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2.3.1 Définitions de l’attitude

Il existe deux courants de définitions de l’attitude : d’un côté l’attitude comme déclencheur d’une réponse, définie par Allport (1935) comme “un état mental ou neurologique d’empressement organisé à travers l’expérience, exerçant une influence directive ou dynamique sur les réponses de l’individu sur tous les objets et toutes les situations auxquels elle est reliée”. Campbell (1963) fait ressortir plus fortement le lien entre comportement et attitude en la définissant comme une disposition acquise envers un comportement. D’après ces définitions, les attitudes seraient indissociables du comportement, ce qui n’est que modérément soutenu par la recherche. En effet cette dernière ne trouve qu’une corrélation faible entre une attitude et un comportement spécifique (p.ex. : Berg, 1966 ; Bray, 1950 ; Deutscher, 1966 ; Ehrlich, 1969 ; Fishbein & Ajzen, 1974 ; Kutner et al., 1952 ; LaPiere, 1934 ; W. J. McGuire, 1969 ; Nemeth, 1970). Nous reviendrons sur la relation entre attitude et comportement un peu plus loin.

Un autre courant, ayant émergé suite au constat de la faible relation entre attitude et compor-tement, préconise de définir les attitudes sans prendre en compte ses conséquences (c’est-à-dire le comportement). Cette définition de l’attitude est fondée sur l’évaluation. Cette seconde définition prend en compte la finalité de la formation de l’attitude.

Jusqu’à la fin des années 80, la recherche sur les attitudes en psychologie sociale considérait l’at-titude comme étant définie par trois dimensions : une dimension cognitive (les croyances étant des cognitions concernant la probabilité qu’un objet ou un événement soit associé à un certain attri-but (Fishbein & Ajzen, 1975)), une dimension affective (émotions expérimentées par une personne, concernant ou non un objet ou événement particulier (Berkowitz, 2000)) et une dimension conative (les comportements étant les actions manifestes d’un individu).

Suite à plusieurs études (Brief & Robertson, 1989 ; J. M. Olson & Zanna, 1993 ; R. E. Petty et al., 1997), le modèle tridimensionnel de l’attitude a été revu et depuis, les trois dimensions ne sont plus vues comme des composantes de l’attitude, mais comme des causes et des conséquences d’une évaluation (Ajzen, 2001) pouvant être représentées comme dans la figure 2.11.

Ainsi, il faut distinguer les croyances, les affects et les comportements des attitudes. D’ailleurs plusieurs études ont démontré la validité discriminante entre les construits de l’évaluation, l’affect et les croyances (Abelson et al., 1982 ; Breckler & Wiggins, 1989 ; Crites et al., 1994 ; Simon & Carey, 1998 ; Trafimow & Sheeran, 1998 ; H. M. Weiss et al., 1999). Dans les sous-sections suivantes, nous expliquerons en quoi elles diffèrent.

Attitude et croyance

Tout d’abord, il est nécessaire de distinguer les croyances des attitudes. Eagly et Chaiken (1993) soulèvent que certaines croyances peuvent être vérifiées ou falsifiées par des critères objectifs externes à l’individu, alors que cela est plus difficilement le cas pour les attitudes. Il y aurait une plus grande variabilité inter-juge lorsqu’il s’agit d’attitudes que lorsqu’il s’agit de croyances.

Dans le champ de la satisfaction au travail défini comme une attitude, H. M. Weiss et al. (1999) ont trouvé que les affects (mesurés par un niveau moyen d’humeur) et les croyances prédisent de manière indépendante la satisfaction globale au travail. Ainsi, il faut faire la distinction entre croyance, affect et attitude.

1. Cette figure ne correspond pas à un modèle complet, mais il reprend les éléments principaux discutés ci-après. Elle est inspirée d’un modèle présenté par Blair Johnson (éditeur et auteur du “Handbook of attitudes” (Albarracín et al., 2005)) lors d’un cours sur les attitudes dans le cadre de l’école doctorale de psychologie-sociale.

