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Carte 6. Aire du groupe kongo H10 en République du Congo Collectif (1987 : carte 5)

3 Emplois comme opérateur syntaxique

3.1 Emplois devant l’énoncé

3.1.2 Avec un procès réalisé

Bu (cl. 14) articule deux procès réalisés dans l’énoncé (17a) :

L’évènement exprimé par kadíiri « il a mangé » et nsaayí yimubakíri « il est devenu joyeux » (Sit2) sont, tous deux, localisés au lieu abstrait déterminé par bu (cl. 14). Kadíiri « il a mangé » (Sit1) exprime que le procès a bel et bien eu lieu par le marqueur -i du réalisé qu’il porte ; le résulatif exprime qu’il est acquis. Bu (cl. 14) détermine aussi qu’il y a une projection cognitive faite par le sujet énonciateur. En faisant comme si kadíiri « il a mangé » est validé, il en déduit la conséquence nsaayí yimubakíri « il est devenu joyeux ». Bu (cl. 14) marque la concordance entre kadíiri « il a mangé » et nsaayí yimubakíri « il est devenu joyeux » qui traduit que ‘le fait de manger entraîne le contentement’. Cette mise en relation de bu (cl. 14), avec le premier procès réalisé, enclenche la valeur contextuelle

(16c) *Kwée bya yúri táata, a yií ní ntoobá táata yiwákurila.

Ø-ku-Ø-yend-á bi-a Ø-yul-aak-á Ø-táata MS1-CL15-FUT aller-NR CL8-REP.ANAPH CL5-demander-HBT-NR CL5-papa a yi-í ni N-tóobá Ø-taáta

mais CL9-PROX est CL9-saka-saka CL5-papa yi-wu-á-kul-il-a

REL9-MS1-PASS-grandir-APPL-MN

m. à m. « Tu iras les [les choses] demander souvent papa, mais ceci est le saka-saka papa que tu grandis avec. »

« Tu poses la question [à propos de la nourriture], mais ceci est le saka-saka [que tu as mangé dans ton jeune âge]. »

(17a) Bu kadíiri, nsaayí yimubakíri.

bu ka-Ø-di-il-i N-sáayi yi-mu-Ø-bak-il-i

CL14 MS1-RSLT-manger-APPL-R CL9-joie MS1-MO1-RSLT-attrapper-APPL-R m. à m. « Abstrait il a mangé, la joie elle [la joie] l’a attrapé. »

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temporelle, car le procès est incarné. Lorsque bu (cl. 14) est supprimé, dans l’énoncé (17b), cette valeur temporelle disparaît.

Les segments entretiennent un lien de cause à effet qui résulte de l’enchainement des évènements.

Le procès non réalisé qui suit bu (cl. 14) peut avoir une valeur primitive de réalisé.

(18) Bu nkotéle mu nzó, talá ga seezí ni máama.1

bu ni-Ø-kot-il-i mu N zó Ø-tal-á ga CL14 MS1-RSLT-entrer-APPL-R LOC18 CL9-maison IMP-regarder-NR LOC16 seezí2 ni Ø-máama3

CL9-chaise est CL9-maman

m. à m. « Abstrait je suis entré intérieur la maison, regarde contact la chaise est maman. » « Lorsque je suis entré dans la maison, [j’ai vu] ma belle-mère [assise] sur la chaise. »

Le contexte situationnel est le même que celui de l’énoncé (19a).

Le verbe talá « regarde » a pour sujet ni- qui représente l’énonciateur témoin de la scène qu’il raconte. L’impératif traduit un style indirect libre ayant une propriété primitive qui indique que le procès est réalisé. On n’a donc pas affaire à un procès non réalisé même si talá « regarde » porte le marqueur -á.

