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III.2. Identification de constituants en mélange par RMN 13 C

III.3.2. Application à l’analyse d’huiles essentielles

De nombreuses huiles essentielles ont été caractérisées au moyen de la méthode d’analyse basée sur la RMN 13C que nous venons de décrire, utilisée en complément de la CPG(Ir) ou en combinaison avec la CPG(Ir) et la CPG-SM. Ainsi :

- Rossi et al. (2007) ont identifié 31 composés dans l’huile essentielle de Daucus carota de Corse, parmi lesquels 4 phénylpropanoïdes dont 2 majoritaires : le (E)-méthylisoeugénol et l’élémicine ;

- deux oxydes monoterpéniques, les cis- et trans-7-hydroxy-3,7-diméthyl-3,6-oxyoctanal, ont été identifiés par RMN 13C pour la première fois à l’état naturel dans deux huiles essentielles d’espèces du genre Cymbopogon du Vietnam : C. flexuosus et C. tortilis (Ottavioli et al., 2009) ;

- Paoli et al. (2011) ont identifié 23 composés dans l’huile essentielle de bois de Cedrus

atlantica de Corse, principalement des monoterpènes à squelette pinane (α- et β-pinène) et

plusieurs sesquiterpènes à squelette himachalane (himachalol, α-, β-, γ-himachalène et himachala-2,4-diène) ;

- diverses lactones p-menthaniques (mintlactone, isomintlactone, hydroxymintlactone, menthofurolactone et épimenthofurolactone) ont été mises en évidence dans l’huile essentielle de feuilles de Mentha aquatica de Corse (Sutour et al., 2011) ;

- Bighelli et al., (2010) ont étudié pour la première fois la composition chimique de l’huile essentielle de graines d’Angelica acutiloba originaire du Vietnam, marquée par la présence de composés appartenant à diverses familles chimiques : terpènes (p-cymène, γ-terpinène, etc.), alcools et acétates acycliques non terpéniques (dodécanol, acétate de tétradécyle, etc.) et phtalides ((Z)-ligustilide, 3-(Z)-butylidenephtalide, etc.). Il est à noter que le 3-(Z)-butylidène-4,5,6,7-tétrahydro-cis-6,7-dihydroxyphtalide a été identifié grâce aux données RMN 13C de la littérature et est absent des bibliothèques de spectres de masse ;

- Yapi et al. (2012b) ont analysé par CPG(Ir) et RMN 13C les huiles essentielles isolées à partir de différentes parties (feuilles, branches et racines) de Pachypodanthium staudtii Engl & Diels récolté en Côte d’Ivoire. Toutes sont riches en composés hydrocarbonés et composés aromatiques. Les huiles essentielles de racines et de branches sont marquées par une forte teneur en 2,4,5-triméthoxystyrène (composé majoritaire) et en sabinène, tandis que les huiles essentielles de feuilles contiennent principalement du β-élémène, du (E)-β-caryophyllène, du β-sélinène, du β-bisabolène, du δ-cadinène et du 2,4,5-triméthoxy-1-vinylbenzène.

Cette méthode d’analyse a également permis d’identifier des molécules pour lesquelles la combinaison classique de la CPG(Ir) associée à la CPG-SM ne permettait pas de conclure. Ces différents cas sont exposés dans les points qui suivent.

• Identification de molécules qui co-éluent

Il n’est pas rare d’observer des composés qui co-éluent dans les huiles essentielles. C’est notamment le cas pour le limonène, le 1,8-cinéole et le β-phellandrène, qui co-éluent sur colonne apolaire (BP-1) ou encore pour le β-himachalène qui co-élue avec le β-bisabolène et le β-curcumène sur colonne apolaire (BP-1) et avec le valencène sur colonne polaire (BP-20). Ainsi, alors que l’analyse par CPG-SM de l’huile essentielle de rhizomes de Piper betle du Vietnam conduit à l’identification du δ-cadinol à une teneur d’environ 20 %, l’analyse par RMN 13C révèle la présence du τ-cadinol et τ-muurolol à environ 10 % chacun. En effet, ces deux composés co-éluent sur colonne apolaire (Lê Thanh et al., 1996/1997).

Un autre exemple concerne l’identification par RMN 13C du (E)-β-caryophyllène et du 4,8-β-époxycaryophyllane dans l’huile essentielle de feuilles de Polyalthia longifolia de Côte d’Ivoire, alors que ces deux composés co-éluent sur colonne apolaire (BP-1). Ainsi, seul le

(E)-β-caryophyllène a été identifié par SM (Ouattara et al., 2014).

• Identification de stéréoisomères

La RMN 13C a permis l’identification de certains stéréoisomères, ce qui est délicat par l’utilisation de techniques conventionnelles. A titre d’exemples, nous pouvons citer l’identification :

- de quatre stéréoisomères possédant un squelette cédrane (α-cédrène/α-funébrène et β-cédrène/β-funébrène). Ceux-ci ne peuvent être différenciés ni sur la base de leurs spectres de masse qui sont quasiment superposables deux à deux, ni en se fiant aux indices de rétention qui sont très proches. En revanche, ces couples, qui ne diffèrent que par la stéréochimie de la jonction de cycle, présentent des spectres de RMN 13C suffisamment différenciés pour pouvoir les identifier sans difficulté dans les huiles essentielles de bois de cèdre (Tomi et al., 1995) et de Cupressus funebris du Vietnam (Duquesnoy et al., 2006) ;

