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1. Contexte théorique

1.2 Obstacles à l’alliance thérapeutique liés à la diversité culturelle

1.2.2 Biais culturels

Au-delà des différents biais personnels manifestés à travers le contre-transfert du psychothérapeute et le transfert du client au sein de leur dynamique relationnelle, les biais culturels peuvent aussi interférer négativement dans leur relation. Selon Vasquez (2007), la construction sociale de la race et de l’ethnicité au sein de la société signifie que chaque individu possède des biais non intentionnels qui peuvent s’exprimer subtilement, c’est-à-dire de façon involontaire ou non intentionnelle. Stampley et Slaght (2004) expliquent que chaque individu possède des biais culturels provenant, entre autres, de l’apprentissage de son cadre de référence culturel et de ses expériences de vie personnelles. Ces biais culturels peuvent se manifester chez le psychothérapeute par des réactions cognitives, émotionnelles et comportementales, étant donné l’origine ethnoculturelle du client différente de la sienne. Il en est de même pour le client à l’endroit de son psychothérapeute d’origine ethnoculturelle distincte de la sienne. Selon Stampley et Slaght ainsi que Tseng (1999), ces réactions du psychothérapeute et du client représentent respectivement l’expression de leur contre-transfert et transfert culturels. De leur côté, Comas-Diaz et Jacobsen (1991) soulignent que le transfert culturel peut se manifester de plusieurs façons : par le déni de la culture et de l’ethnicité, par la méfiance ou l’hostilité, par un sentiment d’ambivalence ressenti envers le psychothérapeute ou par un acquiescement excessif et une attitude amicale. Par ailleurs, selon Cabral et Smith (2011), il existerait une tendance chez le client à préférer avoir un psychothérapeute de la même culture que la sienne et à percevoir celui-ci plus favorablement que les autres psychothérapeutes.

Le contre-transfert culturel peut également s’exprimer de diverses façons : par le sentiment d’inconfort ressenti en abordant le thème de la race (Knox, Burkard, Johnson, Suzuki, & Ponterotto, 2003), par la curiosité excessive manifestée au sujet du cadre de référence culturel du client (Devereux, 1953), par le déni des différences ethnoculturelles, par des émotions et sentiments excessifs de culpabilité, de colère ou d’ambivalence ressentis à l’égard du client (Comas-Diaz & Jacobsen; Gorkin, 1987). L’étude de Fuertes et al. (2002) menée auprès de neuf psychologues américains d’origine européenne révèle que plusieurs d’entre eux ont ressenti une ambivalence due à la différence raciale d’un client. Ils ont également rapporté percevoir une ambivalence ressentie par le client à leur endroit, attribuée aussi à la différence raciale au sein de la dyade. Cette ambivalence s’exprimait selon eux à travers des comportements tels que l’absence aux séances psychothérapeutiques et le manque d’implication du client dans la thérapie manifesté par l’acte de ne rien dire ou la retenue dans les propos exprimés. Quant à l’ambivalence vécue par les psychologues, elle pouvait se manifester par la préoccupation d’être perçus comme étant aidants, compréhensifs et capables d’empathie par leurs clients.

De la même façon que le transfert et le contre-transfert personnels, le transfert et le contre-transfert culturels peuvent être positifs ou négatifs (Tseng, 1999). Par exemple, un transfert culturel négatif peut se révéler à travers la résistance du client qui se manifeste, entre autres, lorsque ce dernier ressent à l’endroit du psychothérapeute des sentiments négatifs en lien avec des différences culturelles (Pedersen et al., 2008), ce qui peut influencer négativement la qualité de la relation psychothérapeute-client. De même,

