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1.1 Cadre théorique et hypothèse Objectifs de l’expérience

Dans le document Des théories implicites de l'homme - RERO DOC (Page 117-122)

Rappelons que sur la base de leur travaux sur les risques d’une forme de pollution industrielle sur l’homme et l’animal (en l’occurrence, des chevreuils), Deconchy, Housiau et Pham Van (1992) proposent d’interpréter leurs résultats au travers de deux modèles: le «modèle humain» et le «modèle animal». Et ces modèles seraient l’expression d’un principe selon lequel: 1) si la repré- sentation de l’individu humain à naître est déduite de la représentation de l’espèce humaine à venir; 2) la représentation de l’espèce animale à venir est induite de la représentation de l’indi- vidu animal à naître (ou du cumul de ce que l’on sait des individus animaux à naître).

L’objectif de l’expérience 1 consiste à tester cette interprétation à deux niveaux. Premièrement, et sous l’impulsion même de Deconchy, Housiau et Pham Van1, nous proposons de tester la perti- nence des modèles «humain» et «animal» dans une situation non catastrophique. Les modèles «humain» et «animal» ont été observés dans des situations dangereuses; il s’agira ici de tester ces relations dans une situation que l’on dira plus «sereine». Ainsi, ces résultats porteront à soutenir - ou non - la généralisation de ces modèles proposée par les travaux sur les T.I.H..

Deuxièmement, l’interprétation des résultats obtenus dans les travaux sur les T.I.H au travers des modèles «humain» et «animal» met l’accent sur des comparaisons intersujets. En effet, ces modèles sont basés sur la comparaison d’évaluations menées par des sujets de conditions expéri- mentales différentes. Nous proposons, comme nous l’avons relevé dans notre problématique, de nous concentrer sur les évaluations menées par les mêmes sujets sur l’individu (humain ou ani- mal) et l’espèce (humaine ou animale). De ce fait, plutôt que d’observer les liens entre un indi- vidu et son espèce en terme de «déduction» et d’«induction», nous observerons si la

1. En effet, Deconchy, Housiau et Pham Van (1992) écrivaient déjà: «on s'est donc jusqu'ici situé dans des situations d'«occurrences catastrophiques» (insémination artificielle, manipulations génétiques, pollution…) et il faudra étu- dier l'interface individu/espèce dans les phases de «gestion sereine» de leurs représentations» (p.216).

représentation d’un individu ressemble (ou correspond) à la représentation de l’espèce à laquelle il appartient. Les données que nous récolterons dans l’expérience 1 devront donc nous permettre d’effectuer les analyses nécessaires à ces deux types d’interprétation: l’une en terme de «déduc- tion/induction», l’autre en terme de «ressemblance».

Comme nous nous référons dans cette expérience 1 au paradigme utilisé par les travaux sur les T.I.H., nous utiliserons les mêmes termes génériques d’«homme» et d’«animal» dans la descrip- tion de notre démarche et de nos résultats.

Le choix de l’événement dont il s’agit d’évaluer les conséquences

Notre choix s’est porté sur les conséquences que pourrait avoir le clonage reproductif sur l’homme et l’animal. Une telle pratique nous a paru appropriée pour deux raisons principale- ment.

La première raison est que le clonage reproductif, en nous obligeant à nous questionner sur la nature même de l’homme, devrait permettre de relever de manière particulièrement prononcée les deux modèles recherchés. Nous avons pensé que si les sujets se référaient à l’ontème de l’espèce humaine pour réfléchir aux risques d’une pollution industrielle sur l’homme et l’animal, il s’y référeraient très probablement aussi - si ce n’est plus - pour réfléchir aux effets du clonage reproductif sur l’homme et l’animal.

Dans les 24 heures qui ont suivi l’annonce de l’existence de la brebis Dolly (en février 1997), de nombreuses réactions se sont faites entendre : certains étaient opposés au développement du clo- nage reproductif, d’autres y étaient favorables, d’autres encore ne savaient pas qu’en penser. Mais ce n’est pas tant le nombre important de réactions qui nous intéresse ici que le fait que des gens d’horizons très divers se soient très vite exprimés en défaveur du développement du clonage reproductif sur les êtres humains. En se référant à la situation française, Fresco (1999) souligne effectivement que: « Tout se passe comme si un consensus avait dû être aussitôt manifesté en faveur de la protection de la diversité et de la dignité humaines. De manière souvent conjura- toire, les propos des uns et des autres réaffirmaient, face à une réalité qui paraissait encore inouïe, que le pire n’arriverait pas parce qu’il était déjà interdit, ou de nouveau inacceptable, ou de tout manière impossible. Les mêmes voix, parfois, disaient tout à la fois, qu’il n’y avait pas vraiment de raison de s’inquiéter et qu’il convenait de mettre, dès à présent, des garde-fous» (pp.174-175).

