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« La preuve en est dans ce qui arrive à propos des œuvres artistiques ; car les mêmes choses que nous voyons avec peine, nous nous plaisons à en contempler l'exacte représentation, telles, par exemple, que les formes des bêtes les plus viles et celles des cadavres », Aristote, Poétique, chapitre IV, [1990 : 89].

INTRODUCTION

Ce chapitre interroge deux processus historiquement liés par la pratique touristique : l’artialisation et la patrimonialisation. Le premier, popularisé dans un Court traité du paysage par le philosophe Alain Roger, fait référence à l’opération artistique suivant laquelle le « pays » se transmute en un paysage [Roger, 1997]. Le second désigne la construction sociale d’un lieu ou d’un objet (matériel ou immatériel) comme héritage1. Paysage et patrimoine sont du reste polysémiques, les champs de l’étude culturaliste du paysage et du tourisme mobilisant des approches et des traditions disciplinaires varié es.

Les deux termes ont encore en commun de définir toujours plus de sites et objets. De fait « la fabrique du patrimoine » [Heinich, 2009] s’emballe et Vincent Veschambre rappelle que Guy Di Méo [1995] et Maria -Gravari Barbas [1996] ont théorisé s les premiers sur « le renouvellement de la notion de patrimoine » qui « comporte non seulement une extension typologique (du château à l’usine), chronologique (des antiquités au patrimoine du XXème siècle), mais aussi spatiale (de la croix de pierre au paysage) (Veschambres, 1998) » [Veschambre, 2007, a]. Sur le paysage justement, déjà dans les années 1970, Yves Lacoste suggère que la « valorisation esthétique de paysages dont on ne disait rien il y a peu de temps encore (ni beaux ni laids) tient évidemment au rôle croissant des médias du tourisme et des vacances qui développent le sentiment paysagique » [Lacoste, 1977 : 66].

Depuis, dans un « régime esthétique où se brouille la distinction entre les choses qui appartiennent à l’art et celles qui appartiennent à la vie ordinaire » [Rancière, 2004 : 13] intensifié sous l’effet d’un capitalisme entré dans un âge « artiste » pour Gilles Lipovetsky et Jean Serroy [2013] – ils parlent d’« esthétisation du monde » - le recyclage de sites toujours plus nombreux et variés en paysages s’accélère. Ainsi les paysages industriels2 des régions marquées de l’histoire ouvrière devenus des spots touristiques (tourisme industriel, « Urbex3 ») et photographiques (voir par

1Etymologie de patrimoine : « ensemble des biens, des droits hérités du père ».

2Ne faut-il pas plutôt dire les « paysages de la désindustrialisation » tant il s’agit davantage de labéliser des sites devenus obsolètes sous l’effet des mutations des systèmes socio-productifs ? 3« L’Urbex » ou « exploration urbaine », dont il est difficile de dater l’origine et de situer son berceau bien que l’on puisse sans risque dire qu’elle est une branche singulière de la cataphilie, rassemble des pratiquants à la recherche d’endroits abandonnés et oubliés de toute procédure de reconversion : sites industriels en premier lieu mais aussi, habitats, friches touristiques (hôtels, parcs de loisirs, etc.), prisons, hôpitaux... autant de terrains de jeux pour ces explorateurs d’un nouveau genre. Les photographies prises de ces lieux constituent un aspect important de la pratique et ces clichés alimentent une vaste blogosphère. Sur l’un de ces blogs, un explorateur définit ainsi sa pratique : « Nous vivons la ville, la subissons, coincés dans les chemins tracés par les architectes bâtisseurs. L’exploration urbaine consiste à franchir ces limites dessinées par d’autres. Enjamber une barrière, franchir une porte, ramper dans un tunnel, ouvrir une trappe.

Chapitre V. De quelques mises en œuvre artistiques et patrimoniales des cités

exemple les photographies dès les années 1960 du couple allemand Becher) comme ceux des « landscapes suburbs » nord-américains (dont les clichés de l’artiste-photographe Robert Adams témoigne nt dans les années 1970), rappellent combien rares sont les sites n’ayant pas accédé à une dignité paysagère.

