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Nous établissons le bilan du modèle en deux temps. Dans une première section, il est confronté aux objectifs fixés dans les chapitres précédents, où nous nous étions posés un cadre pour construire le modèle ainsi qu’un cahier des charges qu’il devait vérifier. Ensuite, nous en faisons une analyse critique et en repérons certaines limites.

5.1.1 Vérification du cahier des charges

Nous disons ici en quoi notre modèle vérifie le cahier des charges résumé en 3.4 page 69. La numérotation ci-dessous correspond à celle des tâches fixées dans ce résumé.

1. Alternance posture-clé–transition

Le premier niveau de découpage est porté sur l’axe temporel et fait apparaître une alternance entre des phases de postures motivées (les postures-clés) et de transitions entre celles-ci. Ceci

rythme la description dans le temps avant de spécifier les articulations. 2. Dynamisme

Chaque unité de cette alternance peut avoir une durée propre, et on note le cas particulier de l’unité sans durée. Les transitions peuvent spécifier un facteur d’accélération, éventuellement nul pour spécifier des vitesses constantes.

3. Pas de sous-spécification

Une description fait peser sur chaque instant un ensemble de contraintes suffisant. . . 4. Pas de sur-spécification

. . . dont chacune est nécessaire. 5. Pas d’articulateur isolé

Le critère d’indivisibilité du squelette force une unité temporelle à agir (ou ne pas agir) selon les contraintes sur tous ses segments simultanément. On ne peut déconnecter certaines parties du corps pour leur donner un comportement séparé du reste de l’unité décrite.

6. Pas d’articulateur privilégié

Les primitives s’appliquent à des points ou des segments sans obligation qu’un segment particulier soit visé plutôt qu’un autre. Il existe une totale liberté dans le choix des segments visés par les contraintes. Ceci permet par exemple la description d’un geste non manuel sans en faire un cas exceptionnel ou particulier. Le modèle place ces gestes au même plan que les signes manuels.

7. Dépendances apparentes

Les étapes de la construction du signe sont intégrées dans la description, et tout objet peut dépendre de n’importe quel autre1.

8. Objets annexes

Parmi les objets participant à la description, on trouve ceux fournis par le squelette réalisant les signes, mais également des objets invisibles à la réalisation, utiles pour définir certaines propriétés géométriques de la « figure » que constitue la séquence à décrire.

9. Valeurs contextuelles accessibles

Les dépendances contextuelles (simples influences ou arguments obligatoires) permettent à une description de reposer sur des éléments non connus a priori, fournis au moment de signer la séquence et dépendant de son contexte.

Le modèle vérifie donc tous les objectifs fixés par le chapitre 3, qui faisaient suite à l’appréciation des manques relevés à l’étude des modèles actuels. Cependant selon nous, quelques aspects des langues des signes ne demeurent que partiellement traités, et nous consacrons la section suivante à décrire les cas problématiques possibles.

5.1.2 Questionnements et limites

Dans cette section, nous retenons deux critiques du modèle proposé, chacune nous menant à formuler une interrogation quant à nos hypothèses de départ.

5.1.2.1 La question des frottements

Aux postures-clés, il est possible de spécifier un contact en plaçant un site corporel « at » un autre avec une contrainte de la forme :

Place @... at @...

Cette contrainte peut bien entendu être locale ou maintenue. Dans ce deuxième cas, on spécifie une transition pendant laquelle le signeur doit maintenir le contact (fixe) sur toute la transition. Lorsque se suivent deux contraintes de positionnement pour un même site P , la transition prend le soin d’amener P du premier point cible au deuxième, tout en vérifiant les éventuelles contraintes qui la spécifient. Ainsi dans le signe [énergie, litre], l’index passe d’un point proche de l’épaule à un point proche du coude sur le bras, tout en suivant un arc pour son extrémité. Sans la contrainte d’arc, la seule obligation est de passer d’un contact à l’autre, et l’index restera alors vraisembla-blement très proche du corps.

Ceci dit, observons le signe [longtemps] qui justement fait passer l’index d’une posture-clé avec contact à une autre, sans contrainte d’arc sur la transition. Le fait que l’index reste « vrai-semblablement » très proche du contact avec le bras sur la transition semble ne pas suffire. Rien n’interdit que l’index s’éloigne du bras car sa trajectoire est libre, or d’un point de vue descriptif, l’intention à la réalisation de [longtemps] est bel et bien de rester en contact pour générer ce qu’on pourrait appeler un frottement.

