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AII.2 Le transport des solutés dans la zone hyporhéique AII.2.1 Expression générale du transport

Le transfert des solutés dans la zone hyporhéique est conditionné par deux mécanismes principaux : d'une part l'advection qui désigne le transport du soluté à la vitesse moyenne de l’eau ; et, d'autre part, la dispersion par diffusion moléculaire et dispersion cinématique. Dans les milieux naturels, la diffusion moléculaire est généralement négligeable devant les processus de dispersion cinématique causés par les hétérogénéités locales du milieu poreux. La dispersion a pour effet d’augmenter le volume occupé par le soluté et donc d’abaisser la concentration maximale de ce dernier et/ou de diluer le front de concentration, sans que la masse totale de soluté dans l’environnement ne change.

L’expression mathématique classique du transport des solutés en milieu libre ou en milieu poreux est l’équation d’advection-dispersion-réactions (Bear, 1972) présentée en détail dans les Chapitres 2 et 4 de ce mémoire. Pour un soluté donné et pour un problème unidimensionnel, cette équation peut s’écrire :

2 2

/

C

C

C

v

D

R S P

t

x

x

 

 

(1.1)

avec C (mg.L-1) la concentration du soluté considéré, v la vitesse d’advection interstitielle (m.s-1) et D le coefficient de dispersion (m².s-1). En milieu poreux, D est défini par :

/ a DD  (1.2) / o vv  (1.3)

où Daest le coefficient de dispersion apparent (m².s-1), vo est la vitesse superficielle (m.s-1) et  la porosité des sédiments (adimensionnelle).

Le terme R est un terme réactionnel qui peut être dû aux réactions chimiques (la précipitation par exemple), aux réactions biogéochimiques dues à l'activité des bactéries (respiration, dénitrification...) ou aux phénomènes physico-chimiques tels que l'adsorption ou l'absorption. Le terme S/P est un terme source/puits qui rend compte des retraits ou apports extérieurs (pluie, recharge, lessivage, pompage...).

En hydroécologie, les réactions chimiques et les phénomènes physico-chimiques sont souvent négligés face aux phénomènes hydrauliques et aux réactions biogéochimiques. Par conséquent, dans les sous-parties qui suivent, nous reviendrons successivement sur les processus hydrauliques et sur les transformations biogéochimiques concernant en particulier l’azote et la matière organique.

AII.2.2. Facteurs influençant les échanges hydrauliques

La compréhension des échanges entre cours d'eau et aquifère passe d’abord par une bonne représentation de l’hydraulique du système, en particulier de l’orientation des échanges et de la vitesse à l’interface entre les deux domaines.

En climat tempéré, lorsque le niveau d’eau est moyen, la plupart des cours d’eau drainent l’aquifère (Profil 1 Figure 1.9).

Figure 1.9. Coupe transversale et vue aérienne d'un cours d'eau drainant l'aquifère (Profil 1) ou

s'infiltrant dans l'aquifère (Profil 2).

Lorsque le niveau d’eau remonte dans le cours d'eau (crue, fortes pluies, fonte des neiges...), Profil 2

en fonction des conditions hydrologiques et de la position relative de la surface de la nappe et de celle du fond du lit du cours d'eau.

Plusieurs chercheurs ont essayé de classer les grands types de fonctionnement hydraulique du complexe cours d’eau-aquifère. En 1992, Larkin et Sharp ont par exemple proposé de classer les interactions entre cours d’eau et aquifère en se focalisant sur le sens des écoulements souterrains. Ils distinguent ainsi trois grandes catégories :

- 1. "Underflow-component dominant" : les flux souterrains s’écoulent parallèlement au sens d’écoulement du cours d'eau. Cette situation se retrouve le plus souvent dans les systèmes avec des cours d’eau à fort gradient, petite sinuosité, fort ratio entre largeur et longueur et faible incision.

