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CHAPITRE 2. Enseignement bilingue et immersion réciproque

2.3 Aspects idéologiques de l’enseignement bilingue

Les questions d’idéologies politiques et didactiques jouent aussi un rôle important dans la mise sur pied de projets immersifs ou de classes bilingues. Gajo (2005) met en avant le fait que :

[…] tout choix en matière de langue et d’éducation est en principe porté par une idéologie, d’autant plus quand il s’agit de bilinguisme et en particulier d’enseignement bilingue et/ou immersif. Cette idéologie sociopolitique croise cependant, dans le domaine éducatif, des idéaux didactiques, avec lesquels elle entretient divers types de relations. Pour simplifier, elle peut soit les servir soit s’en servir, selon des modalités variables.

Gajo (2005 :4)

Le croisement entre enjeux socio-politiques et didactiques peut s’observer dans chaque projet d’enseignement bilingue. Sur le plan politique, Baker (1995) différencie par exemple les modèles forts (promotion du bilinguisme, connexions entre deux communautés linguistiques) des modèles faibles (promotion d’une langue à statut majoritaire, bilinguisme comme moyen passager pour assimiler un individu à la langue majoritaire). Ainsi, les modèles forts se rapprochent des modèles d’enseignement bilingue (et parfois d’immersion) mentionnés plus haut alors que les modèles faibles se rapprochent des caractéristiques de la submersion. Au sein des modèles forts, Gajo (2001) fait la distinction entre les modèles liés et les modèles libres. Les premiers considèrent le bilinguisme comme un outil de communication sociale, visent une harmonie entre communautés linguistiques et sont fondés sur une idéologie sociopolitique. Les seconds perçoivent le bilinguisme comme un élément favorisant le développement cognitif (et comme un outil didactique) et sont fondés sur un idéal didactique. La figure 7 ci-dessous schématise cette différenciation :

Figure 7: Différenciation entre modèles forts et modèles faibles selon Baker (1995) cité par Gajo (2005 :4)

Ainsi, l’immersion réciproque qui est au cœur de ce travail se situe du côté des modèles forts puisqu’elle favorise le développement de deux langues auprès des élèves, mais aussi du côté des modèles liés puisque les objectifs sont avant tout sociolinguistiques (Le Pape Racine et al., 2010). Cependant, les élèves doivent également effectuer des apprentissages disciplinaires et l’immersion réciproque aurait tout à gagner de s’approcher également des modèles libres, avec une plus large prise en compte des aspects didactiques. Nous verrons plus loin dans quelle mesure la zone commune entre les modèles libres et les modèles forts peut être intéressante en termes de réflexions sur l’immersion réciproque (cf. sous-chapitre 2.6).

En regard de ces axes, Gajo (2005) revient sur quatre des cinq types présentés plus haut et qualifie le type 2 (structure monolingue L2 pour élèves monolingues L1) de « modèle efficace » (Gajo, 2005 :6) en mettant les compétences communicatives en L2 au centre de l’approche, le type 4 (structure monolingue pour élèves bilingues) de « militant » en mettant en avant les questions identitaires ainsi que le maintien de langues minoritaires et les types 1 et 3 (structure bilingue pour élèves monolingues ; structure bilingue pour élèves bilingues) de « modèles combinés » (Gajo, 2005 :6) qui représenteraient, d’une certaine manière, le cas idéal puisque les aspects didactiques et socio-politiques n’entrent pas en concurrence mais sont plutôt concertés et articulés.

Outre les cinq types présentés par Gajo (2005), certains auteurs présentent diverses entrées possibles pour décrire plusieurs types d’enseignement bilingue. Les travaux de Geiger-Jaillet, Schlemminger et Le Pape Racine (2016) permettent d’identifier les principaux critères pris en compte pour qualifier des types d’enseignement bilingue.

Par exemple, en fonction de l’âge des apprenantes et apprenants à l’entrée dans une

classe bilingue, les auteurs distinguent l’immersion précoce (dès 4-6 ans), de l’immersion moyenne (dès 7 ans) ou de l’immersion tardive (dès 16 ans). En outre, selon le taux d’exposition à la L2 dans un programme immersif, les termes d’immersion totale (utilisation exclusive de la L2, comme dans certaines écoles en Bretagne), d’immersion paritaire (50% du temps scolaire accordé à chaque langue) ou d’immersion partielle (de 20 à 49%) seront utilisés. L’immersion réciproque constitue un cas à part (élèves issus de deux groupes linguistiques) d’enseignement bilingue, visible notamment dans la variable no 2, portant sur la composition de la classe. Le tableau 2, inspiré du travail de Le Pape Racine (2014), présente ces différentes entrées possibles pour mettre sur pied tout projet d’enseignement bilingue, ainsi que les appellations communément utilisées pour chaque variable.

Tableau 2: Variables et appellations des différentes formes d’enseignement bilingue (inspiré des 3 Conditions d’entrées pour les élèves Débutants

Niveau d’entrée requis (A2-C1) 4 Conditions d’engagement pour les

enseignantes et enseignants Niveau d’entrée requis (B2-C2) Locuteur natif 8 Statut institutionnel de la L2

Langue de scolarisation

10 Exposition à la L2 Immersion totale

Immersion partielle Enseignement extensif 11 Utilisation de la L2 dans les DdNL Moins de 45%

45-55%

Plus de 55%

12 Statut obligatoire (ou non) de la L2

Obligatoire pour l’enseignant

18 Nous relevons que les qualificatifs « précoce » et « tardive » sont les mêmes que dans les questions d’acquisition, mais ils correspondent logiquement à des tranches d’âges différentes, car le contexte

16 Certification Diplôme, certificat bilingue

19 Formation des enseignantes et des enseignants

Nous constatons que les entrées possibles sont variées et que leurs déclinaisons sont nombreuses, ce qui renforce l’idée que chaque projet d’enseignement bilingue est unique. Dans ce sens, ce tableau constitue un outil pertinent pour l’analyse de tout projet d’enseignement bilingue en fonction de ses caractéristiques. Nous précisons que la première version de ce tableau (proposée par Le Pape Racine, 2014 et dont nous nous sommes inspirés) vise avant tout à donner des pistes de réflexion pour toute personne ou institution souhaitant lancer un projet d’enseignement bilingue. En fonction des choix effectués pour chacune des catégories présentées dans le tableau ci-dessus, le type d’enseignement ainsi que le type de compétences développées par les élèves seront différents. Le tableau vise alors à soutenir les personnes responsables lors la phase de préparation d’un nouveau projet d’enseignement bilingue, notamment en termes de choix didactiques. Par exemple, en référence au point 2 du tableau (conditions d’entrées pour les élèves), toute une série d’adaptations pour la communication ainsi qu’un découpage particulier des contenus devront être planifiés si les élèves qui entrent dans un projet bilingue sont débutants en L2. La grande variété de types d’enseignements bilingues possibles et la difficulté de proposer une classification exhaustive des projets existants mettent en avant la nécessité de développer un concept didactique qui soit propre aux choix effectués et au contexte d’implémentation de chaque projet d’enseignement bilingue.