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C’est en profitant de la colonisation que les balari ont élargi leur zone d’influence en s’installant à Brazzaville où ils ont participé à la construction de la ville aux côtés des français4. Très vite, leur langue s’est imposé aux autres locuteurs, notamment à ceux des dialectes kongo de la région, au point de les assimiler progressivement :

1 Dans un article à paraître, nous montrons jusqu’à quel point cette confusion est tolérée par les locuteurs des autres dialectes, y compris la bakikongo qui se disent de pure souche.

2 Cet argument est brandi par certains Bakoongo pour le dicréditer.

3 Les bísi Mingenge.

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À Brazzaville même, le laadi est la langue de la majorité des habitants de Bacongo, Makélékélé et Moukoundji-Ngouka ; des statistiques font défaut pour ces deux derniers quartiers, de création récente, Bacongo même héberge plus de 36.000 Laadi (ou se disant tels car parlant laadi par imitation, mais souvent Koongo, Suundi ou Ghaangala) ; soit 88,9 % de la population de l’agglomération. (A. Jacquot 1982 : 4)

L’exode rural qui a atteint des proportions importantes dans la région, est le facteur principal ayant favorisé l’implantation du lari dans la campagne. En effet, Brazzaville est située dans la région du Pool où plusieurs véhicules font quotidiennement la navette entre la ville et la campagne. À cela s’ajoute le trafic ferroviaire assuré par les C.F.C.O1. C’est de cette manière que le lari a gagné la campagne, car les habitants des villages sont régulièrement en contact avec les citadins qui le parlent.

Il faut signaler que la tendance qui consiste à s’auto-proclamer lari s’est de nos jours généralisée2. Cet engouement s’explique par le faible taux de divergence avec les autres dialectes et le prestige qui lui est associé ; il est la langue de la ville alors que les autres dialectes ont une connotation rurale.

Les calculs lexico-statistiques et l’évaluation de l’intelligibilité réalisés entre les dialectes kongo de la région ont permis de le constater. C’est ce qu’ont revélé les recherches dialectologiques et dialectométriques que nous avions réalisées dans cette zone (Bagamboula 1992). La méthode dialectométrique qui s’applique grâce au programme Word Survey – Wordsuv en abrégé3 – a permis d’évaluer la proximité entre les dialectes. « La dialectométrie est l’ensemble des méthodes et procédés utilisés pour mesurer les distances linguistiques ou la proximité entre les langues et les dialectes d’une région cohérente en vue de dégager les relations entre les parlers » (Möhlig 1986 : 20). Cette méthode a nécessité la composition d’une liste lexicale relevant du vocabulaire dit « de base ». Il regroupe des mots exprimant des notions bien précises, désignées dans toutes les langues, que l’on n’a nullement besoin d’emprunter. Il s’agit des items verbaux tels que « jouer », « manger », « dormir », etc., ou des substantifs tels que « œil », « bouche », « dent », etc. Le corpus était constitué de deux cent dix items pour treize dialectes. Les résultats des listes comparées sont affichés sous forme de matrices où sont détaillés les taux de ressemblance et de divergence.

1 Chemins de Fer Congo Océan.

2 Voir aussi E. Bagamboula (à paraître) : « Laari, kikoongo, kisuundi ou création d’un méga-ethnie laari dans la région du Pool », Revue Langue et territoire.

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Les tests de Casad et de l’informateur-témoin1 qui ne nécessitent pas de calculs métriques, avaient également été associés à la méthode lexico-statistique. En dialectologie, la méthode de Casad (1974) consiste à faire écouter des récits assez courts – récits autobiographiques – à un auditeur non locuteur des dialectes dans lesquels est transmise l’information. Dans les récits enregistrés sont intercalées dix questions auxquelles il doit répondre. S’il comprend le texte, cela prouve que ces différents dialectes lui sont intelligibles. Les réponses aux questions sont notées ; la note obtenue est l’indicateur du degré d’intelligibilité entre les dialectes. D’après l’auteur, l’intelligibilité est parfaite si elle se situe entre 95 et 100% ; elle est bonne à partir de 85% ; et moyenne autour de 75%.

Les résultats de l’analyse lexico-statistique ont révélé un taux de ressemblance du lari avec les autres parlers allant de 76 à 100%. Le taux de ressemblance le plus bas est celui partagé avec le kinkenge. La ressemblance la plus élevée est partagée avec le kiyombe2. Le taux d’intelligibilité, entre le lari et les autres parlers, issu de la méthode des textes enregistrés, a oscillé entre 90 et 100%3.

