• Aucun résultat trouvé

BIII Les différents types de modèles numériques pour l’étude de la zone hyporhéique

Plusieurs modèles numériques ont été proposés pour la modélisation du fonctionnement de la zone hyporhéique (revues de Packman et Bencala, 2000 ; Runkel et al., 2003). Souvent utilisés comme outil de prédiction de l’évolution d’un système, ils sont également très utiles pour identifier les paramètres et processus prédominants dans un hydrosystème et pour améliorer la caractérisation du fonctionnement du système, de sa sensibilité ou de sa vulnérabilité.

La zone hyporhéique se trouvant à l'interface entre cours d'eau et aquifère, ces deux domaines sont généralement modélisés de façon plus ou moins complexe. On peut ainsi regrouper les modèles existants en trois grands groupes selon le point de vue privilégié (Packman et Bencala, 2000) : les modèles plutôt orientés sur l'étude de l’eau de surface, les modèles souterrains orientés sur l’aquifère et enfin les modèles couplés à l’interface entre les deux domaines.

BIII.1. Les modèles "orientés eau de surface"

Dans ce type de modèle, la zone hyporhéique n'est pas directement prise en compte mais intégrée par l’intermédiaire de flux d’échanges et de fonctions source/puits pour l'eau de surface. Plusieurs modèles de ce type ont été présentés dans la littérature. On peut citer par exemple les modèles WASP5 (Ambrose et al., 1993), QUAL2E (Brown et Barnwell, 1987) ou encore BIOFIHM (Sauvage et al., 2003). Toutefois, l’exemple le plus typique et utilisé

dans les recherches sur la zone hyporhéique reste le modèle de stockage transitoire ("Transient Storage Model") dont la première version fut proposée par Bencala et Walters en 1983.

BIII.1.1. Le modèle de stockage transitoire

Les zones "mortes" de stockage transitoire désignent toutes les zones où un soluté transporté dans un cours d’eau peut temporairement être stocké : tourbillon, bras secondaire, banc de galets, amas d’algues et sédiments. Le modèle de stockage transitoire présenté en 1983 par Bencala et Walters prenait en compte les processus physiques (advection, dispersion...) modélisés par 2 équations monodimensionnelles décrivant la concentration longitudinale d’un soluté conservatif dans l’eau de surface et dans les zones mortes :

1 ( ) L( ) ( ) L s q C Q C C AD C C C C t A x A x x A         (1.4) ( ) S s S C A C C tA    (1.5)

Dans lesquelles A est la section du cours d’eau (m²), Asest la section de la zone de stockage (m²), C est la concentration du soluté dans le cours d’eau (mg.L-1), CLest la concentration du soluté des apports latéraux (mg.L-1), CS est la concentration du soluté dans les zones de stockage (mg.L-1), D est le coefficient de dispersion (m s2. 1), Q le débit (m s3. 1), qLest le débit des apports latéraux, t est le temps (s), x la distance (m) et α le coefficient d’échange des zones de stockage (s-1). Bencala (1983) ajouta ensuite un terme de perte pour simuler le transport d’un soluté non conservatif soumis à une réaction simple d’ordre 1. On peut noter que ce modèle est l'analogue des modèles à deux équations anciennement développés pour suivre la dispersion d'une espèce chimique dans un milieu poreux de type double milieux, avec une partie du milieu mobile et une partie stagnante ou immobile (e.g. Coats et Smith, 1964)

OTEQ (Runkel et al., 1996) a été développé pour coupler le modèle hydraulique OTIS avec un modèle d’équilibre chimique (MINTEQ, Allison et al., 1991). Le modèle OTEQ peut ainsi intégrer des réactions complexes (complexation, précipitation/dissolution, adsorption). Il a par exemple été utilisé pour quantifier les processus dominants qui affectent les métaux traces dans deux cours d’eau acides dans les "Rocky Mountains" au Colorado (Broshears et al., 1993 ; Runkel et al., 1996).

BIII.1.2. Utilisation et exemples d'application

Pour calibrer les paramètres d’OTIS (α et As) l’utilisateur doit avoir recours à des expériences de traçage : un traceur conservatif est injecté en continu dans le cours d’eau en amont du site d’étude et sa est concentration enregistrée en aval du site. Lorsqu’un plateau de concentration est mesuré à l’aval, on stoppe l’injection en amont (Figure 1.17). La concentration du traceur diminue alors et la courbe ainsi obtenue permet de caler le modèle et d’obtenir une estimation des flux échangés entre le cours d’eau et les zones de stockage transitoire, ainsi que les volumes relatifs de chacun des deux domaines.

Figure 1.17. Simulations des concentrations de traceur (ici du lithium injecté pendant 52 heures dans

le cours d’eau) au niveau de deux sites (525 m et 1804 m en aval du site d’injection) à l’aide du modèle OTIS (extrait de Broshears et al.,1993).

