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III.2. Identification de constituants en mélange par RMN 13 C

III.2.6. Attribution des signaux

L’identification d’un composé en mélange par RMN 13C repose principalement sur l’attribution des déplacements chimiques de ses carbones. L’intérêt de la RMN réside dans sa faculté à reconnaître un noyau déterminé par rapport à son environnement dans la molécule. De ce fait, contrairement à la majorité des autres techniques spectroscopiques, il est très peu probable que deux composés de structures différentes présentent des spectres de RMN 13C superposables ou insuffisamment différenciés.

Ainsi, chaque molécule est définie par une série de déplacements chimiques qui lui est propre et qui constitue son spectre (son empreinte digitale, en quelque sorte), à partir duquel elle pourra être identifiée. De ce fait, il est essentiel d’avoir une excellente reproductibilité des valeurs de déplacements chimiques dans le spectre du mélange par rapport à celles présentes dans les spectres des composés de référence. Pour cela, différents paramètres sont à prendre en compte :

- la valeur du déplacement chimique est indépendante de la puissance du champ magnétique B0, des séquences impulsionnelles, des paramètres d’acquisition des spectres mais aussi du traitement du signal ;

- en revanche selon la fonctionnalisation des molécules, les valeurs des déplacements chimiques sont susceptibles d’être influencées par la nature du solvant, la concentration de l’échantillon et la présence d’autres molécules (à cause des liaisons hydrogènes notamment). A ce propos, il est important de noter que la mise sur le marché d’aimants supraconducteurs de plus en plus puissants (500 MHz à la fin des années 70, 1 GHz aujourd’hui) permet de travailler à des concentrations plus faibles et de minimiser la formation de liaisons hydrogènes.

Au vu de cela, il est évidemment préférable de se référer aux valeurs des déplacements chimiques des carbones de la molécule à identifier tels qu’ils sont répertoriés dans la (les) bibliothèque(s) de spectres construite(s) au laboratoire, avec des paramètres expérimentaux bien définis. Toutefois, il est possible d’utiliser des données de la littérature pour l’identification de composés en mélange, à condition que les paramètres d’analyse (dilution, nature du solvant, température) soient identiques.

Nombre d’exemples illustrent le succès de l’application de la RMN 13C à l’identification de constituants présents dans divers types de mélanges, dans des domaines très variés.

• Les produits pétroliers :

Dans l’étude menée sur un échantillon d’essence sans plomb citée précédemment (voir p.32), Allerhand et Maple (1987) ont attribué une partie des 1800 raies de résonance observées à 32 hydrocarbures en utilisant la méthode des ajouts. Cette méthode d’identification consiste à enregistrer une série de spectres d’un même échantillon enrichis à chaque fois avec un produit de référence différent et à les comparer au spectre brut initial. En 1991, Matlengiewicz et al. ont mis au point un programme informatique d’aide à l’identification des composés en mélange prenant en compte les déplacements chimiques et les intensités relatives des signaux. Ils ont ainsi identifié 10 hydrocarbures monoaromatiques présents dans un mélange artificiel. Par la suite, cette méthode informatisée a été appliquée à l’analyse de composés polymérisables des fuels légers (Matlengiewicz, 1992) et des constituants d’un échantillon de fuel obtenu par hydroliquéfaction du charbon (Matlengiewicz, 1994).

• En agroalimentaire :

Wei et al. (2012) ont démontré que la variété et l’origine géographique d’un café pouvaient être rapidement distinguées sur la base de la teneur des métabolites majoritaires contenues dans les graines de café vertes, évaluée par RMN 13C. Ces auteurs ont ainsi mis en évidence l’efficacité de l’analyse par RMN 13C pour mener à bien cette classification. La mise en œuvre de séquences 1D et 2D a permis à Kosir et Kidrik (2001) d’identifier 17 acides aminés dans un vin de Slovénie. Ces composés minoritaires sont d’une grande importance puisqu’ils influencent considérablement la qualité des vins et peuvent également permettre de les différencier (variétés, origine géographique ou encore année de production). Ces auteurs ont ainsi montré l’intérêt de la RMN 13C dans le cadre d’un contrôle de qualité, pour la

vérification d’éventuelles adultérations du vin. Nous pouvons également citer les travaux menés par Standal et al. (2010) sur différentes espèces de gadidés. L’analyse par RMN 13C de la totalité des lipides extraits des muscles des poissons a permis de distinguer les espèces entre elles sur la base de leur profil phospholipidique.

