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DE QUELQUES USAGES DES SAVOIRS SOCIAUX

I. LA BALADE COMME EXPLORATION DU SOCIAL

D’une certaine façon, le porteur du projet de découverte touristique d’un quartier d’habitat populaire s’apparente à un scientifique amateur et un amateur de sciences. C’est particulièrement vrai pour les artisans de la mise en récit des quartiers nord de Marseille (Hôtel du Nord), terrain principal sur lequel cette partie s’appuie. Or Bruno Latour distingue, dans une analyse du reste orientée sur les sciences expérimentales, les deux figures : le « scientifique amateur » est intéressé à reproduire les résultats scientifiques acquis en haut lieu, « en plus petit ». L’« amateur de sciences » quant à lui, est davantage c onquis par « la facture, le mouvement, le labeur, la patte » de ceux qui obtiennent ces résultats [Latour, 1993 : 7].

En ce qui concerne les modalités de la mise en œuvre d’une balade (protocole, discours) et passé l’approche ethn ologique du quartier (chapitre II), il semble d’une part que le porteur de projet importe une grille d’analyse sociologique pour comprendre et enseigner la situation sociale explorée. D’autre part, il appert qu’il assume également une patiente recherche au fondement de l’offre de balade, balade qui, de fait, apparaît rehaussée d’un sérieux certain ou d’un certain sérieux. Car tout en expérimentant et partageant un regard sociologique, tout en valorisant quelques trouvailles issues par exemple d’une recherche aux archives, les porteurs de projets ne sauraient prétendre faire œuvre de science : « C’est pas un truc d’universitaires » résume Ludivine (salariée du centre social La Viste, guide du quartier, la trentaine, entretien 19).

Chapitre III. De quelques usages des savoirs sociaux

Cette position, en revendiquant l’amateurisme, suggè re deux questions. D’abord, l’importation touristique d’un outillage sociologique sur le terrain de l’offre touristique est-elle consciemment effectuée ? Autrement dit, revendique-t-on explicitement une autre façon de faire de la sociologie, dans un autre cadre, selon un mode participatif, avec un dispositif plus léger ? Ou bien plutôt faut-il voir dans ces essais sociologiques délocalisés, la traduction d’une diffusion des savoirs sociologiques pour partie appropriés et maniés sans référence explicite à la discipline ? Dans les deux cas, le repérage des quelques traits sociologiques de l’offre conduit à réfléchir à la question de la réflexivité du monde social.

Tout au plus peut-on dire d’ores et déjà que le désir de compréhension est manifeste chez les porteurs de projets et les touristes qui les accompagnent en balade. Et qu’il s’incarne donc dans un recyclage plus ou moins volontaire de la posture sociologique . Il en est ainsi lorsque le tourisme exploré s’accorde avec le précepte durkheimien fondamental de l’explication du social par le social [Durkheim, 1895]. Porteurs de projet et touristes apparaissent en effet décidés à r apporter aux phénomènes observés dans les quartiers d’habitat populaire des causalités sociales qu’ils mettent à jour et discutent au cours de la balade.

Aussi, cette première partie travaille l’idée selon laquelle les acteurs de cet univers touristique, en amateurs, n’en déplacent pas moi ns quelques enjeux cruciaux de la discipline sur le terrain réputé frivole du loisir. Un premier axe expose quelques tentatives de compréhension sociologique expérimentées par les acteurs et suggère que ces expérimentations demeurent limitées à un cercle de curieux entretenant un rapport au savoir privilégié. Un second axe centre la discussion suivant la règle sociologique de la mise à distance du sens commun : il constate des expressions qui relativisent des idées couramment répandues, ainsi en qui concerne celle associant forme urbaine et déviance sociale. Une idée fort prégnante dans les discours politiques et médiatiques dominants. Il suppose alors que l’ancrage à gauche de l’échiquier politique de ce tourisme participe de sa dimension critique.

1. Expliquer le social par le social

Emblématique est le verbatim suivant, qui condense la lecture éminemment sociale du monde exploré, renseignant dès lors sur la culture sociologique des offreurs dont viennent s’enquérir les demandeurs : « Quand j’anime une balade, c’est le social, le social, et encore le social ! »

« QUAND J’ANIME UNE BALADE, C’EST LE SOCIAL,

LE SOCIAL ET ENCORE LE SOCIAL ! »,

Christiane, à l’origine d’Hôtel du Nord

revendique l’historienne à l’origine de la coop érative Hôtel du Nord (Christiane, la soixantaine, entretien 8).

