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Éléments de synthèse et pertinence de la présente étude

1. Contexte théorique

1.5 Éléments de synthèse et pertinence de la présente étude

À la lumière des écrits relevés, nous constatons que les obstacles à l’alliance thérapeutique en lien avec les variables culturelles sont inévitables en situation de psychothérapie interculturelle. Plusieurs auteurs, dont Keenan et al. (2005), Matthews et Peterman (1998), Qureshi et Collazos (2011), Sue (1990), Sue et Sue (1977) et Cohen- Emerique (1980, 1993, 2000), ont relevé les principaux obstacles particuliers qui peuvent être rencontrés en contexte d’intervention interculturelle, notamment au regard des cadres de référence culturels et des biais culturels. Dans les pages qui précèdent, plusieurs stratégies adaptatives visant à contrer ces obstacles à l’alliance thérapeutique ont été exposées; par exemple, l’utilisation des services d’interprètes, l’empathie culturelle ou la communication de son ignorance culturelle, des stratégies d’autorégulation des émotions ou le développement de compétences interculturelles, pour ne rappeler que celles-là.

Ces obstacles et stratégies ne sont toutefois pas abordés spécifiquement selon l’expérience de psychologues d’origine québécoise œuvrant dans un contexte d’intervention interculturelle. Sur ce plan, en sol québécois, il y a plus de 15 ans, Chiasson (1998) soulignait particulièrement l’incompréhension du cadre de référence culturel parmi les difficultés rencontrées par divers types d’intervenants œuvrant en contexte interculturel, exposant alors la pertinence de la formation à l’intervention en

contexte interculturel. Encore aujourd’hui, les enjeux inhérents à l’intervention interculturelle sont significativement présents dans la société québécoise, notamment chez les psychologues (OPQ, 2008). Aussi, les psychologues québécois se doivent de prendre en considération les variables culturelles dans leurs interventions étant donné la croissance de la pluriethnicité au sein de la société québécoise. Cette nécessité est d’ailleurs reconnue par l’OPQ qui précise dans son Manuel d’agrément (2013) que la formation des psychologues doit les préparer à « intervenir auprès d’une diversité de clientèles » (p. 14) et à « ajuster les plans d’intervention en tenant compte des caractéristiques de la clientèle » (p. 14). Pour ce faire, l’OPQ soutient qu’il importe que les psychologues apprennent à considérer divers facteurs d’influence, notamment les facteurs culturels et ethniques, tant en évaluation qu’en intervention, et que ces derniers développent une connaissance de soi qui prenne en compte « les biais et les préjugés (notamment en contexte interculturel) » (p. 9) ainsi qu’une connaissance des autres, notamment en ce qui a trait à « l’adaptation ou l’intégration culturelle » et à leur « macro-environnement ethnoculturel » (p. 9).

Par ailleurs, sur le plan méthodologique, Jaouich (2007), tel que cité antérieurement, a étudié l’influence de variables culturelles sur l’alliance thérapeutique selon une méthode quantitative. L’étude de Jaouich, effectuée au Canada, porte sur les perspectives respectives de psychothérapeutes et de clients – issus de diverses origines culturelles – interrogés au moyen de questionnaires au sujet, entre autres, de l’impact de variables culturelles telles que les caractéristiques préexistantes des clients (p. ex., valeurs individualistes-collectivistes, acculturation) et le niveau de compétence

culturelle des psychothérapeutes sur l’alliance thérapeutique. De même, l’étude quantitative de Zhang et McCoy (2009) – réalisée aux États-Unis auprès de 53 psychothérapeutes professionnels ou en formation de différentes origines ethniques – porte sur la perspective de psychothérapeutes interrogés au moyen de questionnaires dans le but d’évaluer l’effet de la reconnaissance et de la discussion des différences raciales entre le psychothérapeute et le client sur l’alliance thérapeutique formée durant les séances thérapeutiques. Quelques autres recherches quantitatives se sont intéressées à différents aspects de l’alliance thérapeutique en contexte interculturel dont, parmi les plus récentes citées, les études de Hook et al. (2013) qui démontrent les bénéfices de l’humilité culturelle. Dans le cas de la présente recherche, si elle s’intéresse aussi à l’influence de variables culturelles sur l’alliance thérapeutique, elle est de nature qualitative étant donné son caractère exploratoire motivé par le désir d’approfondir la compréhension de l’expérience d’une population ciblée, ce qui, selon Paillé et Mucchielli (2008), est propice à la recherche qualitative. D’ailleurs, comme le soutiennent certains auteurs, les méthodes de recherche qualitative sont trop peu utilisées dans le domaine de l’intervention multiculturelle (Ponterotto, 2002; Worthington, Soth- McNett, & Moreno, 2007). En outre, comme le soulignait Cohen-Emerique en 1980, les travaux de recherche portant spécifiquement sur l’expérience de professionnels en contexte interculturel sont plutôt rares. Plus de 20 ans plus tard, d’autres auteurs font le même constat (Burkard et al., 2006; Fuertes et al., 2002; Leanza & McKinney, 2007).

