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Il faut attendre la toute fin du XIXe siècle pour que nomadisme supposé 245 et qualité d’État soient considérés comme antinomiques – ainsi, par exemple, dans ce débat

au Congrès en 1869, où l’on peut lire que « ces bandes d’Indiens errants sont à présent

si faibles, qu’ils ne peuvent plus être considérés comme des Nations indépendantes » ou

encore sous la plume de Whipple qui écrit en 1864 dans la North American Review que

« reconnaître une tribu nomade comme une Nation souveraine et indépendante », c’est

« traiter comme une Nation indépendante un peuple qui n’a pas un seul des éléments

nécessaires à l’existence souveraine »

246

- mais l’argument joue un rôle marginal dans

l’adoption, en 1871, d’une loi par laquelle la qualification des entités indiennes de

« Nation » est définitivement écartée

247

. La Cour dans l’affaire Texas v. White n’avait-

elle pas, en 1868 encore, affirmé, comme nous l’avons rappelé plus haut, que le terme

d’État désigne « un peuple habitant de manière permanente ou temporaire un pays »

248

?

Society, or whose Persons or property form no objects of its laws » in HUNT, (G.), The Writings of

James Madison…, précité, vol.2, p.91.

244 Worcester v. Georgia (1832), 31 U.S. 515, 590 : « The residence of Indians, governed by their own

laws, within the limits of a State has never been deemed incompatible with State sovereignty, until recently. And yet, this has been the condition of many distinct tribes of Indians since the foundation of the Federal Government ».

245 Sur la véracité de l’affirmation voir infra, Titre 2, Chapitre 1, Section 1, §2 et, de manière générale

BASSETT, (W.W.), « The Myth of the Nomad in Property Law », précité et BANNER, (S.), How the

indians lost their land. Law and Power on the Frontier, Cambridge, London, The Belknap Press of

Harvard UP 2005, pp.150-190.

246 WHIPPLE, (H.B.), « The Indian System », North American Review, vol.99, n°205 (1864), p.450 :

« We recognize a wandering tribe as an independent and sovereign Nation. We send ambassadors to make a treaty as with our equals, knowing that every provision of that treaty will be our own, that those with whom we make it cannot compel us to observe it, that they are to live within our territory, yet not subject to our laws, that they have no government of their own, and are to receive none from us; in a word, we treat as an independent Nation a people whom we will not permit to exercise one single element of that sovereign power which is necessary to a Nations existence ».

247 « Act of March 8, 1871 », 16 Stat. 566 : « Provided, that hereafter no Indian Nation or tribe within the

territory of the United States shall be acknowledged or recognized as an independent Nation, tribe, or power with whom the United States may contract by treaty ».

248 State of Texas v. White (1868), 74 U.S. 700, 720 : « [the term State] describes sometimes a people or

community of individuals united more or less closely in political relations, inhabiting temporarily or permanently the same country » (c’est nous qui soulignons).

Thibaut FLEURY | Thèse de Doctorat | Juin 2011 Partie 1 – Construction des conditions d’acquisition du titre

De même qu’un « État de nomade » est, selon la conception américaine de l’État

telle qu’elle prévaut dans cette frange de la doctrine et de la pratique, tout à fait

concevable

249

, un « État de chasseur » l’est tout également, et corrélativement : il suffit

pour s’en convaincre de consulter le recueil d’articles que J.Evarts, avocat bostonien, a

consacré à la question à la fin des années 1820

250

.

« Les tribus indiennes, qui résident à notre voisinage en tant que communautés

séparées des blancs », s’interroge Evarts au début du recueil, « ont-elles un titre

permanent au territoire qu’elles ont hérité de leurs ancêtres, qu’elles n’ont jamais

abandonné ni vendu, et qu’elles occupent à présent ? »

251

. Sa réponse démontre que

l’existence d’un « titre permanent » est indifférente à l’utilisation de l’espace concerné :

la qualification juridique du titre Indien de « titre permanent au territoire » découle pour

Evarts de ce que ce titre, n’a, d’une part, « aucune limitation de temps, ni ne comporte

aucune disposition quant à la possibilité qu’il s’affaiblisse au cours des années »

252

; et

est constitutif, d’autre part, d’un intérêt complet au territoire car, « puisque les Indiens

vivent principalement de la chasse, il est normal de désigner leur pays par la phrase

‘’terrain de chasse ‘’, et cela est une appellation tout aussi valable, du point de vue de la

validité du titre, que n’importe quelle autre phrase qui aurait pu être choisie. Elle

contient l’idée de propriété, et celle d’usage permanent »

253

. Le Sénateur Frelinghuysen

abonde dans le même sens lorsqu’il démontre, dans un discours de 1830, que le titre

249 Cette conception de l’État est, en cela, proche de celle qu’en proposera…Kelsen. Voir KELSEN, (H.),

« Aperçu d’une théorie générale de l’État », R.D.P. n°43 (1926), p.591 : « Toutes les caractéristiques de l’organisation étatique peuvent se rencontrer aussi bien chez les ‘peuples migrateurs’, c'est-à-dire quand même les limites du territoire pour lequel vaut l’ordre étatique se déplacent, peu à peu ou soudain ». Cette caractéristique de la théorie kelsienne de l’État a notamment été relevée par BEAUD, (O.), « La notion d’État »,

A.P.D. t.35 (1990), p.129. La relativité de l’association État / territoire fixe est également mise en avant par

JELLINEK, (G.), L'État moderne …, précité, vol.2, p.18 : « La nécesité d'un territoire délimité pour l'existence de l'État n'a été reconnue que de nos jours. L'ancien enseignement de la science politique conçoit l'État comme un groupement de citoyens dont l'identité n'est pas liée à la résidence des dits citoyens. Aucune des définitions de l'État que nous a transmises l'Antiquité ne mentionne le territoire ». Voir aussi p.32 : « Aux yeux des partisans du Droit naturel, l'État (…) n'était qu'un groupe de personnes ; dans aucune des définitions connues de l'État de Bodin à Kant, il n'est fait mention du territoire (…) ».

250 EVARTS, (J.), Essays on the Present Crisis…, précité, 113 p.

251 Id., p.6 : « Have the Indian tribes, residing as separate communities in the neighborhood of the

whites a permanent title to the territory, which they inherited from their fathers, which they have neither

forefeited nor sold, and which they now occupied ? » (c’est nous qui soulignons).

252 Id., p.17 : « it has no limitation of time, nor is there the slightest intimation that it was to become

weaker by the lapse of years » (c’est nous qui soulignons).

253 Ibid. : « as the Indians gained their principal support by hunting, it was natural to designate their

country by the phrase ‘hunting grounds’, and this is as good a disgnation, in regard to the validity of a title, as any other phrase that could be chosen. It contains the idea of property, and has superadded the

Indien est indépendant de celui des États-Unis parce qu’ « à la lumière du droit

naturel », il n’y a aucune raison « de distinguer quant au mode de détention » d’une

terre

254

.

Il suffit par conséquent, selon cette perspective, « qu’une tribu existe et demeure

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