Depuis le « Stream Solute Workshop » (1990) de nombreuses expériences de traçages ont été menées dans plusieurs cours d’eau et le modèle de stockage transitoire a été largement appliqué (Runkel et al., 1998 ; Wörman, 1998 ; Chapra et Wilcock, 2000 ; Fernald et al., 2001 ; Lautz et al., 2006 ; Lautz et Siegel, 2007). Les traçages ainsi effectués dans plusieurs cours d’eau (ordre entre 1 et 3) ont montré que le volume des zones de stockage transitoire peut varier de moins de 1 jusqu’à 18 fois le volume d’eau dans le chenal et le coefficient d’échange α de moins de 1 jusqu’à 180 par jour (Broshears et al.,1993 ; D’Angelo et al., 1993 ; Harvey et al., 1996 ; Morrice et al., 1997 ; Marti et al., 1997). La surface des zones de stockage peut également varier fortement entre les tronçons en fonction des conditions hydromorphologiques. Dans une zone semi aride, Lautz et al. (2006) ont ainsi montré que cette surface peut varier de 0,07 à 0,23 m² sur des tronçons d’environ 100 m de long d’un même cours d’eau d'ordre 2. En 2001, Fellows et al. ont également utilisé OTIS pour estimer la contribution de la zone hyporhéique à la respiration totale de 4 tronçons de 2 cours d'eau ("Rio Calaveras" et "Gallina Creek", New Mexico).

BIII.1.3. Limitations

Ce type d’approche assez simple peut être très utile pour avoir une idée moyenne du rôle de la zone hyporhéique dans le fonctionnement hydrobiogéochimique de l'hydrosystème. Toutefois, 4 inconvénients majeurs sont liés à cette approche.

- Les expériences de traçage nécessaires à la calibration des paramètres hydrauliques peuvent être particulièrement difficiles à mettre en œuvre dans les grands cours d’eau car elles impliqueraient d’énormes quantités de traceur.

- Ce type d’approche ne permet pas d'estimer précisément le rôle de la zone hyporhéique. En effet, le bilan amont/aval donne une information sur ce qui a été perdu dans le tronçon étudié (considéré comme une "boite noire") mais il est impossible d’identifier clairement les zones d’échange ou de pertes.

- Dans certains cas, les paramètres du modèle de stockage transitoire ne peuvent pas être évalués empiriquement car les hypothèses conceptuelles sous-jacentes sont trop éloignées de

compte complètement, ni de manière réaliste, les échanges hydrodynamiques complexes entre le cours d’eau et la zone hyporhéique (Runkel et al., 2003 ; Cardenas et al., 2004).

- La plupart de ces modèles sont valables uniquement pour un régime permanent (ou stationnaire) correspondant à celui pour lequel le traçage a été effectué : le modèle est utilisé non pas pour une période donnée mais pour des conditions données pour lesquelles il calcule un état d’équilibre du système.

Pour pallier ces limitations, plusieurs améliorations ont récemment été proposées pour mieux quantifier l’importance du stockage transitoire à l’aide de nouvelles métriques (Runkel, 2002), pour améliorer l’estimation des paramètres par modélisation inverse (Scott et al., 2003), pour intégrer les zones de stockage transitoire dans un modèle cours d’eau-aquifère (Lin et Medina, 2003) ou pour prendre en compte les échanges entre cours d’eau et zone hyporhéique de manière plus réaliste d’un point de vue physique (Kazezyilmaz-Alhan et Medina, 2006).

BIII.2. Les modèles "orientés eau souterraine"

Afin de mieux comprendre le rôle de la zone hyporhéique dans le fonctionnement du cours d’eau, plusieurs modèles se sont plutôt focalisés sur les processus se déroulant à l’intérieur des sédiments. Ces modèles permettent de comprendre et de caractériser les écoulements souterrains, de déterminer les flux d’eau et de matière qui entrent dans les sédiments du lit du cours d’eau et de dresser des bilans hydrologiques des systèmes souterrains. La plupart de ces modèles furent d’abord développés en 2D en négligeant la dimension verticale (e.g. Harvey et Bencala, 1993 ; Wondzell et Swanson, 1996a ; Wroblicky

et al., 1998). Plusieurs modèles hydrauliques en 3D ont ensuite fait leur apparition pour par

exemple : identifier les facteurs contrôlant les échanges à travers la zone hyporhéique le long de tronçons de cours d’eau (Storey et al., 2003 ; Cardenas et al., 2004) ainsi que dans des zones où l’aquifère passe de conditions non confinées à confinées (Urbano et al., 2006), étudier l’impact de la morphologie du cours d’eau sur ces échanges (Kasahara et Wondzell, 2003), ou encore quantifier le rôle tampon de zones humides riveraines (Weng et al., 2003). Il existe également des modèles de transport réactif pour le milieu souterrain, valables pour une seule espèce comme FEMWATER (Lin et al., 1996) et HST3D (Kipp, 1997) ou pour

plusieurs espèces comme HydroBioGeoChem (Yeh et al., 1998), GIMRT (Steefel, 2001), RT3D (Clement, 1997) et PHT3D (Prommer et al., 2003). Parmi les modèles souterrains existants, le plus connu et appliqué pour l'étude des interactions entre cours d'eau et aquifère à travers la zone hyporhéique est le code MODFLOW (McDonald et Harbaugh, 1988).

