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Partie 2. CEP et coopérations entre acteurs

4. Au niveau local : des logiques pragmatiques

L’enquête a porté sur six territoires, deux pour chacune des trois régions. Ceux-ci ont été choisis en tenant compte de leur diversité en matière de dynamiques institutionnelles et de caractéristiques socio-économiques48.

Dans les territoires enquêtés, il s’avère que nos interlocuteurs (directeurs, responsables d’équipe et conseillers) mobilisent bien davantage le terme de « partenariat » que celui de « coopération ». Dans l’usage qu’ils en font au cours des entretiens, il apparait que le vocable de « partenariat » renvoie tout autant à des liens institutionnalisés, le plus souvent dans le cadre d’une contractualisation, qu’à des relations, parfois très ponctuelles, établies avec des acteurs de terrain très divers. En ce qui concerne les relations entre pairs, entre conseillers des différents opérateurs, les interlocuteurs parlent davantage de « collaboration ».

Par-delà cette pluralité sémantique, lorsque l’on interroge les conseillers, ils se réfèrent aux relations effectives à leur niveau et désignent avant tout celles qui visent à faciliter l’accompagnement d’un usager. Globalement, celles-ci concernent les liens tissés avec les autres acteurs pour apporter une réponse à des besoins individuels voire collectifs. Ici, les domaines sont diversifiés. Il s’agit de toutes les relations visant :

- la levée de freins périphériques à l’autonomie (actions sociales, accès aux soins, accès au logement, aides et prestations pour les personnes en situation de handicap, transport et mobilité, actions sur la confiance en soi, etc.),

- la construction du projet professionnel (information sur le marché du travail local, forum emploi, bilan de compétences, test de métier, immersion en entreprise),

- ou encore la mise en œuvre du projet (accès à l’emploi, montée en compétences, accès à la formation, création d’entreprise, etc.).

Les registres peuvent être pluriels : la gestion de listes/fiches de liaison/le suivi d’une situation, l’échange d’informations et d’actualité, plus rarement la montée en compétences conjointes sur les offres de services et les pratiques professionnelles (à l’instar de l’initiative « Vis ma vie » entre certaines agences Apec et Fongecif ou l’initiative « Regards croisés » entre certains Cap emploi et Pôle emploi). Ou encore les actions et projets collectifs emploi- formation (forum emploi, déploiement de contrats de professionnalisation). Mais le registre qui s’impose au quotidien est celui relatif à l’élaboration des projets de formation, notamment pour l’accès aux informations et dans le cadre de négociations sur les possibilités de financement.

Ces coopérations opèrent selon deux grandes modalités :

- Formelles, répondant à des enjeux collectifs : contractualisation, convention, chartes, etc. - Informelles et davantage interindividuelles dans le cadre de l’accompagnement d’un usager. Les coopérations formelles peuvent évidemment faciliter les coopérations informelles, mais sans être suffisantes pour les garantir. Des cas de conventions bilatérales entre acteurs du SPE nous ont été rapportés, dans le cadre desquelles les relations informelles entre conseillers n’ont pas été automatiquement facilitées. Par exemple, si ladite convention ne s’accompagne pas de la désignation de référents dans chaque structure, la communication entre conseillers ne trouve pas d’amélioration dans l’exécution quotidienne de l’activité de travail.

Lorsque les dynamiques d’interconnaissance se déploient dans le cadre de relations informelles, elles peuvent s’avérer plus fragiles, notamment en cas de turnover élevé des professionnels. Elles peuvent également s’interrompre lorsque les structures subissent des réorganisations ou des changements divers (mode de financement par exemple) qui affectent le travail quotidien des conseillers et peuvent amoindrir les possibilités de maintenir les réseaux individuels.

Dans l’ensemble, les coopérations au niveau local convoquent une multiplicité d’acteurs, au-delà du cercle des opérateurs du CEP. Elles s’inscrivent dans une logique pragmatique et se concentrent autour de trois principaux cercles de partenaires :

- entre les opérateurs et le monde économique (entreprises, CCI, etc.), celui de la formation (OPCA, organismes de formation, CFA, etc.) ou encore avec les institutions locales (Direccte, Départements, Mairies, etc.) ;

- entre les opérateurs et les acteurs participant aux SPRO territoriaux (lorsque ceux-ci existent, ce qui est loin d’être toujours le cas, cf. section 6) ;

- et entre opérateurs CEP.

