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Les articles qui font de l’épreuve une illustration de la technique

3.2 Des comptes rendus de techniques toutes faites

3.2.3 Les articles qui font de l’épreuve une illustration de la technique

La troisième catégorie est peut être la plus importante quantitativement. Elle recouvre les articles qui font le récit d’une mise à l’épreuve réelle de la technique mais où seules certaines parties de la mise à l’épreuve sont relatées. C’est le cas, notamment, des articles dont la structure tend à épouser les étapes de la technique dont ils rendent compte. Les étapes de la technique fonctionnent alors comme une grille de lecture qui vient sélectionner dans ce qui s’est passé sur le terrain certains éléments au détriment de certains autres. Cette forme de compte rendu a généralement deux effets : (1) les efforts réalisés pour appliquer la technique sous une certaine forme n’apparaissent pas, et (2) les éléments du terrain qui sont relatés semblent avoir pour fonction simplement d’illustrer la technique. On peut placer dans cette catégorie par exemple Bødker et Gronbaek (1991), Bardram (2000), Brandt et Messeter (2004), Ehn et Kyng (1991), Holtzblatt et Beyer (1993), Kensing et al. (1998), Christensen et al. (1998), ou encore Simonsen et Hertzum (2008). Prenons un exemple :

Bødker et Gronbaek (1991) présentent une expérience de prototypage coopératif visant à concevoir une base de dossiers de patients pour une clinique dentaire municipale (au Danemark). En simplifiant un peu, l’article est construit de la façon suivante : (1) les auteurs font d’abord une présentation générale du prototypage coopératif : ils expliquent pourquoi les prototypes doivent être testés directement par les utilisateurs et comment il convient de

58 s’organiser pour que cela soit possible ; (2) ils décrivent ensuite le contexte de l’expérience : la profession des participants (assistants dentaires), les systèmes informatiques utilisés à la clinique, les besoins des assistants dentaires en termes d’outils informatiques, et les logiciels qui ont été utilisés pour fabriquer le prototype ; (3) les auteurs présentent le déroulement de deux séances d’évaluation du prototype : le travail de préparation réalisé en amont de chaque séance, les modifications réalisées au cours des séances à partir des remarques des utilisateurs, et les modifications réalisées après les séances ; (4) ils exposent les aspects positifs de l’expérience : le fait que les participants ont maintenu leur attention sur la question de l’adéquation de l’outil à leurs conditions de travail, que des modifications du prototype ont été possibles en cours de séance, et que de nouvelles fonctionnalités ont pu être identifiées. (5) ils identifient enfin les obstacles à éviter : les prototypes trop compliqués à utiliser pour les utilisateurs, les modifications trop fréquentes et trop longues du prototype en cours de séance, les attentes irréalistes des utilisateurs à l’égard du prototype etc.

Ce type de compte rendu constitue un excellent guide d’utilisation : il expose clairement le bien-fondé de la technique, illustre chacune de ses étapes par des exemples concrets et authentiques, et met en évidence aussi bien les points forts que les risques associés à la technique. Cette forme de présentation tend cependant à exclure du compte rendu une partie des épreuves dans lesquelles la technique s’est construite. En se concentrant sur les phases de réalisation de la technique (phases de préparation et de bilan comprises), le compte rendu réduit a priori tout le reste à la notion de contexte. On ne sait quasiment rien du travail fait en amont pour que l’expérience puisse se réaliser. En l’occurrence, les auteurs indiquent simplement qu’ils donnaient des cours d’introduction à l’informatique à des assistants dentaires via l’organisation syndicale de ces derniers, et que c’est dans le cadre de ces cours que l’expérience a été réalisée (Op. cit., p.345). Beaucoup de questions restent ainsi en suspens : comment les auteurs ont-ils négocié avec le syndicat la mise en place de ces cours ?

59 Comment les participants aux cours ont-ils été sélectionnés ? Comment les auteurs les ont-ils convaincus de participer à l’expérience ? Ont-ils essayé de prolonger l’expérience par des séances de cours supplémentaires ?

Ces trois catégories de comptes rendus ont en commun qu’elles semblent se désintéresser de tout ou parties des épreuves de terrain dans lesquelles se construisent les techniques de CP. Dans la première catégorie, le compte rendu se contente de présenter une mise à l’épreuve fictive de la technique ; dans la deuxième catégorie, le compte rendu s’arrête quand la mise à l’épreuve de la technique vient à peine de commencer ; et dans la troisième, le compte rendu ne sélectionne que les épreuves qui permettent d’illustrer les étapes de la technique. Ces articles donnent ainsi une impression d’homogénéité entre les techniques et les terrains où elles sont appliquées ; ils ne montrent pas le travail qui permet de lier les techniques aux éléments hétérogènes du terrain. Le problème, autrement dit, vient chaque fois de ce que la définition de la technique est posée a priori, hors du terrain. Elle est ce qui contraint la forme du texte au lieu d’être la forme dont le texte essaie de rendre compte. En d’autres termes encore, dans ces articles, la définition de la technique relève des seuls auteurs. Les acteurs du terrain peuvent éventuellement souligner les limites de la technique, mais leur rôle est avant tout de l’appliquer. La façon dont ils ont contribué à re-définir la technique pour qu’elle puisse être appliquée est passée sous silence14. En somme, ces articles rendent compte de techniques déjà faites et non de techniques en train de se faire. Les repères de terrain permettant de mesurer la réussite des techniques demeurent invisibles.

14 Ces articles ont ainsi quelque chose d’un peu paradoxal. D’un côté, ils font la promotion de techniques qui visent à associer à un processus de conception l’ensemble des acteurs concernés, de l’autre, ils semblent hésiter à associer pleinement les acteurs concernés lorsqu’il s’agit de définir ces techniques.

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