le contact avec des clients d’autres cultures peut entraîner chez le psychothérapeute un contre-transfert négatif s’exprimant par des sentiments tels que le sentiment d’être menacé ou distrait, ou encore le sentiment d’être sur la défensive (Pedersen et al., 2008). Aussi, Pedersen et al. soulignent qu’un tel contre-transfert culturel limite la capacité du psychothérapeute à être empathique, ce qui peut résulter en une escalade d’erreurs initiées par ce dernier et, conséquemment, en une diminution de la qualité de la relation avec le client. Selon Stampley et Slaght (2004), le contre-transfert culturel peut notamment s’exprimer par le manque d’empathie accompagné de perceptions erronées du client. Selon Kirmayer (2008), le manque d’empathie peut amoindrir la qualité de l’alliance thérapeutique, mais il peut aussi communiquer des informations sur la nature de la relation psychothérapeute-client. Ce manque d’empathie peut, entre autres, s’exprimer subtilement à travers le déni des différences ethnoculturelles ou encore la perception de l’autre en tant qu’étranger totalement différent de soi, ce qui constitue en soi un manque de perspective à l’égard d’autrui. Pour sa part, Roysircar (2005) souligne que le contre-transfert culturel peut se manifester par des interventions psychothérapeutiques dysfonctionnelles (p. ex., évitement de thèmes qui rendent le psychothérapeute inconfortable, tels que la religion, l’ethnie ou la race). Quant à Gounongbé (2008), il met en lumière l’analyse du contre-transfert culturel manifesté dans le cadre de la pratique « d’un clinicien né et ayant grandi en Afrique, formé dans une université européenne, et qui a été amené à pratiquer la psychothérapie en Afrique » (p. 81).

1.2.2.1 Ethnocentrisme et encapsulation culturelle. Nelson et Baumgarte (2004) soutiennent qu’une diminution de l’empathie envers une personne de culture différente de la sienne relève d’un manque de perspective quant aux différences culturelles, manifesté par une appréciation inadéquate de cette différence. D’après Cohen-Emerique (2000), ce manque de perspective s’inscrit dans une attitude d’ethnocentrisme1, principalement caractérisée par une tendance spontanée à décoder les différences culturelles selon son propre cadre de référence culturel. L’ethnocentrisme constitue donc une forme de biais culturel, puisqu’il entretient la méconnaissance de l’autre différent, tout en niant les particularités qui lui sont propres (Bourque, 2000). Cela représente une source potentielle d’erreurs d’interprétation au sein de la relation thérapeutique.

Certains auteurs utilisent l’expression « encapsulation culturelle » pour parler d’ethnocentrisme pouvant se manifester chez des psychothérapeutes. Cette expression a d’abord été introduite par Wrenn (1962) dans un article intitulé The culturally encapsulated counselor, puis reprise particulièrement par Pederson et ses collaborateurs, notamment Pedersen et al. (1989), Sue, Ivey, et Pedersen (1996), puis Pedersen (2000) qui décrit dix exemples d’encapsulation culturelle chez des psychothérapeutes occidentaux. L’expression se retrouve également dans l’encyclopédie de psychologie appliquée, éditée par Spielberger (2004). L’encapsulation culturelle réfère à une vision étroite de la réalité; la personne appréhende la réalité selon son propre cadre de référence

1 Outre la définition de l’ethnocentrisme soulignée dans le présent texte, il est à noter que l’ethnocentrisme

peut aussi être défini comme étant la tendance à croire que sa propre culture est supérieure à celle des autres (Varner & Beamer, 1995) ainsi qu’à surévaluer de la sorte son groupe culturel d’appartenance et à dénigrer les autres groupes culturels (Vallerand, 1994).

culturel duquel elle ne sort pas, présumant qu’il s’agit du seul cadre correct, et ce, peu importe l’évidence que ses cognitions peuvent être erronées. Elle ne prend donc pas en considération les assises culturelles de l’autre et est ainsi insensible aux variations culturelles présentes chez les individus. En outre, elle s’attend à ce que l’autre s’adapte, se transforme pour s’ajuster à son propre cadre de référence. Enfin, l’encapsulation culturelle l’empêche de considérer qu’elle est porteuse de biais culturels. D’après Sue et al. (1996), nous sommes tous vulnérables à l’encapsulation culturelle qui peut se manifester à divers degrés. Un psychothérapeute nord-américain qui insiste, par exemple, pour travailler sur l’individuation et l’autonomie d’un client qui a un concept de soi interdépendant, peut manifester une vision restreinte des objectifs thérapeutiques en raison de son encapsulation culturelle.

