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Cadre 1 : Les communautés de pratique et épistémique

PARTIE II. CARACTERISATION ET GENEALOGIE DU MODELE

1. Cadre 1 : Les communautés de pratique et épistémique

Le premier cadre d’analyse mobilisé dans la littérature sur les communautés d’utilisateurs- développeurs est celui des communautés de pratique. De nombreux chercheurs de ce champ considèrent les communautés d’utilisateurs-développeurs comme des communautés de pratique (Elliott et Scacchi 2003: 21; Madanmohan et Navelkar 2002: 3) à la fois distribuées (Kogut et Metiu 2001a: 258) et non cantonnées à une organisation à la différence des communautés de pratique précédemment étudiées notamment dans les travaux de Brown et Duguid (1991) (Lee et Cole 2003: 635). Sharma et al. suggèrent quant à eux que la construction d’une communauté de pratique est une pré-condition à la constitution d’une communauté (Sharma et al. 2002: 19).

Afin de souligner les limites de ce cadre d’analyse pour caractériser les communautés du logiciel libre, nous commencerons tout d’abord par expliciter le concept de communauté de pratique [1.1]. Puis, nous dégagerons les limites de ce cadre pour la caractérisation des communautés d’utilisateurs-développeurs [1.2]. Et enfin, nous nous interrogerons sur la notion de communauté épistémique [1.3.].

1.1.

La notion de communauté de pratique.

Lors d’une intervention, Paul Duguid suggéra une relecture du travail de Julian Orr sur les communautés de pratiques au sein de Xerox. A cette époque, Xerox dominait le marché de la photocopie. Les machines Xerox étaient tellement compliquées que la firme avait du mal à expliquer comment celles-ci fonctionnaient à ses clients. Sur de multiples fonctions les utilisateurs n’en utilisaient que quelques unes. D’autre part, il y a avait un autre problème : les techniciens devaient également être très qualifiés pour réparer ces machines. L’erreur réalisée à l’époque par Xerox est que la firme considéra que les individus suivaient aveuglément les règles. Or en réalité, la différence entre les règles et les pratiques est importante (Duguid 2006; Dumez 2007).

En fait, J. Orr montra qu’il existait une différence entre la manière dont une organisation concevait le travail et la réalité de celui-ci (pratiques) (Brown et Duguid 1991: 41). En étudiant le travail de dépanneurs, Orr découvrit que, si les réparateurs suivaient les modes opératoires proposés par l’organisation, ces derniers perdraient des compétences et seraient incapables de réaliser le travail assigné (Brown et Duguid 1991: 43).

Partie II. Chapitre 1. Les apports et limites de la littérature existante sur la caractérisation des communautés.

Les travaux de Wenger rapportèrent le même phénomène mais cette fois l'auteur s’est basé sur le cas d'une entreprise d'assurance maladie. Conformément au stéréotype ce type d’organisations est caractérisé par une routine des tâches. Bien au contraire, le cas proposé par Wenger suggère que les agents sont constamment en train d'innover pour faire rentrer les cas qu'ils rencontrent dans les règles établies (Chanal 2000: 3).

D’après Ulhoi, les communautés de pratique peuvent être définies comme : « de petits

groupes de personnes qui ont travaillé ensemble pendant une période temps et qui, à travers de longues discussions, ont développé un sens commun de but et un désir de partager des connaissances et des expériences liées au travail. » (Ulhoi 2004: 1104). Ces communautés

sont composées par des « acteurs qui partagent des pratiques communes et développent

des mécanismes généralement très informels de partage des connaissances » (de Vaujany

2007: 19 cf. note 21). Une communauté de pratique est donc une organisation informelle auto-organisée visant à combler les manquements des outils et procédures fournis par une organisation pour réaliser un travail.

1.2.

Les limites du rapprochement entre communauté de pratiques et

communauté d’utilisateurs-développeurs.

