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Les bénéfices et les défis de l’approche de réduction des méfaits

Chapitre 1 : Recension des écrits

1.2 Le paradigme de la réduction des méfaits

1.2.8 Les bénéfices et les défis de l’approche de réduction des méfaits

Comme soutenu par certains auteurs (Brisson, 2012; Coppel, 2002) de nombreuses études ont été conduites sur l’efficacité des pratiques de réduction des méfaits. Elles concernaient plus particulièrement les dimensions portant sur la prévention de la transmission des ITSS (majoritairement du VIH et de l’hépatite C), l’amélioration de l’état de santé et des conditions de vie des consommateurs (diminution de la mortalité et de la morbidité liées à l’usage de drogues) et la baisse de la criminalité associée et de ses conséquences (Brisson, 2012). Dans la section ci-dessous seront présentés les impacts auprès des usagers de certaines pratiques de réduction des méfaits.

L’institut National de Santé publique du Québec (INSPQ, 2009) a réalisé une analyse critique de la littérature portant sur les services d’injection supervisée (SIS). Pour ce faire, il a examiné des documents publiés entre 2003 et 2008 ainsi que des rapports produits par des agences mandatées pour évaluer les SIS. Il en ressort que de nombreux avantages au niveau des SIS ont été répertoriés. Tout d’abord, la présence de SIS entraîne une diminution du nombre de surdoses dans l’ensemble de la communauté où ils sont implantés. Cette réalité peut s’expliquer par la présence d’un personnel compétent pour donner une réponse rapide en cas de surdose. Ensuite, l’INSPQ souligne que les études ne présentent aucune conséquence négative liée à la création d’un environnement sécuritaire pour l’injection de drogues. Les chercheurs ont aussi trouvé des recherches (MSIC, 2003; Zurhold et coll., 2003; Stoltz et coll., 2007 cités dans INSPQ, 2009) montrant que l’utilisation d’Insite à Vancouver a engendré une baisse des injections de drogues en public ainsi qu’une récupération de façon plus sécuritaire des seringues par les personnes utilisatrices de drogues injectables (UDI).22 De plus, les recherches analysées par l’INSPQ montrent que ce sont les personnes les plus désorganisées socialement qui profitent le plus de la présence de ces services. En ce sens, il explique que les résultats d’études réalisées avant l’ouverture d’Insite (Wood et coll., 2006 cités dans INSPQ, 2009) exposent que les personnes qui sont le plus susceptible de fréquenter les SIS sont celles s’injectant régulièrement de l’héroïne et de la cocaïne, qui s’injectent dans des lieux publics, pratiquent le travail du sexe, qui ont besoin d’aide pour leur injection et qui ont du mal à se

procurer des seringues qui ne sont pas souillées (Kerr et coll., 2003 cités dans INSPQ, 2009). Finalement, les SIS profitent aussi à la communauté où ils sont implantés. En effet, la plupart des études analysées présentent des effets positifs sur l’ordre public et sur la qualité du milieu de vie où sont introduits ces services. La crainte que les SIS contribuent à augmenter les trafics de drogues dans les environs et qu’il y ait une augmentation des taux de criminalité ne sont pas établi selon les premiers résultats des évaluations du site d’Insite à Vancouver (Wood et coll., 2006 cité dans INSPQ, 2009) et d’un site de Sydney (MSIC, 2003; Freeman et coll., 2005 cités dans INSPQ, 2009).