1.2.2.2 Importance accordée aux similarités et aux différences en lien avec la diversité culturelle. Accorder trop d’importance aux similarités ou aux différences entre les personnes figure aussi parmi les formes de biais culturels sous-jacents à l’intervention en contexte de diversité culturelle. Comme l’expliquent Pedersen et al. (2008), en tant qu’êtres humains, nous sommes tous similaires et différents à la fois. Ainsi, peu importe le niveau de différence d’une personne par rapport à une autre, il y a toujours aussi un certain niveau de similarité entre les deux. De même, peu importe le niveau de similarité d’une personne par rapport à une autre, il y a toujours aussi un certain niveau de différence entre ces deux mêmes personnes. Selon Pedersen et al., accorder une importance excessive aux similarités contribue à enlever symboliquement aux personnes leurs propres identités empreintes d’unicité. À ce sujet, Cabral et Smith

(2011) relatent que la perception de la similarité interpersonnelle, bien qu’elle réduise la production de stéréotypes, favorise le biais de présomption d’une plus grande similarité qu’il en est, en fait, dans la réalité. De même, nier les différences s’avère vraisemblablement irréaliste dans un contexte d’intervention interculturelle. En contrepartie, accorder trop d’importance à la diversité ou aux différences culturelles entre les individus contribue à la formation et au maintien de catégories distinctes sous forme de stéréotypes.

1.2.2.3 Stéréotypes et préjugés culturels. De façon générale, les stéréotypes et préjugés, constituant des idées préconçues, sont des modèles de représentations préétablis véhiculés par la société pour catégoriser et donner des repères à ce qui est insaisissable ou étrange (Cohen-Emerique, 2000). Ainsi, les stéréotypes et préjugés sont étroitement liés au cadre culturel issu de la société. Les stéréotypes sont d’ordre cognitif (p. ex., les francophones gesticulent constamment) alors que les préjugés sont particulièrement marqués de subjectivité en étant d’ordre affectif (Bourque, 2000; Cohen-Emerique, 2000). De façon plus spécifique, les stéréotypes et préjugés liés à la diversité culturelle, précisément qualifiés de « stéréotypes et préjugés culturels » dans le cadre de la présente thèse, entraînent une façon de réagir spécifique préétablie en fonction des caractéristiques ethnoculturelles attribuées à autrui (Bourque, 2000).

Les stéréotypes et préjugés culturels amènent une généralisation excessive qui contribue souvent à minimiser les différences individuelles (La Roche, 2005) et qui nuit à la compréhension de la réalité propre au client (Cohen-Emerique, 2000). Selon Gorkin

(1987), la contamination par les stéréotypes et les préjugés culturels est probablement inévitable dans la phase initiale d’une psychothérapie en contexte interculturel. Consciemment ou inconsciemment, aux niveaux cognitif, émotionnel et comportemental, le psychothérapeute réagira envers le client en fonction des stéréotypes et préjugés qu’il entretient à l’égard de la culture de ce dernier (Leman & Gailly, 1991). Le client fera de même à l’endroit du psychothérapeute. Étant donné de telles réactions manifestées par le psychothérapeute, les particularités propres au client risquent d’être peu explorées, voire ignorées au sein de la dyade psychothérapeute-client. Sue et Zane (1987) avancent que des difficultés relationnelles entre le client et le psychothérapeute peuvent se manifester si ce dernier agit selon des connaissances insuffisantes ou des généralisations excessives au regard du groupe ethnique particulier de son client.