• Les huiles essentielles :

Formácek et Kubeczka (1982, 1984, 1988) ont réalisé des travaux précurseurs pour l’identification des principaux constituants d’une huile essentielle. Pour cela, les auteurs ont comparé les signaux présents sur les spectres des huiles essentielles avec ceux des composés de références, enregistrés dans des conditions expérimentales identiques (benzène-D6). Ainsi, la RMN 13C a été employée pour confirmer la présence de composés par ailleurs mis en évidence par CPG-SM. Par la suite, et encore aujourd’hui, d’autres travaux ont été menés sur les huiles essentielles, utilisant cette même méthode. Nous pouvons citer à titre d’exemples :

- l’identification de 12 sesquiterpènes dans une fraction chromatographique de l’huile essentielle de bois de Guarea guidonia. La RMN a particulièrement permis d’identifier les oxydes de caryophyllène et d’isocaryophyllène qui sont, d’après les auteurs, difficiles à différencier par CPG-SM (Núñez et Roque, 1999) ;

- l’identification du bicyclogermacrène, du β-caryophyllène, de l’α-pinène, du germacrène D, du β-pinène et du spathulénol dans l’huile essentielle de feuilles de Piper

cernuum et du myrcène, du linalol, du β-caryophyllène et du bicyclogermacrène dans l’huile

essentielle de feuilles de Piper regnelli du Brésil, à l’aide d’un logiciel basé sur l’analyse des mélanges par RMN 13C (Costantin et al., 2001) ;

- l’huile essentielle de racines de Valeriana hardwickii var. arnottiana, dans laquelle l’identification d’un sesquiterpène de type guaiane, le valeracétate (composé majoritaire et marqueur potentiel de la variété), a été confirmée par RMN 1H et 13C (Sati et Mathela, 2005) ;

- l’huile essentielle des parties aériennes de Cymbopogon jawarancusa, analysée par CPG(Ir), CPG-SM et RMN 13C. L’identification de 7 composés, parmi lesquels les 2 composés majoritaires (la piperitone et l’élémol), a été confirmée par RMN 13C (Dar et al., 2011) ;

- l’huile essentielle de racines de Paeonia emodi de l’Himalaya, analysée par CPG(Ir), CPG-SM et RMN 1H et 13C. L’identification du composé majoritaire, le salicyladhéhyde (85,5 %) a été confirmée par RMN 1H et 13C (Verma et al., 2015).

Par ailleurs, Ferreira et al. (2001) ont développé une méthode d’identification des constituants (connus ou nouveaux) d’un mélange complexe par RMN 13C. Le principe est le suivant : le spectre du mélange est comparé aux spectres de mono- et sesquiterpènes décrits dans la littérature. Les valeurs des déplacements chimiques du mélange et la multiplicité de chacun des carbones, préalablement déterminée par des séquences DEPT (Distortionless Enhancement by Polarization Transfert), sont prises en compte par un logiciel informatique. Après consultation de la bibliothèque de spectres décrits dans la littérature, le logiciel propose une identification. Les auteurs ont appliqué cette méthode à l’analyse d’huiles essentielles de feuilles de Piper cernuum Vell. et de Piper regnellii (Miq.) et ont comparé leurs résultats avec ceux obtenus par l’analyse par CPG-SM. Ils ont ainsi identifié les composés majoritaires de ces huiles essentielles (teneurs supérieures ou égales à 2,26 %) et ont conclu à une utilisation du logiciel réalisé comme outil complémentaire d’une analyse par CPG-SM. En effet, cette méthode présente l’avantage de parvenir à l’identification correcte d’isomères de certains composés et permet de détecter la présence éventuelle de nouvelles molécules dans les huiles essentielles. Elle fait suite à la méthode déjà développée en 1990 par Emerenciano et al. qui avait été appliquée à un mélange d’acétates triterpéniques isolés à partir des racines de

Vernonia cognata Less.

Très récemment, Hubert et al. (2014) ont mis au point une stratégie « déréplicative » pour identifier des métabolites naturels directement en mélange. Le principe de la méthode consiste dans un premier temps à fractionner le mélange par CPE (Centrifugal Partition Extraction). Ensuite, chaque fraction est analysée par RMN 13C et les valeurs des déplacements chimiques obtenues sont compilées et regroupées de façon hiérarchique (HCA : Hierarchical Clustering Analysis), afin d’obtenir un groupe de valeurs par molécule à identifier. Enfin, chaque groupe (« cluster ») est attribué à une structure moléculaire grâce à la base de données locale répertoriant les déplacements chimiques de nombreuses molécules. Les auteurs ont appliqué leur méthode à un mélange artificiel puis à un extrait éthanolique d’écorce d’Anogeissus leiocarpus Guill. & Perr. dans lequel ils sont parvenus à identifier 7 molécules.

III.3. La méthode d’analyse développée au laboratoire III.3.1. Le principe de la méthode

Depuis plus d’une vingtaine d’années, l’équipe « Chimie et Biomasse » utilise la RMN 13C comme outil d’analyse des mélanges naturels complexes. La méthode mise au point a pour but d’identifier (voire de quantifier) les constituants d’un mélange, à partir de son spectre RMN 13C et sans séparation préalable (ou du moins en limitant le nombre d’étapes de séparation).