Cadre théorique et hypothèse

Rappelons brièvement la différence qui existe entre le clonage reproductif (ou reproductif d’organisme) et le clonage non-reproductif (ou clonage de cellules, ou reproductif de lignées cel- lulaires). Le clonage reproductif est une technique qui permet de créer un être humain géné- tiquement identique à un individu déjà né (adulte ou enfant). Associé à la technique de scission d’embryon, le clonage reproductif pourrait alors conduire à une multiplication d’enfants géné- tiquement identiques, non seulement identiques entre eux, mais aussi à l’individu cloné. C’est pourquoi: « La perspective de ce clonage humain reproductif soulève des questions inouïes, qui touchent de manière fondamentale aux conceptions que nous avons de la nature humaine dans toutes ses dimensions. Ce sujet doit être soigneusement distingué du clonage humain non-repro- ductif, où il ne s’agit pas de reproduire un individu, mais seulement des cellules génétiquement identiques, qui ne sont pas destinées à être implantées dans un utérus et qui n’aboutiront donc pas à la naissance d’un enfant » (Atlan et al., 1999, p.12). Le clonage reproductif d’un être humain correspondrait (ou correspond?2) donc à la production d’un embryon par transfert de noyau à partir d’une cellule – somatique ou embryonnaire - et à son développement jusqu’à la naissance d’un enfant. Si la cellule clonée est celle d’un embryon, le résultat serait une quasi- gémellité « provoquée » (non limitée à deux exemplaires). Si la cellule clonée est une cellule somatique, l’enfant qui résulterait de ce clonage serait une copie chromosomique de l’individu d’origine. Or qu’il s’agisse du clonage reproductif à partir d’une cellule somatique ou à partir d’une cellule embryonnaire: « Tous les comités d’éthique consultés ont été conduits à recomman- der l’interdiction absolue de cette pratique, sur le plan national et international, quitte à reconsi- dérer le problème dans quelques années » (Atlan et al., 1999, p.24).

Plusieurs raisons concourent à rendre cette pratique inacceptable (Atlan, 1999); nous en relève- rons quelques-unes. Premièrement, le clonage serait un crime du fait que le « cloné » ne serait pas unique génétiquement. Or l’unicité semble être fortement attachée à l’idée de dignité et de respect qui lui est dû en tant qu’être humain3. Deuxièmement, le clonage humain reproductif ris- querait de désorganiser tous les repères humains connus dans le domaine des filiations. Troisiè- mement, la pratique du clonage humain reproductif pourrait être assimilée à un crime contre l’humanité. Il le serait par analogie aux haras humains institués par les nazis dans le but de pro- duire des êtres humains conformes à leur idéologie. Quatrièmement - et il s’agit là de la raison principale qui nous a motivés à choisir cette pratique dans le cadre de cette expérience -: « la pro-

2. A ce jour, nous ne savons comment considérer l’annonce de la biologiste française Brigitte Boisselier, membre de la secte raëlienne, de la naissance d’un premier bébé cloné (selon ses dires, né le 26 décembre 2002).

3. Contrairement à Atlan, et cela même si nous savons que deux jumeaux ne sont effectivement jamais parfaitement identiques, nous pensons que cette «peur du semblable» reste valide.

duction d’une personne humaine par clonage reproductif serait l’effet d’une finalité – explicite et planifiée – extérieure à cette personne, autre que son épanouissement futur autonome et impré- dictible. De ce fait, accepter une telle fabrication revient à nier l’autonomie possible de la per- sonne, en l’aliénant dès son origine dans le projet instrumental qui définirait au sens propre et figuré, sa « carte d’identité » » (p.29). Les clones seraient produits avec une finalité extérieure à eux-mêmes: ils seraient l’expression de leurs génomes et en quelque sorte esclaves des autres humains qui les auraient fabriqués dans ce but. La question ontologique que pose le clonage reproductif a d’ailleurs été très explicitement soulevé dans le rapport annuel de 1997 du Conseil d’Etat français, cité par Delmas-Marty (1999): « La production en laboratoire d’êtres humains répondant à des caractéristiques physiques, voire mentales, définies sur commande constituerait une atteinte à la dignité et à la liberté de l’homme plus radicale encore que ne le fut l’esclavage. En effet, ce n’est pas seulement l’agir de l’homme qui serait irrémédiablement brisé, mais son être». L’idée sous-jacente est que le clonage, mais aussi toute intervention sur la lignée germi- nale, serait «l’expression biologique de la transformation du statut ontologique de la personne vers la chose » (p.71).

