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Appréhender les trajectoires de mobilité des étudiants français à HEC et

Chapitre 1 : Recension des écrits, outils théoriques et conceptuels et méthodologie

1.3 Méthodologie et terrain de recherche

1.3.1 Appréhender les trajectoires de mobilité des étudiants français à HEC et

La recherche présentée dans ce mémoire vise à répondre à deux questions :

Quelles sont les motivations de départ et l’expérience des étudiants français en mobilité inscrits dans les institutions universitaires québécoises HEC Montréal et McGill? Les trajectoires de mobilité appréhendées à travers les récits des étudiants reflètent-elles des stratégies de reproduction sociale et culturelle?

Comprendre les motivations et expériences vécues des étudiants en mobilité passe par l’analyse de leurs discours. Cette recherche vise à avoir une compréhension de la mise

en récit des choix et de l’expérience de la mobilité des étudiants français inscrits dans les institutions prestigieuses québécoises que sont HEC Montréal et McGill.

Le récit de vie est une méthode d’entretien biographique qualitative produite « en situation "dialogique", c'est-à-dire dans le cadre d'un entretien d'enquête et recueilli au magnétophone » (Chanfrault-Duchet,1987, p. 13). Il est produit par un individu à la demande du chercheur. À ce titre, « la particularité épistémologique » du récit de vie est qu’il considère « les phénomènes humains comme des phénomènes de sens (...) qui peuvent être ‘compris’ par un effort spécifique tenant à la fois à la nature humaine du chercheur et à la nature de ces phénomènes de sens » (Delphine Burrick, 2010, p.8 cf. Mucchielli, 1996, p. 183).

Les récits de vie permettent avant tout un accès aux représentations des individus sur leurs trajectoires personnelles et sur le monde social les entourant. Ils sont une source donnant « accès au chercheur à la perspective de l'acteur : ses valeurs, ses définitions des situations, et sa connaissance des processus sociaux et des règles qu'il a acquise par l'expérience » (Bertaux, Kholi, 1984, p.216, ma traduction). Les récits de vie peuvent mettre en lumière les diverses significations et raisons attribuées à l’action et l’expérience de mobilité par des individus. Cette méthode d’entretien donne un accès privilégié aux représentations de l’action de la mobilité par les individus, mais aussi l’expérience de celle- ci. Grâce à cette méthode biographique, il sera possible d’analyser le regard que portent les étudiants sur le pays hôte et ses habitants ainsi que sur leur propre expérience d’adaptation et d’intégration.

En plaçant les voix des étudiants en mobilité au centre de la recherche, l’utilisation de la méthode des récits de vie permet de ne pas homogénéiser les trajectoires des étudiants en mobilité, ce qui a été posé comme une nécessité dans la recherche sur la mobilité étudiante (Gargano, 2009, p.335). Comme il a été relevé par Breckner (2007, p.118), les récits de vie appliqués à la recherche sur les pratiques de mobilité permettent d’appréhender « les différences d’expériences au sein d’une même communauté d’immigrés ». L’analyse des récits de vie des étudiants en mobilité permettra donc de mettre en lumière les

différences et la variété d’expériences vécues par les étudiants dans l’espace transnational d’enseignement supérieur.

Il peut paraître étonnant d’employer le récit de vie comme démarche méthodologique dans un mémoire qui s’inspire, sur le plan conceptuel, en partie de la sociologie de Pierre Bourdieu, qui a critiqué la portée de l’utilisation des récits de vie dans la recherche. En effet, cela produit, selon lui, une « illusion biographique » à la vue que les individus n’offrent pas une perspective objective sur les événements sociaux, mais retravaillent sans cesse leurs récits afin de faire de leurs expériences un ensemble cohérent au moment de l’action narrative (Bourdieu, 1986).

Cependant, les chercheurs proposant d’analyser des récits de vie ne nient pas le caractère « bricolé » du récit. Avant toute chose, l’appréhension des phénomènes sociaux par les récits de vie vise la compréhension des significations attribuées à des événements inscrits dans une temporalité propre dont la trame logique est construite et reconstruite à travers l’expérience de se raconter. Considéré comme un « porte-parole d’un groupe social» (Pruvost, 2011), l’individu offre au chercheur sa propre conception du monde social et de ses expériences.

L’intérêt sociologique du récit de vie réside en effet dans un ancrage subjectif : il s’agit de saisir les logiques d’action selon le sens même que l’acteur confère à sa trajectoire. Loin de singulariser les cas, la méthode du récit de vie permet de situer le réseau dans lequel le narrateur se positionne et d’inscrire les phénomènes sociaux dans un enchaînement de causes et d’effets. Le récit de vie permet de mettre en lumière les processus (Pruvost, 2011).

Pour Bourdieu, les trajectoires de vie recueillies par les récits doivent être « contextualisées dans l'espace social hiérarchisé dans lequel elles se situent », puisque les « événements biographiques se définissent comme ‘ autant de placements et de déplacements dans l'espace des champs sociaux’ (Bourdieu, 1986, p. 72) » (Dubar, Nicourd, p.34). La notion de trajectoire est donc particulièrement importante puisqu’elle implique la prise en compte du déplacement des capitaux à travers les champs traversés par un individu. Dans le cas de la mobilité étudiante, les capitaux et l’habitus portés par les individus se déplacent et se modifient à travers le champ social transnational.

Les approches sociologiques utilisant des récits biographiques, « loin d'opposer ‘ faits sociaux’ dits objectifs et ‘significations sociales’ dites subjectives », cherchent plutôt à les lier « dans l'analyse d'une biographie totale ou partielle, concernant différentes sphères de vie ancrées dans des contextes sociaux » (Demazière et Samuel, 2010 cf. Dubar, Nicourd, 2017, p.5). Les informations collectées par les récits sur les trajectoires de vie des étudiants en mobilité permettent d’analyser les processus de construction du parcours de mobilité. Par l’entremise des récits de vie, les individus « deviennent les porte-paroles de leur histoire, les représentants de leur passé, les informateurs sur leurs conduites et leurs actions » (Peneff, 1994, p.27). Les données biographiques récoltées à travers les récits pourront donc informer sur les milieux socioculturels et économiques dans lesquels ont évolué les étudiants avant la mobilité. Les trajectoires étant en partie déterminées par l’habitus, l’appréhension du milieu culturel et social et économique des étudiants et l’analyse des capitaux possédés permettront de contextualiser les trajectoires de mobilité, et saisir les prédispositions à la mobilité.

Liés aux récits de mobilité des étudiants, il est possible d’appréhender l’influence des facteurs socioculturels, économiques et familiaux dans le sens attribué à la mobilité, ainsi les potentielles stratégies de reproduction sociale et culturelle mises en œuvre au cours de la mobilité. Le chercheur, en tenant compte des trajectoires socioculturelles et économiques, met de l’avant la nécessité de ne pas invisibiliser les rapports de pouvoir et les pratiques de reproduction sociale à l’œuvre dans l’espace transnational.