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Mais c’est également la pratique des traités – et notamment de traités conclus en vue de la civilisation des Indiens – qui confirme qu’absence de civilisation et sujétion au droit des

gens ne sont pas, ici, considérées comme antinomiques. Ainsi par exemple, en 1790, un traité

conclu avec la Nation Creek établit, en premier lieu, une frontière entre les États-Unis et cette

dernière

268

, à l’intérieur de laquelle les Creek seront souverains

269

– avant de stipuler, en

second lieu, que la Nation Creek « pourra être conduite à un plus grand degré de civilisation »

et que les États-Unis, afin que les membres de la Nation « deviennent des bergers et des

cultivateurs », pourront « de temps à autre, fournir gracieusement à la dite Nation des

animaux domestiques et le matériel nécessaire à l’élevage »

270

. Le traité le plus explicite sur

le lien entre civilisation et reconnaissance comme Nation – l’absence de l’une n’excluant pas

l’autre – est toutefois celui signé en 1820 avec la Nation Choctaw, dont le préambule précise

que « c’est un objectif important du Président des États-Unis de promouvoir la civilisation des

Indiens Choctaw, en établissant parmi eux des écoles » mais également de « préserver leur

existence en tant que Nation »

271

.

L’ensemble de cette approche démontre que le « droit des gens » est ici construit non

comme le « droit des Nations civilisées », mais bien comme le « droit des peuples », des

relations entre « sociétés », la notion de « civilisation » n’étant pas suffisante pour écarter de

ce droit les peuples qui n’en seraient pas dotés. La Cour Suprême a confirmé cette conception.

Parce qu’ils constituent un « peuple » au sens où nous l’avons décrit ci-dessus, la Cour

268 « Treaty with the Creeks, Aug.7, 1790 », 7 Stat. 35, article 4.

269 Id., article 6 : « If any citizen of the United States, or other person not being an Indian, shall attempt

to settle on any of the Creeks lands, such person shall forfeit the protection of the United States, and the Creeks may punish him or not, as they please ».

270 Id., article 12 : « That the Creek Nation may be led to a greater degree of civilization, and to become

herdsmen and cultivators, instead of remaining in a state of hunters, the United States will from time to time furnish gratuitously the said Nation with useful domestic animals and implements of husbandry »

271 « Treaty with the Choctaw, Oct.18, 1820 » 7 Stat. 210, Preamble : « Whereas it is an important object

with the President of the United States, to promote the civilization of the Choctaw Indians, by the establishment of schools amongst them; and to perpetuate them as a Nation ». La logique est la même dans un acte du Congrès adopté en 1819, qui rappelle l’importance de la civilisation et crée à cette fin un fond spécial – tout en rappelant l’importance du consentement des Nations indiennes : voir 3 Stats 516- 517 : « for the purpose of providing against the further decline and final extinction of the Indian tribes adjoining to the frontier settlements of the United States, and for introducing among them the habits and arts of civilization, the President of the United States shall be, and he is hereby, authorized, in every case where he shall judge improvement in the habits and condition of such Indians practicable, and that the

means of instruction can be introduced with their own consent, to employ capable persons of good moral

character to instruct them in the mode of agriculture suited to their situation, and for teaching their children in reading, writing and arithmetic, and for performing such other duties as may be enjoined, according to such instructions and rules as the President may give and prescribe for the regulation of their conduct in the discharge of their duties » (c’est nous qui soulignons).

Thibaut FLEURY | Thèse de Doctorat | Juin 2011 Partie 1 – Construction des conditions d’acquisition du titre

Suprême des États-Unis a en effet jugé en 1830 et 1832 que les Cherokee sont des sujets du

droit international qui, pour cela, jouissent au sein de leur territoire de la souveraineté

réservée aux entités possédant cette qualité. Dans l’arrêt Worcester de 1832, la question de la

civilisation comme critère de sujétion au droit des gens est certes soulevée – « ne doit-on pas

distinguer », se demande le juge Marshall, « entre un peuple civilisé et un peuple

sauvage ? Nos Indiens doivent ils être placés sur le même pied que les Nations européennes,

avec qui nous avons conclu des traités ? » - mais pour être écartée : « nous avons conclu des

traités avec eux : ces traités devraient-ils être violés, au motif qu’ils ont été passés avec un

peuple non civilisé ? cela réduit-il le caractère obligatoire de ces traités ? En les concluant,

n’avons-nous pas admis le pouvoir de ce peuple de se lier lui-même, et de nous imposer

certaines obligations ? »

272

. Ainsi, et comme le fait remarquer Wilson, « il est vrai que

certains hommes et que certaines Nations sont sauvages et brutaux » ; cependant, « même

chez le plus informe des sauvages, on trouve les notions communes et les principes pratiques

de la vertu », propres à la race humaine, et qui les distingue des « hideux troupeaux de

brutes »

273

. Dès lors, complète Robbins au Congrès, « qu’a la civilisation à voir avec la

compétence d’une Nation pour conclure un traité ? Le droit d’un Indien est-il moins un droit

parce que l’Indien est un sauvage ? ou bien notre civilisation nous confère-t-elle un titre à son

droit ? – un droit qui est, pour lui comme pour nous, un cadeau de la nature, de la nature créée

272 Worcester v. Georgia (1832), 31 U.S. 515, 582 : « The question may be asked, is no distinction to be

made between a civilized and savage people? Are our Indians to be placed upon a footing with the Nations of Europe, with whom we have made treaties? (…) We have made treaties with them; and are those treaties to be disregarded on our part because they were entered into with an uncivilized people? Does this lessen the obligation of such treaties? By entering into them, have we not admitted the power of this people to bind themselves, and to impose obligations on us? ». Aussi, et comme l’a noté E. Mertz, « Marshall's is a rueful history that insists on the conquerors' rights while at the same time admitting and giving some legal force to indigenous peoples' history and claims to land. Marshall was unable to stop the removal of the Cherokees from their land, because in the end all he had done was to reserve to the federal government the right to accomplish the decimation attempted by the state of Georgia. But in insisting on some measure of sovereign rights to land for Native Americans, and on a trust relationship between them and the federal government, Marshall set the stage for later Native American court victories » : MERTZ, (E.), « The Uses of History : Language, Ideology and Law in the United States and South Africa », L. & Soc’y Rev. vol.22, n°4 (1988), p.676.

273 In in McCLOSKEY, (R.G.), (ed.), The Works of James Wilson, Cambridge, Belknap Press of the

Harvard UP 1967, vol.1, pp.139-140 : « True it is, that some men and some Nations are savage and brutish; but is that a reason why their manners and their practices should be generally and reproachfully charged to the - account of the human nature ? It may, perhaps, be somewhat to our purpose to observe, that in many of these representations, the picture, if compared with the original, will be found to be overcharged. For, in truth, between mankind, considered even in their rudest state, and the mutum et

turpe pecus, a very wide difference will be easily discovered. In the most uninformed savages, we find

the communes notitiae, the common notions and practical principles of virtue, though the application of them is often extremely unnatural and absurd ». L’expression de mutum et turpe pecus est implicitement tirée des Satires d’Horace, Livre I, Satire III.

par Dieu ? »

274

. « On a dit que les Indiens, étant un peuple non civilisé, ne peuvent être

qualifiés de Nation », rappelle également Evarts, avant de préciser qu’il « y a aussi peu de

raison que de vérité dans cet argument. Dieu n’a-t-il pas reconnu des droits à toutes les

communautés ? »

275

.

2. La civilisation, critère de définition des sujets du droit des gens

C’est une toute autre définition des liens entre civilisation et

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