Le cas de la récente (2012) labélisation par « l’United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization » (UNESCO) du Bassin minier du Nord-Pas de Calais, articulée autour de traces matérielles (terrils par exemple) et immatérielles (mémoires ouvrières)4, peut être analysée comme un exemple emblématique de la façon dont artialisation et patrimonialisation communiquent. La patrimonialisation du « décor-écrin » que constitue le jardin [Gillot, 2005 ], bien sûr, est aussi exemplaire. Et tout récemment (2016), l’œuvre de Le Corbusier a été labélisée par l’UNESCO : 17 sites au total sont concernés.

Toutefois centré sur le terrain des quartiers d’habitat social à Lyon, Marseille, Paris et Montréal, le chapitre considère le lien unissant artialisation et patrimonialisation à partir de la question partagée du regard. Car en matière de paysage comme de patrimoine, le po int de vue est fondamental.

Le paysage n’est-il pas un « objet socialisé », une « image qui n’existe qu’au travers du phénomène physiologique de la perception et d’une interprétation socio -psychologique » et qui « n’a donc de réalité et de sens que pour un groupe social » donné ? [Bertrand, 1978 : 100]. Et le patrimoine, le produit de la reconnaissance sociale de certains héritages par des groupes sociaux qui impose des vues et des angles morts ? [Veschambre, 2007, a].

Dès lors, les processus combinés de patrimonialisation et d’artialisation de certains quartiers d’habitat social se feraient-ils au regard de quelques-uns et de l’exclusion des processus d’une majorité ?

Toutes ces approches et les recherches qui conduisent à la partie utilitaire de la ville, souvent très esthétique, constituent l’exploration urbaine. Des endroits où vous n’êtes pas supposés aller. Vous quittez la partie toute tracée. Vous explorez », URL : <http://www.forbidden-places.net/whyfr.php>, consulté le 18 mars 2016. L’Urbex est aussi motivé, à n’en pas douter, par une quête expérientielle qui double probablement l’enjeu d’artialisation.

4« Le Nord-Pas de Calais offre un paysage remarquable façonné par trois siècles (XVIIIe au XXe siècle) d’extraction du charbon. Les 120 000 hectares du site sont constitués de 109 biens individuels qui peuvent être des fosses (la plus vieille date de 1850), des chevalements (supportant les ascenseurs), des terrils (dont certains couvrent 90 hectares et dépassent les 140 mètres de haut), des infrastructures de transport de la houille, des gares ferroviaires, des corons et des villages de mineurs comprenant des écoles, des édifices religieux, des équipements collectifs et de santé, des bureaux de compagnies minières, des logements de cadres et châteaux de dirigeants, des hôtels de ville, etc. Le site témoigne de la recherche du modèle de la cité ouvrière, du milieu du XIXe siècle aux années 1960, et illustre une période significative de l’histoire de l’Europe industrielle. Il informe sur les conditions de vie des mineurs et sur la solidarité ouvrière », URL : <http://whc.unesco.org/fr/list/1360>, consulté le 18 mars 2016.

Fort de cette entrée par le regard, envisagée pour opérante dans le cadre de l’hypothèse d’une modification de l’image sociale de la cité HLM, le chapitre met en lumière des manières de voir ces quartiers de la relégation lorsqu’ils sont les lieux d’une opération artistique ( in situ et in visu) ou d’une mise en lumière touristico -patrimoniale (par l’offre d’une balade urbaine, la labélisation et/ou la conservation).

Renouant avec une antécédence fort ancienne entre pratiques artistiques et touristiques que le chapitre rappelle, des pratiq ues singulières qualifiées de récréa(r)tistes sont particulièrement discutées. Toutes sont du reste interrogées en termes d’acteurs (qui regarde ?) de modalités (comment regarde-t-on ?), de buts (à quelles fins ?) et donc d’effets : en quoi participent-elles d’un processus de (re)connaissance des spécificités architecturales, sociales et culturelles des cités d’habitat populaire [Vayssière, 2002 ; Pouvreau, 2011 ; Veschambres, 2013 ; Kaddour, 2013] ? Autrement dit, dans quelle mesure signent -elles une perception nouvelle portée sur ces quartiers ?

Ces questionnements font l’objet de trois parties.

Une première pose le cadre théorique envisagé comme opératoire pour penser les effets de certaines réalisations artistiques en cité. Il s’incarne dans la théorie de l’artialisation. Celle -ci est alors discutée, dans le but d’en préciser la portée et les limites, en règle générale et lorsqu’elle est en particulier transférée des paysages « naturels » (son contexte initial) au terrain de la cité (un contexte nouveau de mise à l’épreuve).