Bu (cl. 14) articule les procès réalisés par l’intermédiaire du marqueur máama ! « mon

Dieu » dans l’énoncé (19a). Le contexte de cet énoncé est le suivant : à la vue des bagages devant sa porte, l’énonciateur redoute la visite, à l’improviste, d’un parent venu du village4. Lorsqu’il s’approche, il réalise qu’il s’agit de sa belle-mère ; il est devant le fait accompli.

1 Extrait de Kouelohele, auteur : Antoine Moundanda, vidéo déposée le 11 avril 2011; https://www.youtube.com/watch?v=J9aGncZM550.

2 Emprunt du terme français chaise.

3 Terme d’adresse utilisé par le beau-fils à l’égard de sa belle-mère.

4 Elle est source des dépenses au moment du retour.

(17b) Kadíiri nsaayí yimubakíri.

ka-Ø-di-il-i N-sáayi yi-mu-Ø-bak-il-i

MS1-RSLT-manger-APPL-R CL9-joie MS1-MO1-RSLT-attrapper-APPL-R m. à m. « Il a mangé la joie, la joieelle [la joie] l’a attrapé. »

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Le résultatif permet de poser le fait nziíziri « lorsque je suis arrivé » à l’endroit abstrait exprimé par bu (cl. 14). Mayelá mawíiri « [je ne savais plus quoi faire] », même s’il n’est pas encore réalisé, à ce moment, il est ‘du coup’, considéré qu’il l’est puisque nziízirí « je suis arrivé » dont il dépend, l’est effectivement.

Máama ! « mon Dieu ! » marque l’effroi qui détermine la réaction émotionnelle qui

touche l’énonciateur. Il signale l’existence, avant lui, d’un fait choisi – qui mérite de l’être – et après, un discours qui décrit ce fait. Cette description permet de l’identifier, parmi tous les faits pouvant avoir un impact sur l’énonciateur, et qui permet de comprendre l’intensité de l’émotion qu’elle a provoquée (Olivier 2000 : 162-163). Ici aussi, le terme relai indique comment la première situation est perçue par rapport à la seconde. Les aspects dégagent une valeur temporelle émanant de l’incarnation du procès. L’aspect ponctuel de nziízirí « je suis venu » et mawíiri « il est fini », libère une valeur d’immédiateté liée à l’enchainement successif des évènements. Dans ce contexte, le terme relai peut être supprimé comme nous pouvons le constater dans l’énoncé (19b) :

(19b) Bu nziízirí, mayelá mawíiri.

bu ni-Ø-yiz-il-i ma-yéla ma-Ø-wa-il-i

CL14 MS1-RSLT-venir-APPL-R CL6-intelligence ACL6-RSLT-finir-APPL-R m. à m. « Abstrait je suis venu, les intelligences elles [les intelligences] sont finies. » « Lorsque je suis arrivé, [je ne savais plus quoi faire]. »

L’immédiateté qui se dégage, est également due à l’absence du terme relai. En effet, elle fait ressentir que les évènements s’enchaînent successivement. Bu (cl. 14) ne peut cependant pas être supprimé dans l’énoncé (19c) où le terme relai est présent :

1 Extrait de Kouelohele, auteur : Antoine Moundanda, vidéo déposée le 11 avril 2011; https://www.youtube.com/watch?v=J9aGncZM550.

2 Nous avons préféré le traduire par ce terme.

(19a) Bu nziíziri, máama ! mayelá mawíiri.1

bu ni-Ø-yiz-il-i máama ma-yéla

CL14 MS1-RSLT-venir-APPL-R CL9-maman CL6-intelligence ma-Ø-wa-il-i

ACL6-RSLT-finir-APPL-R

m. à m. « Abstrait je suis venu, maman ! les intelligences elles [les intelligences] sont finies. »

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Nous avons vu en (17b) que, lorsqu’il n’y a pas de terme relai, bu (cl. 14) pouvait être supprimé sans que cela ne porte préjudice à l’énoncé, ce qui n’est pas le cas dans cet énoncé où le terme relai est présent. On en déduit que le terme relai nécessite la présence de bu (cl. 14) lorsque les deux procès sont réalisés ; il ne peut jouer son rôle de relateur que ‘si et seulement si’ bu (cl. 14) articule également les segments.

