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3.3 Réponses, cahier des charges

3.3.7 Construction et dépendances

Nous avons déjà opté pour un système de description des motivations plutôt que du résultat visible.

Nous ne nions pas le caractère plus flou et plus discutable de l’origine cognitive des signes. Plusieurs descriptions fondamentalement différentes peuvent mener à la même réalisation, et il

faut en choisir une. En arithmétique, une question équivalente serait celle de savoir si la valeur 4 est issue de la somme de 1 et de 3, du produit de 2 par 2, de la plus petite solution entière de l’inéquation π < x ou de toute autre origine possible encore. Comment savoir en effet ce qui est à l’origine des configurations identiques des mains dans [table], visibles sur la figure 3.54 ? On peut décider aussi bien de décrire l’une comme égale à l’autre que de donner l’une et l’autre de manière indépendante en utilisant deux fois la même valeur, et le résultat visible sera le même. Comment alors trancher ?

Fig. 3.54 – [table]

En réalité, cette discussion d’ordre psycho-linguistique sort du cadre de notre thèse. Nous lais-sons à l’auteur des descriptions le soin de décider de celle à adopter parmi les différentes possibilités pour un signe et sans doute conviendra-t-il d’ailleurs pour cela d’établir un protocole plus systé-matique qui saura guider les linguistes dans cette démarche. La description spontanée et l’intuition des locuteurs (surtout natifs) joueront certainement un rôle important dans ce protocole mais pas uniquement. Nous pensons par exemple qu’une confrontation méthodique du signe à différents contextes sémantiques et syntaxiques peut aussi révéler des propriétés intrinsèques ou justement invalider une propriété attribuée spontanément au signe de manière abusive. On pourra également avoir recours à des études étylmologiques comme en présente [Bonnal 06] dans sa thèse.

Nous nous limiterons à répondre qu’un tel modèle, offrant de multiples possibilités de construc-tion pour chaque signe, ne fera justement que favoriser ces discussions sur la nature des signes en apportant le formalisme nécessaire à l’appréciation des différentes origines possibles de celui-ci. Ceci étant, le résultat reste bien entendu toujours déductible de sa description quelle que soit celle choisie pour le décrire. À l’inverse, les modèles purement paramétriques évitent la question précédente mais n’apportent rien par rapport à l’approche que nous proposons.

Propriétés Pour ce faire, nous voulons donner deux propriétés supplémentaires au modèle, que nous justifions ensuite :

1. toute spécification d’une description lexicale doit pouvoir faire référence à d’autres valeurs contenues dans cette description ;

2. une description peut contenir des objets annexes n’apparaissant pas dans la réalisation finale du signe.

3.3.7.1 Dépendances entre éléments

La première propriété ci-dessus permet à toute spécification apparaissant dans une description de faire référence dans son expression à d’autres éléments de la description. Par exemple, comme indiqué en section 3.2.7, la trajectoire que prend la main mobile dans [bureau] doit avoir la direction du bras opposé. Pour nous, ceci est une dépendance de la spécification des articulateurs de la main dominante (au moment de les positionner) sur la valeur d’orientation que prend l’avant-bras opposé, autre articulateur du squelette.

Ceci rend compte de la motivation du phénomène et semble conforme à la description spontanée et naturelle venant à l’esprit pour décrire le signe : il ne s’agit pas de déplacer la main dominée « vers la droite » ni même « vers le côté du membre dominant », mais « le long du bras dominé ». Quand bien même ce dernier devait être placé de telle sorte que les deux spécifications précédentes reviendraient au même, nous ne montrerions pas l’intention du signeur en décrivant la main domi-nante de manière indépendante. Le déplacement n’aurait aucun lien apparent avec le bras opposé, et pourtant il en est le guide.

3.3.7.2 Objets annexes

Cette propriété est résolument nouvelle. Jamais un modèle ne s’étant véritablement attaché à faire apparaître la motivation d’une signation plutôt que la signation elle-même, cette proposition est sans doute parmi les plus novatrices de notre travail. Il s’agit de permettre la spécification d’objets autres que des articulateurs du squelette, c’est-à-dire d’objets n’apparaissant pas lors de la réalisation finale du signe.

Typiquement, beaucoup de signes fortement iconiques d’une entité concrète utilisent des aspects de la forme globale de l’objet qu’ils dénotent, imaginée dans l’espace. Nous avons déjà donné l’exemple de la symétrie entre deux mains. En géométrie, une symétrie se définit par rapport à un point, une droite ou un plan de l’espace. Par conséquent, nous considérons nécessaire de construire ce centre, cet axe ou ce plan de symétrie dans l’espace de signation car il fait partie de la démarche de construction du signe, et c’est précisément ce qu’il nous intéresse de décrire. Pour autant, il reste invisible à la signation.

Parfois, un articulateur doit se placer relativement à un autre, à une certaine distance et dans une certaine direction. Par exemple dans [société], on veut placer la main dominante à une

certaine distance (faible) du pouce ou de l’index opposé (cf. fig. 3.55), et on dirige les doigts vers celui-ci. D’autres fois, plusieurs articulateurs sont placés relativement à un objet construit. Le signe [ballon] implique clairement une position et une orientation des mains en fonction d’un point représentant son centre. Pour nous, ce centre est fondamental et, pour ainsi dire, le signe entier gravite autour de lui. Nous soutenons que celui-ci doit faire partie visible de la description, quand bien même il n’est pas matérialisé à la signation.

Fig. 3.55 – [société]