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des effets de vitesse observés

3.4.1 Augmentation du module de rupture

Les faits expérimentaux rappelés ci-dessus montrent que pour un matériau composite tel que le CEMTECmultiscale®, la sensibilité aux effets de vitesse est le fait de la matrice et du

renfort (les fibres métalliques). Il est admis que l'acier est peu sensible aux effets de vitesse dans le domaine des vitesses de déformation évoqué précédemment. Par conséquent, les effets de vitesse dans les composites cimentaires se résument principalement à ceux relatifs à la matrice et aux interfaces entre cette matrice et les fibres. Dans la partie 3.2.2 ont été rappelés les processus de fissuration de la matrice cimentaire en dynamique.

Intervention des fibres sur le processus de fissuration en dynamique

A partir du processus de fissuration du béton en dynamique, on peut essayer d'analyser la manière dont les fibres métalliques interviennent dans ce processus. Pour que les fibres interviennent différemment en dynamique et en statique dans le processus de fissuration en traction d'un composite cimentaire, il faudrait qu'elles soient à l'origine de l'activation de mécanismes physiques supplémentaires (par rapport au régime quasi-statique) ayant des effets bénéfiques ou négatifs sur ce processus. Or, comme nous l'avons vu en 3.2.3, il n'est pas fait mention de mécanisme physique ayant un effet négatif dans la littérature ; tout au plus les auteurs soulignent la relative insensibilité des matrices cimentaires "classiques" à l'incorporation de faible pourcentage de fibres.

Quant aux effets positifs potentiels, Rossi a proposé deux mécanismes physiques susceptibles d'interagir positivement sur l'évolution de la résistance des matrices fibrées avec la vitesse de sollicitation, à savoir : la diffraction des ondes par les fibres, et un couplage synergique entre la fibre et le béton [Rossi 1998]. L'étude expérimentale menée n'a pas apporté d'éléments nouveaux pouvant valider le premier mécanisme (on notera seulement que son effet devrait être accentué avec l'augmentation du pourcentage de renfort). Par conséquent, seul le deuxième point est considéré dans l'analyse qui suit. Le couplage synergique entre le béton et les fibres métalliques est intimement lié à leur association, c'est-à-dire au comportement de l'interface fibre-matrice. Les fibres ont pour rôle de s'opposer aux déplacements normaux ou tangentiels des lèvres des micro-fissures ou des macro-fissures créées dans la matrice, et ainsi de transférer les efforts de part et d'autre de ces fissures. Les contraintes induites, selon la forme et les dimensions de la fibre, peuvent être des contraintes de cisaillement à l'interface fibre-matrice, mais également des contraintes de traction et de compression si la fibre possède des ancrages mécaniques tels que des crochets à ses extrémités, des ondulations ou simplement qu'elle n'est pas alignée par rapport à la direction de sollicitation. Lors d'une sollicitation impulsionnelle, la vitesse de déplacement des lèvres des fissures est très grande, et la vitesse de sollicitation (traction uniaxiale ou flexion composée, selon l'orientation des fibres par rapport aux fissures) des fibres l'est également. Les fibres, en transmettant les efforts au béton, y induisent donc des vitesses de déformation élevées. Comme les effets de vitesse sur le comportement mécanique de la fibre elle-même sont négligeables, les seuls

effets de vitesse liés à la présence des fibres métalliques sont les effets locaux de vitesses générés par l'action mécanique de ces fibres sur la matrice.

Dans le cas d'une fibre qui fonctionne par adhérence, ce qui est le cas du CEMTECmultiscale®