Il nous semble important de préciser toutefois que le trouble que suscite le clonage humain est probablement relatif à notre conception occidentale du sujet. Le clonage touche un point sensible de notre héritage philosophique en ce qu’il remet en cause l’unicité de la personne, et en ce qu’il remet aussi en cause la singularité de l’âme présente dans la spiritualité chrétienne. Il n’est pas impossible que le clonage n’ait pas un tel impact dans d’autres sociétés, comme par exemple les sociétés qui se réfèrent au bouddhisme, et selon lequel le «Je» ne correspond à aucune réalité.

La seconde raison est que le clonage reproductif présente l’avantage de pouvoir produire poten- tiellement non seulement des «conséquences fâcheuses», mais aussi des «conséquences bénéfiques» pour un individu à naître - qu’il soit humain ou animal - et pour l’espèce à venir à laquelle il appartient. Ainsi, plus qu’une observation des modèles «humain» et «animal» dans une situation fondamentalement catastrophique ou dans une situation fondamentalement non catastrophique, nous nous proposons d’observer si les modèles «humain» et «animal» apparais- sent selon qu’un même événement - ou une seule et même technique - est présenté(e) sous ses aspects positifs ou sous ses aspects négatifs. Les éventuelles différences observées entre les éva- luations des risques et les évaluations des bénéfices d’un seul et même événement ne pourraient alors pas être attribuées aux caractéristiques mêmes de l’événement en question, mais bien au fait d’avoir songé à une situation potentiellement dangereuse ou potentiellement bénéfique.

Cadre théorique et hypothèse

Relevons encore brièvement qu’en 1998, la Suisse offrait en outre un terrain particulièrement intéressant pour traiter de l’évaluation des effets du clonage reproductif puisque les citoyens suis- ses devaient à cette époque se prononcer sur une initiative populaire intitulée “Pour la protection du génie génétique”. Le thème était alors d’une grande actualité.

Ainsi, dans le but de: 1) tester la pertinence du «modèle humain» et du «modèle animal» dans une situation non catastrophique, et de; 2) proposer une interprétation des évaluations effectuées sur un individu à naître - humain ou animal - et son espèce à venir en nous concentrant sur ces évaluations à un niveau intrasujet, nous faisons l’hypothèse que:

Les sujets qui évaluent les conséquences - fâcheuses ou bénéfiques - du clonage reproductif sur un individu humain à naître et l’espèce humaine à venir, ou sur un individu animal et l’espèce animale à venir à laquelle il appartient, suivent respec- tivement la logique des modèles «humain» et «animal».

En outre, si une analyse intersujet indique que les effets sont plus importants pour l’espèce humaine à venir que pour l’individu humain à naître, mais plus importants pour l’individu animal à naître que pour l’espèce animale à venir, une analyse intrasujet indique que les effets sont aussi importants pour l’individu à naître que pour l’espèce à venir, tant pour l’endoespèce que pour l’exoespèce.

Remarque quant au choix du type d’animal

Les expériences de clonage reproductif sur les mammifères étant les plus médiatisées, nous avons fait le choix de questionner les sujets sur les conséquences probables du clonage reproduc- tif sur une catégorie particulière d’animaux, soit les mammifères.

On pourrait craindre que le terme de «mammifères» prête à confusion du fait que la catégorie «mammifères» contient les êtres humains. Il se pourrait alors que des sujets pensent aux êtres humains en remplissant le questionnaire portant sur les mammifères. Toutefois, dans une phase exploratoire de ce travail, nous avions demandé à 47 sujets d’associer sur une seule et même page 5 mots au terme «homme» et 5 mots au terme «animal». Seul 1 d’entre eux a associé un nom d’animal au terme «homme». Et - surtout- seuls 4 d’entre eux ont associé le mot «homme» au terme «animal»: le terme «animal» semble donc bien - à quelques exceptions près - faire réfé- rence à des animaux non humains. Nous supposons qu’il en est de même pour le terme «mammi- fères».

Il est alors plus correct de dire que nous répondrons dans cette expérience plus précisément - et plus «modestement» - à l’hypothèse selon laquelle:

Les sujets qui évaluent les conséquences - fâcheuses ou bénéfiques - du clonage reproductif sur un individu humain à naître et l’espèce humaine à venir, ou sur un individu animal (un mammifère) et l’espèce animale à venir à laquelle il appartient (les mammifères), suivent respectivement la logique des modèles «humain» et «ani- mal».

En outre, si une analyse intersujet indique que les effets sont plus importants pour l’espèce humaine à venir que pour l’individu humain à naître, mais plus importants pour l’individu animal à naître (un mammifère) que pour l’espèce animale à venir (les mammifères), une analyse intrasujet indique que les effets sont aussi importants pour l’individu à naître que pour l’espèce à venir, tant pour l’endoespèce que pour l’exoespèce (les mammifères).

1.2.

Méthode

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