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Aspects théoriques et expérimentaux

A. Les techniques de marquage des thiols oxydés

1. Aspects théoriques et expérimentaux

a. Aspects théoriques de la réactivité des résidus

cystéines

Les cystéines sont des acides aminés contenant un groupement thiol (-SH) potentiellement très réactif, lié à la présence de son atome de soufre. Cette caractéristique chimique confère à la cystéine la capacité: (i) de participer à des réactions d’oxydoréduction (pour revue voir (Jacob et al., 2003)), (ii) de coordonner différents métaux (pour revue voir (Giles et al., 2003b)), (iii) de réagir ou d’être modifiée par des agents électrophiles (voir introduction I.B). Cette réactivité peut entrainer une modification non spécifique de l’état redox des cystéines au cours de l’expérience, rendant impossible l’évaluation de leur état d’oxydation in vivo. En effet, au moment de la lyse cellulaire, les résidus cystéines normalement présents dans le

cytoplasme, considéré comme un environnement réducteur, sont soudainement exposés à l’oxygène ambiant (O2) et susceptibles de s’oxyder. Inversement, durant

l’extraction des protéines, les systèmes de réductases des thiols peuvent réduire certains résidus cystéines, existant à l’état oxydé in vivo. L’étude de l’oxydation des thiols in vivo impose donc d’atténuer la réactivité intrinsèque des thiols.

La réactivité des résidus cystéines est régie par la valeur de leur pKa

Le résidu cystéine n’est pas toujours réactif (voir introduction I.A) (pour revue voir (Gilbert, 1990)). En effet, cet acide aminé ne participe aux réactions d’oxydoréduction que lorsqu’il est présent sous sa forme déprotonée de thiolate (-S-). L’état de protonation du thiol dépend du pH du milieu et du pKa du résidu cystéine. Lorsque le pH de la solution est inférieur au pKa de la cystéine, le groupement thiol est sous sa forme protonée, et inversement, le thiol est sous une forme déprotonée lorsque le pH est supérieur au pKa. Le pKa d’une cystéine libre est de 8,3, ce qui ne permet pas l’existence de la forme déprotonée dans des conditions de pH physiologique (pH 6,5-7). Cependant, cette valeur peut varier de 4 à 10 en fonction de l’environnement en acides aminés. Ainsi, la présence d’acides aminés basiques à proximité de la cystéine au sein d’une protéine stabilise la forme thiolate de ce résidu et diminue la valeur de son pKa (voir introduction II.B.2.a).

b. Contrôle de la réactivité des résidus cystéines par

abaissement du pH

Afin d’atténuer la réactivité des résidus cystéines, nous avons établi un protocole de récolte et de lyse des cellules à pH très acide (pH<1), utilisant l’acide trichloroacétique (TCA). Le TCA est ajouté au milieu de culture pour arrêter les réactions d’oxydoréduction. Les cellules sont ensuite lysées en présence de TCA, et les protéines sont ainsi précipitées. Dans ces conditions, tous les résidus cystéines sont en principe sous leur forme protonée non-réactive, ne permettant ni l’oxydation des thiols réduits, ni la réduction des thiols oxydés. Le contrôle de la réactivité des thiols à pH acide est une étape essentielle et commune à toutes les méthodes d’analyse de l’état redox des résidus cystéines que nous avons utilisées (pour revue voir (Le Moan N., 2007)) (voir schéma 20). La solubilisation ultérieure des protéines ainsi précipitées n’est pas toujours totale et certaines peuvent malheureusement être

Schéma 20. Présentation des différentes méthodes utilisées dans cette étude pour analyser l’état redox des thiols ou pour purifier les protéines oxydées.

Schéma tiré de la revue (Le Moan N., 2007)

c. Description générale de la méthode de marquage des

thiols oxydés

Il s’agit d’une méthode de marquage différentiel des thiols réduits et oxydés (voir schéma 20). Après avoir abrogé la protonation des résidus cystéines en milieu acide, les thiols existant à l’état réduit in vivo sont bloqués de façon covalente et irréversible par alkylation par l’iodoacétamide (IAM) ou le N-éthylmaléimide (NEM). Les thiols oxydés (non alkylés) sont alors marqués spécifiquement, après leur réduction par le dithiothréitol (DTT). Cette méthode détecte donc tous les thiols

Blocage des thiols par la lyse en milieu acide (TCA)

Pont disulfure intermoléculaire

Marquage des thiols oxydés Alkylation par IAM ou NEM Alkylation par l’AMS Marquage par le NEM C14 Pont disulfure intramoléculaire Modification de mobilité électrophorétique

Purification des protéines contenant des thiols oxydés

Alkylation des thiols réduits par IAM/NEM

Réduction par le DTT

Marquage par la Biotine-HPDP

Purification par affinité avec la streptavidine

Gel SDS-PAGE et

détection par western blot Gels 2D

Coloration au bleu de Coomassie Identification par spectrométrie de masse Autoradiographie Fluorimétrie

Analyse des protéines individuelles

Analyse à l’échelle du protéome

Pas de modification de mobilité électrophorétique

oxydés réductibles par le DTT, c’est-à-dire les cystéines engagées dans un pont disulfure, qu’il soit intra- ou intermoléculaire, liées à une molécule de glutathion (formes glutathionylées, S-thiolation), ou existant sous la forme d’un acide sulfénique (voir introduction I.B). Au cours de la description de notre travail, nous emploierons le terme de marquage des «thiols oxydés» faisant référence aux «thiols réductibles».

