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Mais répétons que nos Burgondes, par leurs indices intermembraux, ne semblent pas pouvoir être rattachés à tel groupe ethnique européen plutôt qu'à tel autre.

XV. ASYMÉTRIE DES OS LONGS

Nous avons vu, au fur et à mesure de la description des os des squelettes de notre série burgonde, signalé comment chacun d'eux se comportait en fonction de la symétrie bilatérale. Récapitulons rapidement: en ce qui concerne les longueurs, c'est, pour le bras, le côté droit, pour la jambe et la clavicule, le côté gauche, qui sont favorisés ; le fémur seul est presque également asymétrique à gauche ou à droite. Quant à la robusticité, elle est plus forte à droite, pour tous les os. Le tableau 44 permettra la compa­

raison, qui devra tenir compte, rappelons-le, du petit nombre de sujets.

TABLEAU 44. - ASYMÉTRIE DANS LES os LONGS (en %) .

1

Longueur Indice de robusticité

D > G D = G D < G Nombre D > G D = G D < G Nombre

Clavicule 25 12.5 62.5 (8) 100

- -

(8)

Humérus 83.3 16.7

-

(12) 70

-

30 (ro)

Radius 66.7 l l . l 22.2 (9) 71.4 28.6 (7)

Cubitus . 70 20 10 (ro) 57.1

-

42.9 (7)

Fémur 46.7

-

53 .3 (15) 50 7 . 1 42.9 (14)

Tibia . 3 1.6 5.2 63.2 (19) 62.5

-

37.5 (16)

XVI. TAILLE

Pour l'évaluation de la stature comme pour la capacité cranienne des sujets de notre série burgonde, nous n'avons pas voulu nous contenter d'une seule méthode ; trois sortes de formules s'offraient à notre recherche:

la plus ancienne est celle de Manouvrier, puis vient celle de Pearson; enfin, toute récente, et limitée pour le moment aux squelettes masculins, celle de Breitinger. Les deux premières sont le résultat de recherches effectuées à l'aide d'un matériel ostéologique et cadavérique français (de Lyon), tandis que Breitinger a procédé à l'examen d'une série d'Allemands 1.

1 BREITINGER, Zur Berechnung der KOrperhtJhe ... 1 1937. L'auteur a mesuré plus de 2400 sportifs et �tudiants de toute l1Allemagne, mais surtout du Sud, et surtout des citadinsj la moyenne d'âge de sa série est 26 ans;

la taille moyenne est I70.3. L'énoncé de ces détails montre que la méthode de Breitinger n"est pas dépourvue de causes d'erreur.

:::::;:

II3 Cette différence de matériel de base fait que les formules (simplifiées en tableau) du savant allemand donnent, pour les mêmes os, des tailles recons­

tituées plus grandes que celles calculées à l'aide des méthodes des anthro­

pologistes français et anglais.

TABLEAU 45. - TAILLE RECONSTITUÉE.

Méthode:

A l'aide de H. F. MANOUVRIER

Il

PEARSON Il HAF.l· 1

MOYENNES

H.

1

F. H.

1

F. Tl::.ER H.

1

F.

Fémur . 7 6 169.6 154.4 168.5 153.3 170.6 169.6 153.8 Humérus 8 7 168.1 156 167.4 154.2 172.1 169.2 156.7 Tibia 6 6 166 152.8 164.9 151.2 167.7 166.2 152 Radius 7 3 169.4 155.7 167.4 155.3 1 70.9 169.2 155.5 Cubitus 6 4 173•4 161.6

(F

+

T) 5 5 167. 1 153.2

F + T 5 5 167.3 153.3

(R

+

1{) 5 2 166.1 1 57.4

1-I + R 5 2 165.5 1 56.7

F

+

.H. 7 3 167.6 154.4

F + T + H + R -4 -2

--- ---

---167.3

-- -

155.4

- -- ---

---Moyennes 10 12 167.3 154.4 166.9 154.3 170.3 168.5 154.5

Minimum 1 51 142 154 1 44 159

Maximum 1 79 1�9 176 159 1 79

Mode 165 1 52 166-7 151 1 70

Classification I (en %).

Tailles petites

1

20

1

16.7

Il

20

1

16.7

Il

10 1

1

)) moyennes . 50 75 50 75 30

)) grandes . 30 8.3 30 8.3 60

1 Hommes: Tailles petites: 150-159; moyennes: 160-169; grandes: 170-179.

Femmes : 11 140-148; 149-15 8 ; 159-167.

