• Aucun résultat trouvé

Après avoir défini le cadre théorique nécessaire à la compréhension générale de l’étude, il convient à présent de détailler le contexte de la formation, et plus spécifiquement le contexte du module d’où sont issus les textes des étudiants. A la suite de quoi, nous préciserons comment les données ont été recueillies, puis analysées.

2.1 Contexte de la formation

2.1.1 Présentation de la formation Bachelor

La formation « Bachelor en enseignement primaire » dispensée par la Haute École Pédagogique de Lausanne se déroule sur trois ans, au terme desquels les étudiants obtiennent un Bachelor en enseignement primaire, titre avec lequel ils ont ensuite l’autorisation d’enseigner aux élèves de 4 à 12 ans en Suisse et au niveau européen. Cette formation est accessible à toute personne porteuse d’un certificat de maturité gymnasiale ou titre jugé équivalent et possédant à minima le niveau B2 en allemand. A l’arrivée en formation, les étudiants doivent attester de leur maitrise du français à travers la réussite d’examens organisés par la HEP. La formation comporte 180 crédits ECTS répartis en principe sur trois ans, soit sur 6 semestres de formation et s’articule autour d’un référentiel de compétences qui traduit et s’efforce de préciser les compétences (11 au total) à acquérir pour enseigner. Il s’agit d’une formation en alternance composée de sessions de stages et d’enseignements didactiques et transversaux répartis sur les trois années de formation. Chaque enseignement académique (modules didactiques et modules transversaux) est dispensé par différentes « unités de travail », elles-mêmes composées de multiples collaborateurs (assistants, chargés d’enseignement et professeurs). Les collaborateurs sont « spécialisés » sur un ou plusieurs éléments du métier d’enseignant et conçoivent leur activité de recherche et de formation en fonction de leur spécialisation.

Les enseignements dits « transversaux » sont également déclinés en différentes unités de travail et font référence à des cours comme la psychologie du développement de l’enfant, la gestion de classe ou encore l’enseignement/apprentissage. Des équipes de formateurs sont donc spécialisées pour chacune de ces thématiques. Pour ce mémoire, ce sont les enseignements transversaux de type « enseignement/apprentissage » qui nous intéressent, moi-même étant spécialisée dans ce champ.

2.1.2 Présentation du module « Apprentissage et développement » et de ses étudiants L’unité de travail « enseignement/apprentissage » dispense au total cinq modules répartis sur les trois ans de formation « Bachelor en enseignement primaire ». Le premier module s’intitule

« Apprentissage et développement » (nom de code « BP13ENS ») et c’est dans le cadre de ce premier module, dispensé au premier semestre de formation, que la recherche se situe. Ce module se veut être une introduction aux théories de l’apprentissage et met particulièrement l’accent sur la théorie historico-culturelle développée par le psychologue russe Lev Vygotski.

Ce module permet d’acquérir les bases théoriques pour comprendre les phénomènes liés à l’enseignement et l’apprentissage nécessaires pour s’approprier les gestes professionnels impactant positivement la réussite scolaire de tous les élèves (document cadre 2019-2020).

L’objectif de formation principal annoncé dans ce module est le suivant : « s’approprier les cadres théoriques dans le but de comprendre certaines caractéristiques et contraintes du fonctionnement cognitif, les processus d’apprentissage et de développement ». Au total, ce module a une valeur de 3 crédits ECTS. Depuis la session 2019-2020, l’évaluation du module

repose sur la réussite à un questionnaire de type QCM (questions à choix multiples) ; la préoccupation première du module étant de viser la compréhension générale des théories de l’apprentissage chez les étudiants.

Plus précisément, ce module est composé de huit « grands cours » dispensés par deux professeurs durant lesquels tous les étudiants sont réunis (450 étudiants en 2019) et de six séminaires dispensés par une équipe de formateurs. Chaque formateur accueille environ 20 à 25 étudiants dans ses séminaires qui, rappelons-le, ont pour but d’étudier plus en avant les aspects de la théorie historico-culturelle développée par Vygotski.

Concernant le profil des étudiants, la majorité est âgée entre 19 et 23 ans à l’entrée en formation.

