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Les approches de l’identification du risque industriel majeur en France et au Québec Une question de méthodologie

Partie I Un risque, des territoires, des réponses

1. Le risque industriel majeur dans la ville

1.4. Le risque industriel majeur, une nécessaire identification

1.4.2. Les approches de l’identification du risque industriel majeur en France et au Québec Une question de méthodologie

- En France, un débat entre conceptions déterministe et probabiliste

Il semblerait que le risque industriel majeur ne soit pas identifié et évalué de la même manière au regard de la carte ci-dessous proposée par Régis Farret. Cette dernière porte la focale sur les démarches entreprises par les différents pays de l’espace européen pour identifier les risques technologiques.

20 « Pour mémoire », revue du ministère de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement,

Actes de la journée d’étude du 10 novembre 2010 : 1810-2010 : 200 ans d’inspection des installations classées, Paris, 130 p.

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Carte 3 - Les démarches européennes d'identification des risques technologiques

Source : Les enjeux d’une gestion territorialisée des risques technologiques, séance 7, 2008, p. 6.

La lecture de cette carte montre des pays qui n’identifient pas le risque technologique (et donc industriel) de la même manière. Malgré la présence d’un cadre législatif européen, les pays semblent se distinguer entre ceux qui mobilisent une approche dite déterministe d’une part, et ceux qui mobilisent une approche dite probabiliste d’autre part. La France possède une particularité. Bien que le pays s’inscrive aujourd’hui dans une démarche probabiliste semi-quantifiée, il s’inscrivait autrefois, nous y reviendrons, dans une démarche déterministe.

En première lecture, la démarche déterministe consiste à évaluer les « conséquences maximales des accidents majorants » ; alors que la démarche probabiliste offre une « vision quantitative du couple probabilité/gravité » [PROPECK-ZIMMERMANN, SAINT-GERAND & BONNET, 2007], à l’intérieur de laquelle une attention sera accordée au « cumul des probabilités » des accidents qui pourraient occasionner des dégâts et le décès d’au moins une personne [Ibidem, 2009]. Tandis que la méthode déterministe se traduit par un tracé de cercles concentriques, la méthode probabiliste « prend

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à des formes aréales non géométriques21 ». Dans tous les cas, les retours d’expérience des événements passés constitueront une base de données essentielle pour permettre le bon déroulement de la démarche d’identification.

La démarche française n’est cependant pas qualifiée d’exclusivement probabiliste, dans la mesure où il subsiste des écueils quant à la quantification des probabilités [PROPECK-ZIMMERMANN, SAINT- GERAND & BONNET, 2007]. Ces derniers auteurs abordent par ailleurs d’autres limites : « la

méthode rend opaque l’ensemble des facteurs d’aléas (leur nature notamment) et elle est basée sur le seul critère de gravité : le nombre de morts en général, ce qui est réducteur » [Ibidem]. C’est la raison

pour laquelle la carte fait mention pour la France d’une démarche probabiliste semi-quantifiée.

Il subsiste toutefois des discussions sur plusieurs points entre les tenants de l’approche déterministe, à savoir l’administration, et ceux de l’approche probabiliste, à savoir les industriels. L’Etat aurait une préférence pour l’approche déterministe, qualifiée de « règlementaire » [MARTINAIS, 2011b, p. 59] dans la mesure où elle favorise une plus grande réduction des risques à la source [GALLAND & MARTINAIS, 2010, p. 278]. Mais elle inciterait les industriels à « exposer davantage leur système

interne de sécurité afin d’augmenter les possibilités de contrôle et donc, les exigences en termes de prévention » [MARTINAIS, 2011b, p. 59]. Emmanuel Martinais précisera d’ailleurs dans un autre

texte que les industriels reprocheraient à l’orientation déterministe d’être « peu performante sur le

plan technique et pénalisante sur le plan économique. Ils dénoncent des principes méthodologiques qui tendent à focaliser les actions de prévention (et donc, les investissements de sécurité) sur quelques situations extrêmes, peu réalistes, au détriment des situations plus ordinaires, souvent moins graves mais plus préoccupantes dans une logique industrielle » [MARTINAIS, 2011c, p. 82].

Ces acteurs industriels préféreraient donc l’approche probabiliste qualifiée d’« industrialiste » [MARTINAIS, 2011b, p. 59]. Cette dernière serait « plus exhaustive », « plus scientifique » et « plus discutable par les parties prenantes » [GALLAND & MARTINAIS, 2010, p. 278]. En outre, la méthode probabiliste nuirait moins à la compétitivité des entreprises en France dans une Europe très largement basée sur des démarches probabilistes ; ce qui aurait pu pousser certaines entreprises à se délocaliser.

Quelle que soit la méthode mobilisée, les acteurs industriels en France dont l’activité peut présenter un danger, doivent élaborer un document nommé études de dangers et ce, depuis la loi sur les I.C.P.E. Ce dernier devra identifier l’ensemble des causes internes et externes d’un accident ainsi que ses conséquences [DUBOIS-MAURY & CHALINE, 2004, pp. 88-90]. Dans la seconde partie de cette

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ZIMMERMANN (Eliane), 1993, Délimitation des périmètres à risques : analyse des outils cartographiques, cité dans CHAM’S, 1994, p. 53.

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recherche et plus spécifiquement au chapitre cinq, nous reviendrons de manière approfondie sur ce document qui constitue un préalable indispensable à la mise en œuvre de réponses, en particulier celle liée à l’aménagement autour des entités industrielles.