Le tableau 45 confronte les résultats des calculs selon les trois manières : on voit immédiatement que, tandis que les moyennes par sexe sont presque identiques de Manouvrier à Pearson (4 mm. d'écart pour les hommes, I mm.

pour les femmes), la différence est plus forte avec le troisième procédé : en effet, la moyenne masculine (I70.3 cm.) est de 30 à 34 mm. plus forte que les deux autres, et classe les Burgondes parmi les hommes à grande taille, alors qu'autrement ils sont de taille moyenne. La combinaison des trois résultats masculins donne un chiffre de I68.5 cm., qui se classe à nouveau parmi les tailles moyennes, quoique assez près de la limite des grandes statures. Les femmes sont dans la même classe.

Arch. suisses d'anthrop. gén. - T. X. - N• 1-2. - 1941. 8

En évaluant en pour cent la fréquence des diverses catégories de tailles selon le schéma donné au bas du tableau 45, nous trouvons encore une grande différence: les deux premières classifications sont identiques, la majorité des sujets étant moyens de stature ; mais il en va différemment pour la troisième : là, les tailles moyennes sont en minorité, et le pourcentage des grandes tailles monte à 60%.

Remarquons que, chez nos Burgondes, nous n'avons aucun cas extrême, à taille très grande ou très petite; un homme seul arriverait à la limite supérieure (I79 cm.).

Connaissant l'origine nordique des Burgondes, nous serions tenté de donner la préférence à la méthode de Breitinger : les grandes tailles corres­

pondraient par ailleurs bien avec ce qu'on sait, par les auteurs anciens, des Barbares germains : « Burgundio septipes », le Burgonde de sept pieds dont parle Sidoine Apollinaire, auquel ces cc géants » ont fait impression, a passé dans la légende ; et les fouilles, faites par des gens non avertis, sont venues confirmer indûment cette opinion. La longueur du squelette étendu, les pieds en général rabattus, en prolongation des jambes, ont frappé nombre d'archéologues, au moins autant que cc les dents éclatantes » des Burgondes ! Il ne faut attribuer aucune valeur à ces impressions nécrologiques ! Les témoignages littéraires sont déjà plus sérieux, encore que les grands guerriers dont il est question aient pu ne former qu'un groupe restreint de la popula­

tion immigrante. On a voulu aussi déduire de la grandeur des boucles et plaques de ceintures damasquinées ou gravées à la haute stature de leur possesseur. Peut-être, mais nos données numériques sont un terrain plus stable.

Io11s avons groupé n quatre séries nos chiffres de coi 1paraison : I. Tailles reconstituées par la méthode de Manouvrier. Les extrêmes de cette série sont; en bas, les Néolithiques de Chamblandes, en haut, les Francs de Belgique. Les Burgondes sont entre deux, dépassant les Gépides (dont la petite taille peut s'expliquer par le métissage hun), les Alamans d'Elgg et les Francs de l'Est (que nous avions trouvés plus bra­

chycéphales que ceux du Nord) et de Champagne ; nous pouvons y ajouter les Genevois médiévaux dont Lagotala, à l'aide du sèul fémur, a reconstitué une taille de I64.9 cm.

Au reste, les Helvètes de Vevey et les Alamans dù canton de Zurich et de la Suisse sont, parmi les groupes à taille moyenne, ceux qui ont une stature supérieure à celle des Burgondes. La catégorie des tailles élevées renferme les Francs de Normandie et les Scandinaves protohistoriques.

TAILLE RECONSTITUÉE A L'AIDE DE LA FORMULE DE MANOUVRIER.

HOMMES FEMMES

Nombre Moyenne Nombre Moyenne

Burgondes s 10 167.3 12 154.4

Néal. Chamblandes Schk 8 158.2 7 148.6

Helvètes Vevey Schk 4 167.2 1 156

Alamans Elgg Tr. 15 164.4 22 156.7

Id. Zurich A Schn. 33 168 19 157.1

Id. Suisse Schw. 168.5 157.5

Francs. Belg. Royer 174 156

Id. Norm.-Pic. Id. 170 159

Id. Champagne Id. 167 157

Id. Est Id. 166 153

Gépides div. 48 163.3 19 151

Suède Fer F 3 170 2 154

Norvège Fer Schr. 134 169.5 66 160

Danemark Fer N 54 171.7 38 159.4

2. Tailles reconstituées par la méthode de Pearson. Tandis que nos Burgondes diminuent de taille, par rapport à la moyenne précédente, les Alamans d'Elgg grandissent, sans toutefois dépasser ceux-là (sauf chez les femmes). Des chiffres publiés par Pearson, nous avons choisi ceux des Gallo-Romains, des Parisiens des x-xne s., et des Francs, d'une part - plus petits; ceux des Germains des « Reihengraber n et des Anglo-Saxons, d'autre part -, plus grands que les Burgondes. Les Néolithiques de Chamblandes, dont nous avons recalculé la taille, restent au bas de l'échelle.