étudié ici, la contrainte transmise par la fibre à la matrice qui l'enserre est une contrainte macroscopique de cisaillement. A une échelle plus fine, si l'on tient compte à la fois du retrait endogène de la pâte de ciment gêné par la fibre, et de l'hétérogénéité de la microstructure de la matrice autour de la fibre, cette contrainte macroscopique de cisaillement peut se décomposer localement en contraintes de traction et de compression. Ces contraintes de traction induisent une micro-fissuration (fissuration petite par rapport à la dimension de la fibre) au voisinage de l'interface entre la fibre et la pâte de ciment. Si l'on se réfère à ce qui est dit précédemment concernant les effets de vitesse sur le comportement en traction de la matrice, on en déduit que, lorsque la fissuration de la

matrice au voisinage de la fibre est créée par une sollicitation impulsionnelle, l'adhérence mécanique apparente entre la fibre et la matrice, c'est-à-dire à l'échelle de la fibre, est meilleure que lorsqu'elle est créée par une sollicitation quasi-statique. En conséquence l'effort repris par les fibres en dynamique est supérieur à celui qu'elles reprennent en statique, à condition, bien sûr, qu'elles ne se rompent pas, ce qui est le cas pour le composite cimentaire étudié.

Au regard du mécanisme exposé ci-dessus, il apparaît évidemment que plus le nombre de fibres sollicitées (plus le nombre d'interfaces) est important, plus l’effet synergique entre la fibre et la matrice l’est également. Cela explique tout d'abord que les effets de vitesse au sein du CEMTECmultiscale® soient supérieurs à ceux relatifs à la matrice de référence, ainsi

qu'au sein des bétons mono-fibrés qui comportent nettement moins de fibres (entre 0.5 et 2.5 % classiquement) que le composite cimentaire multi-fibré. De plus ceci explique les effets de vitesse sur le domaine pseudo linéaire du comportement du CEMTECmultiscale®,

supérieurs à ceux relatifs au module de rupture. Certes, la quantité de fibres travaillant durant le comportement pseudo linéaire est moins importante que pendant l'écrouissage ; mais le "poids" (en terme de nombre) de ces nouvelles interfaces est comparativement plus faible par rapport au nombre d'interfaces initialement sollicitées. Ceci explique la plus grande sensibilité du composite dans son domaine pseudo linéaire, par rapport au pic d'effort.

Le Tableau 3.9 donne, pour le DUCTAL® et le CEMTECmultiscale®, le nombre de fibres par

m3 de composite et la surface spécifique totale. Il ressort que la surface spécifique totale est dix fois supérieure pour le composite multi-échelles par rapport au béton ultra performant mono-fibré. La différence se fait essentiellement sur les micro-fibres. Il est intéressant de noter que le facteur de forme est quasiment le même pour les fibres du BFUP et la macro- fibre du composite (81 contre 83). L'efficacité individuelle du renfort est donc à priori identique. Or du fait de leur dimension respective (13 mm contre 25 mm) et de leur pourcentage (2.5 % contre 2%), leur nombre varie du simple au triple en faveur du DUCTAL®. Cette remarque conduit à la conclusion suivante : cette dimension de fibre (la macro-fibre en l'occurrence) ne permet pas seule d'aboutir à un comportement fortement écrouissant du matériau. Car dans le cas contraire, le BFUP devrait être plus sensible aux effets de vitesse que le composite multi-échelles, et présenter des résultats en statique et en dynamique beaucoup moins dispersés. Ce qui est en contradiction avec les résultats présentés en 3.2.2 et 3.2.3. La présence des macro-fibres est néanmoins indispensable dans notre cas pour assurer le fonctionnement optimal du composite (par arrêt des fissures qui ne peuvent plus être pontées par les méso-fibres).

échelles – nombre total de fibres/m et surface spécifique totale. DUCTAL®

micro méso macro Total

Longueur ( mm ) 13 1 * 5 20 Diamètre ( mm ) 0,16 0,04 * 0,15 0,25 Nombre de fibres ( 106 ) 76,5 18 750 679 20,4 19 449 Surface spécifique totale ( m 2 ) 500 3000 1600 320 4 920 CEMTECmultiscale®

* valeur estimée car il s'agit d'un sable métallique avec sa courbe granulométrique

