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6. Structuration de la thèse

3.1 Introduction

3.2.1 Cadre théorique : Proximité géographique et effets indirects des

L’analyse des effets indirects des politiques territoriales d’innovation a connu très peu d’attention aussi bien sur le plan théorique qu’empirique. Très souvent, les chercheurs s’intéressent plus à l’impact de ces politiques sur les bénéficiaires directs ignorant ainsi les entreprises qui sont susceptibles de bénéficier indirectement des retombées des po-litiques territoriales d’innovation en raison de leurs interactions circonscrites dans un es-pace donné, avec les bénéficiaires directs. Dans une économie, les entreprises n’évo-luent pas en autarcie dans la mesure où elles entretiennent des relations plus ou moins étroites avec d’autres entreprises. Cela signifie donc que toute perturbation ou change-ment d’une entreprise a de fortes chances d’avoir des répercussions sur les entreprises avec lesquelles elle est liée. Dans ce contexte, la question de recherche qui se pose, est celle de savoir par quels canaux de transmission possibles les effets indirects de ces politiques sont susceptibles d’apparaitre et dans quelle mesure ces effets peuvent être réduits par la distance. Cette question est très importante dans la mesure où elle cherche à répondre à un des enjeux de ces politiques qui est de générer les retombées socio-économiques pour qu’elles puissent profiter au-delà des bénéficiaires directs pour atteindre les entreprises non-traitées locales.

L’analyse de la littérature théorique sur l’économie géographique et sur la géographie de l’innovation a permis d’identifier au moins trois voies par lesquelles les politiques terri-toriales d’innovation fondées sur les relations science-industrie sont susceptibles d’im-pacter les entreprises locales non-traitées. Il est possible d’observer les effets indirects via les flux de connaissance, via les transactions commerciales et via le marché du travail.

1. Effets indirects via les flux de connaissance

Les entreprises qui n’ont pas fourni d’efforts pour réaliser les activités de R&D, peuvent tout de même bénéficier gratuitement ou à moindre coût des flux de connaissance pro-venant des entreprises qui exécutent les activités de R&D. C’est par exemple le cas des brevets qui sont parfaitement publics car tout le monde peut accéder à un brevet, le lire,

le comprendre et s’appuyer sur ces connaissances pour innover (Garone et al.,2014).

).C’est aussi le cas des relations de coopération dont les contrats sont incomplets en

rai-son de la difficulté voire l’impossibilité de prédire les éventualités futures (Gallié,2004).

Dans ce contexte, on est forcé de penser que les entreprises non-aidées par une politique d’innovation pourraient malgré tout, bénéficier des flux de connaissances volontaires ou non provenant des entreprises aidées en raison des défaillances du marché telles que l’imparfaite appropriabilité des connaissances, l’incomplétude des contrats, etc. Toutefois, il convient de noter que les entreprises non-aidées ne peuvent bénéficier effectivement des retombées des politiques d’innovation que si elles possèdent une capacité d’ab-sorption suffisamment forte pour comprendre, exploiter et assimiler les connaissances

externes (Cohen et Levinthal,1989) et que si elles sont fréquemment en interaction

ac-tive avec les sources d’externalités (laboratoires publics, universités, etc.) pour capter les

retombées de leurs recherches (Cockburn et Henderson,1998;Zucker, Darby, et

Am-strong,1994).

Par ailleurs, les travaux en géographie de l’innovation ont mis en évidence la dimen-sion territoriale de ces flux de connaissance. Les effets d’agglomération seraient plus importants pour les activités de R&D et d’innovation que pour les activités de produc-tion. Ce fait stylisé repose sur l’argument selon lequel la transmission de connaissances est freinée par la distance géographique car elle suppose des relations interpersonnelles

intenses et des face-à-face répétés (Madiès et Prager, 2008).Ainsi, la proximité

géo-graphique jouerait donc un rôle important dans le transfert et l’acquisition des

connais-sances (Davenport, 2005). Cette proximité géographique est d’autant plus importante

lorsqu’il s’agit d’accéder aux connaissances tacites (Löfsten et Lindelöf,2001) ;ce qui a

pour conséquence de favoriser la concentration de l’innovation dans l’espace. Des tra-vaux de recherche réalisés en France ont montré que la diffusion des externalités de

connaissance s’atténue avec la distance. C’est le cas des travaux d’Autant-Bernard et

de R&D sont conduites à distance, plus les effets sur l’innovation locale s’atténuent. Par

ailleurs, d’autres travaux à l’instar de ceux deMassard et Riou(2003) laissent entendre

qu’il existerait un véritable "effet frontière" entre les départements. Plus précisément, les externalités de connaissance diminueraient sensiblement dès lors qu’on passe la fron-tière d’un département contiguïté d’ordre 1 pour s’annuler pour une contiguïté d’ordre 2. Dans le cadre des relations science-industrie, la proximité géographique entre la com-munauté scientifique et la comcom-munauté industrielle est encore plus importante en ce sens que la recherche publique a par nature un caractère fondamental et donc génère beaucoup d’informations tacites dont l’accès nécessite des contacts fréquents entre cher-cheurs publics et chercher-cheurs privés. C’est en cela que la proximité géographique est plus que nécessaire pour l’intégration des ressources académiques et des capacités locales (Asheim et Isaksen,2002).