- 2. "Baseflow-component dominant" : les écoulements souterrains sont perpendiculaires au cours d'eau, l’aquifère peut recharger ou être rechargé par l'eau de surface en fonction des conditions physiques et environnementales.

- 3. Situation intermédiaire : se trouve dans les systèmes où la pente longitudinale de la vallée et la pente du cours d’eau sont très proches.

Cette vue depuis le milieu souterrain ne prenant pas en compte la dynamique des échanges entre cours d’eau et aquifère, White (1993) proposa trois modèles théoriques d’interactions préférentielles basés sur la direction des échanges à travers la zone hyporhéique (Figure 1.10). Pour les petits cours d’eau en tête de bassin, l’extension de la zone hyporhéique serait limitée à quelques décimètres et les échanges hydrauliques principalement verticaux depuis l’eau souterraine jusqu’au cours d’eau. Plus en aval, la multiplication des secteurs alternant radiers et mouilles dans les cours d’eau de taille intermédiaire favoriseraient des échanges plus importants en trois dimensions et l’extension de la zone hyporhéique jusqu’à plusieurs mètres. Enfin, dans le cas des grands cours d’eau à pente plus faible et à forte sinuosité, l’écoulement souterrain dépendrait principalement de l’hydraulique du cours d’eau et la zone hyporhéique pourrait s’étendre latéralement sur des distances pouvant aller jusqu’à plusieurs centaines de mètres.

Figure 1.10. Modèle conceptuel des échanges préférentiels entre cours d’eau et aquifère pour A) un

petit cours d’eau en tête de bassin, B) un cours d’eau de taille moyenne et C) un grand cours d’eau (extrait de White, 1993).

Cette dernière classification a été confirmée par plusieurs études (e.g. Bencala, 1993 ; Thoms, 2003) mais les exceptions sont nombreuses. Il est donc souvent nécessaire de considérer chaque nouveau cas d’étude comme un cas particulier car les paramètres physiques locaux peuvent modifier considérablement les échanges hydrauliques. Parmi ces paramètres, on peut citer :

- la géomorphologie de la plaine alluviale (Larkin et Sharp, 1992),

- le degré d’incision du cours d’eau dans les sédiments (Doussan, 1994 ; Zlotnik et al., 1999), - la morphologie du cours d'eau (Wroblicky et al., 1998 ; Marion et al., 2002 ; Cardenas et al., 2004),

- les séquences radier-mouille qui favorisent les échanges verticaux (Harvey et Bencala, 1993),

- la conductivité hydraulique des sédiments (Morrice et al., 1997 ; Woessner, 2000 ; Cardenas

et al., 2004),

- les vitesses d’écoulement dans le cours d’eau (D’Angelo et al., 1993 ; Packman et Salehin, 2003),

AII.2.3. Activité biogéochimique de la zone hyporhéique

Le milieu sédimentaire est un système complexe composé de trois éléments : l'eau, les sédiments et le "biota". Le caractère qui différencie le milieu sédimentaire du cours d'eau réside dans le plus fort ratio du volume de particules minérales par rapport à la phase liquide. Cette forte proportion de particules minérales dans la zone hyporhéique a comme conséquence directe de favoriser la fixation des bactéries sur les particules, qui peuvent s’agglomérer sous forme de biofilm. La phase aqueuse a une influence directe sur l'activité de ces bactéries fixées puisqu'elle véhicule l’oxygène dissous, les substances organiques dissoutes et les ions issus de la minéralisation nécessaires au métabolisme des bactéries de la zone hyporhéique (Bianchi et al., 1988).