En guise de deuxième intervention, les études tendent à montrer que les programmes d’échanges de seringues (PES) sont protecteurs sur la transmission du VIH (Emmanuelli, 2004; Wodak & Cooney, 2004; MacDonald et coll., 2003). Par exemple, en regroupant des données d’origines variées provenant de 99 villes (d’Asie, d’Australie, du Canada, des États- Unis) où des PES ont été créés et d’autres où ils n’existent pas un tel service, les résultats montrent que les villes où il y a des PES voient leur taux de prévalence du VIH diminuer de 18,6% par année, alors que les villes n’offrant pas ce service connaissent plutôt une augmentation annuelle de 8,1% (MacDonald et coll., 2003). D’autres chercheurs ont réalisé une méta-analyse traitante des résultats de 48 études (de 1989 à 2002) portant aussi sur l’efficacité des PES (Wodak & Cooney, 2004). Ils expliquent qu’un grand nombre d’études montrent des résultats positifs. Plus précisément, de nombreuses études présentent que les comportements à risque liés au VIH (partage de seringues) diminuent ou sont moins présents chez les UDI qui utilisent les services des PES. Par ailleurs, en ce qui concerne la transmission du virus de l’hépatite C (VHC), leur efficacité semble moins certaine (Emmanuelli, 2004). Une étude menée à Amsterdam (de 1985 à 2005) regardant l’impact des programmes de réduction des méfaits sur l’incidence du VIH et du VHC indique que leurs transmissions pouvaient être réduites significativement lorsque la méthadone et les PES sont utilisés conjointement (Van Den Berg et coll., 2007). Finalement, un dernier point mérite l’attention du lecteur. Selon certaines recherches, les jeunes usagers et les nouveaux injecteurs suscitent particulièrement l’inquiétude des intervenants au regard des importantes contaminations par le VHC au sein de ces groupes (Emmanuelli, 2004). Ceci s’explique par le fait que ces usagers ne fréquenteraient pas ou peu ces services (Emmanuelli, 2004). De plus, une étude réalisée à

Montréal a montré que les jeunes évitent de se procurer des seringues stériles afin de réduire leur risque de rechute (Roy et coll., 2003). Ainsi, lors d’une rechute, ces jeunes n’ont pas en leur possession ce qu’il faut pour s’injecter de la drogue d’une manière sécuritaire. Donc, cela semble expliquer que les stratégies que les jeunes développent pour réduire ou arrêter leur consommation puissent aller à l’encontre de celles qui favorisent les pratiques sécuritaires. Les chercheurs expliquent que les programmes de prévention devraient prendre en considération ce moment critique qu’est la rechute dans la trajectoire de consommation des jeunes UDI.

1.2.8.1 Les défis et les bénéfices pour l’intervention

Comme abordées précédemment, plusieurs recherches ont montré les défis et les bénéfices pour les usagers de certaines interventions en réduction des méfaits. Maintenant, nous présenterons les défis et les bénéfices auxquels sont confrontés les professionnels œuvrant dans l’intervention en réduction des méfaits.

Tout d’abord, l’application de l’approche de réduction des méfaits dans un contexte de réadaptation constituerait pour certains un paradoxe (Landry & Lecavalier, 2003). Partant de ce fait, les drogues et leur effet psychoactif, dans cette approche, ne prévalent pas. Elles constituent plutôt le vecteur des méfaits. Ce sont ces derniers qui doivent être écartés. Par exemple, avec le SIDA, les autorités ont cherché à tout prix d’éviter la contagion et ce, au prix du compromis relatif à la lutte à la consommation des drogues illicites (Riley, 1993 cités dans Landry & Lecavalier, 2003). Par contre, dans le traitement de la toxicomanie, la perspective est distincte, la problématique de la dépendance occupe le premier rang. D’ailleurs, l’individu désireux d’être admis dans un centre de réadaptation en toxicomanie doit présenter des critères d’abus ou de dépendance aux drogues. Dans le processus de réadaptation, la relation aux drogues sera modifiée pour redonner à l’individu la possibilité de reprendre le pouvoir sur sa vie. Landry et Lecavalier (2003) s’interrogent sur comment concilier ces deux perspectives dans un même environnement et aussi les insérer dans une stratégie d’intervention cohérente. Cela n’est pas une tâche facile parce que la réduction des méfaits peut amener les intervenants en toxicomanie à s’éloigner du problème majeur de santé que symbolise la dépendance. C’est un défi auquel sont confrontés les différents professionnels travaillant avec cette approche.

Pour ces professionnels, l’application de l’approche de réduction des méfaits peut être traduite en deux questionnements, de quelle façon intervenir sur la consommation de drogues et comment accommoder le « principe de haute tolérance » avec la mise en place d’un cadre thérapeutique approprié (Landry & Lecavalier, 2003).