Bien que se qualifiant « en rupture de ban avec l’académisme » qu’elle juge « pompeux », nul doute que la formation universitaire de celle qui est à l’initiative d’Hôtel du Nord a insufflé à l’organisation des modes de penser et de faire une balade issue des sciences du social, historiques et contemporaines. C’est en effet elle qui pose comme un principe incontournable le détour par les archives municipales avant toute mise e n œuvre. C’est encore Christiane, qui lorsqu’elle anime une balade ou accompagne la construction d’une balade – mettant ainsi ses compétences d’analyste au service des autres sociétaires Hôtel du Nor d – pointe les facteurs sociaux aboutissant aux situations interrogées. Il s’agit bien avec Hôtel du Nord, au sujet des cités notamment, parce qu’elles cristallisent l’imaginaire de la banlieue [Stébé, Marchal, 2009] , de « remettre les événements dans un continuum historique de façon à éviter qu’on dise : les cités c’est comme ça. Non ! Les cités c’est comme ça, les gens sont là dans ces conditions parce que… Il faut refaire du contexte » (Christiane , entretien 8).

Cet effort de contextualisation donc, un trait structurant de l’offre étudiée, est le produit de questionnements développés par les offreurs qui interrogent avec détermination les causes des situations dont ils témoigneront à l’occasion des balades.

Sociologie marchée et mâchée ?

Ainsi cette sociétaire Hôtel du Nord, particulièrement active dans la mise en œuvre de balades en cités, réfléchit en ces termes lors d’un entretien : « Il y a toute une garde de jeunes gens dans ces quartiers qui dealent, qui ont fait des cités leur territoire, eux qui n’ont plus de territoire dans leur bled. Ils ne le connaissent pas, ni la langue d’origine. Ils ont été ghettoïsés par l’absence de transports en commun, le discours, la scolarisation qui devient de plus en ghettoïsée… » (Danielle, artiste-plasticienne, la cinquantaine, entretien 2).

Les thèmes évoqués sont au plus haut point sociologique s et au cœur de nombreux travaux depuis plusieurs décennies : déviance sociale chez les jeunes des quartiers [Mauger, 2009], traumatismes liés aux parcours migratoires [Rea, Tripier, 2008], inégalité d’accès aux ressources urbaines [Pinçon-Charlot, Préteceille, Rendu, 1986], construction sociale du problème des banlieues [Baudin, Genestier, 2002] et inégalités scolaires [Bourdieu, Passeron, 1964] sont entendues comme de s amplifications singulières d’un processus plus général de « ghettoïsation ». Processus au demeurant discuté comme une conceptualisation importée des Etats -Unis et sans doute rapportée trop rapidement au contexte des grands ensembles français [Wacquant, 2007].

Il reste que ces thèmes, auxquels il conviendrait d’ajouter ceux du travail (mémoires ouvrières, désindustrialisation, revitalisation économique) et

Chapitre III. De quelques usages des savoirs sociaux

de l’urbanisme (histoire du logement, architecture) pour être tout à fait complet, alimentent largem ent le propos touristique. Ce sont ces thèmes en effet évoqués le temps de la marche qui conduisent à une réflexion collective à Marseille (Hôtel du Nord) comme à Paris (« A Travers Tout Paris ») : « On lance des questions, mais on n’a pas forcément les réponses. Il y a une volonté de partage, d’échange de points de vue » explique cette étudiante formée à la sociologie (elle est titulaire d’une licence) et guide par ailleurs en banlieue parisienne (Amélie, étudiante en 2ème année à l’école d’architecture de Paris-La Villette, la vingtaine, entretien 32).

De fait dans ces offres, le guide ne saurait être le seul détenteur de la parole (et partant seul légitime à interpréter l’univers traversé). Bien plus, la balade relève d’une co-construction et à tout moment chaque participant questionne, raconte, propose. Les codes de la visite guidée formelle sont donc ici mis à mal et ce tourisme ne s’affirme pas seulement hors des sentiers battus du point de vue spatial, aux franges de la ville, mais également par les modalités mêmes de son effectuation. « On montre des lieux symboles de la décrépitude, comme la piscine abandonnée. Ça pose la réflexion. Après on discute » explique Ludivine (salariée du centre social de La Viste, guide du quartier, la trentaine, entre tien 19).