BIII.2.1. Le code MODFLOW

C’est un modèle numérique à trois dimensions qui décrit les écoulements souterrains en milieu poreux anisotrope et hétérogène, en condition de flux stationnaires ou transitoires (le régime transitoire utilise généralement les paramètres optimisés pour simuler des situations évoluant au cours du temps), pour des aquifères libres, captifs ou mixtes selon l’équation de diffusivité suivante :

(Kxx h) (Kyy h) (Kzz h) W Ss h

x x y y z z t

     

       (1.6)

Dans laquelle x, y et z sont les coordonnées cartésiennes alignées le long des axes principaux de la conductivité hydraulique Kxx, Kyy, Kzz, (m.s-1), h (m) est la charge hydraulique qui dépend des variables spatiales et temporelles (h = h(x,y,z,t)), W (s-1) est le flux (débit) par unité de volume prélevé (ou apporté) dans le milieu poreux qui dépend des variables spatiales et temporelles (W = W(x,y,z,t)), Ss (m-1) est le coefficient d’emmagasinement spécifique (Specific Storage) qui dépend généralement des variables spatiales (Ss = Ss(x,y,z)) et t est le temps. MODFLOW résoud l’équation de diffusivité en utilisant l’approximation des différences finies. Pour cela, le modèle est discrétisé dans un système cartésien selon un maillage rectangulaire aux nœuds duquel l’équation est résolue. Basée sur le principe de continuité des flux où les flux entrants et sortants de la cellule doivent être égaux à la variation de stockage de la cellule, la solution de l’équation de diffusivité doit satisfaire les conditions aux limites du modèle et les conditions initiales.

Le cours d’eau n'est pas directement modélisé mais pris en compte par l'intermédiaire d'une condition aux limites. MODFLOW offre plusieurs possibilités de conditions aux limites pour coupler le cours d'eau et l'aquifère. Les plus utilisées sont les fonctions "River" et

Figure 1.18. Schéma de la condition-limite "River" de MODFLOW.

MODFLOW calcule la conductance (Criv en m².s-1) du fond du cours d'eau c’est-à-dire la capacité du niveau d’infiltration à transmettre les écoulements entre le cours d'eau et l'aquifère. Le débit transitant à travers ce niveau d’infiltration (Qriv, en m3.s-1) dépend de sa

conductance et de la différence de charge hydraulique entre le niveau du cours d'eau et de l'aquifère. MODFLOW pose l’hypothèse que les interactions entre les eaux souterraines et les eaux de surface sont indépendantes de la localisation de la rivière dans la cellule, la rivière est représentée par une section rectangulaire et les interactions sont uniquement verticales.

La fonction "Stream" décrit les interactions entre eaux souterraines et eaux de surface par l’intermédiaire d’un niveau d’infiltration. Les échanges dépendent de la différence de niveau d'eau entre cours d'eau et aquifère et de la conductance du fond du cours d'eau. Par contre, à la différence de la fonction "River" qui est un corps d’eau statique, la fonction "Stream" ajoute la fonction d’écoulement et de continuité des flux dans le cours d’eau (Prudic, 1989).

Dans sa version originale, MODFLOW calcule uniquement les écoulements souterrains. Au fil des années, plusieurs modules supplémentaires ont été ajoutés pour étendre ses fonctions. Par exemple, MODPATH est un module de suivi de particules développé par l’U.S. Geological Survey (Pollock, 1994), MT3D est un module de transport de contaminants prenant en compte l’advection, la dispersion, des termes de sources/puits et des réactions

chimiques (Zheng, 1990) et RT3D est un module de transport réactif multi-espèces développé par Clement (1997).