Partant, une seconde partie pr ésente et analyse un ensemble d’expérimentations artistiques effectuées en cité. Leur dimension artialisante est évaluée, mais plus encore, les ressorts sociologiques du rapport contrasté (entre habitant et artiste) à l’œuvre d’art sont mis au jour. Le couple problématique repéré par Alain Roger sur le terrain de la campagne entre paysan et paysagiste, ne peut-il pas être utile pour penser l’opposition observée en cité entre habitant et artiste ?

Enfin, une troisième partie creuse encore davantage ce rapport contrasté au quartier selon la posture (esthète ou non) et l a position (sociale) de celui qui regarde. Dans cette ultime partie, il n’est alors plus question de la cité en tant que terrain d’expérimentation artistique, mais de la cité en tant qu’objet patrimonial. Dans les deux cas, il apparaît que l’appréciation (artistique ou patrimoniale) de la cité est relative, c’est -à-dire indexée sur une série de facteurs.

Chapitre V. De quelques mises en œuvre artistiques et patrimoniales des cités

I. DU PAYSAGE NATUREL A LA CITE. REPERES PROBLEMATIQUES SUR L’OPERATIVITE DU CONCEPT D’ARTIALISATION

Littéralement, le paysage est une « vue d’ensemble, qu’offre la nature, d’une étendue de pays, d’une région ». Panorama, point de vue et site sont dès lors ses synonymes. Cette courte dé finition renseigne déjà à plusieurs titres. Selon celle -ci, le paysage est une portion de territoire (ou pays, région) qui se donne à voir depuis un certain point de vue , large (on parle d’une « vue d’ensemble »). Le paysage est en outre « naturel » (il est « offert » par la « nature »). Une telle définition, coutumière, ne met pas moins sur la piste de quelques -uns des aspects les plus fondamentaux de la controverse entourant l’étude culturel le du paysage.

Faut-il comprendre le paysage comme le pays transmuté sous l’effet d’une vision distanciée ? L’opération de recul depuis un point de vue est-elle donnée à tous ? Existe-il alors des points de vue privilégiés, soit des visions du monde légitimes ? Et d’où proviennent-elles et comment s’incarnent-elles ? Le paysage est-il toujours « naturel » ? Ou bien le paysage n’est-il pas plutôt nécessairement culturel ? Ces quelques interrogations phares ont donné lieu à des réponses différentes et alimenté une riche controverse.

Pour y voir clair, la synthèse offerte par John Wylie [2007] est précieuse. Couvrant les années 1970 à 1990, elle propose quelques balises et figures importantes. Centrée sur le monde académique anglo -saxon, le recours à l’anthologie française, par comparaison, proposée par Alain Roger [1995] sur la question paysagère et réunissant ses plus illustres contributeurs, permet de mesurer les chemins identiques empruntés d’un monde à l’autre comme les singuliers détours.

La différence la plus saillante est sans doute celle -ci : alors que la tradition paysagère anglo-saxonne s’est davantage défaite de l’opposition entre pays et paysage, il demeure que celle -ci marque durablement les recherches françaises. A ce titre, les travaux d’Alain Roger sont emblématiqu es. Les deux premières sous-parties (« Rappels sur l’étude culturaliste du paysage » et « L’artialisation : de quelques problèmes théoriques ») visent à fournir quelques repères sur la manière dont le paysage peut être compris et présentent les grands traits de la théorie de l’artialisation – ses apports et ses limites.

Partant, une troisième sous -partie (« L’artialisation : du paysage « naturel » au terrain de la cité, un transfert relatif et prospectif ») suggère la portée opératoire d’une telle théorie sur le terrain des lisières urbaines - de la cité d’habitat social en particulier - lorsqu’elles sont l’objet de pratiques artistiques, non sans omettre d’en discuter les spécificités. Elle suggère ainsi les différences entre des procédures d’artialisation

historiques et emblématiques de la théorie et celles explorées dans les quartiers nord de Marseille très précisément.