Interrogé le long d’une balade urbaine estampillé e « Terroir des Cités » par Hôtel du Nord, ce géologue parle de son côté de l’esprit avec lequel il aborde la visite de La Visitation : « Je m’intéresse au patrimoine, à l’histoire de la ville. Donc c’est dans cet esprit-là. L’urbanisme aussi. Comment… des campagnes on passe aux zones industrielles… Ce qui m’intéresse le plus c’est voir les vestiges de la campagne originelle, comment était le territoire avant. Comment au fil des générations, il s’es t adapté, transformé » (la quarantaine, parcours commenté 7 a).

Précisément, il semble utile de reprendre au compte d’un prop os discutant l’hypothèse d’un tourisme sociologique le terme d’« esprit » (spiritus, « souffle » en latin) employé par ce particip ant. Il dit bien en effet la proposition qu’il convient de défendre face au constat d’une offre de balades au carrefour de problématiques mal arrimées empiriquement (ces promoteurs font des rencontres informelles avec les acteurs qui supplantent la tenue d’entretiens formalisés par les méthodes des sciences sociales), théoriquement limitées (tout au plus assistons -nous à des remontées en généralité se limitant au triptyque thém atique structurant les balades : organisation socio -urbaine, mémoires industrielles et des migrations), et néanmoins inscrites au cours d’une situation sociale observée et commentée le temps d’une marche.

Partant, il est proposé que souffle sur ce tourisme une « quête de compréhension du monde, de la société » (Nathan, artiste-guide, formé aux métiers de l’architecture, la trentaine, entretien 5) qui dépasse le registre enchanteur couramment répandu dans les visites guidées habituelles, de l’anecdote croustillante : « J’ai fait des balades par ailleurs,

mais c’était top pittoresque » déclare cette participante à une balade Hôtel du Nord (professeure retraitée de français en collège, la soixantaine, parcours commenté 2 a). Cette offre se situe dès lors dans l’esprit de la découverte scientifique, c’est -à-dire qu’il recoupe, non pas également, mais selon une autre modalité, une volonté de savoir.

Un partage du savoir encore limité

De prime abord, la balade, en tant que cadre de découverte accessible puisque lié au thème du loisir, réalise sa part de l’ambition politique de la sociologie définie par Charles Wright Mills dans un passage où il définit le sociologue comme un éducateur : « L’éducateur doit commencer par ce qui excite l’intérêt de l’individu, même si cela doit paraître banal et vulgaire. Il doit faire en sorte que le sujet aborde ses préoccupations de façon de plus en plus rationnelle, ainsi que celles que l’entraînement l ui fera acquérir. Et l’éducateur doit s’efforcer de former des hommes et des femmes à même de vouloir continuer seul dans la voie qu’il a tracée : le produit de l’éducation libératrice, c’est l’autodidacte ; en somme, c’est l’individu libre et rationnel » [Wright Mills, 1959 : 191].

Cliché 34. Christiane, figure à l’origine d’Hôtel du Nord, vers 2014-2015, cliché Hôtel du Nord.

Réunis autour de l’historienne le temps d’une balade qu’elle anime, le groupe pratique avec cette marche, une sorte de classe verte : le milieu traversé est observé, interprété, discuté. L’exercice est ici effectué à partir de la reproduction d’un document historique.

Cliché 35. Un entrepôt, refuge de la communauté Roms, août 2016.

Histoire et problématiques sociales contemporaines sont conjointement abordées dans ces balades. La photographie montre un entrepôt industriel calciné qui hébergea longtemps une commun auté Roms. C’est ce qu’explique Christelle, habitante-guide de La Visitation, située à proximité immédiate. Elle raconte en particulier la solidarité qui s’était alors développée entre habitants de la cité et Roms.

Chapitre III. De quelques usages des savoirs sociaux

Idéalement, l’offre de balades explorée peut être analysée comme un circuit d’entraînement au savoir sociologique, une antichambre touristique de la discipline dont on importe les analyses dès lors partagées hors les murs de l’université, dans un cadre plus souple dont les images associées restent séduisantes [Amirou, 1995].