Pour ce dernier cercle, les rapprochements sont à géométrie variable. Sur les territoires, les relations entre opérateurs du CEP s’appuient notamment sur des conventions de coopération entre acteurs du SPE sur la question des publics demandeurs d’emploi. Concrètement, il s’agit de conventions bilatérales signées avec Pôle emploi (Mission locale, Cap emploi, Apec). Les Fongecif/Opacif ne sont pas concernés par des relations de ce type avec les acteurs du SPE, et se trouvent relativement isolés dans la mise en œuvre du CEP en direction des publics salariés. Nous avons par ailleurs relevé un autre aspect venant renforcer l’impression de « clivage » dont nous faisons état ici. Il s’agit de l’accès à la formation en fonction du statut occupé par l’usager. Bien que la loi de 2009 sur l’orientation et la formation professionnelle ait introduit le décloisonnement de certains financements pour produire

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une meilleure continuité des droits entre salariés et demandeurs d’emploi, les conseillers interrogés dans les différentes structures soulignent qu’il est plus difficile d’obtenir le financement d’une formation pour un demandeur d’emploi que pour un salarié.

Lorsque les coopérations inter-opérateurs sont faibles au niveau du territoire, certaines difficultés peuvent surgir dans l’activité des conseillers : difficultés à communiquer sur les suivis d’usagers, manque d’information notamment à propos des budgets de financement des formations, des planning et du nombre de places disponibles, ou enfin des critères de prise en charge, ce qui peut entraver la délivrance du CEP niveau 3 et placer le conseiller d’un opérateur non-financeur dans une situation délicate vis-à-vis de l’usager qu’il accompagne. Le manque de coopération inter-opérateurs, en limitant la connaissance de l’offre de services de chacun, peut également entrainer des allers et retours de l’usager d’une structure à l’autre, ne sachant pas vraiment à qui s’adresser pour répondre à ses interrogations.

Plusieurs témoignages de conseillers attirent notre attention sur ce point : « souvent les personnes ne

sont pas bien au courant et c’est dommage, c’est quand elles rentrent dans le cadre de l’accompagnement qu’on leur apprend qu’elles auraient pu avoir un accès facilité ou plus important à la formation souhaitée en anticipant, donc parfois c’est trop tard. C’est dommage car elles auraient pu savoir ça en amont, avant une fermeture d’entreprise par exemple. Il faudrait que ces informations soient davantage mises en avant dans toutes les structures, ça permettrait aussi de mieux sécuriser les parcours ».

Lorsque les coopérations sont plus établies, elles profitent à l’usager final en fluidifiant ses démarches auprès d’une multiplicité d’acteurs et en favorisant la mise en œuvre de son projet (cf. section 6, configuration 3).

Il est par ailleurs frappant de constater la perception décalée des effets du CEP entre les acteurs du niveau régional et ceux opérant au niveau local… Au niveau régional de l’étude, apparaissait de façon assez nette un effet positif de la mise en œuvre du CEP en termes d’interconnaissance mutuelle et de dynamiques de coopération. L’identification des Opacif comme opérateurs du CEP avait permis un rapprochement entre les opérateurs de l’emploi et ceux de la formation, une meilleure connaissance du positionnement, du fonctionnement et du périmètre d’intervention de chacun. Ce qui est peu le cas au niveau local.

D’une manière générale, il ressort assez nettement de nos entretiens que les acteurs de terrain n’associent pas spontanément leurs coopérations au CEP à proprement parler :

« Je n'ai pas eu ce sentiment que le CEP m’ait permis de tisser de nouveaux liens ou de renforcer

des liens existants, malheureusement. Non. » (Conseiller, Pôle emploi).

Dans le même ordre d’idées, il apparait que le CEP n’est que rarement l’initiateur des coopérations, même s’il permet parfois de les alimenter, de les renforcer ou de les fluidifier.

5. Les coopérations au prisme de la délivrance des trois