3. Tailles reconstituées par la méthode de Breitinger. Nous rappelons qu'il ne s'agit que des hommes. A part les Néolithiques de Cham­

blandes dont la taille, recalculée ici encore, passe la moyenne au moins -dans la classe intermédiaire (162.9), nous n'avons pour la comparaison avec notre série que les chiffres donnés par Breitinger: Bajuvares (r7r.8 cm.) et Souabes-Alamans (r7r.7 cm.), _dépassant légèrement les Burgondes.

TAILLE RECONSTITUÉE A L'AIDE DES FORMULES DE PEARSON ET DE BREITINGER,

PEARSON BREITINGER

Hommes Femmes Hommes

Nombre Moyenne Nombre Moyenne Nombre Moyenne

Burgondes s 7 166.9 6 154.3 7 170.3

Néal. Chamblandes Schk 8 158.4 7 148.5 8 162.9

Gallo-Romains Pearson 40 164.8 5 150.4

« Reihengra.ber » Id. 41 169.2 16 154.5

Bajuvares B�eit. 171.8

Souabes-Alam. Id. 171.7

Anglo-Saxons Pearson 65 170.9 26 156

Alamans Elgg Tr. 15 165.2 22 156.7

Francs Pearson 47 166.4 1 6 152.1

Paris m.â. Id. 44 166.2 18 154.5

4. Tailles mesurées sur le vivant. Nous publions enfin une liste de chiffres de populations scandinaves, nord-germaniques, suisses romandes et françaises contemporaines. Il peut paraître ridicule de comparer nos moyennes, calculées sur une dizaine de sujets, avec celles de séries compre­

nant plusieurs centaines à plusieurs centaines de milliers d'individus ; nous le faisons quand même, ne serait-ce que pour faciliter la tâche de ceux qui pourront confronter, avec ces masses, une série plus importante de squelettes anciens. C'est la moyenne des trois résultats masculins que nous comparerons.

Tailles actuelles.

HOMMES

Nombre Moyenne

Burgondes Sauter 1940 10 168.5

Allemagne N. Soldats Parsons 1 1919 226 r68.5

Bornholm Ribbing 1908 288 169.7

Danemark. 18-25 ans Hansen 1908 24062 169.6

Suède. 21 ans Retz.-F. 1902 232367 170.9

Suède. 18-22 ans LL 1926 47385 172.2

Genève 2• 20-35 ans Duriant 1867 2694 167.2

Genève. Recrues 1884-86 P-Dellenb. 1931 166.5

Genève. Recrues 1908-10 Id. 1931 168.2

Vaud. Recrues 1890-91 P-Kappeyne 1908 5357 164.5

Vaud. Recrues 1908-10 P-Dellenb. 1931 166.5

Fribourg. Recrues 1852-67 Dunant 1869 u505 164.0

Fribourg. Recrues 1908-IO P-Dellenb. 1931 164.9

Neuchâtel. Recrues et soldats Dunant 1867 538 164.2

Neuchâtel. Recrues 1908-rn P-Vallet 1915 3868 166.2

Valais. Recrues 1884-86 P-Dellenb. 1931 162.6

Valais. Vall. Rhône. Recrues Bedot 1895 232 164.0

Valais. Recrues 1927-32 Schlaginh. 3 168.3

Savoie. Recrues 1872-79 Carret 1882 13199 164.9

Ain. Recrues 1872-86 Aubert 1888 165.8

1 Moyennes, recalculées en cm., des hommes des provinces de Prusse or. et ace., de Poméranie et du MeckJem-boUtg.

2 Moyennes recalculées en groupant tous les « Genevois de la ville et de la campagne » des trois séries d'âges (20; 21-25; 26-35 ans).

a D'après BossHART, 1938.

La place qu'occupent alors les Burgondes, dans la liste ordonnée en progression, est intéressante : en effet, ils marquent la transition entre les Suisses romands (et les hommes de la Savoie et de l'Ain), et les Nordiques allemands et scandinaves 1 ; du côté des Suisses et des Français, les moyennes les plus proches de la nôtre sont celles des recrues genevoises de I908-ro et valaisannes de I927-32 2• Cette dernière donnée nous amène à signaler un phénomène bien connu et dont nous avons à tenii" compte ici : on a, à

1 La plupart des chiffres de comparaison proviennent d'enquêtes sur les j eunes gens astreints à la visite sani­

taire et sur les recrues. Il nous aurait donc fallu ajouter I ou 2 cm. à leur taille moyenne; nous préférons laisser les chiffres intacts, en spécifiant pour chacun de quels hommes il s'agit.

