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Chapitre 3 : Les récits motivationnels des étudiants

3.1 Des avantages institutionnels

L’institutionnalisation de la mobilité internationale avec la multiplication « d’accords institutionnels fondés sur la réciprocité » a contribué à intensifier la mobilité étudiante au sein du nord économique (Garneau, 2007, p. 2). Au Québec, la hausse de l’immigration française s’explique en premier lieu par de tels accords ainsi que les politiques d’immigration du Canada et du Québec. Si le Canada est connu pour encourager fortement l’immigration pour remédier à sa faible population, la province du Québec favorise aussi l’immigration et en particulier l’immigration francophone, notamment dans le but de renforcer sa particularité langagière et culturelle au sein de la fédération. Ces politiques s’inscrivent dans les nombreuses initiatives d’affirmation du Québec et de la légitimité de son action internationale. La fondation de l’Agence universitaire de la francophonie, de même que la signature des premiers accords internationaux avec la France sont des exemples concrets de la volonté du Québec d’attirer dans ses institutions scolaires des étudiants francophones (Institut du Québec, 2017, p.24).

En conséquence, les étudiants français bénéficient d’un cadre institutionnel extrêmement favorable. En effet, les étudiants français inscrits au baccalauréat ont pu bénéficier jusqu’en 2015 de frais de scolarité égaux à ceux des Québécois, ces derniers étant même inférieurs à ceux des Canadiens (Ministère des Relations internationales et de

la Francophonie, 2015). À ce jour, si les frais de scolarité ont augmenté significativement pour égaler ceux des étudiants des autres provinces canadiennes, ils restent toujours largement inférieurs aux frais payés par les étudiants internationaux. À HEC Montréal, les frais de scolarité des étudiants français pour deux sessions sont passés de 4 000$ à 9 400$ contre 27 400$5 pour les autres étudiants étrangers6. À McGill, pour deux sessions à temps

plein, les étudiants français déboursaient 4500$ avant 2015 et approximativement 10 000$ à ce jour contre 22 000$ pour les étudiants étrangers (McGill, 2019).

Pour la majorité des étudiants interrogés, les frais de scolarité ont constitué sans surprise un facteur important, et pour certain décisif, dans la décision de s’établir au Québec pour la durée des études. En comparaison, les frais de scolarité d’une université québécoise sont bien plus élevés qu’un établissement public français ; environ 170 euros pour une année de licence et 243 euros pour la maîtrise (Campus France, 2019). Malgré tout, les étudiants français en mobilité, interrogés en entrevue ou sur le terrain, ont, pour une large majorité, insisté sur le fait que réaliser leurs études à Montréal revenait au même investissement financier, et même parfois inférieur, qu’en France et particulièrement si elles devaient être effectuées à Paris. Cet argument abordé par le journal Le Monde (Buratti, 2016) prend en considération plusieurs facteurs. Tout d’abord, les frais de scolarité des écoles de commerce et de gestion françaises vont généralement de 5 000 à 17 000 euros par année et les plus prestigieuses sont généralement accessibles après deux à trois ans de classes préparatoires (Lorgnier, 2019). Étudier dans une école française comme l’ESSEC revient à étudier à HEC Montréal comme un étudiant étranger7, ce qui est

un avantage indéniable pour les étudiants désirant faire une école de gestion. D’autre part, il faut compter environ 5 000 euros pour les universités catholiques en France (Manceau, 2013), considérant le capital financier des participants à l’étude. Il faut aussi prendre en compte le coût élevé de la vie dans les grandes villes françaises en comparaison à Montréal,

5https://www.hec.ca/etudiants/frais-de-scolarite/index.html

6 Bien que les français soient des étudiants étrangers, ils ne sont pas inclus dans cette catégorie

quant aux droits de scolarité. En effet, les étudiants français et belge francophones ont leur propre catégorie et bénéficient de frais de scolarité inférieurs aux autres étudiants étrangers.

7Avec des frais de scolarités de 16500 par année ; sans compter l’adhérence à l’association des

diplômés ; les étudiants français inscrits à l’ESSEC doivent débourser pratiquement autant pour une année qu’un étudiant « étranger » à HEC Montréal (27 428 $ soit environ 18 375 €). En comparaison les étudiants français à HEC déboursent par année 9 368 $ soit 6 276 €.

le taux de change avantageux entre l’euro et le dollar canadien, ainsi que les faibles opportunités en termes d’emplois étudiants.

Au cours des entrevues, sept étudiants (Vincent, Paul, Florian, Nathan, Romain, Louise, Emma) ont mentionné explicitement qu’étudier à HEC Montréal ou McGill représentait l’opportunité d’obtenir un diplôme « international » avec un investissement financier similaire que poursuivre ses études en France dans une institution compétitive, même après l’augmentation des frais de scolarité. Pour Paul, HEC Montréal s’est présentée comme la possibilité permettant de réaliser ses études à l’étranger, mais aussi réaliser un cursus dans une école de commerce compétitive, difficilement accessible en France.