- Au Québec, la formalisation de deux scenarii : normalisé et alternatif

Au sein de la province canadienne, en présence d’un établissement dangereux, la démarche d’identification va conduire à la formalisation de deux types de scénarii. Le premier est dit normalisé, appelé également en anglais « worst case scenario » ; tandis que le second est qualifié d’alternatif.

Le scénario normalisé pourrait, dans une certaine mesure, se rapprocher de l’approche déterministe dans le sens ou il retient le pire des événements possibles, sans aucune mesure d’atténuation22. Ce scénario fait référence au « relâchement de la plus grande quantité d'une substance dangereuse,

détenue dans le plus gros contenant, dont la distance d'impact est la plus grande » [LAPALME, 1999,

p. 31]. Le scénario alternatif quant à lui a des conséquences moins grandes puisqu’il tient compte de l’ensemble des mesures d’atténuation passives et actives [Ibidem, p. 32]. Il est possible d’observer une certaine similitude avec le cas français dans la mesure où les différents scenarii identifiés en France vont tenir compte des barrières de sécurité [PROPECK-ZIMMERMANN, SAINT-GERAND & BONNET, 2007]. Selon ces derniers auteurs, une barrière de sécurité fait référence à des dispositifs techniques, humains ou organisationnels qui permettent de réduire la probabilité et/ou la conséquence d’un accident [Ibidem]. A priori, ce terme pourrait ne faire référence qu’aux mesures d’atténuation actives. Toutefois, les auteurs prennent l’exemple des cuvettes de rétention qui ne nécessitent pas de mécanisme externe ou d’intervention humaine. Ainsi, le terme « barrière de sécurité » peut être considéré comme un synonyme de « mesures d’atténuation » (passives et actives). Il sera néanmoins fréquent dans la suite du texte de voir apparaître la formulation « mesures de réduction du risque à la source » pour discuter de cette famille de réponses.

Il a été possible d’échanger avec le Président d’une association d’acteurs industriels : l’Association Industrielle de l’Est de Montréal (A.I.E.M.). Cet interlocuteur a apporté des éléments d’éclaircissement sur la thématique particulière de l’identification des risques industriels majeurs dans la province canadienne.

22 Il existe au Québec deux types de mesures d’atténuation, passives et actives. Ces dernières ne sont autres que

des mesures de réduction du risque à la source. Les mesures d’atténuation passives sont définies comme des « systèmes destinés à restreindre les conséquences d’un accident sur le public et les zones sensibles qui ne demandent pas d’intervention humaine, de mécanisme externe ou de source d’énergie [EPA, 1996, cité dans CRAIM, 2002, p. 391]. Dans le cas inverse, on parlera de mesures d’atténuation actives.

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A la fin du 20ème siècle, le gouvernement canadien a créé le Conseil Canadien des Accidents Industriels Majeurs (C.C.A.I.M.). Ce dernier offrait une expertise pour identifier et gérer les risques inhérents aux industries. Ce conseil avait identifié des chapitres par province. Il est à noter que le chapitre québécois faisait référence à l’expérience menée dans l’est de Montréal, notamment pour identifier les dangers ; expérience elle-même issue de la méthodologie employée par l’Environmental

Protection Agency (E.P.A.) aux Etats-Unis. Pour des raisons budgétaires, le C.C.A.I.M. n’existe plus

aujourd’hui. Toutefois, le versant québécois a demeuré sous la forme du Conseil pour la Réduction des Accidents Industriels Majeurs (C.R.A.I.M.). Cette entité a créé un guide qui reprend le chapitre québécois du C.C.A.I.M. Ce document fait en quelque sorte office de loi sur l’ensemble de la province dans la mesure où les textes législatifs provinciaux ne donnent que peu d’éléments sur la manière d’identifier les dangers aux dires du Président de l’A.I.E.M. :

« La méthodologie n’est pas spécifiée dans la règlementation actuelle. Au niveau provincial, y a

aucune règlementation qui existe, qui encadre. Bon, y a la loi sur la sécurité civile, mais il n’y a pas de règlementation qui s’y attache, donc y a pas nécessairement de contraintes particulières […] ».

Cet acteur du monde industriel précise en revanche que la règlementation fédérale sur les urgences environnementales possède un document complémentaire, une annexe, qui identifie la méthode du C.R.A.I.M. comme étant « une des méthodologies à privilégier » :

« Ca veut pas nécessairement dire qu’une entreprise qui veut utiliser une autre approche ne pourra

pas le faire, mais je sais que par exemple, Environnement Canada, qui s’assure que les entreprises respectent la règlementation fédérale, va analyser les plans de mesures d’urgence et s’ils n’ont pas été faits de façon adéquats, ben à ce moment là ils vont fortement solliciter les entreprises : « écoutez, votre approche utilisée n’est pas adéquate, les résultats que vous obtenez ne sont pas conformes ou ne correspondent par à ce qu’on attendait à avoir ! ». Donc il n’y a pas d’obligation de processus, il y a une obligation de résultat ».

Ceci étant, il ressort qu’une démarche d’identification d’un risque industriel majeur ne peut être complètement exhaustive et que « certains » scénarii peuvent être retenus. Elle peut être effectuée par l’industriel, conjointement avec l’administration comme en France, mais reste finalement qu’une représentation du risque puisque des choix auront été formulés. Que ressort-il de la démarche d’identification opérée au sein des deux territoires d’investigation ?

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