Formellement, les contacts avec la peau et les sites corporels sont modélisés par des points liés à des segments, c’est-à-dire des points fixes dans le repère du segment. La note 4 page 81 mentionnait déjà que nous négligions l’élasticité de la peau et pour cause, aucune représentation de celle-ci n’existe dans ce modèle. Seuls les segments sont modélisés, et encore, leur forme physique est négligée. Nous pensons (et une réelle visualisation lors de l’évaluation tranchera) que cette

approximation est acceptable car les sites corporels ne se déplacent pas significativement dans le repère de leur segment. En revanche, si nous ajoutions une option de transition pour manifester les frottements comme dans [longtemps], la question d’une représentation de la peau devra peut-être être reposée.

Pour l’instant, nous proposons qu’un passage de : Place Pb at P1

à :

Place Pb at P2

avec P1et P2deux sites corporels différents liés au même segment (et sans contrainte d’arc contra-dictoire) implique nécessairement un frottement. En effet, il semble difficile d’imaginer autrement la transition. Toutefois, nous sommes conscients que cette « règle » contraste avec l’effort de faire ap-paraître les motivations des réalisations signées. Aussi, la question reste pour l’instant sans réponse si l’on accepte ces spécifications sans imposer que P1 et P2soient liés au même segment.

5.1.2.2 La question des trajectoires

Le modèle se démarque de la plupart des approches existantes notamment par le fait qu’il ne décrit pas de trajectoire, mais construit les signes autour de ses postures-clés, c’est-à-dire plutôt entre les trajectoires s’il y en a. Éventuellement, on peut suivre un point sur une transition pour lui faire suivre une portion de cercle ou de droite, mais les descriptions laissent toutes à penser que, même dans le cas d’un tracé motivé dans l’espace pour un site corporel, la posture d’arrivée est elle aussi motivée. Voire, c’est cette posture qui définit l’arrivée et pas les indications de trajectoire. La question que soulève cette section est non pas celle de la pertinence de ce choix mais plutôt celle de savoir si le cercle et la droite sont les seuls supports de trajectoires nécessaires à la description de tout énoncé signé.

Il semble bien d’après [Liddell 89] que pour ce qui est des signes standard, les formes se sta-bilisent ainsi. En parcourant les dictionnaires, on s’aperçoit que les seules représentations de tra-jectoires (flèches) n’étant ni rectilignes ni circulaires sont sinusoïdales. Celles de petite amplitude sont en général pour nous l’effet d’un trill et sont donc couvertes par le modèle. Quant à celles de plus grande amplitude, Liddell et Johnson les traitent comme des zigzags, les sommets arrondis étant attribués à la vitesse de signation. Une suite de déplacements rectilignes consécutifs, lorsque les points de passage sont des postures-clés sans durée, provoque en effet un virage arrondi dans la mesure où pour avoir un angle précis il faut immobiliser le point un instant. Cette trajectoire lissée

est illustrée sur la figure 5.1. On confirme cela en observant dans les dictionnaires que les deux contacts consécutifs de [santé] (fig. 5.2) donnent généralement lieu au dessin d’une trajectoire ressemblant à celle du bondissement d’une balle en deux points (de chaque côté du torse).

Fig. 5.1 – Les sinusoïdes cachent des zigzags

Fig. 5.2 – [santé]

En revanche, la transposition de cette stabilisation des formes complexes en lignes et en courbes n’est qu’hypothétique en ce qui concerne les structures non standard de grande iconicité. Typique-ment, un transfert de situation donne à voir la trajectoire d’un actant relativement à un locatif. Cette trajectoire est une reproduction de la trajectoire réelle qui est illustrée. Certes elle est sou-vent réduite, simplifiée et/ou déformée, mais rien n’indique a priori qu’elle soit réduite à une suite de cercles et de lignes. Dans sa thèse [Huenerfauth 06], Huenerfauth explique d’ailleurs que pour décomposer convenablement le mouvement réel d’une entité, il faut des connaissances épistémolo-giques sur l’entité. Il s’intéresse donc aux trajectoires réelles à illustrer plutôt qu’à une composition de mouvements plus simples.

Le modèle pourrait alors bénéficier de nouvelles contraintes de suivi de point sur les transitions, plus génériques que les seuls arcs et droites. Nous pensons néanmoins que la posture-clé finale reste motivée, et qu’une extension du modèle à ces cas de trajectoires moins triviales ne remet pas en cause la spécification d’une posture-clé complète de part et d’autre de la transition concernée.

Il s’agit maintenant de procéder à une évaluation complète de Zebedee. Les sections suivantes s’attachent à le faire, en linguistique d’abord, puis en informatique.