Une question se fait alors pressante : qui sont ceux qui partagent, discutent ces analyses ? Certes, une sociologie appuyée des participants aux balades serait nécessaire pour conforter ce qui appara ît encore comme une suggestion : le public des balades urbaines est relativement proche des canaux épais de la culture légitime et des savoirs universitaires. A Hôtel du Nord, où le noyau dur des membres se car actérise par une appartenance aux milieux intellectuels et artistiques, la demande, mêlant sociétaires, sympathisants et autres touristes « responsables » est aussi bien dotée pour l’essentiel en capital culturelle [Bourdieu, 1979]. Et comme Hôtel du Nord, « A Travers Paris » est associée à des figures universitaires : si la première est à l’initiative d’une historienne, la seconde fut créée par une association d’étudiants en sciences humaines et sociales.

On peut sans risque supposer que le gros de la demande est tout aussi bien doté culturellement, à l’image de cette professeure retraitée de français en collège qui a « entendu parler d’Hôtel du

Nord dans Télérama3 » et qui plébiscite des balades « fouillées », « creusées » insiste-t-elle (la soixantaine, parcours commenté 2 a).

C’est qu’en effet les balades ressemblent à des cours dispensés in situ : ainsi Julia, sociétaire incontournable d’Hôtel du nord, artiste-guide, diplômée d’un magistère en sciences sociales appliquées aux relations interculturelles, d’un Master 1 de sociologie et intervenante à l’univ ersité d’Aix-Marseille dans le Master Management des organisations culturelles, « raconte l’histoire des cités » (la trentaine, entretien 20). Des bidonvilles aux grands ensembles d’habitat social, du besoin de main -d’œuvre de l’appareil productif français aux rapatriés d’Algérie, son propos n’élude rien et demeure une habile retraduction hors les murs de travaux richement documentés [Dufaux, Fourcaut, Skoutelsky, 2003].

Tout l’enjeu est désormais d’élargir le public des balades urbaines, une tâche à laquelle se confrontent au demeurant toutes les organisations affichant des objectifs de démocratisation culturelle. En cela, l’exposition muséale hors les murs pratiquée par de nombreux musées d’art contemporain montre que délocaliser les lieux de l’exposition ne saurait suffire à lutter contre une société fondamentalement organisée en classes

3Télérama est un hebdomadaire sur l’actualité culturelle. Sa ligne éditoriale est classée à gauche.

« LES BALADES SONT CREUSEES, FOUILLEES », Une participante à des balades Hôtel

et distribuant inégaleme nt les capitaux culturels. Acter qu’une nouvelle géographie du savoir déborde des lieux de culture hérités pour des terrains familiers comme le touristique, ne saurait donc signifier (pour l’heure) la fin du partage social du savoir.

2. Du tourisme critique ?

Paradoxalement, alors que la balade urbaine au détour des quartiers d’habitat populaires les réinsère suivant un cadre touristique dans un récit (mémoires ouvrières, mémoires des migrations, histoire de l’urbanisme), elle redouble à sa façon la stigmatisation qui les affecte.

Dans une moindre mesure adossées aux valeurs monumentales et esthétiques classiques (sans toutefois toujours les exclure4) et préférant « une recherche de vérité du territoire » (Bastien, éditeur à l’initiative du GR2013, la trentaine, entretien 13), les anomies social es des lisières urbaines sont dévoilées dans une optique bourdieusienne. On y présente un quotidien qui, outre des valeurs historiquement associées aux quartiers populaires (comme la convivialité, la solidarité,… ) [Coing, 1966] et que la vie en grand ensemble dégraderait [Chamboredon, Lemaire, 1970], est constitutif de difficultés économiques et social es. Articulée bien souvent sur une ligne de fracture découplant le juste de l’injuste, la balade urbaine en cité pointe alors les méfaits du décideur public ( on y critique la gouvernance locale et nationale) et du faiseur d’opinions ( on y critique les médias).

En cela, l’angle d’exploration du monde social offert par la balade rappel le aux présupposés des théories critiques de la domination. Celles -ci « prennent le point de vue de la totalité », opposent de tout temps et en tout lieu « dominants » et « dominés » et « dévoilent » ce qui échappe à la conscience des acteurs [Boltanski, 2009 : 17]. Partant, il y a un a musant paradoxe à postuler un rapport entre cette offre touristique et cette optique sociologique, précisément réputée pour occulter le principe actif et réflexif des conduites humaines. Mais dans quelle mesure peut -on parler de conduites touristiques réfl exives ?

