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Aspects méthodologiques

Dans le document La construction du sens par le sujet apprenant (Page 104-107)

Avant d'expliciter les hypothèses qui ont guidé mes recherches dans ce domaine, je voudrais revenir sur quelques points techniques déjà évoqués çà et là.

Mon intérêt pour les interactions orales128, qui traduit une volonté de réintroduire la genèse de la pensée du sujet dans une sémiologie encore un peu trop structuraliste, a coïncidé avec un appel à contribution émanant de l'INRP, sur une thématique intitulée à l'origine "Argumentation et démonstration dans les débats et discussions en classe" (n° 00 / 04 / 30015, période 2000-2003). J'ai donc suscité un projet d'équipe pluridisciplinaire129 réunissant des membres d'institutions diverses (le Laboratoire d'Intelligence des Organisations de l'Université de Haute-Alsace, l'IUFM d'Alsace, l'Inspection Académique du Haut-Rhin). Pour les raisons indiquées plus haut (chapitre 4.2, p. 50), cette proposition de collaboration a transité par l'UHA. Elle a été acceptée et nous nous sommes retrouvés seule équipe universitaire parmi des représentants des IUFM d'Aquitaine (M. Rebière, P. Schneeberger), d'Amiens (J. Bisault, R. Le Bourgeois), d'Orléans-Tours (J. Isidore-Prigent), des Pays de la Loire (Ch. Orange), de Paris (S. Plane), de Versailles (J. Douaire), et de l'INRP (N. Allieu-Mary, J. Colomb, P. Fillon, Ch. Hubert, B. Peterfalvi, P. Vérillon). Outre de nombreuses rencontres pendant quatre ans et le rapport de recherche final (Weisser et alii 2003d), notre travail commun aura donné lieu à la publication d'un ouvrage coordonné par J. Douaire (2004, incluant Weisser 2004d, 2004e), Argumentation et disciplines scolaires, et à un colloque de présentation et de mise en débat de nos résultats (Weisser 2004i, 2004j), qui a eu lieu à Lyon du 7 au 9 octobre 2004 et à l'organisation duquel j'ai contribué. J'ai pour ma part publié plusieurs articles sur le sujet, certains en association avec les membres de l'équipe du LIO (Weisser, Masclet, Rémigy 2003a, Weisser, Rémigy 2004f, Weisser, Rémigy 2005d), d'autres en mon nom propre (Weisser 2000b, 2003c, 2004a, 2004b, 2004g, 2004k, 2005b, 2005c, 2005e, 2006a). Ils présentent soit des résultats obtenus par le biais de divers outils d'analyse, soit des réflexions méthodologiques (voir ci-dessous et chapitre 7).

Une approche clinique de quelques situations a été retenue pour ces travaux. Il s'agit de mettre en évidence certains comportements langagiers des acteurs, à travers en particulier l'évolution du savoir qu'ils sont en train de construire, l'investissement qui est fait des règles tacites fixant

128 Avec une première publication dès 2000 dans la revue Degrés (Weisser 2000b).

129 M.J. Rémigy, professeure en Sciences de l'Education à l'Université de Haute-Alsace (2000-2003), E. Masclet, agrégé de physique, IUFM d'Alsace, Ch. Mengis, maître-formateur, IUFM d'Alsace, J.M. Zipper, Conseiller Pédagogique.

le rôle de chacun (gestion de l'asymétrie : cf. J. Gumperz 1989a). Comme je le mentionne ci-dessus, les discussions heuristiques organisées sont conçues comme l'un des moments seulement d'une séquence d'apprentissage plus large. Ce qui signifie qu'elles sont préparées en amont et exploitées en aval. Elles réunissent les membres habituels d'une classe, c'est-à-dire l'enseignant titulaire et l'ensemble de ses élèves (parfois un groupe plus réduit). Elles se reproduisent régulièrement au fil de l'année, dans différents contextes disciplinaires (voir plus haut, p. 14). Les séquences sont préparées par l'enseignant de la classe, en collaboration avec l'équipe de recherche. Il s'agit donc d'un processus d'ingénierie didactique, au sens que A. Mercier, M.L. Schubauer-Leoni et G. Sensevy (2002) donnent à ce terme. Mais la fréquence des débats conduit les élèves des classes observées à les considérer comme des épisodes parmi d'autres, dont l'occurrence est normale, quasiment prévisible.

Ces interactions ont été dactylographiées à partir d'enregistrements audio, ce qui entraîne une déperdition de certaines informations (voir ci-dessus, p. 19). Mais le corpus d'étude présente une grande richesse malgré tout, ouvrant la perspective d'analyses variées. Les outils mis en œuvre répondent à cette variété et vont de la théorie de l'argumentation de St. E. Toulmin (1958 / 1993) à la logique interlocutoire de M. Gilly, J.P. Roux et A. Trognon (1999 par exemple), en passant par la logique naturelle de J.B. Grize (1990 et 1996) ou l'analyse du discours argumentatif de C. Golder (1996 pour une synthèse).

Hypothèses

Je faisais état en préambule à ma note de synthèse d'Habilitation à Diriger les Recherche d'un possible éclectisme méthodologique (chapitre 1.3, p. 20). Le chapitre 5 s'inspirait surtout de la sémiotique de Ch. S. Peirce, relayée par U. Eco et C. Tiercelin. Celui-ci relève bien davantage de la linguistique pragmatique, et dans une moindre mesure de la psycholinguistique et de la philosophie du langage. Force est de reconnaître cependant que ces disciplines sont proches et que leurs références théoriques s'entrecroisent allègrement. Mais pourquoi accepter les embûches de la pluri-référentialité, au risque de ne maîtriser aucun de ces domaines ?