Le rôle de la méso-fibre est par contre primordial : le nombre de fibres intermédiaires est 30 fois supérieur à celui des macro-fibres, et leur surface spécifique intervient pour environ le tiers du total du matériau. En intervenant très tôt dans le processus de fissuration (du fait de leurs faibles dimensions par rapport aux fibres habituellement utilisées), et malgré leur faible facteur de forme (30), elles vont fortement retarder le processus de localisation. Au final, le processus de fissuration d'un composite cimentaire à renforts multi-échelles conduit à une augmentation continue du nombre de fissures, tel qu'il a été proposé par Parant et Rossi [Parant 2003] et présenté dans la partie 2.4.1. Ce processus se décompose en dynamique de la manière suivante :

Etape 1 : Le développement d'une micro-fissuration intéressant prioritairement les micro- fibres et quelques méso-fibres. A ce stade, l'endommagement est suffisamment diffus pour que la rigidité du matériau soit conservée. C'est durant cette étape que la majorité des interfaces va être sollicitée ; logiquement c'est dans ce domaine que les effets dynamiques s'expriment le plus.

Etape 2 : La propagation de certaines de ces micro-fissures (création de méso-fissures) jusqu'à leur pontage par les méso-fibres. Ce pontage conduisant à une reprise d'effort supplémentaire par le composite, de nouvelles micro-fissures apparaissent au sein de la matrice (à la même échelle que celle relative à l'étape 1 du processus de fissuration). Le nombre d'interfaces augmente mais faiblement en valeur relative.

Etape 3: La propagation de certaines des méso-fissures (création de macro-fissures) jusqu'à leur pontage par les macro-fibres. Ce pontage conduit à nouveau à une reprise d'effort supplémentaire par le composite. De manière similaire à l'étape 2 du processus de fissuration, on observe alors la création de nouvelles fissures au sein de la matrice (à l'échelle micro puis et méso). Là encore, le nombre d'interfaces augmente, avec une part relative des nouvelles toujours décroissante.

A ce stade il importe de bien préciser l’échelle d’observation des différents mécanismes. Les notions de micro, méso et macro-fissures évoquées ci-dessus sont à mettre en relation avec les trois géométries de fibres utilisées. Ces dimensions de fissures sont dans tous les cas supérieures, de plusieurs ordres de grandeur, à l’échelle d’observation des phénomènes physiques traduisant la viscosité (échelle relative à la porosité des hydrates). La fissuration du composite (taille des fissures pontées par les fibres) n’est donc pas directement responsable des effets de vitesse ; au contraire, nous avons vu dans la partie 3.2 qu’elle avait tendance à les limiter. C’est le pontage efficace de cette fissuration diffuse et limitée en ouverture qui permet d’obtenir un matériau écrouissant ; cette étape est essentielle dans la mesure où elle augmente le nombre de fibres participantes et va ainsi permettre l’activation des phénomènes visqueux supplémentaires dans la matrice enrobant les fibres. Le processus de fissuration proposé s'apparente à l'effet "boule de neige", et s'arrête avec l'apparition d'une macro-fissure localisée à l'échelle de la structure (apparition d'une instabilité de comportement).

L'explication du processus de fissuration proposé en dynamique est cohérente avec celle donnée en statique. Elle explique convenablement les résultats expérimentaux obtenus, ainsi que les tendances qui en ont été déduites. Par ailleurs, elle souligne l'intérêt du matériau par rapport aux autres bétons de fibres, ultra-performants ou non. En restreignant l'étude du comportement en traction uniaxiale au domaine purement matériau (avant la localisation), et en choisissant de dimensionner les structures dans ce domaine, on profite au maximum des effets de vitesse.

Pour valider définitivement les hypothèses formulées ci-dessus, il faudrait réaliser une campagne expérimentale d’essais dynamique de traction directe sur des éprouvettes contenant la seule micro-fibre. La réponse en traction uniaxiale doit logiquement se rapprocher d’un comportement élastique fragile (très faible écrouissage car pas de renfort multi-échelles), mais les effets de vitesse devraient être très importants, supérieurs à la tendance obtenue sur le composite multi-échelles (1.5 MPa/u.log) et légèrement inférieures à la tendance sur la limite pseudo-élastique (2.3 MPa/u.log), si l’on suppose qu’une faible proportion de méso-fibres était déjà sollicitée dans cette première phase.