L’originalité de cette méthode réside dans l’informatisation de la recherche, grâce à un logiciel d’aide à l’identification développé au laboratoire. Celui-ci assure la comparaison des déplacements chimiques de chacun des carbones du mélange avec ceux des composés de références répertoriés dans des bibliothèques de spectres (Figure I.3). L’enregistrement des spectres des composés de références et des mélanges est réalisé dans des conditions expérimentales identiques (nature du solvant, concentration, paramètres d’enregistrement des spectres) (Tomi et al., 1995 ; Bradesi et al., 1996 ; Tomi et Casanova, 2000 ; Bighelli et Casanova, 2009).

Afin d’identifier les constituants d’un mélange, il est indispensable de prendre en compte trois paramètres directement accessibles par le logiciel :

- le nombre de pics observés par rapport au nombre de pics attendus pour chaque molécule ;

- le nombre de superpositions pouvant se produire lorsque les différents effets électroniques et/ou stériques font que deux carbones appartenant à deux molécules différentes ont fortuitement le même déplacement chimique, ou lorsque les molécules présentes ont une partie de leur squelette et de leur fonctionnalisation très proche ;

- les variations des déplacements chimiques (Δδ) des carbones dans le spectre du mélange par rapport aux valeurs de référence.

Figure I.3 : Identification des constituants d’un mélange complexe par RMN 13C.

Cette méthode d’analyse a été appliquée à différentes familles de molécules (terpènes, flavonoïdes, coumarines, acides gras, sucres, phénols, etc.) selon un protocole expérimental adapté à chaque famille (choix du solvant, concentration, paramètres d’acquisition, etc.). Différentes bibliothèques de spectres ont ainsi été réalisées, à partir de produits commerciaux dans un premier temps. Par la suite, elles ont été régulièrement enrichies avec les données spectrales des composés isolés à partir de mélanges naturels ou bien préparés par hémi-synthèse. A l’heure actuelle, la bibliothèque de spectres la plus importante est celle qui correspond aux composés terpéniques (bibliothèque de spectres « Terpènes »). Elle contient plus d’un millier de molécules : mono-, sesqui- et diterpènes, ainsi que des phénylpropanoïdes, que l’on identifie notamment dans les huiles essentielles. D’autres bibliothèques de spectres ont été développées : composés linéaires, sucres, phénols, coumarines, etc.

Par ailleurs, pour chaque famille de composés, une deuxième bibliothèque contenant les données spectrales publiées dans la littérature récente a été élaborée, permettant ainsi de disposer d’un nombre important de spectres de référence. En effet, l’avantage de la RMN 13C est que pour chaque molécule nouvelle isolée et caractérisée structuralement, son spectre de RMN 13C est décrit dans son intégralité, contrairement à la description des autres spectres SM ou IR (seuls les principaux fragments ou les raies d’absorption les plus importants sont décrits). De plus, les spectres étant aujourd’hui enregistrés à partir d’une quantité minime

(quelques milligrammes en général) de produit purifié, la concentration est ainsi faible et la reproductibilité des déplacements chimiques est très bonne.

Lorsque la RMN 13C est appliquée à des mélanges contenant des composés volatils, les constituants identifiés à partir du spectre du mélange sont ensuite repérés, généralement sans difficulté, sur le chromatogramme (CPG). En effet, leurs indices de rétention sur colonnes polaire et apolaire sont comparés avec ceux des produits de références, ce qui permet à la fois de confirmer leur identification mais également de connaître leur quantité relative (%).

En résumé, l’intérêt de la RMN 13C réside non seulement dans sa fiabilité et sa rapidité mais aussi dans sa complémentarité avec des techniques conventionnelles (exposées précédemment dans les voies A et B). Ainsi, cette méthode d’analyse a été appliquée avec succès au laboratoire à différentes familles de produits naturels (huiles essentielles, extraits végétaux, huiles végétales, résines, etc.) en utilisant pendant de nombreuses années (1990-2004) un spectromètre à 4,7 T puis un spectromètre à 9,4 T. Après l’enregistrement et le traitement de plusieurs milliers de spectres, nous pouvons dresser le bilan suivant :

- la teneur minimale des composés identifiables avec notre spectromètre (9,4 T) est de l’ordre de 0,3-0,4 % ;

- en général, tous les carbones des composés identifiés sont observés, excepté certains carbones quaternaires appartenant aux composés minoritaires ;

- le nombre de superpositions est limité et n’empêche pas l’identification d’un composé ;

- les variations des déplacements chimiques (Δδ) sont inférieures à 0,05 ppm dans la grande majorité des cas. Il existe néanmoins quelques exceptions, en particulier les composés phénoliques (thymol et carvacrol, par exemple) ou les composés carbonylés α,β-insaturés, dont certains carbones sp2 présentent des variations de déplacement chimique plus importantes selon la polarité, la fonctionnalisation et l’abondance des autres constituants du mélange (Castola et al., 1997) ;

- dans un mélange, deux à trois douzaines de composés peuvent être identifiés. Par exemple, dans un échantillon d’huile essentielle d’écorce de tronc de Cleistopholis patens, 33 composés présents à des teneurs comprises entre 0,4 et 25,4 % ont été identifiés (Ouattara

et al., 2013).