1. Rappels sur l’étude culturaliste du paysage

John Wylie rappelle que durant une large partie du XXème siècle, un modèle général de « science du terrain » prévaut. Selon cette optique, le paysage est l’objet d’une expertise conduite selon un mode d’observation neutre, empirique, visant sa description et sa mesure. Le paysage est entendu comme un « produit des interactions entre des séries de conditions naturelles – climat, terrain, type de sol, ressources, etc. – et des séries de pratiques culturelles – agriculture, croyances religieuses ou spirituelles, valeurs communes et normes de comportement, organisation sociale vis-à-vis des rôles dévolus aux genre, propriété foncière, ainsi de suite ». Autrement dit, « nature plus culture égale paysage » [Wylie, 2007 : 27].

A partir des années 1970, s’affirme la critique de cette approche initiale. En opposition, une génération de géographes va considérer le paysage d’un point de vue qualitatif, « comme milieu de pratiques et de valeurs culturelles significatives, et non pas simplement comme série de faits culturels matériels, observables ». Deux courants alimentent alors la réflexion. Pour les géographes critiques, « le paysage est considéré historiquement comme un mode visuel particulier d’observation et de savoir », il est « compris comme vecteur d’intérêts directs et de régimes de pouvoirs » [Ibid., 21]. Pour les phénoménologues, il convient de centrer l’étude sur « les composantes quotidiennes de la vie et de l’être dans le paysage », de s’intéresser au point de vue des habitants sur le paysage » [Ibid., 21, 22].

Reste que les années 1980 insistent sur le paysage comme genre artistique né dans l’Italie du XVème siècle (on y invente la perspective, permettant au regard de porter au loin ) : « Au fil des siècles, les formes artistiques du paysage ont évolué, se sont développées, s’associant notamment à des scènes de la campagne et de la nature, avec l’éla boration de paysages emblématiques pour les pays d’origine, et des discours esthétiques tels que la pastorale, le pittoresque, le sublime » [Ibid., 24].

Puis la fin des années 1990 abrite le renouveau des approches phénoménologiques : « les pratiques du paysage – des actions quotidiennes comme marcher, regarder, jardiner, conduire, construire – sont en réalité la cause et l’origine de nos idées sur la « nature » et la « culture » » [Ibid., 29].

Le paysage, une création artistique

Cette (très) brève évocation d’une série d’approches montre que la géographie culturelle du paysage, depuis les années 1970, considérant que l’objet n’était pas seulement une entité objective , mais relevait encore

Chapitre V. De quelques mises en œuvre artistiques et patrimoniales des cités

d’une perception subjective, « implique de penser la façon dont notre regard, notre manière de voir le monde, sont toujours déjà chargés de valeurs, d’attitudes, d’idéologies, d’inspirations culturelles particulières » [Wylie, 2007 : 23, 24]. Il est donc admis qu’« un paysage comme une lecture, est aussi une récréation de celui qui voit, une relation complexe d’images objectives et de reflets, de perceptions et de rêveries [Frémont, 1974 : 27]. Et « les images des lecteurs, variées, sont nourries (tant sur le plan des individus que des groupes) par leur culture (ou b agage mental, ou épistémè, etc.) » [Brunet, 1974 : 17 ,18].

Le paysage alors, en tant qu’« invention », « objet culturel déposé » [Cauquelin, 1989] peut être daté. Si nombre d’auteurs, au premier rang desquels Alain Roger, en situe l’apparition à la Renai ssance occidentale, Augustin Berque défend une sensibilité paysagère, déjà, dans la Chine du IVème siècle5. Mais pour les deux auteurs, le paysage est avant tout un genre culturel. Ainsi Augustin Berque suggère que pour qu’une société soit paysagère (autre ment dit soit dotée d’une conscience nette du paysage en tant qu’objet artistique), des mots pour énoncer le paysage et des représentations littéraires, picturales et jardinières sont requis [Berque, 1995].

De ce point de vue, et depuis le terrain extrême -oriental, Augustin Berque est proche d’Alain Roger qui suggère avec la notion d’artialisation (qu’il admet emprunter à Montaigne), que tout paysage est une élaboration artistique. « Pourrions-nous percevoir les nodosités rugueuses des oliviers, comme si Van Gogh ne les avait pas peintes, la cathédrale de Rouen comme si Monet ne l’avait pas figurée aux divers moments du jour dans des épiphanies fugitives ? » [Roger, 1978 : 109].