Nombreux sont ceux qui détiennent la « Maturité spécialisée orientation pédagogique ». Dans presque tous les séminaires, nous retrouvons toutefois une minorité de personnes en reconversion professionnelle et qui de fait sont plus âgées, ou alors des étudiants ayant débuté un cursus dans d’autres HES ou Universités et changeant de voie en cours de formation. Les étudiants déjà détenteurs de diplômes académiques (Bachelor et/ou Master) sont plus rares.

Notons également que les femmes sont généralement surreprésentées par rapport aux hommes.

Précisons aussi qu’au moment où a lieu ce module « apprentissage et développement », les étudiants ont déjà mis un pied dans des classes de stage, de façon condensée (en début d’année académique), puis de façon hebdomadaire. Cependant, de par leur jeune âge, peu d’entre eux ont une réelle pratique de terrain significative. Toutefois, la plupart des étudiants à l’entrée en formation ont déjà été impliqués dans des activités éducatives (répétiteur pour les devoirs, moniteur sportif ou culturel, stagiaire à l’école ou dans des crèches, etc.).

2.2 Collecte des données

A ce stade, précisons que la recherche est de type « compréhensif » et rappelons également qu’elle a pour objectif de répondre aux questions suivantes :

a. Quels sont les indices de discours visibles dans des textes académiques et réflexifs, qui révèlent une appropriation théorique ? Quels types de savoirs mobilisent-ils et à quelle(s) fin(s) ? Quelle conception sous-jacente ont-ils de la théorie ?

b. Comment les étudiants mettent-ils en mots leurs propres apprentissages ? Comment lient-ils le contenu d’ordre théorique à leur propre personne ? Pour répondre à ces questions, deux séries de textes d’étudiants de type « devoirs » ont été choisies issues de mes propres séminaires dispensés à l’automne 2019. A cela s’ajoutent quatre autres textes d’étudiants réalisés en 2018. En effet, depuis 2018, la même consigne est donnée pour ces deux types de devoirs qui se révèlent donc comparables d’une année à l’autre. Ces deux types de devoirs appartiennent à ces deux catégories de textes proposées par Vanhulle:

• Des textes dits « académiques » : chaque étudiant réalise une synthèse théorique (d’environ 1 page) au terme du premier séminaire à l’aide d’articles scientifiques donnés à lire. Dans ce devoir, les étudiants doivent faire la démonstration de leur compréhension relativement à deux éléments de la théorie de Vygotski en fonction des lectures réalisées et répondre aux questions suivantes3 :

1. Définissez ce qu’est la médiation et ce qu’est un outil médiateur 2. Quelle est la relation entre apprentissage et développement ?

3 Annexe n°1 « devoir n°1 »

Dans ce type de devoir, il n’est pas attendu que les étudiants parlent d’eux (leur opinion, leur expérience), seul le « je épistémique » est attendu. Au total, 12 synthèses de ce type ont été analysées.

• Des textes dits « réflexifs » : chaque étudiant réalise une synthèse de leurs apprentissages au terme du dernier séminaire. Ce travail offre la possibilité d’une réflexion métacognitive pour l’étudiant sur le parcours réalisé dans le cadre du séminaire. Ce devoir est donc le dernier d’une longue série. Des consignes structurantes et contrôlantes (Buysse, 2009) sont proposées et les questions auxquelles l’étudiant doit répondre sont les suivantes4 :

1. Mes apprentissages réalisés dans les cours et les séminaires

2. Les moyens que j’ai mis en œuvre ou compte mettre en œuvre pour m’approprier ces savoirs

3. Les gestes professionnels (conséquences pour l’enseignement) que je retiens et que je souhaite utiliser dans ma pratique

Dans ce type de devoir, il est attendu que l’étudiant parle de lui, tout en parlant des savoirs (notamment pour question n°1). Donc l’articulation entre le « je déictique et le je épistémique » devrait être présent. En lien avec la question n°2, une réflexion de type métacognitive est exigée, les étudiants devant (re)penser aux stratégies de travail mises en œuvre durant le semestre. En lien avec la question n°3, il est attendu explicitement que l’étudiant fasse des liens entre les savoirs théoriques et sa (future) pratique. Au total, 16 synthèses de ce type ont été analysées.