L'activité biogéochimique de la zone hyporhéique est le résultat des conditions physiques et chimiques particulières que l'on trouve dans cette zone, comme les gradients de potentiel d'oxydo-réduction, le gradient d’oxygène, les apports de nutriments et de carbone depuis le cours d’eau et/ou l'aquifère, les communautés denses d’invertébrés et de bactéries, et les gradients de température. Les différentes zones d'oxydo-réduction, dynamiques dans le temps et l’espace, que les nutriments traversent successivement lorsqu’ils transitent entre la surface et l’aquifère, favorisent également cette activité (Bourg et Bertin, 1993). Cela signifie que certains nutriments peuvent retourner dans le cours d’eau sous une forme très différente de leur forme originale lorsqu’ils se sont infiltrés dans les sédiments du lit du cours d’eau. Certains éléments peuvent également être totalement éliminés. L’impact des processus biogéochimiques dans la zone hyporhéique sur l’écosystème cours d’eau est très variable selon les études (Storey et al., 2004). Alors qu'il existe de nombreuses études portant sur le rôle de la zone hyporhéique dans les transferts de nutriments à l'échelle locale (voir les parties suivantes), assez peu de données sont disponibles concernant son impact sur le métabolisme global de "l'écosystème cours d'eau" (Fellows et al., 2001). Toutes les études ayant abordé cette problématique s'accordent cependant pour dire que la zone hyporhéique est un contributeur majeur à la respiration totale de l'écosystème cours d'eau (R). Grimm et Fisher (1984) ont ainsi montré que la zone hyporhéique de la "Sycamore Creek", un cours d'eau intermittent en milieu désertique, contribue à 40-50% de la respiration totale de l'écosystème. Fuss et Smock (1996) ont estimé cette contribution annuelle à 70% pour la "Buzzards Branch", un petit cours d'eau (ordre 1) de plaine à fond sableux. Naegeli et Uehlinger (1997) ont trouvé une contribution encore plus importante, entre 74% et 92% pour la "Necker", un

cours d'eau d'ordre six dont le lit est composé de graviers et galets. Fellows et al. (2001) ont également estimé la contribution de la zone hyporhéique sur 4 tronçons de 2 cours d'eau ("Rio Calaveras" et "Gallina Creek", New Mexico) à des valeurs comprises entre 40% et 93% de R. Ces différences dépendent principalement de la quantité et la qualité des flux d’eau, de matière et de nutriments échangés entre cours d’eau et aquifère, de la taille de la zone hyporhéique et de l’activité de ses communautés bactériennes (Jones et Holmes, 1996). Les paramètres physico-chimiques du milieu contrôlent donc l'expression des activités microbiennes et sont également influencés par ces activités.

L’oxygène joue un rôle clé dans l’activité des bactéries de la zone hyporhéique et détermine en grande partie si cette dernière agit comme une source ou un puits de nutriments pour le cours d’eau, en particulier pour l’azote (Jones et Holmes, 1996 ; Hedin et al., 1998). Quand tous les pores des sédiments sont saturés, le faible taux de renouvellement de l’oxygène et sa consommation par les organismes aérobies peuvent imposer rapidement des conditions anoxiques dans le milieu (Ponnamperuma, 1972). Le taux d’oxygène chute également rapidement avec la profondeur (Ponnamperuma, 1972 ; Sikora et Keeney, 1983). Lorsque l'oxygène n'est plus disponible, les microorganismes peuvent utiliser d'autres accepteurs terminaux d'électrons pour la dégradation de la matière organique qui sont par ordre décroissant d'efficacité (Figure 1.11) : nitrate, sulfate et carbonate (la quantité d'énergie libre libérée étant de plus en plus faible).

Plusieurs mesures ont montré que dans certaines zones hyporhéiques où les bactéries anaérobies sont actives, les teneurs en oxygène peuvent toutefois être significatives (e.g. Ghiorse et Wilson, 1988). Cela s'explique par la formation de conditions locales anoxiques qui peuvent être créées au sein même du biofilm, permettant à des réactions aérobies et anaérobies de se dérouler successivement sur une épaisseur de quelques millimètres (Nielsen

et al., 1990). C'est donc la concentration en oxygène à la surface cellulaire qui est importante.

Toutefois, cette dernière est impossible à mesurer in situ, les valeurs de concentrations en oxygène mesurées sur le terrain sont donc celles du milieu.