- de quatre stéréoisomères du dihydroagarofurane : isodihydroagarofurane, cis-dihydroagarofurane, 4-épi-trans-dihydroagarofurane et 4-épi-cis-dihydroagarofurane) dans l’huile essentielle d’écorce de Cedrelopsis grevei (Cavalli et al., 2004a) ;

- de la shyobunone et de son épimère (6-épi-shyobunone) dans l’huile essentielle de

Daucus carota de Corse (Gonny et al., 2004) ;

- de l’isoliratol et de l’épi-isoliratol (deux épimères ayant des spectres de masse extrêmement proches) dans l’huile essentielle de Santolina corsica (Liu et al., 2007) ;

- des 4,8-α- et 4,8-β-époxycaryophyllanes dans l’huile essentielle de feuilles de

Polyalthia longifolia de Côte d’Ivoire. Ces deux isomères présentent des spectres de masse

similaires et des indices de rétention proches (Ouattara et al., 2014) ;

- de deux isomères sesquiterpéniques à squelette guaiane (furanoguaia-1,4-diène et furanoguaia-1,3-diène) dans les huiles essentielles de Xylopia rubescens et de Xylopia staudtii de Côte d’Ivoire (Yapi et al., 2013 ; Yapi et al., 2015) ;

- du germacra-1(10),5-dièn-4α-ol dans les huiles essentielles de 5 espèces du genre

Fortunella. Dans cette étude, les données RMN 13C de ce composé sont décrites pour la première fois. En effet, les deux diastéréoisomères α- et β- du germacra-1(10),5-dièn-4-ol ont longtemps fait l’objet de discussions autour de leur identification (Sutour et al., 2015a).

• Identification de molécules thermosensibles

La RMN 13C a également été utilisée au laboratoire pour l’identification et la quantification de composés thermosensibles tels que :

- le furanodiène et le furanoélémène dans l’huile essentielle de rhizomes et fleurs de

Smyrnium olusatrum de Corse (Baldovini et al., 2001). Au cours de l’analyse par CPG, le

furanodiène se réarrange thermiquement selon une réaction sigmatropique [3,3] (transposition de Cope) pour donner le furanoélémène. Les deux composés possèdent donc le même couple d’indices de rétention et ne sont pas différenciables en CPG(Ir) et en CPG-SM ;

- l’ascaridole et son isomère, l’isoascaridole, dans l’huile essentielle de Chenopodium

ambrosioides de Madagascar (Cavalli et al., 2004b). En effet, une partie de l’ascaridole

s’isomérise thermiquement en isoascaridole au cours de l’analyse par CPG ;

- les germacrènes A, B et C dans les huiles essentielles de Cleistopholis patens de Côte d’Ivoire. Le germacrène A se réarrange thermiquement en β-élémène, ce qui rend difficile sa quantification par CPG(Ir) dans l’huile essentielle de feuilles. Les germacrènes B et C se réarrangent respectivement en γ- et δ-élémène dans l’huile essentielle d’écorce. Le réarrangement thermique partiel ou total des germacrènes en élémènes est confirmé par l’examen de l’intensité des signaux sur le spectre de RMN 13C. La teneur erronée des germacrènes quantifiés par CPG est corrigée grâce à la RMN 13C (Ouattara et al., 2013).

• Combinaison de la chromatographie sur colonne et de la RMN 13C

Dans le cas d’huiles essentielles complexes, il est parfois utile d’avoir recours à un (ou plusieurs) fractionnement(s) sur colonne ouverte de silice (ou alumine, ou sephadex), combiné(s) à des analyses par CPG(Ir) et RMN 13C, dans le but d’obtenir une composition chimique détaillée et fiable. En effet, la RMN 13C peut permettre d’identifier, au sein des fractions, des composés présents en très faible proportion dans l’huile essentielle brute. Cette méthode a, par exemple, été appliquée pour :

- l’analyse de l’huile essentielle isolée à partir des parties aériennes de Daucus carota (Gonny et al., 2004) ;

- l’étude de la composition chimique des huiles essentielles d’aiguilles, de baies, de bois et de racines de Juniperus communis ssp. alpina (Gonny et al., 2006) ;

- l’analyse d’huiles essentielles de Mentha suaveolens ssp. insularis et de Mentha

aquatica, originaires de Corse (Sutour et al., 2008, 2011).

• Combinaison de l’hémisynthèse et de la RMN 13C

La complexité de la composition chimique de certaines huiles essentielles est parfois telle que la combinaison des diverses techniques évoquées précédemment n’est pas suffisante, soit parce que des constituants ont des structures très proches, soit en raison d’une trop faible quantité de produit pour poursuivre le fractionnement. Dans ce cas, l’hémisynthèse de certaines molécules peut apporter la solution.

A titre d’exemple, nous pouvons citer les travaux menés par Liu et al. (2007) sur l’huile essentielle isolée à partir des parties aériennes de Santolina corsica. Dans cette huile essentielle, le lyratal, le butyrate de lyratyle et l’isovalérate de lyratyle ont été identifiés par comparaison de leurs spectres RMN 13C avec ceux de composés authentiques préparés par oxydation ou estérification du lyratol. De même, dans une étude menée sur l’huile essentielle de racines de Pulicaria mauritanica, Xu et al. (2015) ont identifié l’isobutyrate de carvacryle par comparaison de ses données spectrales de RMN 13C avec celles du composé préparé par estérification du carvacrol.