En fait ça faisait depuis 14-15 ans que j’avais très envie d’aller étudier à l’étranger, comme la plupart des gens j’ai regardé États-Unis, Angleterre... des pays comme ça (...) sauf que Angleterre, États-Unis c’était très...- complètement hors budget pour ma famille. Et un beau jour en Terminal j’étais -ba... j’ai mon ex du lycée qui me parle de McGill... de HEC Montréal. On regarde, et là ohh! Surprise! ça ne coûte que... je sais pas 3000$ par an. Donc..., assez simple du coup pour convaincre mes parents. (...) Ce qui jouait aussi ce que quand tu vois que ok, y’a deux ans de prépa où tu payes pas, mais qu’après des écoles de commerce à 15 000 balles par an. Bon.! Voilà quoi! Paul.

Étudier à Montréal, c’est surtout l’opportunité d’étudier dans des institutions compétitives du système nord-américain à bas coût. Les étudiants de McGill soulignent aussi l’attrait d’étudier dans une université de renommée internationale avec de tels frais de scolarité.

Mais c’est vrai que le Québec c’était la région la plus attirante, premièrement parce que Montréal est une ville vraiment sympa, deuxièmement y’avait cet accord qui n’existe plus entre la France et le Québec pour avoir des frais de scolarité égaux à ceux des Québécois, même pas à ceux des Canadiens, des Québécois. Donc l’idée de payer environ 2000 euros par an pour étudier dans une université comme McGill c’était vraiment la superbe opportunité. Raphaël.

Louise, arrivée après l’augmentation des frais de scolarité à McGill étudie en sciences politiques et en économie. Ses quatre frères sont partis étudier à HEC Montréal quelques années avant elle.

Moi je suis arrivée après. Et du coup on a eu le tuyau, mais c’est vrai que... on a dû faire un prêt c’était compliqué... mais on avait déjà le... ‘fin on connaissait Montréal, on savait que c’était facile de trouver un logement, que c’était pas très cher... et bizarrement c’était moins cher de faire Montréal... que de rester à Paris... pour mon frère et moi. Et en fait c’est ce dont on s’est rendu compte... ‘fin à part les billets d’avion, mais finalement on rentre une fois par an... c’était moins cher de les faire là quoi. Et même avec l’augmentation ! C’était quand même bizarre quoi.

Les frais de scolarité avantageux des institutions HEC Montréal et McGill, même après l’augmentation pour les étudiants français, ont donc eu un poids important dans la décision finale de la mobilité, même s’ils ne constituaient pas une motivation première dans le récit des étudiants interrogés.

Un des autres avantages institutionnels abordé par les étudiants interrogés réside dans la facilité des procédures d’admission et l’accessibilité des institutions québécoises pour les étudiants français. Les étudiants notent que la connaissance du système éducatif français secondaire par les institutions universitaires québécoises a été un facteur important dans leur choix. Vincent, qui rêvait depuis son adolescence de partir aux États-Unis pour réaliser son cursus universitaire, a finalement choisi l’Université McGill pour ses frais de scolarité abordables, mais aussi sa meilleure connaissance du système français en comparaison avec les universités américaines et le passage obligé par les SAT.

Donc ce qu’il s’est passé, c’est que j’ai passé les SAT... mais j’ai eu un score de... genre j’aurais jamais été pris nulle part.. bah voilà c’est pas...un test que tu peux faire si t’as une... si t’as été éduqué dans le monde francophone parce qu’on est pas habitué à ce genre de test, pas habitué à ce genre de raisonnement et tout ça, première fois que tu vois ça... à moins que t’aies été dans une école américaine ou internationale.. t’as quasiment peu de chance d’avoir un score qui fait que tu es admissible dans les meilleures universités... aux États-Unis... donc y’avait ça... et après le truc c’est que McGill dans sa procédure d’admission eux ils connaissaient le système français, vu qu’ils étaient au Québec, qu’il avait plein d’écoles françaises qui envoyaient leurs élèves étudier à McGill ensuite. Vincent.

La connaissance du système d’éducation secondaire français par l’institution canadienne a permis à de nombreux étudiants d’étudier dans le système nord-américain sans les difficultés d’adaptation à des concours auxquels ils ne sont pas familiers. Cependant, même si les avantages institutionnels tels que les frais de scolarité ainsi et les

procédures d’admission ne sont pas des motivations centrales dans le récit motivationnel des étudiants, c’est pour beaucoup un facteur décisif qui a permis la mobilité.