J'ai montré plus haut (chapitre 2.2) qu'une épistémologie nomothétique ne s'imposait pas en Sciences de l'Education. L'une des raisons en est que les phénomènes d'apprentissages ne sont jamais entièrement prédéterminés. G.G. Granger (1994, p. 250) nous rappelle cependant que la fonction prédictive d'une théorie ne consiste pas uniquement en la prévision d'événements futurs. Elle peut également contribuer à rendre attentif à des faits empiriques dont on n'a pas encore relevé la trace. C'est ce qui justifie selon moi la pluralité des approches. Les études sur le développement des discours argumentatifs (Golder 1996) distinguent-elles Justification et Négociation ? Essayons de comparer les habiletés des élèves dans ces deux domaines selon leur âge et selon la situation d'argumentation qui leur est proposée. La logique interlocutoire avance-t-elle l'idée que "la conversation constitue une matrice d'accomplissement des rapports sociaux et de la pensée" (Trognon 1999, p. 71, cité p. 14) ? Tâchons d'observer si le social l'emporte sur le cognitif quand ce qui est visé c'est justement un progrès de la pensée, et à quelles conditions. Etc. Ce qui m'intéresse finalement, c'est d'illustrer130 à partir d'extraits de corpus construits et choisis pour la circonstance la possibilité d'exploiter à des fins didactiques ces caractéristiques avérées des interactions orales. Pourraient ainsi être repérés des scénarios conversationnels féconds, des attitudes facilitantes, des tâches particulières contribuant à structurer le débat, etc.

130 Au sens particulier donné à ce terme au chapitre 5.4, p. 91 : non pas chercher à induire des lois fondées sur des régularités, mais concrétiser sur un nombre restreint de cas ce qu'une théorie donnée peut nous inspirer.

Mes publications dans ce domaine sont suffisamment proches les unes des autres au niveau de la problématique pour faire l'objet d'une présentation plus synthétique qu'au chapitre précédent. Je me permettrai donc de recomposer ces textes selon les axes directeurs que je m'apprête à définir. J'en utiliserai au besoin de larges extraits de façon à clarifier autant que faire se peut ma façon de procéder. Deux hypothèses principales structurent mes recherches : - le discours argumentatif se montre sensible à la discipline scolaire. A travers des exemples

pris au Cycle III en lecture, en sciences et en technologie131, je compare le déroulement des interactions selon qu'elles visent à dégager des régularités ou à expliciter des interprétations. Une réflexion sur la validité des fondements des arguments en fonction du mode d'administration de la preuve requis s'avère nécessaire ensuite (chapitre 6.2.).

- le discours argumentatif se complexifie en fonction de l'âge des élèves, mais aussi en fonction du sens qu'a pour eux la situation proposée. Je reprends des résultats d'autres études à la lumière de mes propres observations au Cycle II et au Cycle III. Les notions de prise en charge énonciative et de modalisation sont interrogées (Chapitre 6.3.).

Ce qui nous permettra ensuite de repérer les traces des influences interpersonnelles au cours des discussions, au travers notamment de la constitution de coalitions entre interactants et l'examen des conditions de progrès de chacun (chapitre 6.4.). Je terminerai par quelques propositions concernant l'attitude de l'enseignant dans la gestion de ces moments d'argumentation heuristique (chapitre 6.5.).

6.2. Le discours argumentatif selon la discipline scolaire

L'analyse des moments d'argumentation présuppose le choix préalable du découpage du corpus. La dimension des segments prélevés, du tour de parole à l’incursion qui figure la séquence interactive dans son ensemble, en passant par la transaction, définie comme un ensemble d'échanges présentant une unité thématique (Moeschler et Reboul 1994, p. 479) dépend des questions que l'on désire se poser (voir aussi Fillon, Orange, Peterfalvi, Rebière et Schneeberger 2004, pp. 238-239). "Une activité langagière est un ensemble de relations sociales qui s'effectuent selon des schémas articulés à un but communicationnel donné" (Gumperz 1989a, p. 70) : c'est au repérage des constituants de ces schémas (progression thématique, règles relatives aux tours de parole, contraintes relatives au contenu, etc.), à différentes échelles, que je m'attache ci-dessous.

Au niveau du grain le plus fin, j'étudierai dans ce chapitre 6.2 la forme des arguments utilisés. Dans un deuxième temps, les grandes articulations des incursions seront mises en évidence, à travers notamment le repérage des controverses en sciences. Puis nous tâcherons de reconstruire a posteriori le mouvement général qui va de l'argument à la conclusion qui en est tirée, mouvement éventuellement pris en charge par un collectif de locuteurs. Pour finir, nous nous intéresserons à la validité épistémologique des fondements des arguments132.

Pour faciliter la compréhension du propos, je présenterai l'architecture générale des séquences didactiques lors de leur première mention. Trois disciplines scolaires ont été mise à contribution : les sciences expérimentales, la technologie et le français (lecture de textes littéraires)133.

131 En ce qui concerne l'argumentation en mathématiques, voir J. Douaire et Ch. Hubert (1999).

132 Les autres chapitres feront appel à d'autres entrées méthodologiques avec leurs propres découpages du corpus.

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