Certaines études qualitatives centrées sur l’expérience de psychothérapeutes, telles celles de Fuertes et al. (2002), de Burkard et al. (2006), ou celle de Knox et al. (2003), révèlent cependant des résultats pertinents à l’objet de la présente étude, notamment en ce qui concerne les stratégies adoptées pour favoriser l’alliance thérapeutique en contexte de psychothérapie interculturelle. Par exemple, l’étude de Fuertes et al. menée auprès de neuf psychologues américains d’origine européenne a exploré leur expérience d’une thérapie s’étant déroulée avec succès en compagnie d’un client américain d’origine africaine. De façon plus spécifique, la conduite d’entrevues a permis d’explorer l’approche utilisée par ces psychologues pour intervenir auprès de clients américains d’origine africaine. Les participants ont révélé qu’ils utilisaient des habiletés fondamentales centrées sur le client pour favoriser l’établissement de la relation thérapeutique et que les interventions plus spécifiques ou sensibles à la culture du client, comme la discussion au sujet de la race, étaient utilisées pour renforcer la relation thérapeutique auprès de ces clients américains d’origine africaine.

De son côté, l’étude de Burkard et al. (2006) a été menée auprès de 11 psychothérapeutes américains d’origine européenne pratiquant la psychothérapie interculturelle. Cette étude révèle que, selon les perspectives des psychothérapeutes, le dévoilement de soi des psychothérapeutes est généralement utilisé auprès de clients de races différentes de la leur en ce qui a trait aux expériences de racisme ou d’oppression vécues par ces derniers. Par ailleurs, les résultats de cette dernière recherche exposent que selon les perspectives des psychothérapeutes, ce dévoilement de soi est une stratégie

qui améliorait souvent la qualité de la relation thérapeutique, en permettant particulièrement aux clients de se sentir compris.

Quant à l’étude de Knox et al. (2003), elle a permis d’explorer l’expérience de 12 psychologues américains d’origine africaine ou européenne en ce qui a trait à la discussion au sujet de la race au sein de dyades où le psychologue et le client sont de races différentes. Selon les témoignages obtenus, des psychologues de chacune des deux races ont perçu que la discussion au sujet de la race favorisait une amélioration du lien de confiance psychologue-client ainsi qu’une meilleure qualité de l’alliance thérapeutique.

Ces trois études qualitatives décrites succinctement portent sur l’expérience de psychologues ou psychothérapeutes américains d’origine européenne ou africaine qui travaillent aux États-Unis. Or, le contexte historicosociopolitique de ce pays est fortement teinté d’un lourd passé de racisme, voire même d’esclavage, de discrimination et de luttes raciales. Or, la présente étude s’intéresse particulièrement à l’expérience de psychologues d’origine québécoise qui évoluent dans un contexte historicosociopolitique différent au regard des rapports interraciaux ou interculturels. Ce contexte est par ailleurs relativement nouveau, notamment depuis les vingt dernières années, suite à l’Énoncé de politique en matière d’immigration et d’intégration publié par le ministère des Communautés culturelles et de l’Immigration du Québec, en 1990. Alors que le Québec a accueilli près de 54 000 personnes immigrantes en 2010, atteignant le niveau le plus élevé d’immigration de son histoire récente (Ministère de

l’Immigration et des Communautés cultuelles, 2011), la société québécoise cherche toujours à définir ses rapports majorité-minorités culturelles. En témoignent éloquemment les débats suscités par la Commission Bouchard-Taylor créée en 2007 pour mener une consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, ainsi que les débats suscités récemment par la Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l'État ainsi que d'égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d'accommodement déposée à l’Assemblée nationale du Québec en novembre 2013. Les psychologues québécois et leurs clients issus de divers groupes de minorités culturelles font partie de cette société. L’un comme l’autre est influencé par les facteurs historicosociopolitiques de son environnement. L’un comme l’autre revêt aussi son histoire personnelle et un cadre de référence culturel qui lui est propre.

À notre connaissance, l’expérience de psychologues québécois au regard de l’alliance thérapeutique avec des clients d’origine ethnique différente de la leur n’a pas été documentée. À l’instar de Leanza et al. (2005), qui soutiennent qu’il importe de mieux connaître la perspective des professionnels afin d’améliorer la qualité des interventions offertes aux clients d’origine ethnique différente, nous proposons d’explorer l’expérience interculturelle de psychologues québécois, notamment en vue d’examiner leurs représentations en ce qui a trait aux facteurs qui peuvent nuire à l’alliance thérapeutique en contexte interculturel. Nous proposons également d’identifier des stratégies qu’ils utilisent pour contrer ces obstacles potentiels. La connaissance de la perspective de psychologues œuvrant dans le domaine de la psychothérapie

interculturelle nous semble représenter une source d’information pertinente afin de créer ou de parfaire des programmes de formation adaptés à la réalité vécue par les psychothérapeutes, en vue de faciliter leur travail et d’améliorer la qualité des services offerts à une clientèle issue de diverses communautés culturelles.