Dévoiler

Si « la sociologie est un sport de combat » ainsi que le proclame Pierre Carles en référence aux travaux de Pierre Bourdieu5, la balade au détour des quartiers populaires monte au front à sa manière, sur le terrain hautement conflictuel d u patrimoine [Gravari-Barbas, Veschambre, 2004 ]. Il est vrai que « le patrimoine des uns n’est pas nécessairement celui des autres » et que, « lié aux questions d’identité », il est « conflictuel » insiste Jacques, sociétaire Hôtel du Nord (philosophe - enseignant à l’école des

4 Le chapitre VI le montre.

5La sociologie est un sport de combat, Pierre Carles, 2001, documentaire distribué par Cara M, 2h26min.

Chapitre III. De quelques usages des savoirs sociaux

Beaux-Arts de Marseille, la cinquantaine, entretien 2). Toutefois, l’attention relative portée aux héritages bourgeois à la faveur des héritages populaires pourrait être analysée comme un simple effet d’un rapport extensif (d’ordre typologique, spatial et chronologique) aux patrimoines dans nos sociétés [Di méo, 1995].

Plus inédit et éclairant sans doute, est cette tendance touristique à mettre en lumière les aspects négatifs de l’ordre social. Si bien que l’étude de ces pratiques est susceptible d’alimenter une réponse à la question posée sous la direction de Bernard Lahire : À quoi sert la sociologie ? [Lahire, 2002]. A notamment servir le fond critique que sous -tend un ensemble de pratiques posées comme des alternatives au tourisme fordiste hérité [Cuvelier, 1997]. Dans le cas de l’offre explorée précisément, le thème de l’inégalité sociale gouverne et pousse à l’envisager au titre des usages sociaux effectifs des travaux sociologiques.

Aussi, de même que les chercheurs qui s’intéressent et étudient les banlieues, « plutôt de gauche », mettent l’accent sur « les marqueurs de l’inégalité économique et sociale » [Giblin, 2009], les promoteurs des balades - à Marseille en premier lieu - se concentrent sur des enjeux problématiques de cet ordre. A Hôtel du Nord, la vitalité de la critique s’ancre dans un camp politique. Réputée proche du PCF, l’historienne

à l’origine de la coopérative a insufflé « un certain nombre de valeurs qui sont celles d’un fonctionnement démocratique et coopératif, de l’antiracisme, de l’inscription solidaire dans les quartie rs » (Jacques, sociétaire Hôtel du Nord, la cinquantaine, philosophe - enseignant à l’école des Beaux-Arts de Marseille, anarchiste, entretien 2). Plus directe, cette participante régulière a des balades explique : « Hôtel du Nord c’est des gens de gauche. Evidemment ! Sinon qui s’intéresserait aux patrimoines des quartiers nord, à ses habitants ? Tout le monde s’en fout autrement des quartiers » (enseignante retraitée de français dans un collège des Bouches-du-Rhône, la soixantaine, parcours commenté 2 a). C’est pourquoi Julia, artiste-guide et sociétaire Hôtel du Nord analyse la démarche consistant à « voir les quartiers nord autrement » comme « un acte militant qui participe d’une forme de désenclavement au-delà du constat de quartiers abandonnés » (diplômé d’un magistère de sciences sociales appliquées aux relations interculturelles et d’une maîtrise de sociologie, la trentaine, entretien 20).

Si Hôtel du Nord, plus que toute autre organisation explorée dans cette recherche, est emblématique d’une offre touristique ancrée à gauche qui vise à dénoncer l’inégalité de conditions, nul doute qu’elle participe d’une

« HOTEL DU NORD C’EST DES GENS DE GAUCHE. EVIDEMMENT ! SINON QUI

S’INTERESSERAIT AUX PATRIMOINES DES QUARTIERS NORD, A SES

HABITANTS ? », Une participante à des balades

offre critique plus large. Certes, désormais une « batterie de qualifications » (tourisme durable, solidaire, éthique, respo nsable) renvoie à « des postures et des valeurs (politique, éthique) » [Lefort, 2012]. Mais l’offre dont Hôtel du Nord suggère les contours, est moins critique parce que porté par les principes d’un tourisme différent6 que par le discours tenu sur les quartiers de la relégation.

Et à l’heure de la mondialisation, cette offre apparaît internationalisée : tourisme, savoirs sociaux, militantisme, structurent par exemple l’offre de balades de « L’Autre Montréal ». C’est d’ailleurs le repérage du point de

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