L’énoncé (19a) manifeste aussi que bu (cl. 14) tient compte de ce qui précède, c’est-à-dire de la situation qui justifie l’émotion exprimée par le terme relai par rapport au contexte, avec ce qui suit. Par ailleurs, bu (cl. 14) active la valeur contextuelle temporelle comme lorsqu’il est utilisé comme un classificateur pronominal avec les thèmes des démonstratifs et de l’anaphorique plus distant1. Mais, il ne peut pas articuler, avec ou sans la présence du terme relai, un procès réalisé avec un procès non réalisé ; c’est ce qui apparaît dans les énoncés (19d) et (19e).

Il semble se dégager que bu (cl. 14) articule les énoncés suivant un ordre bien déterminé. Celui-ci est, dans la plupart des cas, tributaire de l’ordre de succession des évènements par apport au contexte situationnel. Mayelá mbó mawá « je ne saurai que faire », dans l’énoncé (21d) par exemple, ne peut pas survenir après bu nziízirí « lorsque je suis venu », considéré comme étant déjà acquis, car son procès reste fictif ; il ne peut donc

1 Voir point 2.2.

(19c) *Nziízirí, máama ! mayelá mawíiri.

ni-Ø-yiz-il-i Ø-máama ma-yéla ma-Ø-wa-il-i

MS1-RSLT-venir-APPL-R CL9-maman CL6-intelligence ACL6-RSLT-finir-APPL-R m. à m. « Je suis venu, maman ! les intelligences elles [les intelligences] sont finies. » « Je suis arrivé, [mon Dieu ! je ne savais plus quoi faire]. »

(19d) *Bu nziíziri, mayelá mawá.

bu ni-Ø-yiz-il-i ma-yéla ma-Ø-wa-á

CL14 MS1-RSLT-venir-APPL-R CL6-intelligence ACL6-FUT-finir-NR m. à m. « Abstrait je suis venu, les intelligences elles [les intelligences] finiront. » « Lorsque je suis arrivé, [je ne saurais plus quoi faire]. »

(19e) *Bu nziíziri, mayelá mbó mawá.

bu ni-Ø-yiz-il-i ma-yéla mbóko ma-Ø-wa-á

CL14 MS1-RSLT-venir-APPL-R CL6-intelligence ensuite ACL6-FUT-finir-NR m. à m. « Abstrait je suis venu, les intelligences ensuite elles [les intelligences] finiront. » « Lorsque je suis arrivé, [j’envisage que je ne saurais plus quoi faire]. »

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correspondre, par voie de conséquence, avec lui. Dès lors, on peut également comprendre la contradiction qui se dégage dans l’énoncé (16a) où kwée bya yúri táata « comment peux-tu poser cette question », en apparaissant dans le premier terme plutôt que dans le second, de par l’antériorité que son procès exprime, crée une discordance par rapport yií ní ntoobá táata

yiwákurila « ceci est le saka-saka [que tu as mangé dans ton jeune âge] » qui se déroule au

moment de l’énonciation.

Le marqueur a « mais » de la contradiction joue un rôle prépondérant, dans l’énoncé, en suppléant, par sa valeur notionnelle, à ce décalage. L’ordre de succession des évènements dépend aussi de ce que l’énonciateur veut asserter.

Il ressort donc que, lorsque bu (cl. 14) articule deux procès réalisés, il exprime une valeur temporelle dans le premier terme.

Bu (cl. 14) exprime une valeur hypothétique, dans le premier terme, lorsqu’il est suivi

d’un procès non réalisé. Cette valeur est temporelle lorsque le procès qui le suit est réalisé. Dans les deux cas, on a affaire à de l’abstrait.