Figure 2.1 – Relations entre attitude, cognition, affect et comportement inspiré d’un cours de Blair Johnson (2010) (ceci n’est pas un modèle complet, mais met en relation les différents concepts présentés dans cette section)

Cognitions Croyances Stéréotypes

Comportements manifestes

Attitude:

Evaluation d’objets

Affects émotions humeurs

Attitude et affect

Il est également important de faire la distinction entre les réactions affectives et les attitudes.

Lorsqu’il est fait mention des affects dans la littérature, il est usuel de faire référence aux émotions et à l’humeur. Les émotions étant provoquées par une cible ou une cause particulière, elles incluent souvent des réactions physiologiques et une séquence d’actions. Elles sont relativement intenses et de courte durée (Frijda, 1986 ; Lazarus, 1991). Les humeurs sont quant à elles plus diffuses, et elles prennent la forme d’un sentiment général positif (plaisant) ou négatif (désagréable) et tendent à ne pas être focalisées sur une cause spécifique (Frijda, 1986 ; Tellegen, 1985).

Ainsi, les affects (notamment les humeurs), contrairement aux attitudes, ne sont pas forcément liés à un objet en particulier. De plus, les affects sont souvent une base puissante des attitudes et, comme le mentionne Albarracín et al. (2005), ces deux concepts diffèrent dans leur phénoménologie.

Dans le champ de la satisfaction au travail, définie comme une attitude, il n’est pas rare de voir les affects et la satisfaction au travail analysés simultanément dans une étude. La présence des deux concepts se justifie au moyen de deux raisons principales (Mignonac, 2004). La première raison consiste en un souhait de distinguer les mesures de satisfaction au travail des mesures d’états affectifs (émotions, humeurs ou traits de personnalité). Ce souhait est justifié par les résultats de différentes études menées pour identifier si la satisfaction au travail et les affects sont deux construits distincts (Agho et al., 1992 ; Brief & Robertson, 1989 ; Fisher, 2000 ; Mignonac, 2004). Ainsi, Brief et Robertson (1989) ou Fisher (2000) ont trouvé dans leurs recherches que les différents indicateurs de satisfaction au travail analysés corrèlent avec des variables d’états affectifs, mais que les niveaux des corrélations obtenus ne permettent pas de considérer les états affectifs comme étant de la satisfaction au travail,

d’où l’importance de faire la distinction de ces deux concepts comme induit dans la figure 2.1.

La deuxième raison justifiant la présence de la satisfaction au travail et des affects dans une même étude s’explique par l’hypothèse que les affects sont prédicteurs de la satisfaction au travail, hypothèse largement testée et soutenue par les résultats (cf. section 5.2 consacrée aux déterminants de la satisfaction au travail).

Attitude et comportement

L’attitude et le comportement doivent également être différenciés. Bien que la théorie de la dis-sonance cognitive de Festinger (1957) indique que la plupart des individus cherchent en permanence une cohérence entre leurs attitudes et leurs comportements, Wicker (1969) se demande s’il existe bien un lien entre ces deux concepts, notamment au vu des corrélations faibles trouvées dans la littérature et mentionnées précédemment.

Afin de comprendre la relation entre attitude et comportement, il faut faire la distinction entre

“single- and multiple-act” (Fishbein & Ajzen, 1974, p. 61). Thurstone (1931, cité par Fishbein & Ajzen, 1974) a mis en évidence que deux personnes peuvent avoir une même attitude face à un objet, mais que leurs actions manifestes peuvent prendre des formes différentes qui ont en commun une évaluation équivalente de l’objet. Ainsi, l’attitude d’une personne face à un objet n’est pas forcément liée à un unique comportement, mais au pattern global de ses comportements.

Afin de tester ce qui précède, Fishbein et Ajzen (1974) ont mesuré 100 comportements face à la religion, ainsi que 5 échelles d’attitude par rapport à la religion. Comme attendu, ils trouvent que la relation entre les attitudes et les comportements pris un à un (unique act) sont faiblement voire non corrélés avec une corrélation moyenne entre 0.121 et 0.149 en fonction de l’échelle d’attitude mesurée.