Pour sélectionner la série de textes, seuls les étudiants qui ont effectivement réalisé les deux types de devoirs (académique et réflexif) ont été retenus. En effet, aucun de ces devoirs n’étant obligatoires, plusieurs étudiants se contentent de n’en faire qu’un seul sur les deux proposés, voire aucun d’entre eux. Il semble toutefois intéressant de pouvoir comparer l’éventuelle progression en termes d’appropriation théorique entre les deux types de devoirs, bien qu’ils soient de nature différente (l’un académique, l’autre réflexif). Le facteur « temps » joue un rôle majeur dans l’apprentissage et une évolution dans la capacité à s’approprier le savoir pourrait être visible entre le premier devoir et le dernier. Pour rappel, six séminaires sont proposés aux étudiants et environ trois mois séparent le premier devoir (fournir un texte académique) du dernier (fournir un texte réflexif), ce qui reste relativement court, mais suffisamment significatif pour percevoir une éventuelle évolution textuelle et/ou théorique puisque deux autres travaux de groupe sont proposés entre ces deux devoirs, sans compter les différents articles à lire, les grands cours théoriques, les séminaires dans lesquels ils sont en interaction avec le formateur ainsi que les feedbacks personnalisés (pour ces deux devoirs), qui sont autant d’éléments propres aux dispositifs de formation pouvant influencer une évolution positive en terme d’appropriation. Au total, 28 textes (12 académiques et 16 réflexifs) ont été analysés. Les 12 étudiants sélectionnés ayant réalisé les textes académiques sont les mêmes qui ont réalisé les textes dits « réflexifs ». A cela s’ajoutent 4 autres textes réflexifs issus de l’année académique 2018 qui sont, selon moi, relativement emblématiques pour illustrer certains degrés d’appropriation théorique.

2.3 Concepts théoriques mobilisés dans les textes

Pour repérer l’appropriation théorique des étudiants dans leurs textes (académiques et réflexifs), il nous faut définir les concepts théoriques enseignés dans le module. En suivant le modèle de Balslev et Pellanda-Dieci (à paraitre), voici comment la théorie pourrait apparaitre :

4 Annexe n°2 « devoir n°2 »

1) Théorie via la présence explicite de concepts-clés en sciences de l’éducation, tels que

« zone proximale de développement », « outils médiateurs », « concept quotidien »,

« fonction psychique supérieure », etc.

2) Théorie via un mot signalé avec des guillemets.

3) Théorie via un mot suivi d’une référence explicite à un auteur.

Plus précisément, voici l’ensemble des concepts-clés enseignés dans le cadre des séminaires qui font l’objet d’une appropriation quant à la théorie historico-culturelle de Vygotski:

- Apprentissage - Développement

- Zone proximale de développement

- Fonctions psychiques (inférieures versus supérieures) - Évaluation dynamique

- Médiation (et double médiation)

- Outils médiateurs (cognitifs, psychologiques, de la pensée…) (instrument sémiotique) - Étayage, guidage, pointage

- Processus inter et intrapsychique

- Concepts quotidiens et concepts scientifiques - Généralisation (processus de généralisation)

2.4 Traitement et analyse des données

Afin d’analyser les deux catégories de textes (académique et réflexif), et de pouvoir cerner le niveau d’appropriation théorique effectif, les critères déjà développés dans la partie théorique

« analyse du discours » seront utilisés. Pour rappel voici les items retenus, pour certains, repris de la grille ADAP (Vanhulle, 2015) :

Items d’analyse Détail

Prise en charge d’un point de

vue - Discours polyphonique (insertion des sources, évocation,

reformulation, citation)

- Capacité à parler de soi (récit impliqué ou peu impliqué) - Les usages du « Je » (déictique ou épistémique)

- Marques d’adressage et usage de pronoms inclusifs Construction du sens - Récurrence thématique

- Intention/action future

- Discours appréciatif ou attribution d’une valeur - Discours déontique ou doxas

- Régulation de l’activité et des conceptions Empans réflexifs - Empan « autoréférencé »

- Empan « technique » - Empan « contextuel » - Empan « critique » Savoirs de référence

convoqués - Savoir d’expérience (de vie)

- Savoir de la pratique (professionnelle) - Savoir académique/théorique

- Savoir institutionnel - Savoir de vulgarisation Opérations cognitives - Réminiscence/se souvenir

- Narrer

- Juger (donner son point de vue personnel, reproches ou félicitations)