Alain Roger accorde ainsi un rôle crucial aux artistes dès lors en position d’élaborer et de diffuser des schèmes de perception esthétiques. Soit des lunettes pour regarder le pays transmuté en paysage, ce terrain de l’artiste donc. Le pays étant énoncé comme le « degré zéro du paysage, ce qui précède son artialisation, qu’elle soit directe (in situ) ou indirecte (in visu)6 » [Roger, 1997 : 18].

La thèse d’Alain Roger, au demeurant fort peu débattu e, qui indexe l’invention du paysage à l’opération de l’artiste seul capable de faire du pays un objet digne du parcours contemplatif, n’est pas sans poser deux problèmes au moins.

5Et « récemment, Lamia Latiri a décelé dans la culture arabo-musulmane médiévale une sensibilité paysagère » informe le Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés [Lévy, Lussault, 2003].

6Les deux communiquant : l’encodage d’un site par un marquage artistique (l’installation d’une œuvre) alimentant un regard esthétique sur celui-ci dès lors transmuté en paysage.

2. L’artialisation : de quelques problèmes théoriques

Le premier problème est contenu dans la critique des phénoménologues pour qui le paysage doit être pensé du point de vue des usagers. Pour ces auteurs, il n’y a pas (plus) besoin d’opposer pays et paysage, soit paysan (l’usager entretenant un rapport utilitaire au lieu) et paysagiste ( l’opérateur artistique conscient du lieu) : les deux figures pouvant être confondues dans l’absence de démarcation entre pays et paysage. Les paysages dits ordinaires, ceux dans lesquels tout un chacun évolue sans avoir une conscience explicite de leur valeur , sont des objets privilégiés par cette approche : « A l’écart des paysages remarquables – spectaculaires ou pittoresques – qui ont participé à la construction des identités nationales, qui ont été consacrés par l’art et que recherchent des touristes en quête d’une expérience paysagère exceptionnelle, demeure nt des paysages plus banals qui s’inscrivent au quotidien, comme une habitude, dans la sensibilité de l’être humain habitant » [Bigando, 2008].

Une telle approche, fort utile pour ajuster les opérations d’aménagement du territoire aux valeurs associé es au paysage en l’état par des habitants, ne se préoccupe donc pas des paysages « remarquables ». Ces derniers sont plus classiquement analysés au terme d’une esthétisation dont les artistes sont les opérateurs de premier plan.

Paysage/pays, paysagiste/paysan

Au demeurant, l’esthétisation de paysages ordinaires, qui accompagne l’avènement au tournant des années 2000 d’un tourisme de l’ordinaire, attentif aux interactions et au contexte social de la destination, par fois de grande proximité [ASTRES, 2014], est une réalité qui invite à réfléchir, dans une perspective phénoménologique, au ressenti des habitants, et dans une perspective paysagère qualifiée de classique , aux modalités (artialisation) de leur consécration. Et les écarts de représentations susceptibles d’apparaître entre usagers et esthètes peuvent nourrir, à n’en pas douter, de fécondes réflexions sur le paysage en des termes marxistes. Voilà en somme le schéma d’une a pproche croisée (phénoménale, classique et critique) susceptible de rend re compte des rapports différents entretenus vis-à-vis d’un même lieu par des groupes sociaux contrastés en termes de distance géographique (qu’ils soient composés d’ habitants du lieu ou non), de coordonnées sociologiques ( de quels capitaux disposent-ils ?) et d’activités projetées sur ce lieu (relèvent-elles d’une optique utilitaire ou désintéressée ?).

Pour l’heure, le découpage des approches étant ce qu’il est, on reproche à Alain Roger, qu’ « à ainsi opposer pays et paysage, cette théorie exclu e de ce dernier les acteurs locaux et la valeur d’usage ». Alain Nadaï rappelle en effet qu’ailleurs, on a montré « le caractère hybride du paysage », soit les « liens unissant le paysage à son substrat, au système économique et social » [Nadaï, 2007]. Certes, l’activité agricole façonne indéniablement

Chapitre V. De quelques mises en œuvre artistiques et patrimoniales des cités

le territoire ainsi susceptible d’être capté par un regard chargé du thème de la pastorale. Il n’empêche que les acteurs de la société local e diffèrent des acteurs de la société des esthètes, touristes ou artistes , mais toujours étrangers au rapport intéressé au territoire.

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