Maintenant, abordons la manière d’intervenir avec cette approche. Dans un premier temps, il faut identifier les méfaits associés à la consommation de drogue dans un travail de collaboration entre l’individu et l’intervenant afin de cibler des objectifs de travail. L’avantage d’intervenir avec l’approche de réduction des méfaits est que de nombreux objectifs peuvent être développés et non pas seulement des objectifs prônant l’abstinence. De ce point de vue, l’abstinence n’est plus le seul objectif valable (Landry & Lecavalier, 2003). Deux sondages réalisés auprès des usagers du Centre Dollard-Cormier23, montrent que l’abstinence de tout produit était recherchée chez 60% des usagers en 1997 alors qu’elle était de 40% en 2000 (CROP, 2000; Landry, Nadeau, Racine, 1996 cités par Landry & Lecavalier, 2003). Par rapport à ces données, l’approche de réduction des méfaits a comme force de respecter les objectifs décidés par les individus pour commencer l’intervention. Par conséquent, laisser le libre-choix à l’individu en ce qui a trait à son ou ses objectifs permet de connaître véritablement son objectif lié à la consommation et cela encourage un discours plus authentique autant de sa part que de la part de l’intervenant (Landry & Lecavalier, 2003). En dernier lieu, il importe de considérer : « que toute amélioration de la situation des personnes toxicomanes comme un résultat légitime et valable en soi » (Landry & Lecavalier, 2003). Cela signifie que la réduction des méfaits permet la redéfinition de la notion de succès thérapeutique dans l’intervention. En outre, plusieurs praticiens et professionnels sont aux prises avec de fréquents problèmes portant sur la définition thérapeutique de leur activité et sur la professionnalisation des réponses apportées (Feroni, 2004). À titre d’exemple, pensons à quelques types de comportements de certains individus tels que la poursuite de l’usage de drogues ou des comportements revendicateurs (Landry & Lecavalier, 2003; Feroni, 2004). Conséquemment à ces comportements, deux types de réponses de la part des professionnels

23Le Centre Dollard-Cormier s’appelle dorénavant le Centre de réadaptation en dépendance de Montréal-Institut

universitaire (CRDM-IU). Dans le cadre de ce mémoire, l’appellation originale a été conservée afin de rester fidèle aux sources consultées.

sont possibles. Dans le cas du programme de méthadone, certains médecins prescripteurs les interpréteront comme des signes d’une inadaptation du traitement et non pas comme l’expérience de la déviance de la personne. Des réponses d’ordre pharmacologique ou un encadrement renforcé de la personne par recours à la collaboration du pharmacien seront préconisés (Feroni, 2004).

À l’opposé de ce qui précède, des intervenants privilégieront le principe de « haute tolérance ». Ce principe propose que les services soient offerts d’une manière souple et basés sur la tolérance. En d’autres termes, la structure doit s’adapter aux individus et non l’inverse (Landry & Lecavalier, 2003). Dans cette optique, l’encadrement et les exigences peuvent aussi varier en fonction des besoins et des objectifs. Lors des débuts de la démarche thérapeutique, le cadre sera momentanément mis de côté au profit de l’acceptation et du développement de l’alliance thérapeutique (Landry & Lecavalier, 2003). Cette expression de « haute tolérance » invite à adopter des valeurs comme la flexibilité, l’accessibilité, l’acceptation de l’ensemble des individus demandant de l’aide, peu importe l’origine de leurs motifs et la précarité de leur situation (Landry & Lecavalier, 2003).

Pour conclure, il existe encore des défis pour les professionnels qui interviennent avec la réduction des méfaits. Malgré la promotion des valeurs abordées ci-dessus, les individus bénéficiant d’un suivi thérapeutique ou d’un traitement en toxicomanie sont toujours à risque d’être stigmatisés. La conjoncture politique en est notamment responsable. Le stéréotype du « junkie » est souvent utilisé dans la guerre à la drogue pour faire peur et il continue à influencer grandement les points de vue du public sur la drogue (Coppel, 2002). De plus, certains politiciens défendent l’idée que la toxicomanie est un choix individuel donc que les consommateurs doivent assumer leurs responsabilités (Lauzon, 2011). Ces types de discours réduisent les causes de la toxicomanie et ont un impact sur ces personnes qui peuvent avoir peur de fréquenter les services (Lauzon, 2011). Aussi : « criminaliser la situation des personnes toxicomanes est inefficace sur le plan médical et ne fait qu’aggraver la complexité des difficultés qu’elles rencontrent. » (Lauzon, 2011, p.9) Somme toute, espérons que les futures décennies permettront d’innover sur le plan de la réflexion et de continuer d’améliorer les pratiques de réduction des méfaits.