En somme, les politiques territoriales d’innovation peuvent indirectement impacter les performances des entreprises non-directement aidées en raison de leur proximité géo-graphique avec les entreprises directement aidées à condition qu’elles disposent d’une forte capacité d’absorption et qu’elles multiplient les contacts avec les bénéficiaires di-rects.

2. Effets indirects via les liens clients-fournisseurs

Les effets indirects peuvent se produire à travers les relations commerciales que les bénéficiaires directs des politiques d’innovation entretiennent avec leurs clients et four-nisseurs. L’analyse de ces effets pourrait s’effectuer sous deux types de liens : le lien bénéficiaires directs - clients et le lien fournisseurs - bénéficiaires directs.

Au sein du premier lien, l’entreprise bénéficiaire directe peut produire les biens inter-médiaires ou les équipements innovants qui sont les intrants destinés à ses entreprises clientes. S’il apparait que le prix auquel sont vendus ces intrants innovants ne reflètent pas la totalité des changements en qualité incorporés par les biens innovants, alors il y

aura un déplacement des gains de productivité du producteur au client(Terleckyj,1974;

Goto et Suzuki,1989;Verspagen,1997;Crespi, Criscuolo, Haskel, et Slaughter,2008;

Nishimura et Okamuro, 2016). Griliches (1979) qualifie ce déplacement d’externalités pécuniaires en faisant la distinction entre les externalités de connaissance et les externa-lités pécuniaires. Pour cet auteur, les externaexterna-lités ne se limitent pas aux connaissances, elles incluent également les externalités pécuniaires. Les externalités pécuniaires se pro-duisent lorsque les avantages économiques sont transférés à travers des transactions commerciales, tandis que les externalités de connaissances se produisent lorsque les

connaissances sont transférées sans transaction de marché (Nishimura et Okamuro,

2016). Les externalités pécuniaires deviennent importantes lorsque la concurrence est

direc-tement aidées. Par conséquent, une entreprise peut bénéficier des effets indirects d’une politique d’innovation parce qu’elle est cliente d’une ou de plusieurs entreprises béné-ficiaires directes. Par ailleurs, en raisonnant inversement, on pourrait supposer que si l’entreprise aidée est dans une situation de monopole, alors cette dernière pourrait pra-tiquer des prix très élevés ; ce qui aura un effet néfaste sur les gains de productivité des clients.

Au sein du second lien, les politiques d’innovation sont susceptibles d’accroitre les acti-vités de R&D et d’innovation des bénéficiaires directs ; ce qui pourrait avoir pour consé-quence d’augmenter leur besoin en matière des biens intermédiaires ou d’équipements. On pourrait donc s’attendre à une augmentation de la commande des biens intermé-diaires des entreprises fournisseurs qui aura un impact sur leurs performances finan-cières en l’occurrence le chiffre d’affaires. Ainsi, on peut penser qu’au début de traite-ment des bénéficiaires directs, il est probable d’observer les effets indirects positifs sur les performances des bénéficiaires indirects si la majorité de ces bénéficiaires indirects sont des fournisseurs. Toutefois, il est possible que les politiques territoriales d’innova-tion exaspèrent l’agglomérad’innova-tion qui en fin de compte produit les effets néfastes. Certains

auteurs à l’instar deBarbesol et Briant(2008) ont étudié les effets néfastes d’une

agglo-mération. La forte concentration des activités économiques peut provoquer les surcoûts des facteurs de production. On peut ainsi assister à une forte hausse des prix des sa-laires, du terrain et du capital. On peut également observer les externalités négatives de la production telles que la pollution, la congestion des réseaux de transport qui sont susceptibles de réduire la productivité des entreprises et donc leurs performances. Les zones où l’activité économique est très concentrée, sont suivies d’une concurrence exa-cerbée.

Par ailleurs, les travaux en économie géographique ont mis évidence le fait que les ac-tivités du système économique (production, consommation, distribution, etc.) seraient polarisées et que cette concentration serait expliquée par les économies d’aggloméra-tion. Plus précisément, les entreprises auraient tendance à se regrouper spatialement à proximité des clients et des fournisseurs afin de bénéficier de faibles coûts de transport, d’un l’accès facile à une variété de biens intermédiaires et de profiter de la présence d’un

nombre plus important de consommateurs facilement accessibles (Barbesol et Briant,

2008). En considérant le modèle interactif du processus d’innovation, il y a fort à penser

que les clients et les fournisseurs jouent rôle important dans le processus d’innovation parce qu’ils possèdent une connaissance et une expérience pertinentes des processus,

des produits (Oerlemans, Meeus, et Boekema,2001) et peuvent par conséquent fournir

les informations et les connaissances sur les fonctions et la qualité des produits

néces-saires pour résoudre les problèmes (Lundvall,1992). Dans ce contexte, l’agglomération

facilite le rapprochement d’une part des entreprises et les clients potentiels et d’autre part

En conclusion, les politiques territoriales d’innovation peuvent générer les effets indi-rects positifs ou négatifs à travers les relations commerciales, selon le degré d’agglomé-ration, de la concurrence et le type du partenaire commercial.