Les corrélations entre la somme des actes et les échelles d’attitude sont nettement plus élevées : entre 0.608 et 0.714. Ainsi, si nous considérons non plus un comportement impliquant un seul et unique acte mais une somme d’actes, il existe une forte relation entre attitude et comportement.

Concernant le lien entre une attitude et un comportement spécifique, il ressort de la littérature que ce lien sera d’autant plus fort que l’attitude reflète une valeur pour l’individu, en d’autres termes que l’objet ou la situation est important pour la personne (Boninger et al., 1995 ; Krosnick, 1989)).

Par ailleurs, plus une attitude est expérimentée fréquemment, plus elle sera facilement accessible en mémoire et plus elle aura d’impact sur le comportement (Channouf et al., 1996 ; Fazio et al., 1986, 1986 ; Shiffrin & Schneider, 1977). Ainsi, l’attitude façonnera le comportement dans la répétition.

Ceci est représenté dans la figure 2.1 par la flèche allant d’attitude à comportement. Par contre, si l’attitude est peu expérimentée ou qu’elle a peu d’importance pour le sujet, alors le comportement va définir l’attitude selon la théorie de l’auto-perception (Bem, 1967, 1972). Cette relation est représentée sur la figure 2.1 par la flèche allant de comportement à attitude. Cette théorie part du postulat que les individus expliquent leur attitude en opérant une déduction par rapport aux souvenirs de leurs comportements. Ceci est d’autant plus vrai lorsque nous avons peu d’expérience avec ces attitudes et que ces dernières sont vagues et ambiguës.

De plus, selon Fishbein et Ajzen (1975), la relation entre attitude et comportement serait différente que l’attitude soit envers un objet ou envers une action. En effet, ils ont démontré que l’attitude envers l’action était un meilleur indicateur comportemental que l’attitude envers un objet.

Ainsi, il existerait bien un lien entre attitude et comportement, mais uniquement sous certaines conditions. Une réflexion autour de ce lien a amené des chercheurs à proposer de nouvelles modé-lisations de cette relation (Ajzen & Madden, 1986 ; Bagozzi, 1992 ; Bagozzi & Warshaw, 1990). Il ressort de ces réflexions que l’attitude ne doit plus être vue comme le seul et unique facteur explicatif du comportement, mais qu’il faut prendre en compte d’autres variables explicatives. De ce constat sont nées plusieurs théories. La première, et référence, est la théorie de l’Action Raisonnée (TAR) (Fishbein, 1967 ; Fishbein & Ajzen, 1975) avec la notion de formation de l’intention. Cette dernière n’est applicable qu’aux attitudes envers l’acte. Une deuxième théorie, la théorie de l’Action Planifiée

(“Theory of planned behavior”, Ajzen (1985, 1987, 1991)) s’inspire de la TAR et ajoute la notion de l’action du contrôle perçu (“perceived behavioral control”) ayant pour but de prendre en compte le fait qu’un individu ne contrôle pas complètement son processus comportemental (postulat de base de la TAR). Une autre théorie découle de cette réflexion : la théorie de l’Essai (“theory of Trying”, Bagozzi, 1992). Cette théorie est également basée sur la TAR. Dans cette dernière, le comportement n’est pas une fin en soi, il n’est donc pas exécuté pour lui-même, mais afin d’atteindre un objectif final. Quelques années plus tard Perugini et Bagozzi (2001) ont proposé de rajouter dans le modèle les variables “désirs”, “émotions anticipées” et “fréquence des comportements passés” afin de médiatiser ou de modérer les effets existants dans le modèle de base.