Le NEM et l’IAM sont tous deux des alkylants des thiols, mais la spécificité de l’IAM pour les thiols semble supérieure à celle du NEM, sans être absolue, d’après notre expérience. Ces réactifs forment également des adduits avec d’autres acides aminés, tels que la lysine et l’arginine, produisant, comme nous le verrons plus loin, un marquage non spécifique dont il est difficile de s’affranchir (voir figures 3 et 4). Par ailleurs, la liaison de l’un ou l’autre de ces réactifs, aux thiols réduits, se fait sur la forme thiolate, c'est-à-dire dans des conditions alcalines, afin de déprotoner les thiols, et dénaturantes, afin d’accéder à la totalité des thiols libres. La valeur du pH détermine aussi la cinétique de réaction du NEM (Shaw et al., 2003). Cette réaction est 1000 fois plus rapide avec les thiols qu’avec les amines à pH=7, et diminue à pH > 7. Pour un pH > 8, il se produit une hydrolyse du groupement maléimide du NEM, ce qui réduit son efficacité. La réactivité du NEM et de l’IAM est également affectée par la température. Nous verrons ultérieurement qu’en modulant les paramètres pH et température, nous avons optimisé la spécificité de marquage des thiols par ces agents alkylants (voir figure 9).

Nous avons utilisé différents marqueurs des thiols dérivés du NEM. Le NEM radioactif marqué par le carbone14 (NEM C14) est détecté par autoradiographie. Il existe également des NEM fluorescents, NEM-680 et NEM-780, détectés par fluorimétrie. L’AMS (acide 4-acétamido-4’-maleimidylstilbène-2,2’-disulfonique, sel de disodium) est aussi un dérivé du NEM (0,2 kDa) sur lequel est greffé une molécule d’un poids moléculaire de 0,3 kDa. Le marquage des thiols par l’AMS provoque une modification du poids moléculaire de la protéine, proportionnel au nombre de thiols libres fixés par l’AMS, ce qui engendre sur un gel SDS-PAGE une différence de migration électrophorétique entre la forme oxydée et réduite d’une protéine. Cette méthode de marquage nécessite de disposer d’un anticorps dirigé contre la protéine ou sa version étiquetée, pour déterminer par western blot le nombre et l’état

3’-(2’-Pyridylthio) Propionamide). Cette molécule permet, par sa moitié HPDP, la formation d’un pont disulfure avec les groupements thiolates (voir schéma 21), et par sa moitié biotine, la purification ultérieure des protéines ainsi marquées.

Schéma 21. Structure moléculaire de la Biotine-HPDP.

L’extrémité HPDP permet de former une liaison disulfure avec un groupement thiol libre et l’extrémité biotine permet la purification Schéma tiré de la publication (Le Moan et al., 2006)

d. Importance d’un marquage saturant des thiols

En toute rigueur, il faut bloquer la totalité des thiols réduits afin d’éviter de les marquer ultérieurement, et il faut également marquer la totalité des thiols oxydés afin de pouvoir quantifier l’état redox des protéines. Il est donc fondamental d’adapter la quantité d’agent alkylant au nombre de résidus cystéines présents dans un lysat cellulaire. Nous avons estimé le nombre de cystéines d’un lysat de la façon suivante: le poids moléculaire moyen d’un acide aminé est de 110 Da, ce qui équivaut à 110 g/mole. Ainsi, 100 µg d’un extrait de protéines contiennent (100 µg/110 g/mole) ~ 1.10-6 moles d’acides aminés. La proportion moyenne des cystéines étant estimée à 2,47% des acides aminés (Shaw et al., 2003), il existe donc (2,47.10-2 X 1.10-6) ~ 25 nanomoles de cystéines dans 100 µg de protéines. Nous avons établi expérimentalement la concentration de NEM ou d’IAM à 50 mM pour le blocage initial des thiols réduits (voir figure 3). Cette concentration permet d’obtenir un rapport molaire alkylant / résidu cystéine d’environ 200, un excès permettant théoriquement de saturer largement la totalité des thiols.

SH

H

(CH

2

)

5

C

O

(CH

2

)

4

N

H

O

C (CH

2

)

4

S

N

O

H

Extrémité biotine Extrémité HPDP

2. Etude de l’état d’oxydation des résidus cystéines