- Restituer (reproduire)

- Reformuler (décrire, expliquer) - Exemplifier

- Comprendre (expliquer, synthétiser, interpréter) - Analyser (mettre en relation, mettre en opposition,

restructurer, diagnostiquer)

- Critiquer (auto-évaluer, questionner) - Reconceptualiser (transformer) - Synthétiser (restructurer)

Modalisations discursives - Déontique (ordre du devoir, doxa) - Appréciative (jugement)

- Pragmatique (efficacité, faire) - Logique (loi, norme)

Structure de textes - Juxtaposition - Articulation - Intégration

Usages de la théorie - Restituer un savoir ou une théorie - Appliquer une théorie

- Théorie pour agir autrement

- Utiliser des concepts pour parler de la pratique

- Comprendre et interpréter des situations professionnelles - Discuter (avec) la théorie

Tous les textes retenus ont été analysés à l’aide de ces critères, à la suite de quoi le « niveau, la forme ou le degré » d’appropriation pour chaque texte a pu être identifié, en relation aux catégories de Buysse et Vanhulle (2009). Pour rappel, ces auteurs distinguent « l’acquisition du savoir », « l’appropriation du savoir » et « l’internalisation du savoir ». Catégories que l’on peut également corréler aux structures de textes proposées par Clerc (2013) (juxtaposition, articulation et intégration).

Un autre tableau, prenant la forme d’un escalier renversé, a donc été conçu sur cette base pour faciliter le classement des textes par niveau/forme/degré d’appropriation :

Tableau : « Escalier renversé des indicateurs d’appropriation » Acquisition du savoir

(Niveau/degré 1) Appropriation du savoir

(Niveau/degré 2) Internalisation du savoir (Niveau/degré 3) Les propos sont souvent

« juxtaposés » sans présence explicite de liens entre eux et pas

Les propos sont « articulés » et

de connecteurs linguistiques (ou connecteurs mal employés), peu de cohérence dans le discours

sont « intégrés » dans un discours logique

Propos restitués et reformulés, parfois présence de reprises ou effets de « placage » (absence de réélaboration du savoir)

Propos correctement restitués et reformulés

Propos correctement restitués et reformulés Modification du savoir « à son propre compte »

Critères reformulés tirés des travaux de Buysse et Vanhulle (2009) et de Clerc (2013).

2.5 Questionnaire « appropriation subjective du savoir»

Outre le matériau des textes analysés pour cerner l’appropriation des savoirs, d’autres données ont été récoltées via la forme d’un questionnaire5, durant la session 2019, dans le but initial de recueillir des informations complémentaires concernant la mise en œuvre des dits devoirs.

Ainsi, en référence aux travaux de Vanhulle (2002), qui pour rappel définit trois grands types d’activités nécessaires à l’élaboration des connaissances (information, organisation, conceptualisation), ce questionnaire avait pour objectif de comprendre quelles ont été les activités principales qui ont accomagnées la réalisation du devoir ; activités qui potentiellement influencent l’appropriation théorique. Dans un ordre aléatoire, des énoncés ont donc été proposés aux étudiants qui concernaient soit des activités d’information (prise de note, lecture, etc.), soit des activités d’organisation du travail (stratégie métacognitive, travail de collaboration, etc.). Une partie du questionnaire concerne donc la récolte des « moyens mis en œuvre » pour effectuer le devoir. De plus, bien que ce mémoire n’ait pas pour objectif la compréhension des écarts entre l’appropriation « effective » et « subjective » du savoir, ce questionnaire était aussi l’occasion de recueillir cette « impression » subjective des étudiants sur leur capacité à s’approprier le savoir, à titre indicatif et davantage pour des motivations de curiosités personnelles. La première partie du questionnaire propose donc à l’étudiant d’estimer son degré d’appropriation du savoir sur une échelle de 1 à 10, à la suite du devoir réalisé, puis de se situer entre quatre énoncés (1. Je maitrise parfaitement les concepts 2. Je maitrise correctement les concepts 3. Je maitrise partiellement les concepts 4. Je ne maitrise pas les concepts). Ce questionnaire a été rempli par les étudiants à l’issue des deux devoirs (le texte académique et le texte réflexif).

5 Annexe n°3 : Questionnaire « appropriation subjective du savoir »