2.3.2 Définition consensuelle de l’attitude

Malgré l’existence de centaines de définitions, la définition de Eagly et Chaiken (1993) semble communément acceptée : “attitude is a psychological tendency that is expressed by evaluating a particular entity with some degree of favor or disfavor” (p.1, cité par Albarracín et al., 2005). Ainsi, l’attitude est une évaluation globale d’objets. Elle est réservée à la tendance évaluative, tendance qui peut à la fois influencer ou être influencée par les croyances, affects et les comportements manifestes (Albarracín et al., 2005) comme nous pouvons le voir dans la figure 2.1. Cette évaluation se mesure sur une unique dimension allant du négatif au positif (R. E. Petty et al., 1994).

Maintenant que nous avons défini l’attitude et fait la distinction entre attitude, croyance, cognition et affect, nous allons nous intéresser à la formation des attitudes afin de mieux les comprendre.

2.3.3 La formation d’attitude

Il existe différentes théories expliquant la formation des attitudes : certains chercheurs pensent que les croyances jouent un rôle central dans la formation d’attitude, tandis que d’autres pensent que les affects sont responsables des attitudes (Bodur et al., 2000). D’autres pensent que les attitudes sont inférées de nos comportements passés (Aiken, 2002) ou d’autres encore qu’elles s’apprennent au fil du temps, qu’elles sont relativement stables malgré les humeurs ou les états émotionnels variables et qu’elles sont orientées vers un objet spécifique (Crano & Prislin, 2008).

De manière plus large, la formation des attitudes serait le résultat d’une interaction entre les éléments intrinsèques de l’individu (i.e. ses caractéristiques psychologiques) et les éléments extrinsèques à l’individu (i.e. le milieu dans lequel il vit). Crisp et Turner (2007) proposent de regrouper en cinq catégories les théories de la formation d’attitudes : (1) formation par simple exposition, (2) formation par apprentissage par association, (3) formation par apprentissage par observation, (4) formation par auto-perception (vu plus haut au travers de la théorie de l’auto-perception de Bem), et (5) formation fonctionnelle.

La formation des attitudes par simple exposition présuppose que nous développons un lien avec un objet dépendant de la fréquence à laquelle nous sommes exposés (Grush, 1976). Ainsi, plus nous sommes exposés à un stimulus auquel nous ne sommes pas familiers, plus il deviendra familier et plus il sera associé positivement en comparaison de stimuli auxquels nous n’aurions pas été exposés (Zajonc, 1968).

La formation d’attitude par apprentissage par association fait référence au conditionnement clas-sique (Pavlov, 1927) où un stimulus neutre est associé à un stimulus avec une certaine importance (la formation de l’attitude sera d’autant plus forte que la personne n’avait pas de croyances préalables sur l’objet de l’évaluation) et au conditionnement opérant (Thorndike, 1911) où l’apprentissage de com-portements s’opère dans l’environnement afin d’obtenir quelque chose désiré ou d’éviter une punition (le comportement étant renforcé lorsqu’une récompense est associée). Ainsi, l’environnement ajuste nos attitudes de sorte qu’elles soient en adéquation avec l’environnement social, comme c’est le cas pour les croyances socialement acceptées.

La formation d’attitude par apprentissage par observation (apprentissage social) résulte de nos interactions quotidiennes avec nos pairs. D’après la théorie de la comparaison sociale de Festinger (1954), nous avons un désir instinctif de comparer nos opinions et aptitudes à celles des autres afin d’évaluer ou d’améliorer nos propres comportements. Ainsi, nous aurons tendance à davantage ajuster nos attitudes en fonction d’un groupe de référence si nous considérons leur opinion comme importante et si nous nous identifions à lui.

Finalement, la formation d’une attitude fonctionnelle est basée sur l’idée que les attitudes se forment dans le but de satisfaire des besoins psychologiques. Les attitudes serviraient quatre fonctions psychologiques de base : une fonction utilitaire (recherche de bénéfices et évitement de punitions), une fonction de connaissance (organiser et simplifier l’information pour comprendre notre environne-ment), une fonction d’autodéfense (conserver l’estime de soi) et une fonction d’expression de valeur (transmettre des valeurs importantes pour l’individu).