3. Effets indirects via le marché du travail qualifié

Les politiques territoriales d’innovation ne génèrent pas toujours les effets indirects positifs. Elles sont susceptibles de créer des distorsions sur le marché du travail quali-fié en impactant négativement les variables d’emploi des entreprises locales qui ne sont pas aidées. En effet, la main d’œuvre qualifiée représente l’un des facteurs les plus im-portants dans le processus d’innovation. Plusieurs études ont d’ailleurs montré que les travailleurs qualifiés sont au cœur du processus d’innovation car ils réalisent les

activi-tés de R&D et maitrisent l’état de l’art de la technique (Guellec,1996; Mangematin et

Nesta, 1999) ; qu’ils sont les principaux agents de la capacité d’absorption en ce sens qu’ils jouent un rôle important dans l’acquisition et la transmission au sein de

l’entre-prise des connaissances externes (Cohen et Levinthal,1989;Tushman et Katz,1980)et

qu’ils sont les principaux acteurs dans les relations de coopération en R&D dans la me-sure où ils encouragent les relations de coopération avec d’autres personnes possédant des compétences similaires en dehors de l’entreprise, facilitant ainsi l’accès aux réseaux de connaissances externes, en particulier dans le cas de l’utilisation des connaissances

scientifiques (Rothwell et Dodgson,1991;Mangematin et Nesta,1999)1.

Toutefois, la main d’œuvre qualifiée est très coûteuse, ce qui représente un frein pour les entreprises, en l’occurrence les PMEs qui ont des faibles ressources financières. Par ailleurs, la main d’œuvre qualifiée est parfois difficilement accessible dans certains ter-ritoires. De ce fait, les politiques territoriales d’innovation visent à mettre en place des mesures incitatives afin d’aider les entreprises à attirer les meilleurs candidats sur un territoire donné, ce qui a pour conséquence directe l’augmentation du bassin de

l’em-ploi. Cependant, certaines études à l’instar deBarbesol et Briant(2008) soulignent que

dans un bassin d’emploi plus large, les travailleurs ont tendance à être plus spécialisés et donc plus productifs. En d’autres termes, les politiques territoriales d’innovation pro-voquent une hausse des salaires des travailleurs qualifiés, ce qui pourrait aboutir à une situation où les entreprises aidées embauchent plus de meilleurs salariés qualifiés (car elles sont aidées) au détriment des entreprises locales non-aidées qui auront de la peine à accéder à une main d’œuvre qualifiée qui était déjà chère avant la mise en place des

politiques. Dans une perspective dynamique,Garone et al.(2014) confirment ces

obser-vations en soulignant que les effets indirects sur l’emploi qualifié pourraient être négatifs à court terme chez les bénéficiaires indirects et au fil du temps ils pourraient s’estomper et devenir positifs à mesure que les externalités s’étendent sur les bénéficiaires indirects

et que les emplois supplémentaires commencent à se délocaliser à l’extérieur du sys-tème économique local. Ces auteurs mettent l’accent sur le timing et les périodes de gestation pour bien comprendre le sens de ces effets. Par ailleurs, les travaux en éco-nomie géographique et en géographie de l’innovation ont mis en évidence la dimension spatiale du marché du travail qualifié. Cela signifie que les entreprises auraient tendance à concentrer dans les territoires où il est facile de trouver une main d’œuvre. Dans le

cadre des relations science-industrie, certains auteurs à l’instar de Anselin, Varga, et

Acs(1997) soulignent qu’au-delà de son rôle de producteur de la recherche

fondamen-tale, l’université joue un autre rôle qui est la création du capital humain sous la forme

des travailleurs hautement qualifiés. D’autres travaux (Bartel et Lichtenberg, 1987;

Lu-cas, 1988, etc.)2 montrent que l’université joue un rôle important dans la création des

innovations technologiques et ce, à travers le développement du capital humain. Dans ce contexte, l’université constitue un attracteur important de localisation pour la R&D du

secteur privé et pour la production de haute technologie (Malecki,1991;Anselin et al.,

1997). De nombreux études empiriques ont montré que la présence des universités a

un effet significativement positif sur le lieu de la production de haute technologie, des nouvelles start-ups et des installations de recherche et développement (voir les travaux deMalecki,1986;Nelson,1986;Harding,1989; etc.). Cela implique donc que les effets indirects via le marché du travail qualifié possèdent une dimension territoriale.

3.2.2 Littérature empirique : Evaluation des effets indirects des dispositifs