BIII.2.2. Champ d'applications

Le code MODFLOW a été appliqué sur de nombreux types de systèmes depuis les milieux arides (e.g. Shaki et Adeloye, 2007) et semi-arides (e.g. Bauer et al., 2006) jusqu'aux milieux tempérés (e.g. Lautz et Siegel, 2006) et tropicaux (e.g. Brown et al., 1998). Il a également été utilisé sur divers systèmes hydrogéologiques comme des aquifères karstiques (e.g. Dufresne et Drake, 1999), des nappes alluviales (e.g. San Juan et Kolm, 1996) ou des aquifères complexes multicouches (e.g. Takahashi et Peralta, 1995). MODFLOW est aussi utilisé dans le cadre de problématiques variées telles que l’influence du climat sur les hydrosystèmes (e.g. Scibek et Allen, 2006), la dynamique des polluants dans les aquifères (e.g. Brown et al., 1998 ; Prommer et al., 2003 ; Peters et al., 2006) ou encore l'évaluation de l’impact de pompages sur les écoulements souterrains (Rai et al., 2006). Sa robustesse a ainsi été éprouvée avec succès pour une grande variété d’études. La majorité des applications de MODFLOW se font néanmoins dans le cadre de problématiques d'échanges entre cours d'eau et aquifère et pour représenter le fonctionnement hydrologique des zones humides riveraines voire de bassins versants entiers.

Une des particularités de ce modèle est qu'il a également été utilisé sur une très large gamme d'échelles spatiales différentes. A l'échelle de tronçons de cours d'eau (quelques centaines de mètres au plus), Wroblicky et al. (1998) ont par exemple simulé l'extension latérale de la zone hyporhéique et les variations de temps de résidence le long de 2 cours d'eau de premier ordre. Storey et al. (2003) ont également utilisé MODFLOW pour simuler les écoulements souterrains au niveau d'un radier de cours d'eau dans l'Ontario (USA). Kasahara et Wondzell (2003) et Gooseff et al. (2006) ont simulé l'impact des caractéristiques physiques (pente, longueur) et des séquences radier-mouille sur l'extension de la zone hyporhéique dans des cours d'eau de montagne. MODFLOW ne résolvant pas bien les équations de transport hors milieu poreux, ces études se sont focalisées sur les échanges latéraux. A l’échelle de la zone humide, MODFLOW a permis de mesurer la sensibilité et de hiérarchiser les paramètres

couches et leur perméabilité jouent également un rôle majeur sur la circulation des eaux souterraines et des échanges avec les cours d'eau (e.g. Bradford et Acreman, 2003 ; Reeve et

al., 2006). Appliqué à échelle plus large, MODFLOW permet aussi de caractériser le

fonctionnement hydrologique des zones humides en interaction avec leur environnement (e.g. Grapes et al., 2006). Enfin, MODFLOW a récemment été couplé avec des modèles fonctionnant sur des bassins versants entiers, comme par exemple le modèle SWAT (Arnold

et al., 1998) pour simuler le fonctionnement hydraulique d'un bassin versant de grande taille

(Sophocleous et Perkins, 2000 ; Kim et al., 2007) ou la dynamique des nitrates à large échelle en Bretagne (Conan et al., 2003).

BIII.2.3. Limitations des modèles souterrains pour l'étude de la zone hyporhéique

Les modèles souterrains restent limités dans le cadre de l'étude de la zone hyporhéique pour deux principales raisons : la simplification des interactions entre eau de surface et aquifère et la surparamétrisation.

Typiquement, les modèles souterrains prennent en compte le cours d’eau comme simple condition aux limites, il n'y a pas de réelle interaction physique entre le cours d'eau et l'aquifère. Il n'y a pas de couplage direct ni de réelle continuité entre le cours d'eau et l'aquifère alors que dans la plupart des systèmes, ces deux domaines font partie d'une même masse d'eau interagissant au niveau de la zone hyporhéique. Par conséquent, les caractéristiques de la zone hyporhéique simulées par ces modèles peuvent varier selon la condition aux limites choisie et être biaisées selon le choix et le système étudié.

Ces modèles peuvent également parfois poser des problèmes de surparamétrisation. Le nombre de paramètres possibles est en effet croissant avec l’augmentation du nombre de mailles ou d’unités du modèle. La surparamétrisation pose d’une part des difficultés métrologiques (acquisition des données expérimentales pour renseigner les paramètres difficile et/ou coûteuse) et, d’autre part, des problèmes dans la phase de calage du modèle. En effet, lorsqu'un modèle présente trop de paramètres à calibrer, plusieurs jeux de paramètres peuvent permettre de reproduire correctement les données observées. Chaque jeu correspond pourtant à une dynamique interne du système bien différente. Ce problème dénommé "équifinalité" (Ebel et Loague, 2006) peut justifier l’effort de réduction du nombre de paramètres des modèles. Cet aspect de la modélisation fait actuellement débat et il est difficile

de trouver le nombre "adéquat" de paramètres. En effet, un modèle trop simple n'est pas toujours intéressant. Dans de nombreux cas, il vaut mieux garder l'ensemble des modèles possibles pour faire une analyse statistique du comportement du système (voir Chapitre 5). La complexité du modèle doit également dépendre des caractéristiques du système étudié et des hypothèses simplificatrices réalistes pouvant être faites à la lumière des connaissances sur le système (Ferguson et al., 1998).