2 Chiffre de Schlaginhaufen publié par BossHART, Anthr. Untersuch. im ... Frutigtal., I938, p. IB.

;:::

plusieurs reprises 1, observé que la taille moyenne des recrues suisses avait sensiblement augmenté au cours des dernières décennies. Notre liste compa­

rative en donne quelques exemples, dont celui du Valais est frappant : là, on constate une augmentation de 5.7 cm. en 45 ans ! Il ne nous appartient pas de reprendre ici ce problème, qui touche aux conditions sociales et démographiques, et qui intéresse toute l'Europe : preuve en soit la différence entre la taille moyenne des recrues suédoises publiées par Retzius-Fürst (1902) et celle que donnent Lundborg-Linders (1926) (+ 1,3 cm.). Les chiffres les plus récents sont donc à mettre de côté pour la comparaison avec les anciennes populations ; ainsi nos Burgondes sont nettement plus grands que les Suisses romands et les hommes de l'Ain et de la Savoie, mais restent en dessous des Scandinaves. La taille des prisonniers de l'Allemagne du Nord, mesurés par Parsons, leur est par contre égale.

Que déduire de tout ceci ? Il semble bien que les vrais Burgondes, des­

cendants des Scandinaves, ont dû être de haute stature, et la respectueuse ironie de Sidoine Apollinaire envers ces grands barbares s'explique. Mais pouvons-nous retrouver, en poussant l'analyse au delà des moyennes simples, cantonales ou départementales, quelque trace de ce caractère racial que semble com.tituer la haute stature ? No_us soulevons là un pro­

blème déjà ancien ; nous nous contenterons d'en résumer les données et d'en déduire quelques conclusions.

Les travaux de Boudin, de Broca, de Lagneau, de Bertillon, de Collignon, de Deniker 2, etc., entre 1860 et 1908, ont montré que la France, au point de vue de la taille des conscrits, pouvait être très schématiquement divisée en deux moitiés séparées par une ligne idéale tirée du département de la Manche à celui de l'Isère. C'est ce que révèle la carte publiée par Broca (1860), modifiée par Lagneau (1879) et souvent reproduite depuis, qui indique la répartition des exemptés du servicè militaire par défaut de taille (moins de 156,0 cm.) entre 1831 et 1860; on y voit que tous les départements du nord-est et du centre-est (les Savoies manquent, étant alors italiennes), ont peu d'hommes de très petites statures ; ce sont eux qui, par contre (selon le témoignage d'une autre carte-statistique de Boudin), fournissaient le plus de cuirassiers (d'une taille supérieure à 173.2 cm.).

Laissons les régions trop éloignées du territoire qui nous intéresse ici, pour ne considérer que les départements proches de la Suisse romande:

Lagneau attribue cette proportion plus forte d'hommes grands aux

inva-1 Pinva-1TTARD et DELLENDACH1 L'augmentation de la statu1'ti en Suisse ... , 1931.

2 LAGNEAU, Anthrop. àe la France., 1879, p. 31 sq. (reprend les données de Boudin et Broca) ; on trouvera une synthèse de la question chez G. MONTANDON, L'ethnie française, 1935, p. 57 sq.

sions barbares (Francs et Burgondes) ; il est en tout cas curieux que les départements du Doubs, du Jura, de l'Ain et du Rhône soient en tête de la liste par ordre décroissant, ou dans les vingt premiers (plus de ro% d'hommes de 173.2 cm. et plus) . Les Burgondes amaient-ils colonisé plus intensément les vallées de l'Ain, de la Saône et du Doubs que celles du Léman, du Rhône et le Jura suisse ? Ou faut-il accuser le manque de renseignements de même ordre dans nos cantons romands ? En effet, nous ne possédons guère, pour ces derniers, que les moyennes par districts, ce qui est insuffi­

sant ; on en peut toutefois tirer quelques renseignements: c'est ainsi que, dans leur étude de la taille des recrues vaudoises de 1890-91, Pittard et Kappeyne ont souligné la haute stature moyenne des jeunes hommes de la vallée de Joux, voisine du département français du Doubs (165-4 cm.), qui se place en tête des districts du canton de Vaud, dont la moyenne générale est de 9 mm. plus faible. On pourrait aussi faire état de la taille élevée (d'une façon absolue cette fois) des recrues genevoises de 20 ans mesurées par Dunant avant 1867, puisque celles de la campagne (167.5 cm.) dépassent même légèrement celles de la ville (167.3 cm.).

Ces quelques chiffres, s'ils ne permettent pas d'affirmer une persistance de la taille élevée des Burgondes dans les contrées où ils se sont établis, autorisent quand même une présomption en faveur de cette hypothèse;

hypothèse qui ne s'avèrera juste ou fausse qu'après de multiples mensura­

tions, sur le squelette et sur le vivant, chez les hommes qui se sont succédé sur notre sol depuis l'âge du bronze au moins - mais il ne faut pas se fixer d'autre limite que celle de l'impossible.

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