Il y a quatre différences fondamentales entre la communauté de pratique et la communauté d’utilisateurs-développeurs révélant clairement les limites de ce rapprochement50. (1) Bien que Brown et Duguid considèrent que les communautés de pratique peuvent dépasser les frontières de l’entreprise en incorporant les clients et les fournisseurs, les communautés de pratique sont issues d’une organisation existante tandis que les communautés d’utilisateurs- développeurs sont totalement indépendantes de toute organisation externe51 (O’Mahony et Ferraro 2007: 1081).

(2) Les communautés de pratique regroupent la plupart du temps des individus ayant un métier identique (voir par exemple le cas des réparateurs de photocopieurs dans Brown et Duguid (1991)) alors que les communautés d’utilisateurs-développeurs peuvent regrouper des

50 Paul Duguid partage également l’idée que les communautés de l’open source ne sont pas pour la plupart des communautés de pratiques. Nous en profitons pour remercier Paul Duguid pour ses éclaircissements sur la notion de communauté de pratique.

51 Nous parlons bien évidemment des communautés d’utilisateurs-développeurs pures et non pas des autres types de communautés dans l’open source. Pour une distinction des différents types de communautés se référer à la partie III.

Partie II. Chapitre 1. Les apports et limites de la littérature existante sur la caractérisation des communautés.

individus ayant des métiers bien différents (par exemple : développeur52, administrateur réseaux, médecin, consultant, musicien, artiste peintre, graphiste, etc.). De plus, Hatchuel et al. ont souligné que la notion de communauté de pratique était au départ un substitut au métier (Hatchuel, Le Masson, et Weil 2002: 14) n’ayant pas d’équivalent en anglais.

(3) Il n’y a quasiment pas de hiérarchie dans les communautés de pratique (Brown et Duguid 1991: 48) alors que nous avons signalé qu’il existait bel et bien une hiérarchie dans les communautés dans des recherches antérieures (Benkeltoum 2006) ceci fut confirmé par O’Mahony et Ferraro (2007).

(4) Selon Brown et Duguid, les communautés de pratique n’existent que de manière informelle et émergent d’elles-mêmes. Elles ne peuvent être créées, elles sont plutôt détectées (Brown et Duguid 1991: 49) alors que les communautés d’utilisateurs-développeurs peuvent être créées de manière délibérée. Pour Duguid, il n’est pas possible de créer une communauté de pratique, c’est une erreur de penser le contraire. La théorie des communautés de pratiques est une théorie de l’apprentissage avant d’être une théorie des organisations (Duguid 2006).

1.3.

Les communautés épistémiques.

D’autres auteurs ajoutent que la communauté Linux est une communauté hybride entre la communauté de pratique et la communauté épistémique. La communauté de pratique est orientée vers la réussite d’une activité et la communauté épistémique est tournée vers la création de nouvelles connaissances (Cohendet et al. 2003: 104-05). Cela signifie que la communauté Linux est à la fois dirigée vers la réussite d’une activité et la production de connaissances.

Les frontières entre communauté de pratique et épistémique sont complexes à appréhender car d’un côté l’apprentissage est le résultat d’une pratique (communauté de pratique) tandis que de l’autre la pratique est sous entendue comme le prétexte de l’apprentissage (communauté épistémique). Il y a donc une forte circularité entre ces deux notions qu’il est difficile de distinguer et d’opérationnaliser comme cadre d’analyse. De plus, Tuomi souligne que la notion de « communauté » ne fait pas l’objet d’une description claire et que le concept reste utilisé de manière variable et parfois même contradictoire (Ilkaa Tuomi 2001: 21).

Pour résumer, la communauté d’utilisateurs-développeurs n’est pas une communauté de pratique. En revanche, elle dispose d’un caractère épistémique évident (Cohendet et al. 2003),

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Partie II. Chapitre 1. Les apports et limites de la littérature existante sur la caractérisation des communautés.

c’est pourquoi il est nécessaire d’intégrer la dimension apprentissage dans notre modélisation de la communauté d’utilisateurs-développeurs.

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