simulations et les points rouges aux mesures expérimentales. L’échelle ho-rizontale étant en représentation logarithmique par souci de visibilité. Les deux résultats des simulations à 1 s sont représentés.

Expérimentalement, la puissance maximale disponible par le laser CO2est de 120 W. Il est donc possible d’appliquer cette démarche pour des tirs laser de quelques microsecondes (10, 5 et 1 ms) en augmentant la puissance. Pour ce type d’irradiation (figure 3.14), à forte puissance et courte durée, on remarque que pour la première partie de chaque courbe (en dessous de quelques microns de profondeur de cratère), les résultats numériques sont semblables à l’expérience. En effet, pour cette gamme de paramètres d’irradiations, la phy-sique rencontrée est représentative des phénomènes simulés par les hypothèses initiales du modèle thermodynamique (eq. 3.12). L’autre partie des résultats (profondeur supérieure à quelques microns) présente des résultats supérieurs aux expériences, en conservant une tendance globale correcte. Ici, l’hypothèse initiale d’écratange, considérée dans l’équation 3.13, ne semble plus être totalement représentative des phénomènes expérimentaux. A forte puissance et courte durée, on peut supposer expérimentalement que l’éjection de gaz est plus importante dans la zone ablatée et qu’une partie du faisceau laser est ab-sorbée par le plasma formé, réduisant la conduction thermique. Une étude paramétrique permettant d’étudier l’influence de la température d’évaporationTb et la chaleur latente d’évaporation ∆H sur ces résultats pourrait potentiellement ajuster notre modèle pour des fortes puissances aux courtes durées.

0 20 40 60 80 100

0.1 1 10 100

Expérience 10 ms Simulations Expérience 5 ms Simulations Expérience 1 ms Simulations

Profondeur (µm)

Puissance (W)

Figure 3.14 – Profondeur des cratères en fonction de la puissance du laser pour diffé-rentes durées d’irradiation : 10 ms, 5 ms et 1 ms. Chaque tracé en pointillé noir correspond aux simulations et les points rouges aux mesures expérimentales.