Au regard de ce qui précède, et par rapport au critère établi par Etienne Sadembouo, le kikongo (lari) peut être considéré, à juste titre, comme étant le dialecte de référence standard de la région, car « se fonder sur l’intercompréhension avouée ou attestée entre les dialectes constitue un facteur primordial du choix d’un dialecte standard. » (Sadembouo 1980 : 186)

3 Influence des autres langues sur le kikongo (lari)

Le kikongo (lari) a été influencé par les dialectes kongo voisins, le téké et le français. 3.1 L’influence des dialectes kongo

La véhicularisation a permis autres dialectes kongo d’influencer le système du kikongo (lari). En effet, cette réalité sociolinguistique n’a pas été sans conséquences sur la langue, car les « nouveaux locuteurs » ou les « nouveaux balari » ont déversé, dans la langue, les traits caractéristiques de leurs dialectes d’origine. Les bakongo, par exemple, utilisent le son [d] en finale devant la voyelle [i]. Díiri « il a mangé », par exemple, est prononcé [díidi]. Les basundi, par contre, utilisent systématiquement les préfixes nominaux là où les locuteurs du lari dialectal1 utilisent la nasale N à ton bas2. Le mot mukéentó « femme » (cl. 1), par

1 Celui-ci a surtout permis de vérifier, grâce à notre informateur-témoin lari, l’intelligibilité des autres dialectes plutôt que l’inverse ; nous n’allons donc pas le mentionner.

2 Bagamboula (1992 : 54)

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exemple, est prononcé [mukéentó] alors que les balari disent n’kéentó [ŋkéentó] « femme ». Le lari parlé à Brazzaville est donc en pleine mutation à cause de ces apports. Il reste malgré tout la forme que nous avons choisie comme objet de cette thèse.

3.2 L’influence du teke

Avant l’arrivée du colonisateur, la zone occupée actuellement par les balari était peuplée par les batéké3. Les locuteurs disent qu’ils étaient les premiers à quitter le Royaume Kongo avant son éclatement. De nombreux vestiges attestent leur passage dans la région du Pool. En effet, on y trouve, jusqu’à présent, des toponymes (noms de villages, de rivière, etc.) téké. C’est le cas des noms de village tels que Ngamibakou, Ngamanzoko, etc. ainsi que celui de la rivière Loufoulakari.

Les batéké furent pacifiquement repoussés vers le nord par les balari. Ils abandonnaient leurs terres, en se dirigeant vers le nord, à mesure qu’ils les rejoignaient. Quelques groupements restés sur place, et ceux dont le déplacement s’est effectué lentement, ont été assimilés par les balari. C’est le cas des bafuumbu dont l’assimilation est soit en cours, soit complète.

Il existe des raisons de se demander si les Fumbu, qui sont aujourd’hui membres de la communauté linguistique laadi, ne sont pas les descendants d’une tribu teke ayant subi le même sort à une époque plus ancienne, car d’après Soret, question de langue mise à part, les Fumbu forment le chaînon reliant l’ensemble kongo au groupe teke. (Jacquot 1982 : 9)

3.3 L’influence du français

L’influence du français sur le kikongo (lari) est due au contact entre ces deux langue langues par le biais de la colonisation. Cette teinte se manifeste par l’emprunt4 et l’alternance

de codes linguistiques − en anglais, code switching − très fréquents chez les locuteurs :

On appelle alternance de langues la stratégie de communication par laquelle un individu ou une communauté utilise dans le même échange ou le même énoncé deux variétés nettement distinctes ou deux langues différentes alors que le ou les interlocuteurs sont expert(s) dans les deux langues ou dans les deux variétés (alternance de compétence) ou ne le sont pas (alternance d’incompétence). On parle aussi à ce sujet d’alternance de codes ou code switching. Par l’alternance de compétence, le bilingue se met en

1 Appelons-le ainsi pour le différencier de la forme véhiculaire.

2 Elle est orthographiée m’ dans la littérature.

3 Ceux-ci remontaient lorsque des groupements lari les rejoignaient.

4 Le lexique de la langue contient de nombreux mots d’origine française ; la plupart d’entre eux se sont bien intégrés à l’exception des néologismes.

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représentation comme apte à utiliser les deux codes. L’alternance d’incompétence au contraire est un expédient destiné à compenser une carence. (J. Dubois & al. 1994 : 30-31)

4 Données linguistiques

4.1 Classification

Le kikongo (lari) appartient à la famille des langues bantoues qui couvrent une superficie de 8.000.000 km2 au sud du Sahara. Elles ont été regroupées, par Malcolm Guthrie, en quinze zones géographiques représentées par les lettres alphabétiques A, B, C, D, E, F, G, H, K, L, M, N, P, R, S et subdivisées en groupes portant des chiffres décimaux 10, 20, 30, 40, 50, etc.

Carte 5. Les zones du Bantou (Polak (1986 : 411)