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III.1.1. Approches théoriques sur l’analyse des réseaux

scientifiques

Le travail en réseau est une forme d’organisation des activités scientifiques et

technologiques. Cette forme de travail n’est pas nouvelle, depuis longtemps des

réseaux de collaboration scientifique existent surtout dans le cadre de la recherche

internationale (Vinck, 2007). Dans la sociologie des sciences et des techniques, il

existe une ample littérature sur les réseaux scientifiques. Grossetti (2007) distingue

deux conceptions qui utilisent le mot réseau et il fait la proposition d’établir un cadre

qui comprenne les deux conceptions. La première de ces conceptions est connue

comme « analyse de réseaux sociaux » (ARS), approche qui se centre sur « les

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relations entre les acteurs et les réseaux qui constituent l’agrégation de ces relations

en associant des apports qui proviennent de l’anthropologie, de la psychologie

sociale et de la sociologie interactionniste » (Grossetti, 2007). Dans la sociologie des

sciences, Mullins (1972) a été le premier à effectuer l’ARS dans une étude sur

l’émergence de la biologie moléculaire. Selon cette approche, plusieurs études des

sciences analysent les réseaux scientifiques à partir de données sur les

co-signatures d’articles scientifiques (Courtial, 1994 ; Callon et al., 1993). Les citations

et co-citations des documents scientifiques constituent aussi une base pour des

études sur la structure des domaines scientifiques et les relations de ceux-ci avec

d’autres domaines, une représentation graphique des champs scientifiques peut

alors s’effectuer par le biais de l’ARS (Miguel et al., 2007 ; Porter et Youtie, 2009).

La seconde conception signalée par Grossetti est la théorie de l’acteur-réseau

(ANT, par ses sigles en anglais). Cette théorie émerge avec les travaux de Latour

(1989) et Callon (1986), ces auteurs proposent de considérer les « non-humains » en

tant qu’acteurs dans la construction de faits scientifiques. Callon (1989) fait une

différence entre les éléments que nous trouvons dans un laboratoire ; il précise qu’il

y a des éléments humains et non humains. Il dit que les travaux des sociologues et

des anthropologues nous ont montré « l’extrême diversité et hétérogénéité des

éléments qui s’y trouvent mobilisés par les scientifiques dans l’accomplissement de

leurs tâches ». Ses éléments sont, d’un coté, les chercheurs, les techniciens et les

gestionnaires qui forment la force de travail du laboratoire, qui se caractérise par les

savoir-faire et les compétences qu’elle incorpore. De l’autre coté, il y a l’infrastructure

du laboratoire, laquelle se compose des instruments (microscopes, ordinateurs,

manips, …) qui servent aux chercheurs à effectuer leurs expériences. Les

documents que le chercheur utilise, soit pour faire connaître son travail ou pour

connaître celui de ses collègues, font aussi partie des éléments qui se mobilisent

dans le laboratoire. En dernière place, Callon situe les crédits obtenus par les

laboratoires auprès des partenaires de projets de recherche (administrations,

industriels, fondations, …) comme l’élément le plus nécessaire : « grâce aux crédits

dont il dispose, le laboratoire peut recruter, acheter de nouveaux équipements et

obtenir les documents qu’il estime essentiels à son activité ».

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Un laboratoire (ou un réseau) peut donc avoir pour origine une demande

précise de production de connaissances formelles (techniques) et/ou de biens

matériels (économiques) ; pour y répondre des réseaux sociotechniques se créent et

se mobilisent (Callon, 1989). Cette dernière notion du réseau est assez ample en

considérant tous les artefacts qui ont une action dans la production scientifique.

Actuellement, les deux approches constituent des outils théoriques

intéressants pour l’étude des sciences et des techniques et également pour

l’évaluation de celles-ci. Dans notre analyse nous mobilisons les deux conceptions.

D’une part, nous avons déjà utilisé les outils de l’analyse de réseaux sociaux dans le

chapitre I pour caractériser et illustrer les réseaux scientifiques dans le domaine de la

technologie de Microsystèmes au Mexique, et également pour représenter la

multidisciplinarité de cette technologie. Dans la dernière partie de ce troisième

chapitre, nous allons à nouveau faire appel aux outils de l’analyse de réseaux

sociaux afin de représenter graphiquement les réseaux technico-économiques

caractérisés dans notre étude. La théorie de l’acteur-réseau sera, d’autre part,

mobilisée pour identifier tous les acteurs (humains et non-humains) présents dans le

développement des MEMS au Mexique, ainsi que pour analyser leurs fonctions dans

cette entreprise et essayer de comprendre les dynamiques de ces réseaux.

III.1.2. Le réseau de collaboration comme forme d’organisation et de

travail dans la recherche en MEMS

Avant de continuer, il est pertinent de réviser la notion du réseau de

collaboration. Vinck (2007) définie le réseau de collaboration scientifique comme

des « rassemblements circonstanciels de laboratoires et de chercheurs autour d’un

thème, d’un problème ou d’un projet ». Une autre notion très proche de cette

dernière est celle de « collectif scientifique » de Callon (2003), qui dit que « le

collectif scientifique met en relation un ensemble de personnes (...) qui interagissent

fréquemment les unes avec les autres. Elles partagent des problèmes à résoudre,

mettent en commun leurs savoirs et leurs compétences et organisent des

coopérations ouvertes ».

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Le réseau de collaboration constitue donc une forme d’organiser le travail

scientifique. Dans la technologie de MEMS plusieurs domaines interviennent pour

résoudre des problèmes techniques dans le développement des dispositifs (cf.

Chapitre I) ainsi les premières initiatives de la FUMEC ont déterminé le réseau de

collaboration comme forme d’organisation des activités de la recherche. Nous

verrons plus bas que cette façon d’organiser la recherche existe principalement pour

répondre aux adversités des conditions du travail. Mais nous ne pouvons pas

négliger d’autres éléments qui interviennent également dans le choix de créer des

réseaux de collaboration ou d’établir des relations : visibilité internationale,

connaissances tacites, préférences scientifiques, etc.

D’autre part, une autre notion est celle du « réseau

technico-économique » proposée par Callon, Laredo et Rabeharisoa (1991). Ces auteurs

définissent le réseau technico-économique comme « un ensemble coordonné des

acteurs hétérogènes : laboratoires, centres de recherche technique, entreprises,

organismes financiers, usagers et pouvoirs publics qui participent collectivement à

l’élaboration et à la diffusion des innovations et qui, à travers de nombreuses

interactions, organisent les rapports entre la recherche sciento-technique et le

marché (…) un réseau ne se limite pas aux seuls acteurs (hétérogènes) qui le

constituent. Entre ceux-ci circule tout un ensemble d’intermédiaires qui donne un

contenu matériel aux liens qui les unissent ». Cette notion nous semble également

pertinente dans notre étude car elle nous permet de prendre en compte dans

l’analyse non seulement les acteurs sociaux et techniques, mais également les

acteurs économiques, tels que les financements et les produits commercialisés issus

des activités d’innovation.

III.2. Le travail en réseau face à l’insuffisance